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CHAPITRE 3 MÉTHODOLOGIE

3.7 La médiatisation des raves en tant que problématique

Comme nous l’avons vu dans l’analyse de la réaction sociale face à l’émergence des raves dans d’autres contextes sociaux, la façon dont les médias d’information traitent le phénomène peut influencer la manière dont les autorités vont mettre en place des mécanismes pour tenter de le contrôler. Il nous apparaît important d’aborder cet aspect de la médiatisation du phénomène dans le but de situer l’intervention policière dans une perspective macrosociologique. Nous verrons dans le chapitre quatre comment la médiatisation de certains événements a pu influencer l’initiative des policiers de la ville de Montréal.

À l’été 1993, une intervention policière vient mettre fin prématurément à un rave se déroulant au Palais du commerce, connu par la suite sous le nom de Taz Mahal, endroit qui a accueilli plusieurs événements de type rave pendant quelques années. Un malentendu au sujet des autorisations pour occuper l’endroit au-delà de 3h00 du matin aurait amené les policiers à intervenir avec l’escouade anti-émeute pour déloger les centaines de participants qui refusaient de quitter les lieux. La diffusion dans les journaux télévisés d’images de brutalité policière captées alors par une caméra amateur fut la première fois où les médias de masse se sont intéressés à ce type d’événements au Québec. C’est donc suite à cet incident que les raves sont en quelque sorte sortis des milieux d’initiés pour être portés à l’attention du grand public. Par la suite, deux sujets ont principalement attiré l’attention des médias sur le phénomène des

événements festifs techno, soit l’usage répandu de l’ecstasy chez les adeptes de ces soirées avec les dangers que l’on y a associé, ainsi que des incidents violents impliquant des armes à feu dans des clubs afterhours.

Un de ces incidents s’est produit le 20 octobre 2001 devant le club afterhour Aria sur la rue Saint-Denis à Montréal. Un membre présumé de la bande des Rockers, un groupe de motards criminalisés, avait déchargé son arme à feu devant le club blessant deux jeunes et tuant un troisième âgé de 17 ans qui faisaient la file pour entrer dans l’établissement. Selon plusieurs sources, le motard était accompagné d’individus associés à la bande et avait tenté précédemment d’entrer en passant devant la file d’attente, puis s’était vu refuser l’entrée par le personnel de sécurité à la porte du club. Ce même établissement fera à nouveau la manchette en novembre 2003 suite à la mort suspecte d’un client. L’homme dans la trentaine serait tombé en arrêt cardio-respiratoire alors que les agents de sécurité du club tentaient de le maîtriser, il semble que l’individu faisait du grabuge à l’intérieur de l’établissement.

L’incident qui a probablement fait couler le plus d’encre au sujet des clubs afterhours au Québec est survenu le 2 septembre 2002 au club afterhour Red Lite situé à Laval. À 5h00 du matin, une fusillade avait éclaté à l’intérieur de l’établissement alors que 3000 personnes s’y trouvaient. Sept d’entre elles avaient été blessées dont cinq agents de sécurité et deux clients. Selon la police de Laval, cette fusillade témoignait d’une guerre que se livrait des gangs de rue pour le contrôle de cet endroit qui représentait un marché très lucratif pour les revendeurs de drogues illicites. Le 10 septembre 1997, une voiture stationnée devant l’ancien local du Red Lite afterhour avait explosé. Les policiers avaient également déjoué par la suite une tentative d’extorsion contre l’un des propriétaires de l’établissement et deux membres du groupe de motards criminalisé des Bandidos avaient été condamnés relativement à cette affaire.

Au début des années 2000, le meurtre de Jean-Jacques Melkonian, un homme d’affaires âgé de 29 ans qui œuvrait dans le milieu de la sécurité avait également attiré l’attention des médias sur le milieu techno. Une enquête policière avait mené à l’arrestation et la condamnation de Michel Usereau, un ex-policier qui était directeur d’une agence de sécurité montréalaise ayant des contrats principalement dans des salles de spectacles et des événements rave. Les deux hommes travaillaient ensemble pour la même agence de sécurité

qui œuvrait notamment dans les raves avant que Melkonian quitte l’agence pour démarrer sa propre entreprise de sécurité.

Si la médiatisation du phénomène festif techno s’est en partie exercée en relation avec des incidents violents, il s’avère pertinent de souligner que cette violence exceptionnelle est de façon générale attribuable à des individus agissant au sein d’un milieu criminalisé et non à la nature des rassemblements où elle s’est manifestée qui sont reconnus pour leur caractère pacifique. Toutes les personnes rencontrées dans le cadre de la recherche ont souligné l’atmosphère non violente des événements rave où il n’y a pratiquement jamais de bagarres comparativement aux bars ou aux événements de musique Hip Hop par exemples. Ce qu’il nous apparaît important de soulever au sujet de la médiatisation du milieu festif sur la base de situations de violence, c’est d’une part le lien ténu que l’on peut faire entre le caractère violent de certains milieux criminels et les événements de musique techno, malgré l’amalgame fait par les médias. D’autre part, c’est la confusion qui peut être induite dans la population par le fait que l’on parle souvent de raves pour qualifier des afterhours, avec toutes les nuances « territoriales » qui ont certainement une incidence sur la violence des individus agissant au sein des groupes criminalisés. Certaines nuances liées aux types d’événements ne sont pas abordées dans le traitement médiatique du phénomène, ce qui peut contribuer à une mauvaise compréhension des enjeux. Si, par exemple, des situations de violence ont amené à plusieurs reprises les médias à s’intéresser aux événements techno, il s’avère que la violence est presque totalement absente des événements rave, mais serait plutôt liée à des conflits entre membres de groupes criminalisés lors de soirées dans les clubs afterhours.

De plus, lorsque les médias traitent des saisies de quantités d’ecstasy effectuées par la police, on fait régulièrement le lien avec les raves alors qu’une proportion de ces drogues de synthèse saisies, qui sont en fait surtout des métamphétamines (Santé Canada et Gendarmerie Royale du Canada, 2004) sera consommée dans un autre contexte qu’un rave (Fallu et al., 2008). Depuis le début des années 2000, la question de la présence de stupéfiants lors de soirées raves a systématiquement été abordée par les médias dans la couverture des événements festifs techno d’envergure se déroulant à Montréal. Chaque année, on fait état des arrestations qui sont effectuées lors de ces rassemblements. Le nombre de personnes arrêtées représente environ 0,001% des participants (une dizaine sur plus de 10 000 personnes), la grande majorité pour possession simple de stupéfiants. Malgré cette faible proportion de personnes trouvées en possession de drogues lors des événements, cela constitue le sujet

principal des médias qui traitent du phénomène depuis les dernières années. Nous verrons dans le prochain chapitre comment la question de la possession et du trafic de drogues chez les participants lors d’événements d’envergure est devenu un argument central pour les autorités policières dans la mise en œuvre de mesures de contrôle plus coercitives en matière de stupéfiants dans les raves à Montréal.

Afin de comprendre l’évolution de l’encadrement des raves par les autorités, nous présentons une reconstitution historique des interventions et des réglementations qui ont touché ce type d’événements depuis les années 90 jusqu’à nos jours. Le matériel a principalement été tiré des entretiens réalisés avec des acteurs clé ayant une connaissance approfondie de la problématique, soit un policier, un pompier et un organisateur d’événements d’envergure. Nous avons également appuyé notre analyse avec les données recueillies lors de nos entretiens réalisés auprès de promoteurs, d’agents de sécurité et d’artistes de la scène montréalaise. L’expérience et le point de vue de tous ces acteurs est présenté et analysé de façon à reconstituer l’historique des régulations dont les raves ont été l’objet à Montréal. Les dernières sections du chapitre quatre traitent d’un protocole mis en œuvre depuis 2001 par le Service de police visant à encadrer les raves d’envergure. Les documents relatifs au protocole qui se trouvent en annexe du mémoire ont principalement servi à décrire ce mécanisme de régulation. De plus, nous avons ajouté à notre analyse les éléments tirés de l’expérience des acteurs concernés par ce protocole afin de comprendre les implications de ces mesures sur le terrain.

Pour le chapitre qui porte sur les pratiques de régulation des acteurs lors de la tenue des événements, l’essentiel des données provient des entretiens réalisés avec les promoteurs, les agents de sécurité et les superviseurs. À partir du contenu des entretiens, nous abordons dans les premières sections du chapitre les démarches entre promoteurs et superviseurs d’agence de sécurité entourant l’attribution de contrats pour faire la sécurité lors de soirées rave. L’expérience et le point de vue des interviewés nous ont également permis de faire la distinction entre différents types d’événements sur le plan des pratiques de maintien de l’ordre et des dynamiques d’approvisionnement de stupéfiants chez les participants. La question des fouilles et celle de l’intervention en matière de trafic de drogues sont également traitées à partir du contenu des entretiens. Le matériel recueilli lors des observations dans les raves a principalement servi à la stratégie de recrutement et à la réalisation d’entretiens plus approfondis et moins marqués par un discours « officiel ». Bien que cette connaissance du

terrain de recherche avec toutes ses nuances nous ait été fort utile au niveau de la collecte de données, ce matériel n’a pas été traité systématiquement dans notre analyse au même titre que nos données tirées des entrevues. Malgré le fait que peu de situations d’application et de négociation des règles furent observées, il n’en demeure pas moins que ces démarches de terrain nous ont permis notamment de développer des liens de confiance avec des acteurs du milieu, et de faciliter l’accès à une réalité difficile d’approche pour un chercheur.