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Chapitre  3   : Le cadre théorique 31

3.1   Théorie de la reconnaissance 31

3.1.3   La conceptualisation du problème social : l’enjeu des jeunes aidants 33

Pour Honneth (2004), les pathologies sociales se trouvent dans des relations sociales qui empêchent les individus de se réaliser pleinement. Ces barrières provoquent chez eux la souffrance, les mettant dans des conditions d’injustice sociale. Le déni de reconnaissance signifie la non-existence. Comme la visibilité n’est qu’une forme d’identification (Erkennen), il faut une visibilité sociale, c’est-à-dire une reconnaissance sociale (Anerkennen), pour que la valeur personnelle soit reconnue, ce qui est nécessaire pour la formation de l’identité (Honneth, 2004). « L’individu ou un groupe peut subir des conséquences néfastes […] quand l’environnement ou la société leur envoie une image limitée, dénigrante et méprisable d’eux- mêmes » (traduction libre, Schaeffter, 2009 : 4). La non-reconnaissance est donc une forme d’oppression, ce qui peut enfermer la personne qui en souffre dans une vie déformée. La souffrance sociale consiste ainsi en une fragilisation du rapport positif à soi, en une constitution d’un rapport négatif à soi par la dépréciation, ou encore en une destruction du rapport à soi, qui provoque la souffrance psychique (Blanchard et Bourdeau, 2006). Par contre, l’injustice à laquelle de nombreux individus font face ne produit pas automatiquement le sentiment d’injustice, mais davantage un sentiment d’insatisfaction ou de souffrance, car face à l’absence de l’appropriation d’autrui, les « […] victimes d’injustices ne peuvent plus même percevoir la nature de ces injustices » (Blanchard et Bourdeau, 2006 : 30). C’est alors le silence qui règne sur la souffrance des gens qui alimente l’expérience d’injustice (Lazzeri et Caillé, 2004). Par rapport à notre objet de recherche, nous avons déjà soulevé que la réalité des jeunes aidants n’est pas assez visible (Nigel et coll., 2003; Charles, Stainton, Marshall, 2012). Toutefois, la littérature disponible n’approfondit pas comment ce manque de visibilité influence la réalité des jeunes aidants. Nous sommes d’avis que la conceptualisation de l’enjeu des jeunes aidants, en nous basant sur la théorie de la reconnaissance, nous aidera à mieux comprendre la manière dont les jeunes s’identifient à leur rôle ainsi que les conséquences qui peuvent en résulter.

Les problèmes sociaux peuvent être conceptualisés selon trois formes de mépris. La première consiste en toute forme de violence envers l’individu. Cette notion de violence inclut également le sentiment de devoir subir la volonté d’autrui sans pouvoir s’en défendre (Tabboni et coll., 2001). Quand l’intégrité physique et émotionnelle est compromise, les répercussions sont néfastes pour le développement de l’individu, c’est-à-dire qu’au lieu de s’affirmer avec confiance envers l’autre, l’individu risque de développer de la méfiance (Houston et Dolan, 2008). La deuxième forme de mépris est l’exclusion par rapport à certains droits. Comme l’individu n’a pas un accès égal à des droits, son image de soi risque de se détériorer. La dernière forme de mépris fait référence à la négation de la valeur sociale de l’individu. Cette dévalorisation et le manque de solidarité sociale entraînent une perte de l’estime de soi (Tabboni et coll., 2001), et la dépréciation risque de provoquer la perte de la dignité (Honneth, 2007) ou même de l’identité (Schaeffter, 2009). Chacune de ces formes de mépris empêche l’individu de développer un rapport positif à soi.

En lien avec les trois formes de mépris correspondent trois formes de reconnaissance qui se fondent dans des rapports intersubjectifs nécessaires pour assurer la formation d’une identité saine (Tabboni et coll., 2001). Il est nécessaire que l’éthique politique se tourne vers ces trois formes de la reconnaissance pour comprendre ce qu’est la justice sociale (Honneth, 2004). Il faut en conséquence améliorer les rapports sociaux pour qu’ils engendrent une participation de tous.

L’amour, qui se fonde dans des relations affectives primaires, produit la confiance en soi, car nous recevons un regard positif de l’autre. Nous sommes reconnus par l’autre et nous nous reconnaissons nous-mêmes dans cette relation affective, ce qui est la base pour développer une sécurité émotionnelle et permettre à l’individu d’éprouver et de manifester ses sentiments et ses besoins. Ce postulat est soutenu par les idées du psychanalyste britannique Donald D. Winnicott, qui développe l’idée que le défi pour l’enfant est son individualisation, laquelle est seulement possible lorsque l’enfant, dans la symbiose avec la mère, reçoit d’elle un regard positif et peut développer la confiance en soi nécessaire pour devenir un être indépendant (Honneth, 2007).

Le droit, l’élément cognitif de la formation de l’identité, représente la reconnaissance juridique nécessaire pour développer le respect de soi-même. Il s’agit de la reconnaissance du fait que nous avons des droits comme les autres. Dans ce traitement égal, l’individu peut se développer comme étant un citoyen à part entière, car il ressent la sécurité qu’il vaut juridiquement autant qu’autrui (ibid.). Il s’agit d’une appropriation sociale renforcée par les droits pour reconnaître le statut social de l’autre (Houston et Dolan, 2008). Cette reconnaissance juridique peut être qualifiée comme un méta-bien premier pour que les autres biens premiers, comme les droits civiques, politiques, économiques et sociaux, puissent être assurés. En outre, il est essentiel que ce méta-bien premier soit assuré pour que les individus puissent développer le désir de défendre leurs biens premiers (Lazzeri et Caillé, 2004).

La solidarité, l’élément affectif de l’identité, fait référence à l’appropriation intersubjective. La manière dont l’individu contribue à la vie sociale doit avoir une valeur dans les yeux d’autrui. Si la participation est reconnue et valorisée, cela permet de développer l’estime de soi, et donc d’avoir un sentiment de sa propre valeur (Honneth, 2007 ; Tabboni et coll., 2001).

Lorsque nous parlons de la reconnaissance en ce qui concerne les jeunes aidants, il faut en conséquence mieux comprendre quelle forme est compromise ainsi que les conséquences sur leur vie comme aidants et adolescents. Pour ce faire, notre analyse se basera sur la conceptualisation de la réalité des jeunes aidants en suivant les différentes formes de reconnaissance telles que décrites auparavant. Cela nous permettrait de mieux comprendre les effets de la reconnaissance par rapport à leur développement, car il faut prendre en considération que le processus de la formation de l’identité est un processus socio-moral. Premièrement, il faut porter attention à la socialisation morale des individus. L’identité individuelle se forme par l’intériorisation des standards normatifs de reconnaissance sociale. Dans son développement, l’individu apprend à se percevoir comme une partie intégrante de la vie sociale lorsque ses besoins et ses capacités sont reconnus positivement à travers des interactions sociales. Il faut également souligner que les réactions d’autrui sont socialement déterminées (Honneth, 2004 ; 2002). Les institutions sont entre autres responsables pour la production des identités, en tant que lieux de socialisation qui coordonnent les interactions sociales par leurs valeurs normatives. Ici, notre objectif de recherche, c’est-à-dire de

comprendre l’adéquation des visions des adolescents et des intervenants dans la problématique du soutien auprès des parents dépendants devient particulièrement important en prenant en considération que les institutions peuvent aussi rendre invisibles certaines catégories d’individus, ce qui signifie l’invisibilité sociale (Blanchard et Bourdeau, 2006).

Dans un deuxième temps, il faut mettre l’accent sur l’intégration morale de la société, c’est-à-dire que l’intégration des individus est seulement possible lorsque les processus d’intégration sont assurés par des formes de reconnaissance de la part de la société dans le but d’assurer que des relations sociales permettent cette reconnaissance réciproque. Honneth (2002) parle ainsi de la nécessité pour une institutionnalisation de la reconnaissance pour régler les formes de la reconnaissance réciproque par lesquelles les individus peuvent s’impliquer dans les interactions sociales dans divers contextes sociaux.