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Chapitre  2   : Problématique de recherche 16

2.1   Quelle est la réalité des jeunes aidants? 16

2.1.3   La construction sociale de l’enfance et de l’adolescence 18

En considérant que la construction sociale dans les pays occidentaux de l’enfance et de l’adolescence va à l’encontre de la réalité des jeunes aidants naturels, nous avons de la difficulté à nous imaginer cette réalité. Nous considérons la période de l’enfance et de l’adolescence comme une période pendant laquelle les jeunes ont besoin de protection de la

part des parents, des institutions et de l’État. Les situations où on demande implicitement aux jeunes d’être des aidants représentent donc une réalité contraire à nos valeurs. Les différentes constructions sociales de l’enfance et de l’adolescence influencent ainsi la façon dont le rôle des jeunes aidants est considéré (O’Dell et coll., 2010). D’un point de vue occidental, qui prône l’individualité et l’indépendance dans le développement des jeunes, la réalité des jeunes aidants peut être considérée en allant à l’encontre de ce développement de l’indépendance, car le processus d’autonomisation de ces jeunes est compromis (ibid.). De plus, dans les pays occidentaux, l’acquisition des compétences sociales doit suivre le développement des enfants (selon les âges). Les jeunes aidants transgressent alors le développement normatif, dans le sens où il faut prendre soin des enfants et où ceux-ci ne devraient pas prendre soin de leurs parents (ibid.). Nous faisons référence à une enfance universelle dans laquelle l’enfant est protégé par sa famille. Adopter un rôle d’aidant très tôt provoque ainsi un degré prématuré de responsabilité et de maturité chez l’enfant, et les rôles dans la famille sont renversés lorsque l’enfant prend soin d’un parent malade. Nous nous trouvons ainsi dans une vision de la parentification selon laquelle le parent est dépendant de l’enfant et l’enfant, forcé de prendre soin de son parent. Broszormengyi-Nagy et Spark (1973) définissent la parentification comme un processus dans lequel le parent s’attend à ce que l’enfant prenne un rôle parental dans le système familial, une attente qui va influencer la dynamique relationnelle (dans Earley et Cushway, 2002). Selon cette construction, la vision par rapport aux parents est négative. Ils sont considérés comme passifs et responsables des problèmes de leur enfant (O’Dell et coll., 2010 ; Prilleltensky, 2004), mais cette vision ne témoigne pas de la véritable relation entre les parents et l’enfant.

Dans leur recherche, O’Dell et coll. (2010) soulèvent que le phénomène d’une enfance normative en lien avec le rôle d’aidant semble effectivement aller à l’encontre d’une vie normale dans notre société. Le rôle d’aidant s’applique selon la construction normative uniquement aux adultes, ce qui fait que la vie des jeunes aidants n’est pas considérée comme normale. Certains parlent même d’une perte de l’enfance. On blâme les parents en les tenant responsables de la situation familiale. Les jeunes qui ne sont pas des aidants parlent de leurs pairs aidants naturels comme de victimes de circonstances tragiques. L’utilisation d’un modèle normatif en ce qui concerne l’enfance et l’adolescence crée donc une vision pathologique de la

réalité des jeunes aidants. Si nous parlons des effets négatifs, il faut alors garder en tête qu’on se réfère à une norme standardisée de l’enfance (O’Dell et coll., 2010). Il est essentiel de développer des stratégies qui aident les jeunes à trouver un équilibre entre leur réalité comme aidant et celle comme jeune en développement. Pour y parvenir, il faut prendre en considération la globalité et la complexité de la famille, les opportunités et les contraintes sociales ainsi qu’une meilleure reconnaissance des capacités que ces jeunes développent dans leur rôle (ibid.). Il faut ainsi repenser l’enfance et l’adolescence, car « the spaces and times of childhood are proposed as, ideally, protected from politics. Children are to be protected, in an a-political arena of thought and practice. Just as women have been assigned to the private and the domestic, so we are taught to think of children as growing up there too, in a happy domain which enables them to develop, unmolested by the stresses of public life » (Mayall, 2000 : 246). Par contre, il faut percevoir les enfants et les adolescents comme des groupes sociaux auxquels il faut donner une voix pour être entendus et pris en considération dans la compréhension de l’ordre social.

Contrairement à un courant psychologique, Winton (2003) adopte une perspective sociologique pour étudier le contexte dans lequel les jeunes deviennent des aidants. Le rôle des jeunes comme étant des aidants n’est pas une pathologie, ni une déviance du système familial, mais plutôt « […] des rôles normatifs des enfants vivant dans une société post- industrielle » (Winton, 2003 : 186). Il faut alors apporter des changements dans notre société pour soutenir ces jeunes, ce qui inclut l’augmentation de la reconnaissance sociale pour qu’ils puissent se sentir appréciés.

Dans des sociétés préindustrielles, les enfants ont été valorisés pour leur contribution dans le domaine du travail, une contribution qui a été importante pour les adultes. Puis, avec l’industrialisation de la société, les enfants des classes défavorisées ont été considérés comme un soutien important pour la survie de la famille, et tous les membres de la famille ont participé pour assurer le développement de l’unité familiale. Au début du 20e siècle, la

définition des enfants et des adolescents a commencé à changer. L’augmentation de la criminalité juvénile et l’éclatement des familles faisaient en sorte que la famille n’était plus considérée comme une institution sociale qui peut en elle-même assurer la socialisation réussie des enfants. En ce sens, les enfants avaient besoin de protection à l’intérieur et à l’extérieur de

la famille afin d’assurer leur bon développement. L’État, les écoles et divers services commençaient ainsi à s’intéresser davantage aux enfants. Des réformes sociales pour protéger les enfants contre des facteurs sociaux externes, mais aussi contre des influences négatives à l’intérieur de la famille ont donc été développées. La définition des enfants comme des êtres vulnérables ayant besoin de protection est de nos jours partagée par l’ensemble de la société et dans ce sens, les enfants sont devenus une responsabilité collective (ibid.).

Par contre, les changements sociaux actuels qui obligent de plus en plus les deux parents à intégrer le marché du travail a certainement des effets sur le développement des enfants. Winton (2003) parle d’un vacuum dans les familles, et ce vacuum est rempli par les enfants, c’est-à-dire que de plus en plus d’enfants sont amenés à effectuer des tâches et à remplir des responsabilités qui étaient normalement assumées par les parents. Il est alors possible de dire que la contribution des enfants à la vie familiale est toujours présente. Par contre, il ne s’agit plus d’une contribution par le travail, soit d’un soutien économique important tel que dans les sociétés préindustrielles, mais d’une contribution par la prise en charge des frères et sœurs plus jeunes, d’une responsabilisation en ce qui concerne les tâches de la vie quotidienne et, dans certains cas, de la prise en charge et des soins pour un parent malade. La contribution des enfants au sein des familles a donc changé de visage, alors que la définition des enfants, qui ont besoin de protection de la part des institutions, n’a pas changé pour autant. En conséquence, il faut prendre en considération les structures sociales dans lesquelles les familles vivent afin de mieux comprendre les effets du rôle d’aidant sur les jeunes.

Les sociétés actuelles ont tendance à blâmer les personnes qui vivent dans des conditions précaires au lieu de les considérer comme les victimes des structures sociales qui les oppressent. Dans ce même sens, il ne faudrait pas blâmer les parents atteints d’une maladie chronique qui ont besoin de l’aide de leurs enfants. Il faut plutôt porter notre attention sur les structures sociales qui obligent ces parents à accepter de l’aide de leurs enfants (Winton, 2003). En même temps, les jeunes ne doivent pas être blâmés pour ce qui concerne les effets de leur rôle sur leur vie. Lorsque les jeunes doivent cacher leur réalité par peur de la réaction d’autrui ou pour éviter de susciter l’incompréhension de leur contribution, ces aspects, qui influencent la façon dont les jeunes vivent leur rôle comme aidants, sont plus néfastes pour leur développement que le fait d’être aidant en soi (ibid).