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It would give me great satisfaction to send you my personal representative

Chapitre 1 : Des relations irrégulières (1783-1939)

I. It would give me great satisfaction to send you my personal representative

I. i. Les motivations ayant présidé à l’envoi d’un représentant personnel

Plusieurs considérations semblent être entrées en ligne de compte dans la décision de Franklin Roosevelt de nommer un représentant personnel auprès de Pie XII. Pour l’historien George Flynn, il s’agir de facteurs d’ordre essentiellement diplomatique, politique et humanitaire73. Les motivations mentionnées dans la littérature s’inscrivent presque toutes dans l’une de ces trois grandes catégories. Pour Flynn, « seule une personne ignorant l’histoire du Parti démocrate et celle de Roosevelt pourrait penser que les considérations de politique intérieure ne sont pas entrées en ligne de compte dans la décision d’envoyer Taylor à Rome, les catholiques constituant une composante majeure de la coalition démocrate ». Il estime qu’on ne saurait négliger la conscience qu’avait Roosevelt du pouvoir considérable des catholiques sur le plan politique, ainsi que de l’importance d’être en bons termes avec l’épiscopat américain74. L’envoi d’un représentant pouvait aussi aider à court terme à neutraliser l’opposition au New Deal du père Charles Coughlin, animateur de radio très populaire, et à moyen terme à améliorer ses chances de réélection et à convaincre les catholiques de sortir de l’isolationnisme.

Flynn estime qu’il ne faut pas pour autant sous-estimer le rôle de motivations plus nobles, car « il ressort clairement que de véritables considérations pacifiques et humanitaires sont entrées en jeu, alors que le Président et le pape cherchaient ensemble à préserver un semblant de raison en Europe75 ». Roosevelt avait la conviction de partager les mêmes attentes que Pie XII. Il n’aura de cesse d’insister sur ces préoccupations communes, ainsi que sur la nécessité d’une alliance entre la puissance économique et militaire des Etats-Unis d’un côté et celle, spirituelle et morale du Saint-Siège, de l’autre, pour combattre leur adversaire commun. Dans une lettre au nouveau pontife, le président Roosevelt écrit : «Quand l’heure du rétablissement

73 George Flynn, “Franklin Roosevelt and the Myron Taylor Appointment”, Catholic Historical Review 58, n°2 (July 1972), p. 182.

74 Flynn, “Franklin Roosevelt and the Myron Taylor Appointment”, p. 182.

75 Flynn, “Franklin Roosevelt and the Myron Taylor Appointment”, p. 183.

de la paix mondiale aura sonné, il est de la plus grande importance pour l’humanité et la religion que les idéaux communs s’expriment de manière unie76 ».

Les Etats-Unis sont d’autre part conscients que le déclenchement des hostilités, avec ses hordes de refugiés, posera de nombreuses difficultés et que l’expérience du Vatican en la matière pourrait s’avérer utile. Ainsi, la question d’une coopération humanitaire est-elle directement évoquée par Roosevelt. Dans une lettre du 2 octobre 1939 à son secrétaire d’Etat Cordell Hull, il préconise d’envoyer à plus ou moins brève échéance un représentant au Vatican pour préparer le règlement du sort des refugiés une fois le conflit terminé77. Selon Flynn pourtant, cette motivation est sujette à caution et n’aurait été que secondaire. Etant donné les contacts déjà importants qui existent entre Washington et Rome, ainsi que les témoignages de Hull et Sumner Welles, son sous-secrétaire d’Etat, Flynn parle même au sujet de cette motivation de « subterfuge »78.

Les motivations d’ordre diplomatique ont évidemment joué un rôle dans la décision de Roosevelt. Le fameux argument selon lequel le Vatican constitue un précieux « poste d’écoute »79 est invoqué à maintes reprises. A l’approche de l’entrée en guerre, il devient de plus en plus intéressant d’avoir connaissance des informations dont dispose ce dernier sur des zones devenues progressivement inaccessibles. C’est l’argument avancé par Hull et Welles au département d’Etat. Cordell Hull y fait référence dans ses mémoires :

[…] le Président avait évoqué avec nous le projet d’établir des relations avec le Vatican. Début juillet [1939], Welles et moi-même avions parlé des avantages que pourraient offrir de telles relations. Nous estimions que le Vatican disposait de nombreuses sources d’information, particulièrement en Allemagne, en Italie et en Espagne, dont nous ne disposions pas. Sur mon conseil, Welles écrivit une lettre personnelle à l’ambassadeur [William] Phillips à Rome pour lui demander son avis. Phillips répondit le 19 janvier pour recommander l’établissement de relations diplomatiques80.

Les Etats-Unis sont également conscients de l’autorité morale dont jouit le pape, et cherchent à obtenir des témoignages publics de soutien à certaines initiatives, soutien qui serait certainement favorisé par des contacts stables et réguliers. L’Administration Roosevelt avait déjà cherché à obtenir du pape qu’il parle en termes favorables du télégramme envoyé par Roosevelt à Mussolini et Hitler en avril 1939 pour leur demander de s’abstenir de toute agression supplémentaire. Pour Welles, « une déclaration publique du pape en faveur du message de paix aurait un effet des plus bénéfiques81 ». On voit que

76 Babis et Macelli, A US Ambassador to the Vatican, p. 26.

77 Robert Gannon, The Cardinal Spellman Story (New York: Doubleday and Company, 1962), p. 161.

78 Flynn, “Franklin Roosevelt and the Myron Taylor Appointment”, p. 181.

79 Gerald P. Fogarty, “Vatican-American Relations: Cooperation or Conspiracy?”, America, April 11, 1992, p.

291.

80 Gannon, The Cardinal Spellman Story, p. 160.

81 Flynn, “Franklin Roosevelt and the Myron Taylor Appointment”, p. 178.

l’intérêt des Etats-Unis pour le Vatican s’est déplacé sur le plan moral, et que les relations sont désirables dans la mesure où le pape incarne une autorité spirituelle et morale susceptible de servir les desseins politiques américains.

Quant aux motivations qui poussent le Saint-Siège à se contenter d’un représentant non diplomatique, Pie XII, soucieux d’éviter la propagation du conflit, avait une conscience aiguë du rôle central que les Etats-Unis seraient amenés à jouer dans ce contexte. Taylor remet à Roosevelt en août 1940 une lettre dans laquelle le pape évoque son « profond sentiment de réconfort à la pensée que Nous pourrons compter sur le soutien du Président des Etats-Unis» dans la quête d’un « âge d’or de concorde chrétienne consacré à l’amélioration spirituelle et matérielle de l’humanité82 ». Pour Fogarty, le Vatican considère désormais les Etats-Unis comme garant de l’équilibre des affaires internationales83.

I. ii. Un long processus

Pendant des mois, voire des années, Franklin Roosevelt et ses conseillers vont débattre de l’intérêt de relations plus étroites avec le Saint-Siège. A la fin des années 1930, plusieurs éléments laissent penser que l’heure est proche, tels les honneurs accordés par l’ambassade américaine au cardinal George Mundelein de Chicago lors de sa visite à Rome, la construction d’un nouveau bâtiment pour la délégation apostolique à Washington (inauguré en mars 1939), les marques de respect du Congrès à l’occasion du décès de Pie XI, ou encore la présence de Joseph Kennedy, alors ambassadeur à la cour de Saint James, aux cérémonies de couronnement de Pie XII84.

Cette décision va être le fruit de réflexions internes à la Maison-Blanche ainsi que de rencontres avec les représentants du Saint-Siège, sans oublier la médiation décisive exercée par deux figures clés de l’épiscopat américain, Mgr George Mundelein et Mgr Francis Spellman. En mai 1937, Mundelein avait prononcé un discours où il avait qualifié Hitler de

« médiocre poseur de papiers peints85 ». Ce n’est apparemment pas un hasard si Roosevelt choisit Chicago pour prononcer en octobre 1937 son discours dit de la Quarantaine. Lors d’un dîner avec Mundelein au cours de ce déplacement, il émet l’idée d’envoyer un représentant au Vatican afin de coordonner les efforts de paix. Mundelein contacte le Vatican, qui se montre

82 James S. Conway “Myron C. Taylor’s Mission to the Vatican, 1940-1950” Church History 44, n°1 (March 1975), p. 89.

83 Fogarty, The Vatican and the American Hierarchy, p. 265.

84 Anson Phelps Stokes, Church and State in the United States Volume 2, p. 98.

85 Fogarty, “Vatican-American Relations: Cooperation or Conspiracy?”, p. 290.

très enthousiaste. Pourtant, Roosevelt semble s’en désintéresser, car la question n’est plus abordée avant 1938.

Lors d’un bref séjour de Mundelein à la Maison-Blanche, fin 1938, alors qu’il était en chemin pour Rome, la question est à nouveau abordée. A son arrivée à Naples, le cardinal est accueilli par l’ambassadeur américain Phillips sur ordre du Président et escorté par train spécial jusqu’à Rome. Le département d’Etat doit dissiper les rumeurs selon lesquelles la visite aurait pour finalité l’établissement de relations diplomatiques. La presse allemande avait en effet rapporté, par rancune envers Mundelein, que ce dernier s’était engagé au cours du dîner à la Maison-Blanche à offrir à Roosevelt les voix catholiques en échange de l’établissement de relations avec le Saint-Siège86.

Si Mundelein est le principal intermédiaire entre Roosevelt et Rome en 1937-1938, Francis Spellman, évêque auxiliaire de Boston, n’est pas en reste87. Il jouit de certains atouts qui le rendent indispensable à cette mission, bien qu’il ne figure pas encore parmi les prélats de plus haut rang du pays. C’est un proche à la fois de Joseph Kennedy et du secrétaire d’Etat de Pie XI, Eugenio Pacelli. Il va prendre une part de plus en plus déterminante dans le rapprochement entre les Etats-Unis et le Saint-Siège à la faveur des événements, comme le décès de Mgr Mundelein ou l’accession au pontificat de son ami Pacelli en mars 1939. Ce dernier le propulse à la tête de l’archevêché de New York, poste prestigieux qui accroît sa légitimité en tant que représentant du Saint-Siège.

Pourtant, Spellman n’a pas attendu l’élection de Pacelli pour promouvoir l’existence de contacts plus étroits entre Washington et Rome, dont il défend la nécessité depuis 1932. En 1934, il est à Rome et, pour la première fois, Enrico Galeazzi, proche conseiller du pape, laisse entendre que le moment est peut-être venu d’aborder les questions préliminaires à l’établissement de relations. Spellman suggère à Joseph Kennedy d’en aborder l’éventualité avec le Président et se montre ravi quand Kennedy lui apprend que ce dernier lui a prêté une oreille favorable. En 1936, il entre en contact avec Roosevelt par le biais de Joseph Kennedy pour organiser une entrevue avec Pacelli à l’occasion de la visite de ce dernier aux Etats-Unis.

La rencontre entre le Président et le futur pape voit naître des liens d’amitié réciproques.

L’Eglise et Spellman ont beau nier que l’entrevue ait eu pour thème les relations diplomatiques, ils n’en convainquent pas pour autant la presse américaine. La visite de Mgr Pacelli aux Etats-Unis et sa rencontre avec Roosevelt sont déterminantes dans le processus ayant abouti à la nomination d’un représentant du Président près le Saint-Siège.

86 Flynn, “Franklin Roosevelt and the Myron Taylor Appointment”, p. 175.

87 Flynn, “Franklin Roosevelt and the Myron Taylor Appointment”, p. 175.

I. iii. La concrétisation d’une idée ancienne

L’élection de Pie XII en mars 1939 semble avoir donné un coup d’accélérateur aux perspectives de rapprochement. Roosevelt envoie un télégramme de félicitations et désigne Joseph Kennedy, son ambassadeur à Londres, comme représentant personnel aux cérémonies de couronnement, ce qui semble avoir été un moyen de tester l’opinion publique américaine vis-à-vis de relations jugées de plus en plus importantes face à la montée des tensions en Europe88. Il s’agit du tout premier couronnement pontifical auquel assiste un représentant officiel du gouvernement américain. D’autre part, la nomination de Spellman en tant qu’archevêque de New York va faciliter les négociations. Il reçoit à cette occasion une lettre de félicitation de Roosevelt l’invitant à lui rendre visite le plus souvent possible, ce dont il ne se privera pas selon son biographe, Robert Gannon, et ce qui donnera lieu à des entrevues incluant de plus en plus fréquemment, outre le Président, des membres du département d’Etat89.

Les premières mesures concrètes ne sont prises qu’en 1939. Comme nous l’avons vu supra, Cordell Hull, le secrétaire d’Etat explore la question avec le sous-secrétaire Sumner Welles en juillet, évoquant principalement l’importance du Vatican en tant que poste d’information. Le 24 octobre, Spellman et le Président se réunissent. A cette occasion, Roosevelt évoque à nouveau la question des réfugiés et annonce qu’une mission spéciale sera mise en place auprès du Vatican après l’ajournement du Congrès, espérant ainsi éviter des critiques immédiates de sa décision. La nomination d’un représentant américain n’est pas pour autant annoncée immédiatement. Après plusieurs échanges avec le Vatican et le délégué apostolique Amleto Cicognani, Spellman demande à Roosevelt une entrevue90. Le 7 décembre, il revoit donc le Président, porteur d’une lettre du délégué apostolique qu’il a considérablement remaniée pour faire ressortir l’enthousiasme du Vatican. Le 23 décembre, une lettre destinée à Pie XII annonçant la nomination d’un représentant personnel est remise à Spellman, tandis qu’un télégramme est envoyé au Vatican. La décision est annoncée le 24 décembre par le biais d’un communiqué de presse91.

88 Fogarty, “Vatican-American Relations: Cooperation or Conspiracy?”, p. 291.

89 Gannon, The Cardinal Spellman Story, pp. 159-160. Pour plus de détails sur les initiatives de Spellman visant à promouvoir l’établissement de relations diplomatiques, voir Blandine Chelini, « Les relations entre les Etats-Unis et le Saint-Siège (1939-1952) », thèse de doctorat sous la direction de Pierre Milza, Institut d’études politiques de Paris, 1994.

90 Gannon, The Cardinal Spellman Story, p. 162.

91Fogarty, The Vatican and the American Hierarchy, p. 263.