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E. Représentations de la ménopause

4. Le lien à la maternité

Nous avons pu remarquer que plusieurs femmes, quand elles évoquent leur ménopause parlent également de leurs menstruations.

a. Un arrêt des règles symbolique

i. La disparition d’un symptôme physique plus ou moins bien accueilli

i-1 - Un arrêt plus ou moins soudain

L’arrêt des règles qui, lorsqu’il est supérieur à 12 mois consécutifs, définit le statut de ménopause, est décrit par nos informantes comme plus ou moins brutal.

Trois des femmes rencontrées rapportent un arrêt des menstruations survenu soudainement, « comme si on avait coupé un robinet ». (070401)

La plupart racontent une phase d’irrégularité des règles, une parmi elles expliquant la survenue de règles hémorragiques pendant sa phase de pré-ménopause. (061501)

i-2 - Une acceptation plus ou moins facile

Cinq de nos participantes parlent d’un certain « confort » à ne plus avoir de règles. D’autres, décrivent un véritable « soulagement » lié à la disparition du flux menstruel.

Plusieurs informantes précisent avoir eu des « règles douloureuses » (060801 / 070401 / 070702 / 070801), celles-ci étant parfois annoncées par une migraine cataméniale. (062802 / 070801)

Ainsi, si cette aménorrhée marque un changement dans la vie d’une femme, celui-ci peut être perçu au premier abord, comme un bénéfice physique.

Pour d’autres, les règles ont été vécues comme une des contraintes de la condition féminine. Une femme dira : « Un mois, ça passe vite quand on est en règles ». (061503) Une autre expliquera : « Les règles, c’est pas ce qu’il y a de mieux chez une femme (…) je trouve que toute une vie comme ça, c’est quand même long … et moi, c’est jamais un truc qui m’a vraiment botté hein (…) moi j’étais bien contente que ça soit terminé ». (062802) L’aménorrhée contemporaine de la ménopause est donc plutôt bien accueillie.

D’autres décrivent là une certaine « liberté » (061401 / 061402 / 062002 / 070701 / 070702), qui fait référence à une préoccupation mensuelle qui n’a plus lieu d’être, mais qui évoque aussi une certaine « disponibilité » physique quant à la vie de couple.

Enfin, une femme décrit son ressenti comme une « délivrance » car elle estime que « n’ayant pas eu d’enfants, ça (lui) a servi à rien ». (070801) Elle sous-entend probablement qu’elle n’a vécu que les contraintes de la physiologie féminine.

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Or, si la très grande majorité de nos participantes se disent satisfaites par cet aspect de leur ménopause, une femme vit particulièrement mal cet arrêt des règles et regrette cette période révolue. Elle décrit en effet des symptômes physiques et compare ainsi ces deux périodes : « On ressent pas les mêmes choses pour le corps (…) après les règles, on se sent mieux, on se sent bien, on se sent légère (…) mais maintenant c’est trop différent ». (062901) Mais, au-delà de ces aspects corporels, les règles et leur disparition revêtent aussi toute une dimension symbolique.

ii. Des aspects plus symboliques

ii-1 - Un fil conducteur dans le continuum de la vie de femme

Une de nos informantes décrit les règles comme une ligne directrice dans sa vie de femme. Pour elle, l’apparition des menstruations symbolise le statut de jeune femme apte à concevoir, tandis que leur disparition, contemporaine de la ménopause, représente le début de la vieillesse. Elle relate : « Mon étape à moi : mes règles, ma vie de femme, mes enfants (…) et seulement après les petits enfants et la ménopause ». (061501)

Ainsi les règles constituent le fil conducteur de la vie de la femme et l’arrêt de celle-ci marque une étape de vie : la ménopause.

Cette dimension est partagée, sous certains aspects, par deux autres informantes qui font le parallèle entre leur vécu pendant leur vie de femme et leur ménopause. L’une d’elles s’exclame : « Je n’ai jamais eu de grossesse difficile, ni problèmes particuliers dans ma vie de femme. Je ne voyais pas pourquoi la fin des menstruations se passerait mal ! » (070401)

ii-2 - Des règles qui purifient le corps

Pour deux de nos informantes, les règles servent à purifier le corps et à éliminer un excédent de sang. Comme nous l’avons déjà évoqué, une participante rapportera se sentir « plus légère » après ses règles, « plus zen ». (062901) Une autre dira : « Les saletés, elles aillent sur quelque chose (…) la perte de sang faut bien qu’elle aille quelque part ». Elle déclare également : « Quand on a plus ses règles, on a quand même une prise de poids, ça c’est obligatoire ». Ces propos véhiculent une vieille image encore présente dans les esprits, celle des menstruations qui éliminent les déchets du corps par ce flux menstruel impur.

Cette représentation des règles est probablement en lien avec la nécessité, pour certaines femmes, de « prolonger les règles » (062001), évoquée par plusieurs de nos informantes qui ne partagent pas ce besoin.

ii-3 - Lien à la féminité

Deux informantes expliquent que certaines femmes ressentent le besoin de conserver des règles car celles-ci sont l’image de leur féminité. L’une déclare : « Elles s’imaginent qu’avoir des règles, c’est être femme ». (061403) L’autre de dire : « On entend : « la femme change, la femme n’est plus femme » ». (060801) ou encore : « Je ne suis plus une femme, parce que je ne peux plus avoir d’enfants ». (062802)

Mais outre la féminité en tant que telle, les règles ont bien souvent une représentation en lien avec la physiologie de la conception humaine : celle de la maternité.

b. Un deuil de la maternité

De par la physiologie féminine, l’aménorrhée contemporaine de la ménopause signe un arrêt définitif de la possibilité de concevoir.

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i. Un véritable deuil

Pour plusieurs de nos informantes, la ménopause met fin à leurs espoirs de maternité. Une participante explique : « J’ai qu’un garçon et j’aurais bien aimé avoir plusieurs enfants ; bon, pour moult raisons, on en a eu qu’un et c’est vrai que c’est quand même (…) un regret donc c’est vrai que maintenant, le problème ne se pose plus ». (062001)

Une autre informante raconte que son deuil de la maternité s’est achevé avec l’apparition de la ménopause. Elle expose : « Nous nous étions posé la question d’un troisième enfant (…) les circonstances de la vie ont fait que nous avions eu deux enfants et que nous étions heureux ainsi. Le deuil, c’était donc simplement psychologiquement de se dire (…) que je restais une femme à part entière, mais que je n’accueillerai plus d’enfant dans mon utérus ». (070401)

Ainsi, le deuil d’un nouvel enfant semble avoir été pris antérieurement à la survenue de la ménopause, mais celle-ci marque la concrétisation biologique de cette réalité. Dans ce cas, la prise de conscience de cette certitude semble avoir été facile à accepter.

Pour une autre de nos informatrices, célibataire, ce deuil de la maternité a été particulièrement difficile à vivre. Preuve de cette épreuve, elle relate : « Au départ, j’ai accepté assez facilement, ça faisait partie de ma vie de femme, mais au final, ça réveille beaucoup, beaucoup d’affaires et surtout (…) le deuil de la maternité … ça vous remet en question, ça vous chamboule quand même beaucoup, beaucoup là, pour moi ». (070702)

Cette étape difficile à vivre est marquée par des regrets : « Tout n’est pas accompli (…) il y a une autre maturité (…) et en même temps (…) le deuil de la maternité qui revient par moments, par rapport à mes amies qui ont des petits-enfants ». (070702) Cette « fin de maternité biologique » détermine pour elle une « certaine finitude de (sa) vie de femme ». Toutefois, cette informante explique qu’elle a cherché à combler ce vide dans « sa vie de femme célibataire sans enfant » par une « autre forme de fécondité » grâce à son travail d’infirmière puéricultrice.

Ainsi, si le désir de maternité est resté en suspens ou inassouvi, la ménopause signe la clôture définitive et irrévocable du chapitre de la maternité. Cette rupture est dictée par l’arrêt de l’aptitude physiologique à concevoir et n’est pas toujours facile à accepter pour la femme.

Par ailleurs, une informatrice reprend les propos de certaines femmes qui éprouveraient un sentiment d’inutilité une fois la ménopause installée. (061403)

Ces dires font probablement référence à l’image ancienne de la femme, mère au foyer, dont le rôle social consistait à mettre au monde et élever des enfants. L’arrêt de cette aptitude biologique met un terme à ce rôle social et laisse un vide. Une participante dira : « On dirait quelque chose qui est parti en moi ». (062901) Ces propos peuvent être interprétés dans ce sens. Nous remarquons que cette patiente est la seule à aborder le sujet sous cet angle, cette représentation de la femme n’étant pas clairement évoquée par le reste de nos informantes.

Toutefois, si pour certaines, la ménopause constitue une étape de deuil de la maternité, pour d’autres, ce deuil est fait depuis bien longtemps.

ii. Un deuil de longue date

ii-1 - Un deuil du fait de l’âge

Plusieurs de nos participantes déclarent en effet avoir décidé, bien avant leur ménopause, qu’elles n’auraient plus d’enfants. (061401 / 070801)

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Cette décision, dans l’exemple d’une des femmes rencontrées, a été prise une fois le cap des 30 ans passés. Cette informante explique : « Ça a été là le vrai deuil … me dire qu’à 30 ans (…) je ne serai plus mère, que c’était fini ». (061401)

Il s’agit là d’une décision de longue date assumée ; celle-ci, selon les dires de la patiente, ne partant pas d’une disparition du désir d’enfants, mais bien de l’atteinte d’un âge butoir jugé trop avancé pour concevoir.

Ici, la fin de sa maternité est basée sur un choix personnel, dicté par une opinion et n’a dans son esprit aucun lien avec la ménopause.

Contrairement à d’autres cas que nous évoquerons, cette informante affirme qu’elle dissocie la maternité de la physiologie de la conception et donc, des règles. Elle déclare : « J’ai jamais trop lié les règles à l’enfantement ». Ceci a vraisemblablement favorisé la survenue de ce deuil préalablement à la ménopause.

Sa décision est partagée par d’autres femmes, l’une d’elle disant : « C’est quand même mieux de les avoir jeune, à tout point de vue, pour nos forces et pour les enfants avoir des parents jeunes ». (070801) Elle poursuivra sa justification en évoquant la majoration du risque d’anomalie fœtale lors de grossesse à un âge avancé.

Ainsi, pour plusieurs informantes, le deuil de la maternité est bien antérieur à la ménopause et a été dicté par une décision personnelle.

ii-2 - Un choix de vie

Pour d’autres de nos informantes, ce deuil de la maternité a été dicté par leur choix de vie.

Une de nos informantes, religieuse, explique en effet qu’elle ne « peut pas donner la vie physiquement, mais (elle) peut la donner autrement, (…) éveiller la vie dans un autre sens ». Dans sa conception des choses, « si le cycle menstruel s’arrête, ça veut pas dire que la vie s’arrête » car « ce n’est pas juste ça, la vie ». (070701)

Ce point de vue, qui rentre dans le cadre d’une dimension spirituelle, révèle que ce deuil de la maternité dite « biologique » a été fait lors du choix d’un parcours de vie. Ce deuil n’a donc pas de lien direct avec la ménopause.

Dans d’autres cas, ce deuil de la maternité est en lien avec leur choix de célibat. (070801)

ii-3 - Un deuil imposé par la nature

La ménopause d’une de nos informatrices s’inscrit dans un contexte de stérilité, marqué par des tentatives de FIV infructueuses. De ce fait, elle déclare : « Dans mon cas, je savais très bien que je pourrais pas en avoir (…) donc je peux pas dire : « Bein maintenant, je suis ménopausée, je suis sûre que je pourrais plus procréer … puisque je pouvais déjà pas avant » ». (062802) Ainsi, cette femme relate avoir accepté cet état de fait antérieurement à sa ménopause.

Malgré tout, lors de la survenue de l’aménorrhée contemporaine de la ménopause, cette femme s’est dit : « Ouah, qu’est-ce qui m’arrive ? A la limite je suis peut-être enceinte … parce que bon, on sait pas … ». (062802) Cette informante, bien que tout à fait consciente de sa stérilité, n’avait tout de même pas abandonné tout espoir d’une grossesse. Les voix de la raison et de la science semblent en conflit avec le désir de grossesse inassouvi. Ici, le deuil de la maternité n’était pas totalement effectif avant la ménopause.

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Pour une autre enfin, mariée tardivement avec un homme présentant une stérilité primaire, le deuil de la maternité a également été imposé par la nature. Nous noterons toutefois que cette femme affirme avoir choisi de ne pas se tourner vers les techniques de FIV, jugées trop contraignantes et déclare : « Je ne sais pas si … moi, j’avais des blessures psychologiques … si j’aurais eu la force d’en avoir aussi (des enfants)… maintenant, avec le travail que j’ai fait, peut-être ( …) mais à l’époque … pas certaine ». (070703) Elle ajoute preuve qu’au final, le deuil de l’enfant n’était pas terminé : « Le fait de ne pas avoir d’enfants, y a eu des moments qui étaient douloureux », « à la période de la ménopause, ça a été dans l’inconscient peut-être plus que dans le conscient, une période de se dire (…) je n’aurai plus d’enfants ».

Ainsi, si pour ces deux femmes, le deuil de la maternité semblait déjà accompli du fait d’une stérilité connue et acceptée, les choses ne sont pas si évidentes. Le désir de grossesse persistant inconsciemment a refait surface lors de la ménopause. Nous remarquons que cette période de transition ménopausique a tout de même permis d’achever cette démarche de deuil, amorcée depuis longtemps.

Par contre, dans le cas d’autres femmes, la ménopause n’a ni constitué, ni confirmé le deuil de la maternité car ces femmes avaient depuis longtemps perdu le désir d’enfant.

iii. La disparition du désir d’enfant

Deux de nos informantes expliquent qu’elles n’ont pas désiré beaucoup d’enfants. L’une d’elle dira : « Moi, j’ai qu’une fille, donc faire plein d’enfants, c’était pas mon truc non plus ». (061403) Une autre conclura : « C’est un deuil (mais) pas de la maternité (…) c’est pas cette représentation-là (…) pour moi, parce que j’ai une fille, je suis très contente (…) je suis plus femme que mère ». (062802)

Deux informatrices voient dans la ménopause, un arrêt de la possibilité de grossesse, telle une maîtrise des naissances. (061502 / 070801) Cet aspect est perçu positivement, l’une d’elles de dire : « Il y avait plus de risque, donc pour certaines personnes, je suis sûre que ça peut être un confort ».

Ainsi, le deuil de la maternité est plus ou moins précoce et accepté avec une facilité variable selon les cas. Mais, au-delà de l’arrêt de cette possibilité de conception et de son deuil, la ménopause engendre une autre représentation : la femme ménopausée n’est plus perçue comme une mère, mais revêt l’image de la grand-mère.

c. Statut de grand-mère

L’état de grand-mère est un concept complexe qui est abordé plusieurs fois dans nos entretiens, mais de manières différentes.

Classiquement, il fait tout d’abord référence à un âge avancé.

Une informatrice fera un lien direct entre la ménopause et l’état de grand-mère, liant dans sa représentation des étapes de vie, la condition de mamie au fait d’être ménopausée. (061501)

Mais, ce titre est aussi en rapport avec des aspects de filiation et de maternité car avoir le statut de grand-mère présuppose d’avoir eu un enfant.

Et, si sous bien des aspects, la ménopause est parfois perçue de manière négative, ce statut de grand-mère est très bien accepté par nos participantes, tout du moins, par celles qui évoquent le sujet. Une informante fera référence à sa condition de grand-mère, active et présente auprès de ses petits-enfants, ce qui fait que « La vie, elle est encore intéressante ». (061402)

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Au-delà de ce simple statut, c’est le rapport à la jeunesse et à l’enfant qui est décrit comme source de bonheur. Une informatrice dira : « Si on se projette dans le futur, on se dit que les enfants, ils ont l’avenir devant soi alors ( …) ils nous interpellent, ils nous appellent à rester jeunes ». (070701)

Une autre décrit : « L’enfant, c’est tout de même (…) un dynamisme de vie, qui nous emmène plus loin, qui vous permet de vous dépasser, qui vous fait vivre, qui vous fait faire un chemin où on grandit (…) le fait d’élever des enfants, on revit les étapes de sa vie, de sa propre enfance ». (070703)

Nous remarquerons toutefois que ces deux participantes n’ont pas eu d’enfant.

L’image de la grand-mère est donc en lien avec celle de l’enfance, les deux âges opposés se rencontrant l’un l’autre, cette rencontre étant source d’un enrichissement mutuel. Ces propos font référence, à travers ces concepts, au cycle de la vie qui suit son cours … jusqu’à la mort.

Ainsi les représentations véhiculées par la ménopause sont nombreuses.

Et, au cours de nos entretiens, nous avons pu remarquer que ces aspects psychologiques tiennent une grand part dans le discours et le vécu des participantes. Car, si les symptômes perçus guident l’attitude thérapeutique des patientes, la manière dont les femmes vivent psychologiquement leur ménopause impacte directement le vécu de ces symptômes et donc la façon dont les femmes les gèrent.

Dans cette prise en charge, le médecin généraliste a une place particulière.

F. Place du médecin généraliste dans la prise en charge des bouffées