• Aucun résultat trouvé

CHAPITRE 3 MÉTHODOLOGIE

3.3 Méthodes de cueillette des données

3.3.1 Entretiens semi-dirigés

L’entretien semi-dirigé constitue notre principale méthode de cueillette de données. Selon Poupart (1997), l’usage des méthodes qualitatives, et particulièrement de l’entretien, représente un moyen de rendre compte du point de vue des acteurs sociaux et d’en tenir compte pour comprendre et interpréter leur réalité. Cet outil de cueillette de données permet donc d’éclairer et d’interpréter les conduites des acteurs en considérant leurs perspectives, c'est-à-dire le sens qu’ils donnent à leurs actions. Toujours selon Poupart (1997), l’entretien de type qualitatif constitue un moyen efficace de recueillir des informations sur les structures et le fonctionnement d’un groupe, d’une institution ou d’une formation sociale. La recherche vise précisément à identifier ainsi qu’à analyser les éléments qui peuvent avoir un impact sur les pratiques adoptées par des acteurs sociaux au sein de groupes. L’étude des mécanismes de régulation sociale dans le cadre d’événements rave nous amène à nous attarder aux structures et aux fonctionnements des groupes et des organisations qui occupent des positions impliquant un certain niveau de responsabilité, mais aussi aux façons dont les acteurs qui composent ces groupes se représentent la réalité sur laquelle ils agissent, ainsi que le rôle qu’ils ont à jouer à l’intérieur de cette réalité sociale.

Le choix d’un entretien de type semi-dirigé se justifie aussi par l’intérêt de laisser les interviewés aborder les thèmes selon l’importance qu’ils leur accordent, en limitant les risques

de pré-structurer leurs discours. Une série de sous thèmes en lien avec les objectifs de l’étude ont été introduits au cours des entretiens lorsque les interviewés ne les abordaient pas spontanément. Il a ainsi été question des règles qui encadrent leur pratique, des situations jugées par eux ou par d’autres comme étant problématiques dans le contexte des raves, de leurs réactions face à ces situations, de leurs perceptions du bon déroulement lors des événements ainsi que du rôle qu’ils ont à jouer lors de ces rassemblements.

3.3.1.1 Échantillon

Afin de réaliser nos entretiens, nous avons constitué un échantillon de vingt participants qui étaient activement impliqués dans le milieu des raves à Montréal au moment de la recherche ou qui l’avaient été au cours des dernières années. Nous avons d’abord procédé à une diversification externe en incluant différents groupes d’acteurs pour l’échantillonnage, soit principalement des promoteurs d’événements rave, des agents de sécurité et des superviseurs travaillant au sein des agences de sécurité, mais aussi d’autres intervenants (pompier, policier, intervenant médical, personne oeuvrant au sein d’un organisme de prévention, artistes de la scène rave). Cette démarche se justifie par la nature de l’objet qu’il nous est apparu préférable d’aborder selon ces différentes perspectives compte tenu que sa manifestation s’exerce en partie par l’interaction de ces groupes d’acteurs. Nous estimons que les rôles et responsabilités de ces différents groupes au sein de la réalité sociale étudiée ainsi que les différentes perspectives et finalités qui leur sont propres doivent être prises en compte dans la compréhension des pratiques de régulation.

Nous avons également tenu compte du principe de diversification interne pour notre échantillonnage car la sélection des participants au sein des groupes constitués des promoteurs et des agents de sécurité s’est exercée en fonction de ce qu’ils pouvaient nous apprendre au sujet des mécanismes de régulation en vue d’atteindre une saturation empirique. Notre échantillon est donc constitué de cinq personnes qui sont ou qui ont été responsables de l’organisation d’événements rave à Montréal. Pour le groupe constitué des agents de sécurité, nous avons réalisé des entretiens avec neuf personnes qui ont exercé ou qui exercent encore les fonctions soit d’agent de sécurité lors d’événements rave ou au sein de clubs afterhours, soit qui sont ou qui ont été responsables d’équipe ou superviseurs autant pour des raves que pour des afterhours. L’échantillon est également constitué de deux artistes de la scène rave impliqués depuis l’émergence du phénomène à Montréal, un inspecteur du Service de prévention des incendies de Montréal (SPIM) et un policier oeuvrant au sein du Service de

police de la ville de Montréal (SPVM) qui ont été impliqués au niveau de l’encadrement et de l’intervention touchant le milieu rave, une personne oeuvrant au sein du Groupe de recherche et d’intervention psychosociale (GRIP Montréal) ainsi qu’un intervenant médical d’urgence œuvrant en milieu festif. Les personnes rencontrées ont été recrutées au sein de cinq compagnies de promotion différentes, de quatre agences de sécurité, du SPIM, du SPVM, d’une entreprise qui offre des services de premiers soins, et de GRIP Montréal, un organisme sans but lucratif qui offre notamment à la clientèle des raves une information visant à réduire les risques liés à l’usage de drogues par le tenue de kiosques en milieu festifs. La pertinence, la qualité intrinsèque des cas ainsi que leur capacité à rendre compte des dimensions étudiées ont servi à nous guider dans le choix des personnes avec qui réaliser les entretiens.

3.3.1.2 Critères de diversification des agences de sécurité

Au cours des démarches de recrutement pour les agents de sécurité et suite à nos premières entrevues, nous avons réalisé que les agences de sécurité sollicitées avaient des caractéristiques différentes et que ces caractéristiques pouvaient avoir une influence sur la façon dont s’établissent et s’appliquent les règles d’intervention lors des événements. Certaines agences étaient ainsi reconnues par les promoteurs pour être plus ouvertes à adapter leur intervention en fonction des demandes des promoteurs alors que d’autres suivaient davantage une ligne de conduite que les superviseurs leur imposait. Par exemple, une petite agence de sécurité qui tentait de faire sa place dans le milieu pouvait être plus souple avec les promoteurs concernant l’intervention auprès des revendeurs de drogues pour ne pas perdre des contrats, alors qu’une agence bien établie qui voulait garder une bonne réputation auprès des corps policiers pouvait être plus stricte sur cette question, quitte à perdre des contrats avec certains promoteurs. Les caractéristiques qui distinguent les agences sont donc importantes à considérer lorsque viendra le temps d’analyser au chapitre cinq la façon dont les agents de sécurité interviennent devant les situations interprétées comme étant problématiques. Nous présentons ainsi les quatre agences ayant participé à la recherche avec leurs principales caractéristiques.

La première agence n’est pas enregistrée auprès de la Sûreté du Québec (SQ) et ne détient pas d’assurance responsabilité civile. La personne responsable de l’agence possède une bonne expérience dans le domaine de la sécurité d’événements et connaît bien le milieu festif techno montréalais. C’est par le biais du bouche à oreille que les promoteurs lui sont

référés. Cette personne jouit d’une bonne réputation auprès des promoteurs et d’autres informateurs rencontrés dans le cadre de la recherche. Elle est reconnue pour ne pas se « mêler des affaires de drogues », c'est-à-dire que les promoteurs rencontrés avaient confiance que ses agents n’étaient pas mêlés à des affaires de corruption avec des réseaux de distribution de drogues. Toutefois, les agents ne sont pas détenteurs de permis d’agents de sécurité délivrés par la SQ, ils exercent un travail qui n’est pas déclaré.

La seconde agence offre des services diversifiés comme de l’investigation, ou plus précisément des services d’enquête et de filature, des services de prévention du vol dans des magasins et des entrepôts et de l’intervention tactique en support aux interventions policières par exemples. L’agence offre également des services de sécurité pour la tenue d’événements, et a développé une expertise pour les raves depuis plusieurs années. C’est une agence enregistrée qui détient donc un permis d’activité délivré par la SQ et qui possède également une assurance responsabilité civile. Les superviseurs s’assurent que lors de chaque événement, leur équipe comprend au moins un agent formé en réanimation cardio-respiratoire et certains sont premiers répondants, c’est-à-dire qu’ils peuvent donner certains soins d’urgence en attendant l’arrivée d’un intervenant médical. Tous les agents sont détenteurs d’un permis d’agents de sécurité. L’agence jouit également d’une bonne réputation dans le milieu techno montréalais. Tous les promoteurs rencontrés ayant déjà eu recours à leurs services les recommandaient, et nos observations lors d’événements organisés par d’autres promoteurs nous ont permis de constater que cette agence obtenait beaucoup de contrats dans les raves à Montréal, laissant croire à un bon niveau de satisfaction des promoteurs.

La troisième agence que nous avons sollicitée offre également des services diversifiés comme de l’investigation, de la filature et de l’intervention tactique. Présente dans les événements raves montréalais depuis plusieurs années, cette agence est enregistrée, les agents sont également tous détenteurs de permis, et plusieurs sont formés en réanimation cardio- respiratoire et en tant que premiers répondants. L’agence peut également offrir aux promoteurs des services complets de premiers soins moyennant des frais supplémentaires. Quant à la réputation de l’agence, les avis étaient partagés. Certains promoteurs recommandaient leurs services se basant sur la solide expérience des agents alors que d’autres avaient connu de mauvaises expériences telles que des agents trop rudes avec la clientèle, ou alors qui avaient des pratiques qu’ils qualifiaient de douteuses comme par exemple de garder pour eux les drogues saisies lors des fouilles à l’entrée.

La quatrième agence offre comme c’est le cas des deux dernières des services diversifiés en plus des services de maintien de l’ordre pour des événements tels que des raves. L’agence est enregistrée et les agents sont également détenteurs de permis d’agents de sécurité. Les promoteurs rencontrés ne connaissaient pas cette agence malgré le fait qu’elle fut présente lors de nombreux événements rave à Montréal ces dernières années.

Les agences de sécurité œuvrant en milieu festif techno ne sont donc pas toutes semblables. Certaines sont des petites entreprises qui ne font que la sécurité de petits événements alors que pour d’autres, cela ne constitue qu’une fraction de leurs activités. Nos entretiens avec des superviseurs nous ont permis de comprendre que la portion des activités des agences qui étaient effectuées en collaboration avec des corps de police, tels que des contrats d’intervention tactique ou de filature, pouvait influencer leur approche en ce qui concerne le type d’intervention dans les raves. D’autres éléments caractéristiques des agences sont à considérer dans l’analyse de l’intervention des agents de sécurité, tels que l’expérience des superviseurs, leur connaissance du milieu, leurs contacts au sein des organisations criminelles et des corps policiers, ainsi que leur capacité d’établir des liens de collaboration avec ces acteurs d’une part, et les promoteurs d’autre part. Il en sera question dans le chapitre cinq.

3.3.1.3 Stratégie de recrutement

Afin de constituer notre échantillon de participants, nous avons procédé à l’aide de contacts que nous avions déjà dans le milieu techno montréalais18 puis par la méthode boule de neige qui consiste à recruter parmi des personnes référées par d’autres participants. Nous avons d’abord rencontré des personnes qui connaissaient bien le milieu comme des artistes de la scène rave montréalaise ainsi que des personnes impliquées au sein du GRIP Montréal. Nous leur avons présenté l’étude et leur avons demandé d’identifier parmi les promoteurs avec qui ils avaient travaillé ceux qui seraient le plus en mesure de collaborer et de répondre à nos questions. De ces échanges sont ressortis quelques personnes qui avaient une expérience pertinente et qui étaient considérés comme des gens accessibles et capables de lever le voile sur une réalité qui pouvait avoir un caractère compromettant pour eux ou pour certaines agences de sécurité. Nous avons ensuite sollicité par la méthode boule de neige la

18 Nous traitons plus loin dans la section sur l’observation participante de notre implication dans le milieu

participation de cinq promoteurs d’événements rave qui ont tous accepté de nous rencontrer. Nous avons contacté des promoteurs d’événements avec qui il était plus facile d’établir une relation de confiance.

Les entretiens réalisés avec les promoteurs nous ont fourni les données nécessaires à nos analyses en plus de nous permettre d’identifier les compagnies de sécurité qui étaient le plus souvent sollicitées pour des raves se déroulant à Montréal. Nous avons également procédé à des périodes d’observation lors de plusieurs événements rave, ce qui nous a permis d’être introduit auprès de certains superviseurs et de leur équipe par des personnes qui avaient déjà un lien de confiance avec eux. Nous préciserons davantage le rôle de l’observation participante dans la stratégie de collecte de données à la prochaine section du chapitre.

Lorsque nous avons contacté les agences de sécurité, nous avons commencé par celles avec qui le lien était plus significativement marqué par la confiance. Nous avons d’abord rencontré la personne responsable de l’agence, ou celle qui prenait le contrat du promoteur et qui coordonnait les équipes sur le terrain afin de réaliser un entretien. Nous lui demandions ensuite de rencontrer des membres de son équipe. Une fois que nous avions rencontré toutes les personnes disponibles au sein d’une agence, nous en contactions une autre. Pour les autres participants avec qui nous avons réalisé nos entretiens, soit le policier, le pompier, l’intervenant médical d’urgence ainsi que les artistes, c’est par l’entremise de références qu’ils ont été recrutés. La personne œuvrant au sein de l’organisme GRIP Montréal faisant déjà partie de nos contacts dans le milieu.

Dans le cadre de cette étude, nous avons également rencontré de nombreuses personnes impliquées de différentes façons au sein de la scène techno montréalaise afin de discuter des thèmes de la recherche. Des échanges avec des promoteurs, des artistes de la scène, des propriétaires de salles, des gérants de clubs afterhours, des intervenants en prévention et des adeptes d’événements rave nous ont ainsi permis d’approfondir notre connaissance du milieu. Les informations recueillies lors de ces discussions nous ont servi à réaliser de meilleurs entretiens et à étoffer notre analyse.