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Chapitre  7   : Au croisement des regards 124

7.1   Les parents : les premiers responsables pour assurer la reconnaissance? 124

7.1.2   Avoir des droits comme tout le monde 127

Lorsque nous avons abordé le droit, nous avons vu que les barrières institutionnelles (contraintes dans l’organisation des services, absence de services, manque de collaboration) représentent des obstacles pour les intervenants à augmenter l’attention qui devrait être portée envers les adolescents qui sont des jeunes aidants. De ce fait, la majorité des intervenants sont conscients de la nécessité d’inclure les jeunes dans le processus de consultation pour recevoir

des services comme tout le monde. Toutefois, un défi supplémentaire se pose aux intervenants, car il est ressorti que les jeunes sont réticents à faire appel à des intervenants. De plus, cette réticence de la part des adolescents pourrait également être renforcée par celle des parents, car « il faut que le parent soit à l’aise que le jeune parle de sa famille » (INT3), et dans certaines situations, « les parents ne veulent pas nécessairement [que les jeunes parlent de leur situation familiale] » (INT5). Même si les intervenants sont conscients qu’il faudrait contrer ces barrières pour inclure les jeunes dans le processus de réadaptation, il ressort qu’ils se basent encore une fois sur la responsabilité des parents afin d’assurer une reconnaissance au niveau du droit :

Je crois que… l’autre parent, s’il y a un autre parent qui est dans la situation, [il doit] lever le plus possible le drapeau pour dire, par exemple : aviser l’intervenant social de l’école : « Mon mari ou ma femme a eu un accident. Mon fils nous apporte un coup de main. Ça se peut que vous voyiez des modifications dans ses notes ou dans son comportement. Tenez-moi informé. Est-ce que ça serait possible qu’il voie le psychologue ou le travailleur social scolaire ? » (INT1)

Pour ce qui est de la reconnaissance du Droit, le témoignage d’AN4 souligne effectivement qu’il est important que les parents soient proactifs dans la création de ces liens. Il nous a décrit comment ses parents avaient posé des actions concrètes au début de la maladie afin d’aller chercher de l’aide pour lui. Même si leur demande de services n’était pas en lien avec un rôle d’aidant, mais davantage sur la base de leurs inquiétudes concernant l’influence de la maladie sur son développement, ceci semble être un aspect important et il semble qu’AN4 n’a pas vécu cette expérience comme négative, ce qui pourrait faire en sorte qu’il demande peut-être plus facilement de l’aide lorsqu’il en ressentira le besoin à l’avenir.

En outre, faisant face à ces différentes barrières pour augmenter la reconnaissance des jeunes aidants en ce qui concerne le droit, une autre piste d’action a été soulevée qui renforce la place des parents, car ceux-ci devraient faire prévaloir leurs propres droits comme usagers du système de la santé. Selon plusieurs intervenants, les parents devraient ainsi porter une attention particulière à la réalité de leurs enfants, et en conséquence, s’assurer qu’on réponde aux besoins de toute la famille pour permettre d’alléger le rôle d’aidant de leur enfant.

Une expérience partagée par AN1 renforce en quelque sorte cette idée. Il nous a décrit que, lorsque sa mère était sortie de l’hôpital, il faisait beaucoup de déplacements avec elle. Dès qu’elle en avait besoin, elle faisait appel à son fils, car elle avait de la difficulté à accepter sa situation. « Pour elle, c’était le top de la merde là : "Si je prends ça là [le transport adapté], je suis vraiment une handicapée. […] je suis dépendante d’un service". Elle voulait pas, elle voulait vraiment pas. [Mais après] elle s’est dit : "O.K. Si je veux vraiment être autonome, faudrait avoir le service du transport adapté, je n’ai pas le choix". Fait qu’elle a passé par- dessus de son orgueil ». De ce fait, même s’il s’agit des services pour le parent et non pas directement pour les adolescents, nous voyons que cette aide peut indirectement offrir un soutien pour les jeunes afin d’alléger leurs responsabilités.

Mais au-delà du rôle des parents mis de l’avant par les intervenants et en partie par les adolescents, tous les jeunes ont porté une attention particulière au rôle des intervenants, qui influencent la manière dont ils s’identifient à leur rôle d’aidant. Les dynamiques de la « reconnaissance non-avouée » ainsi que de celle « fragmentée » soulèvent la lourdeur que les jeunes peuvent vivre lorsqu’ils ne sont pas pris en considération dans leur réalité comme jeunes aidants, même si des intervenants sont au courant de leur rôle. L’intervenant scolaire qu’AN2 a rencontré en lien avec les difficultés qu’il a vécues avec ses amis en raison de sa situation familiale particulière a, d’une certaine manière, détourné l’attention du vrai problème, ce qui l’a empêché d’exprimer ses véritables besoins. Même si son père a été proactif afin de demander de l’aide pour son fils, c’est-à-dire de rencontrer l’intervenant scolaire, cette initiative semble ne pas avoir été suffisante. Dans ce même sens, AN1 nous a raconté : « Ma mère m’en a parlé [que je peux rencontrer un travailleur social], mais il y a personne, il n’y a jamais eu un professionnel qui s’est comme… C’était tout le temps par ma mère ». De ce fait, les jeunes soulignent la nécessité que les intervenants qui entourent leur famille prennent l’initiative afin de garantir une reconnaissance au niveau du droit.

En outre, les intervenants ont soulevé les contraintes institutionnelles (par exemple : les heures d’ouverture traditionnelles) qui semblent empêcher l’intervention auprès des jeunes. Toutefois, la dynamique de la « reconnaissance soutenue » nous a montré encore une fois la place primordiale des intervenants : « […] durant l’été, on est toujours là [au centre de réadaptation] quand on n’a pas l’école. Mais avec l’école, on n’est plus là. Ils [les

intervenants] nous voient plus, fait que là, ils nous appellent : "Comment tu vas ? Viens me rencontrer." [La travailleuse sociale] fixe un rendez-vous pour me voir, quand je suis disponible » (AN3). En conséquence, il ressort qu’il est important que les intervenants trouvent des moyens afin de garder contact avec les jeunes aidants pour s’adapter à leur réalité. Ce n’est que lorsque cela est garanti qu’un lien de confiance peut s’installer, et ultimement, contrer la réticence des adolescents afin de faire appel aux services des professionnels :

Non, mais je pense que c’est moi personnellement. Je suis juste quelqu’un comme ça : je fais pas confiance à tout le monde […] fait que je voulais juste plus en parler […] puis là, quand [les intervenants] te rencontrent pour te voir d’en parler, tu étais un peu comme, ben moi, j’étais : « Non, je veux pas en parler […] » Maintenant ça va, je suis capable de le faire [appeler la travailleuse sociale pour avoir de l’aide] (AN3).

Contrairement aux adolescents, qui valorisent l’implication des intervenants et soulignent la nécessité que ceux-ci posent des actions pour que leur rôle d’aidant soit pris en considération, les intervenants, même s’ils reconnaissent la nécessité d’inclure les jeunes, mettent davantage l’accent sur le rôle des parents, et leurs interventions visent alors à sensibiliser ceux-ci pour qu’ils créent des conditions afin d’assurer la reconnaissance par rapport au droit. Ceci représente, selon nous, une divergence importante, car lorsqu’on se base sur le soutien auprès des parents, cela signifie ne pas prendre en considération les besoins immédiats des jeunes aidants et risque de renforcer le déni de reconnaissance au niveau du droit.