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Les situations interprétées comme étant problématiques

CHAPITRE 5 DE L’ÉTABLISSEMENT À L’APPLICATION DES RÈGLES LORS

5.6 Les situations interprétées comme étant problématiques

Les superviseurs et les promoteurs rencontrés sont tous d’avis que les principaux problèmes qui surviennent lors des événements sont les cas d’intoxication qui tournent mal, les surdoses et tous les problèmes de santé qui sont aggravés par la surconsommation de drogues. Les cas les plus fréquemment rapportés sont les malaises dû au fait que les gens consomment de façon irréfléchie ou parce qu’ils sont mal informés sur les substances, leurs effets ainsi que sur les précautions à prendre, ce qui peut causer de la paranoïa, de l’hyperthermie, de la déshydratation et des pertes de conscience. Certaines de ces réactions peuvent également être conséquentes au fait qu’il est impossible de savoir ce que contiennent les comprimés vendus sur le marché noir, que ce soit au niveau des substances en tant que tel ou de leur concentration. Des superviseurs nous ont aussi rapporté des cas où des problèmes reliés au diabète et à des troubles cardiaques sont survenus, mais ce serait très rare. Il y a selon certains promoteurs plus de risques que des personnes tombent inconscientes lors d’événements où il y a de la vente d’alcool, notamment en raison des interactions entre l’alcool et le GHB qui peuvent engendrer chez les consommateurs un effet inattendu de perte de conscience, des difficultés respiratoires sévères, des difficultés motrices, donc des risques de blessures. Voici ce que disait un superviseur au sujet des situations les plus fréquemment rencontrées par les agents de sécurité :

« Les situations qu’on rencontre dans les raves c’est des over dose, déshydratation, chute de pression, ou coktail de pilules qui fallait pas mélanger, paranoïa, on en voit souvent, quelqu’un qui a perdu ses amis pis qui capote. Ça m’est déjà arrivé un cas d’arrêt cardiaque dans un rave. Mais c’est surtout des gens qui passent out ou déshydratation. Dans d’autres cas c’est des gens qui bad trippent. Si il y a quelqu’un qui tombe, on va voir si c’est une chute de pression, c’est tu une over dose, on va tu

avoir besoin d’un transport en ambulance ou si on peut régler ça sur place. » (Superviseur)

Considérant qu’une proportion importante de leur clientèle consomme des substances pouvant avoir des interactions dangereuses et que certaines personnes ont des conditions médicales fragiles ou des comportements irresponsables face à la consommation de drogues, les promoteurs rencontrés s’assurent auprès de l’agence de sécurité qu’ils engagent que l’équipe comprend toujours un minimum d’agents qui ont une formation de secouriste et de réanimation cardio-respiratoire. Parfois la Croix Rouge peut être présente lors de certains événements, ce qui est rassurant pour les participants en détresse parce que la Croix Rouge est

un symbole d’aide, par opposition aux agents de sécurité qui sont souvent perçus comme des agents répressifs.

Lorsque des agents interviennent auprès des participants qui sont en situation de détresse physique, ils évaluent d’abord la nécessité d’appeler une ambulance. Tous les superviseurs interviewés disent faire appel aux ambulanciers seulement lorsque nécessaire pour ne pas affoler inutilement le reste des participants, mais également afin d’éviter la présence policière qui peut insécuriser certains promoteurs. Si toutefois la situation d’un participant requiert un transport immédiat vers des services médicaux, les superviseurs disent ne jamais attendre avant de communiquer avec Urgences-Santé. Un superviseur nous a rapporté une situation où un promoteur intoxiqué tentait de minimiser la gravité de la condition d’une participante inconsciente parce qu’il craignait l’intervention de policiers si le superviseur appelait une ambulance. Le superviseur avait rassuré le promoteur à l’effet qu’il se chargerait de communiquer avec les policiers lors de leur arrivée avec les ambulanciers et il avait porté assistance à la participante en attendant l’arrivée de l’ambulance et des policiers.

Ce ne sont pas tous les agents de sécurité qui interviennent de la même façon devant les cas d’intoxication aiguë, de surdoses et de pertes de conscience. Lorsqu’il y a perte de conscience, les agents qui ont une formation en premiers soins prennent les signes vitaux. Si la personne ne respire pas, ils regardent si les voies respiratoires sont obstruées. Ils essaient de ramener la personne à la conscience avec différentes techniques comme les points de pression. Après environ dix minutes, si la personne ne réagit toujours pas, les agents communiquent avec Urgences-Santé pour un transport en ambulance. Comme le souligne un superviseur interviewé, le problème avec les cas d’intoxication aiguë réside dans le fait d’une part que les clients minimisent les risquent associés à l’abus de certaines drogues, et d’autre part que l’entourage a tendance également à minimmiser les dangers que peut représenter une surdose :

« Autre chose qui peut arriver, c’est du monde qui a trop consommé ou qui sont pas habitués à ces drogues là. Ceux qui tombent dans les pommes, c’est des gens qui connaissent moins leurs limites, ils se défoncent pis ils sont pas habitués de prendre de la drogue. Des fois un ami de la personne qui tombe dit que c’est correct, qu’elle a souvent des chutes de pression. Nous on prend pas de chance, on fait appel à notre secouriste. Souvent, le problème c’est pas avec celle qui va pas bien, c’est avec l’ami de la personne puis le monde qui sont autour. » (Superviseur)

Selon l’avis de certains superviseurs, les petits événements présentent plus de risques de problèmes liés aux intoxications parce que les promoteurs cherchent souvent à économiser sur l’organisation. Certains n’engagent pas d’agence de sécurité, ce sont des connaissances qui s’occupent de la porte et du maintien de l’ordre, alors que d’autres peuvent avoir une équipe de sécurité mais négligent cependant l’aspect secourisme et premiers soins. De plus, les petits événements étant reconnus pour rassembler des clientèles plus jeunes et moins expérimentées avec la consommation de drogues de synthèse, ils présentent donc plus de risques au niveau des situations problématiques liées à un usage inapproprié de substances. Les problèmes au niveau de la ventilation et de la surcapacité dans les salles pour les petits événements peuvent également amener des conditions de chaleur extrêmes qui sont dangereuses pour les personnes qui sont sous l’effet de substances stimulantes et qui dansent sans arrêt sans penser à s’hydrater.

D’autres ordres de problèmes, liés comme nous l’avons vu au chapitre quatre à la pénurie de salles considérées réglementaires par les autorités municipales, sont soulevés par les promoteurs. La conséquence directe de cette pénurie est selon les promoteurs que les petites productions se retrouvent contraintes à tenir leurs événements à l’intérieur de clubs « gérés » par les motards criminalisés, avec tous les inconvénients reliés au trafic de drogues. En effet, si un promoteur loue la salle d’un afterhour pour son événement, il doit prendre les agents de sécurité du club. Selon les interviewés, les fouilles sont très intrusives à l’entrée des clubs afterhours, mais une fois à l’intérieur, il y a des revendeurs « attitrés » par une organisation criminelle qui font une sollicitation très apparente, voire tolérée par l’administration de l’établissement. Les promoteurs qui louent ces places n’y peuvent rien, ils doivent tolérer leur présence et leurs activités. L’autre solution pour les promoteurs est de se trouver une salle dans un quartier résidentiel et ce sont les plaintes du voisinage en raison du bruit et le manque de stationnement qui amène alors les policiers à intervenir lors des événements.

D’autres types de situations problématiques peuvent découler d’une mauvaise planification logistique à la porte d’entrée. La clientèle peut attendre des heures avant d’entrer même si leur billet avait été acheté à l’avance, ce qui peut engendrer de l’agressivité dans la foule qui devient difficile à contrôler pour l’équipe de sécurité. Plusieurs raisons peuvent expliquer que de telles situations se produisent. Parfois, trop de billets ont été vendus en fonction de la capacité de la salle, où un changement de salle de dernière minute réduisant la

capacité légale peut provoquer ce genre de situations. Une mauvaise planification du processus de fouille, de la billetterie et du vestiaire peut également faire en sorte qu’une file d’attente de plusieurs heures s’installe rapidement dès le début de la soirée et persiste jusqu’aux petites heures du matin, causant ainsi beaucoup de mécontentement chez ceux qui avaient déjà payé leurs billets.

Une autre situation qui se produit souvent selon les superviseurs rencontrés est le problème de surcapacité. Ces derniers doivent alors trouver un équilibre entre, d’une part, les pressions de la clientèle qui veut entrer et les promoteurs qui veulent faire plus de profits, et d’autre part, les limites légales et sécuritaires ainsi que la possibilité d’une visite policière. Plusieurs superviseurs admettent qu’ils doivent régulièrement composer avec cet élément de surcapacité des salles. D’une certaine façon, s’ils respectent de façon rigoureuse la capacité des salles, ils privent le promoteur de profits supplémentaires, et une partie de leur clientèle qui désire entrer d’avoir accès à l’événement. D’un autre côté, s’ils laissent entrer trop de personnes et se retrouvent en surcapacité, dans le cas où des policiers se présentent sur place et le constatent, malgré que ce soit le promoteur qui se fera imposer une amende, la réputation de l’agence de sécurité sera affectée. Les superviseurs rencontrés mentionnent donc tous tolérer un certain niveau de surcapacité. Pour certains cela n’excéderait toutefois jamais plus de 10% la capacité légale. De plus, en établissant une bonne collaboration avec les services de police des secteurs où se déroulent les événements, les superviseurs estiment que les policiers font preuve de tolérance face à cet élément de surcapacité.

En résumé, les raves sont fréquentés par une clientèle qui, dans une proportion importante, y consomme des substances illégales. Cette réalité soulève une série d’enjeux pour les acteurs qui ont une position de responsabilité lors des événements, soit les promoteurs et les agents de sécurité. Ces derniers sont amenés à négocier l’établissement et l’application de règles qui visent à éviter que les comportements adoptés par la clientèle puissent engendrer des problèmes. Cette négociation tient compte de plusieurs éléments relatifs au milieu, tels que les caractéristiques des acteurs en cause, des considérations territoriales liées au marché de la vente de stupéfiants par des organisations criminelles, ainsi que la réputation des agences auprès des corps policiers. De plus, la négociation de l’application des règles dans le contexte des raves soulève des enjeux sur le plan de la légalité et de la sécurité. En tenant compte des particularités de la sous-culture propre au milieu, promoteurs et agents de sécurité doivent donc trouver un équilibre entre surveillance

et tolérance, tout en assurant la sécurité des participants et en préservant leur image auprès des corps de police et de la clientèle.

En ce qui a trait aux problèmes que pose la tenue de ce type d’événements, rappelons qu’ils sont principalement reliés à l’usage des drogues de synthèse par la clientèle. À ce sujet, aucune étude ne permet actuellement de dresser un portrait des situations de détresse physique et psychologique liées à l’usage de substances rencontrées dans les raves sur le territoire de Montréal. Selon plusieurs acteurs impliqués au niveau de l’intervention médicale, de la prévention, et de la sécurité dans le milieu techno montréalais, certains éléments contributifs à ces situations peuvent néanmoins être identifiées comme étant récurrents. Ces éléments sont : l’abus de substances, la polyconsommation (consommer plus d’une substance à la fois), certaines fragilités physiques ou psychologiques (troubles cardiaques, troubles psychotiques, etc.), l’hyperthermie et la déshydratation. Compte tenu de la quasi absence de violence lors des événements, mais du risque de problèmes médicaux liés aux comportements de la clientèle, il s’avère selon nous pertinent de s’intéresser à l’intervention en soins de santé lorsqu’on aborde la question de la sécurité des participants aux fêtes raves.

Les raves sont donc des événements qui, de par leur nature, soulèvent une série d’enjeux sur le plan de leur régulation. Depuis leur émergence, ces rassemblements ont suscité des réactions sociales à des degrés divers selon les contextes sociaux, de la même façon que la culture techno a évolué en fonction de particularités locales. Les débats entourant la place des raves au sein des pratiques de divertissement chez les jeunes ont souvent porté sur les notions de risque et de déviance. Si l’usage récréatif des drogues de synthèse peut être interprété comme un comportement déviant par la population en général, cette pratique est considérée comme étant normale pour une majorité de personnes qui fréquentent le milieu festif techno. Cet usage comporte néanmoins un certain nombre de risques qui sont dus notamment au fait qu’il est impossible de savoir ce que contiennent les comprimés achetés sur le marché noir, et que la consommation de certaines substances peut s’avérer dangereuse pour des personnes ayant des conditions médicales particulières, qui consomment différentes substances de façon simultanée ou qui font un usage abusif.

Depuis que le phénomène est apparu à la fin des années 80 en Angleterre, puis quelques années plus tard en France et au Canada, les autorités policières ont tenté tant bien que mal de limiter la tenue de ce type d’événements en faisant intervenir différentes réglementations. Ces tentatives de régulation des événements de musique techno ont eu pour effet de favoriser le développement d’une sous-culture marquée par des valeurs d’opposition, de non utilitarisme, d’hédonisme et de transgression. Les raves clandestins se sont ainsi popularisés, devenant des espaces de résistance pour les jeunes, procédant à une quête identitaire par l’adhésion à un groupe qui cherche par ces rassemblements à affirmer son autonomie et sa capacité de s’autoréguler.

Qu’ils soient clandestins ou légaux, les raves sont des événements qui soulèvent un certain nombre d’ambiguïtés. Le caractère festif des rassemblements et, de façon générale, l’absence d’alcool, sont des éléments qui contribuent à ce qu’une proportion importante de la clientèle des raves consomme des substances euphorisantes et énergisantes telles que l’ecstasy et les speeds, d’autant plus que les participants dansent presque sans arrêt tout au long de la nuit. Cette popularité des drogues de synthèse fait en sorte que les réseaux de distribution de drogues trouvent dans ces événements un marché important pour y effectuer du trafic. Les promoteurs de raves exploitent des événements qui sont conçus pour faire la fête dans un esprit de liberté et de tolérance. Ils offrent en quelque sorte, par l’organisation de tels événements, un moment et un lieu où la clientèle peut s’adonner à des pratiques festives sans

contraintes normatives qui régissent d’autres lieux habituels de socialisation. Cette tolérance affichée face à l’hédonisme de la clientèle place les agents de sécurité dans une position délicate, notamment sur le plan de la légalité. En effet, les raves se situant souvent entre le licite et l’illicite, les agents de sécurité, qui doivent garder un certain contrôle sur ces événements, font face à cette ambiguïté dans le cadre de leur pratique.

Cette étude avait pour but général de permettre une compréhension de la façon dont s’établissent et s’exercent les mécanismes de régulation sociale dans le cadre de l’organisation et de la tenue d’événements rave à Montréal. Les objectifs spécifiques poursuivis par l’étude étaient de : 1) comprendre comment on a tenté de réguler ce type d’événements à Montréal, 2) comprendre comment les différents acteurs responsables de l’organisation et du bon déroulement des événements établissent une série de règles, aussi bien formelles qu’informelles, et négocient leur application dans le cadre de leur pratique, et 3) comprendre comment ces acteurs identifient certaines situations comme constituant un problème et éventuellement, y réagissent.

La principale méthode de recueil des données a consisté à procéder à vingt entretiens semi-dirigés. Notre échantillon était principalement constitué de promoteurs d’événements, d’agents de sécurité et de superviseurs d’équipe de sécurité. Nous avons également réalisé des entretiens avec un policier, un pompier, un organisateur d’événements rave d’envergure, une personne impliquée au sein d’un organisme de prévention ainsi qu’un intervenant médical d’urgence oeuvrant en milieu festif. L’analyse du point de vue et de l’expérience de ces acteurs nous a permis de faire l’historique des interventions menées par les autorités pour tenter d’encadrer le phénomène et de comprendre l’évolution des différentes réglementations jusqu’à aujourd’hui. Ces entretiens nous ont également permis de comprendre comment les acteurs du milieu établissent les règles et négocient leur application dans le contexte des raves. Nous avons également eu recours à l’observation comme méthode complémentaire. Ces séances d’observation ont été utiles afin de réaliser des entretiens plus en profondeur, moins marqués par un discours « officiel » de la part des interviewés. Nous avons également procédé à une analyse documentaire qui nous a notamment permis de faire la description des politiques d’encadrement des raves d’envergure depuis l’entrée en vigueur d’un protocole en 2001.

Afin de comprendre comment les autorités ont tenté de réguler le phénomène rave à Montréal, nous avons procédé à une reconstitution historique de leurs interventions. Cette démarche nous a permis de tracer l’évolution des différentes réglementations qui se sont appliquées à ce type d’événements au travers du temps. Nous avons ainsi été en mesure de comprendre comment des promoteurs de raves ont « joué » avec ces réglementations afin de pouvoir tenir leurs événements en toute légalité, et comment les autorités en ont fait modifier certaines dans le but de restreindre la tenue de ces rassemblements. Les policiers n’ayant pas la juridiction pour intervenir dans les événements ne détenant pas de permis d’alcool, ces derniers ont eu recours au Service de prévention des incendies afin d’encadrer le phénomène. Les policiers ont également exercé des pressions auprès de la Régie des alcools des courses et des jeux du Québec (RACJ) afin de restreindre la tenue de ce type d’événements dans certains lieux en limitant les suspensions de permis d’alcool. Comme nous l’avons vu, l’ensemble de ces mesures a eu pour effet de réduire l’accès à des lieux de rassemblement et ainsi favoriser l’organisation de raves clandestins. De plus, ces contraintes ont favorisé le développement des clubs afterhours qui sont d’autant plus problématiques selon les forces policières en raison des organisations criminelles qui y sont bien implantées et de l’absence, tout comme dans les raves, d’un levier juridique pour être en mesure d’intervenir dans ces établissements. Suite à des pressions de citoyens et des forces de l’ordre, la réglementation encadrant les clubs afterhours a été modifiée de telle sorte qu’il n’y ait plus de permis d’exploitation qui soient octroyés pour ce type d’établissement à Montréal.

En 2001, le Service de police de la ville de Montréal a empêché la tenue de raves d’envergure en s’opposant à la suspension du permis d’alcool auprès de la RACJ avec comme principal argument les problèmes manifestes de trafic de drogues lors de ce type d’événements. Un protocole visant à encadrer la tenue d’événements rave a alors été élaboré par le Service de police. Le respect des conditions contenues au protocole par les organisateurs de raves est devenu nécessaire afin que le Service de police ne s’oppose pas à la