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CHAPITRE 2 LA RÉACTION SOCIALE FACE À L’ÉMERGENCE DES RAVES ET

2.1 La réaction sociale face à l’émergence d’événements rave

2.1.1 L’Angleterre

Malgré le fait que les raves attiraient un nombre toujours plus important d’adeptes en Angleterre, cette nouvelle activité festive a maintenu un caractère underground ou marginal pendant plusieurs années avant d’être porté à l’attention du grand public (Cosgrove, 1989). La couverture médiatique présentait le phénomène simplement comme la nouvelle mode sur les

pistes de danse au cours de l’été 1988. La presse a commencé à adopter un ton plus hostile quelques mois plus tard, suite à deux décès attribués à la prise d’ecstasy ainsi qu’à des interventions policières répressives en matière de drogues dans les clubs et les acid house parties. Selon Collin (1998), les éléments nécessaires à un mouvement de panique morale ont alors commencé à se mettre en place : reportages sensationnalistes, titres trompeurs, entrepreneurs moraux réclamant des mesures draconiennes, plus grande visibilité de l’intensification d’une action policière. En l’espace d’un an, l’acid house sera décrit dans les tabloïds comme une énorme façade au trafic de drogues, un piège cynique pour attirer les jeunes vers la dépendance aux drogues sous la façade d’un événement amical de musique pop (Collin, 1998).

Selon Critcher (2000), une première façon pour les autorités de limiter le plus possible la tenue d’événements festifs en Angleterre fut d’utiliser une loi datant de 1982, le Public Entertainment Act. Cette loi exigeait des organisateurs l’obtention d’un permis spécifique afin de produire en toute légalité un événement ouvert au public. Les promoteurs de raves pouvaient facilement contourner cette exigence en soulevant le caractère privé de leurs événements. Les autorités ont alors tenté d’utiliser le Private Places Entertainment Act de 1967 afin de pouvoir interrompre tout événement qui n’obtenait pas un permis de vente approprié. Toutefois, de nombreuses municipalités n’avaient pas adopté cette loi et les raves se sont déplacés vers ces endroits où le vide juridique en permettait la tenue. En 1988, le Licensing Act donna des pouvoirs accrus aux policiers en leur permettant d’interrompre les événements qui ne répondaient pas aux exigences sur le plan de la légalité. En 1989, les autorités mettaient sur pied une unité spéciale afin d’intervenir plus massivement au niveau de l’organisation des raves. Pendant cette seule année, 257 arrestations en lien avec l’organisation des événements de musique techno ont eu lieu. Ces arrestations n’ont pas permis d’établir de liens avec les réseaux criminels de distribution de drogues, ce qui amena les services de police à orienter davantage leurs stratégies vers la prévention plutôt que la répression (Critcher, 2000). Par la suite, l’Entertainment (increased penalties) Act de 1990 augmenta les sanctions prévues pour les promoteurs d’événements publics qui n’avaient pas obtenu de permis spécifique. Les peines pouvaient aller de la saisie des systèmes de son et des disques, jusqu’à des mesures draconiennes comme l’incarcération d’organisateurs de raves pour une période pouvant aller jusqu’à six mois (Merchand et McDonald, 1994). Au début des années 90, devant les problèmes engendrés par le phénomène techno dont des décès attribués à la prise d’ecstasy ainsi que l’extension des activités de certains groupes criminels, les

services de police ont de plus utilisé la loi de 1988 : le Liscensing Act. Cette loi a permis d’effectuer une opération baptisée Operation Clubwatch et de procéder à la révocation de licences pour un nombre important de boîtes de nuit en Angleterre.

Pendant ces années où les autorités ont tenté de limiter le plus possible les manifestations de la culture techno, on a vu se former des collectifs d’organisateurs, d’artistes, de techniciens et de membres d’une communauté festive techno (ravers13), lesquels se sont

déplacés sur le territoire anglais pour échapper aux contrôles exercés par les forces de l’ordre. Communément appelés les techno travelers14, ces groupes vont développer un style de vie communautaire et nomade axé sur la culture de la fête autour de la musique techno. Ces caravanes de ravers s’installant à des endroits improvisés pour déployer leur arsenal de systèmes de son et rassembler des foules de jeunes cherchant à faire la fête avec une consommation des drogues les plus populaires vont rapidement être perçues dans l’opinion publique comme un phénomène nuisible devant lequel il fallait intervenir avec force. En 1994, le Criminal Justice Act et le Public Order Act viendront inclure les raves et les new age travelers dans une catégorie de phénomènes à contrôler, au même titre que la pornographie et le terrorisme. L’article de la loi définit un rave comme étant « un rassemblement de cent personnes ou plus, passants ou non, où une musique est projetée pendant la nuit […] qui est caractérisée par une prédominance de l’émission d’une succession de rythmes répétitifs » (Henderson, 1997). Comme le souligne Collin (1998), malgré plusieurs années de panique morale, jamais un gouvernement n’avait considéré auparavant la musique des jeunes comme étant assez subversive pour devoir l’interdire. Parmi les mille personnes arrêtées en vertu de cette loi la première année ayant suivi son adoption, on ne retrouvait aucun raver, mais beaucoup de manifestants et d’activistes qui militaient pour des causes sociales (Critcher, 2000). Selon ce dernier, les problèmes que la loi visait à contrer étaient déjà en déclin à cette époque. En effet, pendant la première moitié des années 1990, les interventions policières étaient parvenues à faire en sorte que les raves illégaux étaient devenus de plus en plus rares. À cette époque, les règlementations touchant les licences d’alcool en Angleterre avaient

13 Les adeptes d’événements rave sont communément appelés ravers, par distinction avec une clientèle

davantage attirée par les clubs et les boîtes de nuit que l’on qualifie généralement de clubbers. Nous y reviendrons à la section 2.1.3 du présent chapitre. Notons que la signification de cette terminologie peut varier d’un contexte social à l’autre.

14 Terme qui prend son origine dans le phénomène des new age travelers (Delorme, 2001). Les new age travelers

étaient des hippies qui vivaient en communauté de façon nomade sur le territoire britannique au cours des années 1970. Leur mode de vie nomade ponctué de rassemblements festifs facilite le parallèle entre ces deux phénomènes sous-culturels.

également été amendées de sorte que les boîtes de nuit avaient pu ouvrir leurs portes plus longtemps les fins de semaines, avec comme conséquence que la scène house s’était de plus en plus dirigée vers les discothèques (Collin, 1998). En 1997, le Public Entertainment (drug misuse) Act permis aux autorités locales de révoquer les permis des boîtes de nuit sur la base des interventions policières faisant état de consommation ou de trafic de drogues de façon substantielle à l’intérieur des établissements.