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Les réactions à la nomination de Myron Taylor

Chapitre 1 : Des relations irrégulières (1783-1939)

III. Les réactions à la nomination de Myron Taylor

Le fait d’avoir annoncé simultanément l’envoi des trois lettres, ou de n’avoir nommé qu’un « représentant personnel », ne permet pas de désamorcer l’opposition à la reconnaissance ainsi conférée au Saint-Siège, loin s’en faut. L’annonce de la nomination de Myron Taylor est certes bien accueillie au début par la presse séculière du pays103, et la presse catholique se montre dans l’ensemble très enthousiaste. En revanche, il n’y a pas de doute quant aux réactions de la communauté protestante, écartelée entre l’aversion que lui inspire cette mesure et le désir de ne pas attiser les tensions dans une période particulièrement difficile pour les Etats-Unis.

III. i. La presse protestante sur les barricades

Après quelques jours d’atermoiements, la presse protestante va se fait de plus en plus critique quant à la décision de Franklin Roosevelt. Selon Gerald Fogarty, « presque toutes les publications protestantes, à l’exception des journaux épiscopaliens de tendance conservatrice, décrièrent la nomination104 ». The Christian Century, journal le plus représentatif du protestantisme « traditionnel », mène une véritable croisade éditoriale contre une mesure qu’il juge être un véritable coup de canif à la Constitution. Dans un premier éditorial paru fin décembre 1939, l’hebdomadaire affirme que « lorsqu’on enlève tout le camouflage, on voit que le Président a en réalité établi, sans autorité légale, des relations diplomatiques avec le Vatican ». Il accuse Roosevelt d’utiliser le prétexte de la paix pour prendre une décision aux accents essentiellement électoralistes et établir des relations avec une Eglise. Dans son éditorial suivant, intitulé « An Un-American Appointment » (« Une nomination

101 Fogarty, The Vatican and the American Hierarchy, p. 260.

102 Fogarty, The Vatican and the American Hierarchy, p. 263.

103 Phelps, Church and State in the United States, Volume 2, p. 97.

104 Fogarty, “The United States and the Vatican: From Personal Representative to Ambassador”, p. 583.

antiaméricaine »), le Président est accusé d’avoir cédé aux demandes de ses amis catholiques105. L’hebdomadaire poursuit sa croisade même après que les différentes confessions protestantes en eurent pris leur parti, car il juge leurs prises de position peu représentatives de la base106. Le Christian Science Monitor et le Protestant s’inscrivent eux aussi en faux contre cette décision.

III. ii. Une communauté religieuse entre retenue et rejet

Si on ne saurait parler d’unanimité chez les protestants dans l’opposition à la nomination de Taylor, pour Flynn, « un nombre significatif de leaders d’opinion protestants s’opposèrent avec véhémence à la mission », les plus virulents dans leurs attaques étant les baptistes, les méthodistes, les luthériens et, dans une moindre mesure, les presbytériens et les disciples du Christ107. Plusieurs fédérations adoptent des motions condamnant la mesure ou écrivent au Président, tels le National Lutheran Council, ou les baptistes108.1Le 9 janvier 1940, des représentants des adventistes, des baptistes et des luthériens se rendent à la Maison-Blanche pour témoigner de leur mécontentement et demander à Roosevelt de revenir sur sa décision. A la sortie de l’entrevue, leur porte-parole se déclare opposé à toute relation diplomatique avec une religion, tout en précisant que les participants ont eu le sentiment qu’il s’agissait d’une mesure provisoire motivée par l’influence considérable dont jouit le Vatican dans les pays en guerre109.

Le comité exécutif du Federal Council of Churches (FCC) de George Buttrick est partagé entre son opposition à la nomination et le désir de ne pas être perçu comme hostile à une mesure visant à favoriser la paix. Il adopte en janvier une motion réaffirmant son opposition, tout en reconnaissant que la décision du Président trouve une justification dans le cadre des efforts visant à rétablir la paix110. Néanmoins, le FCC cherche à obtenir des garanties, surtout après que le Saint-Siège eut affirmé que Taylor était à leurs yeux un véritable ambassadeur. Roosevelt répond à ces inquiétudes le 14 mars 1940 :

M. Taylor est à Rome pour me représenter personnellement. Cette nomination ne constitue pas le début de relations diplomatiques officielles avec le Vatican. Le Président est en mesure de déterminer à des fins sociales le rang de tout représentant personnel qu’il nomme ; dans ce cas précis, le rang correspondant à celui d’ambassadeur était évidemment indiqué111.

105 Phelps, Church and State in the United States Volume 2, p. 100.

106 Phelps, Church and State in the United States Volume 2, p. 102.

107 Flynn, “Franklin Roosevelt and the Myron Taylor Appointment”, p. 188.

108 Phelps, Church and State in the United States Volume 2, p. 101.

109 Phelps, Church and State in the United States Volume 2, p. 101.

110 Phelps, Church and State in the United States Volume 2, p. 102.

111 Phelps, Church and State in the United States Volume 2, p. 104.

Le comité exécutif du FCC finit, étant donné les circonstances, par accorder le bénéfice du doute au Président. Il en va de même pour de nombreux groupes protestants qui, tranquillisés par les assurances du Président quant au caractère temporaire de la mission, finissent par taire leur mécontentement, de peur de se voir reprocher d’entraver une initiative de paix, surtout après l’entrée en guerre des Etats-Unis112.

III. iii. Les motivations de l’opposition

Violation du Premier Amendement de la Constitution113 et d’une tradition américaine séculaire, tentative d’une Eglise d’obtenir l’union avec l’Etat, crainte qu’il ne constitue le prélude à l’établissement de relations diplomatiques : ce sont là les principales raisons invoquées pour condamner le rapprochement opéré par Franklin Roosevelt avec le Saint-Siège. Le FCC explique dans les termes suivants les raisons de son opposition :

L’établissement de relations diplomatiques avec le Vatican conférerait à une Eglise un statut préférentiel dans ses relations avec le gouvernement américain. Un tel dispositif serait contraire à la tradition américaine. […] Pour les Etats-Unis, entretenir des relations diplomatiques avec le Vatican reviendrait à entretenir des relations diplomatiques avec l’Eglise catholique romaine. Cette procédure ignorerait le principe américain qui consiste à accorder à tous les organes religieux le même statut aux yeux du gouvernement. Une telle dérogation à notre tradition historique pourrait même mener à l’éventuelle approbation de la doctrine énoncée dans l’encyclique de Léon XIII sur la ‘constitution chrétienne des Etats’, qui stipule sans détours qu’il n’est pas légitime qu’un Etat mette sur un pied d’égalité les différentes religions114.

D’autre part, le soutien ouvert de l’Eglise à certains régimes autocratiques (notamment au franquisme en Espagne), ne jouait pas en sa faveur. L’historien Yves-Henri Nouailhat va plus loin : pour lui, « la difficulté à établir et à maintenir des relations diplomatiques a ainsi comme première raison l’attitude anticatholique de l’opinion américaine, culturellement marquée par un imaginaire formé au temps de la Réforme115 ».

112 Phelps, Church and State in the United States Volume 2, pp. 110-111.

113 « Le Congrès ne pourra faire aucune loi concernant l'établissement d'une religion ou interdisant son libre exercice, restreignant la liberté de parole ou de la presse, ou touchant au droit des citoyens de s'assembler paisiblement et d'adresser des pétitions au gouvernement pour le redressement de leurs griefs ».

114 Phelps, Church and State in the United States Volume 2, pp. 110-111.

115 Yves-Henri Nouailhat, Truman un chrétien à la Maison-Blanche (Paris: Cerf, 2007), pp. 117-118.