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alliance idéologique ?

II. Des contacts accrus

II. i. Des contacts de haut niveau

Ronald Reagan aurait déclaré qu’une fois président, un de ses premiers objectifs serait de faire du Vatican « un allié »21. Quoi qu’il en soit, trois semaines à peine après son investiture, le président américain nomme son ami William Wilson représentant personnel auprès du Vatican. Dès le début, Wilson va passer beaucoup plus de temps à Rome que ses prédécesseurs. Dans une lettre écrite en avril 1981, il explique avoir l’intention de passer entre dix-neuf et vingt-une semaines à Rome par an22. Les représentants qui l’avaient précédé n’y séjournaient que trois ou quatre semaines, un peu plus dans le cas de Robert Wagner (ce

19 David Tombs, Latin American Liberation Theology (Boston: Brill, 2002), p. 227.

20 Peter K. Murphy, échange de courrier, 22 octobre 2007.

21 Carl Bernstein, “The Holy Alliance”, Time, February 24, 1992, pp. 28-35.

22 Lettre, William Wilson à Albert Bergesen, April 1, 1981, box 1 folder 4, William A. Wilson Papers, SC, GUL.

dernier s’était rendu sept à huit fois à Rome en l’espace de deux ans, pour des séjours allant de trois jours à un mois)23. Dans la pratique, Wilson va passer sept à huit mois de l’année dans la Ville éternelle24. De plus, à la différence une fois encore de Lodge et Wagner, Wilson ne reste pas longtemps pensionnaire au Grand Hotel de Rome : il loue une villa, la Villa Richardson, où il installe ses bureaux et fixe sa résidence, ce qui confère immédiatement à sa mission une plus grande continuité25.

Les premiers contacts avec le Saint-Siège sont établis dès les premières semaines de l’Administration Reagan. Le 26 février 1981, Wilson est dépêché en Alaska pour remettre au pape, qui devait y faire escale de retour d’un voyage au Japon, une lettre du Président. Le département d’Etat (en la personne de L. Paul Bremmer) avait recommandé l’envoi d’un représentant, jugeant que l’escale pontificale constituait « une excellente opportunité pour l’Administration d’établir un contact précoce et personnel avec le pape26 ». James Rentschler du Conseil national de sécurité (NSC) fait la même recommandation à son supérieur Richard Allen, notant qu’« étant donné l’écho politique que rencontre le pape sur la scène nationale et sa présence sur la scène internationale, je pense que nous aurions intérêt à envoyer une personnalité proche de la Maison-Blanche pour souhaiter la bienvenue au pape […] et lui transmettre une lettre personnelle du Président27 ». Il est donc décidé que Wilson accueillera le pontife et lui remettra une lettre de Reagan, tandis que ce dernier téléphonera à Jean-Paul II. Tout ceci, explique-t-on à Reagan, « aidera à établir une relation cordiale entre vous et le

23 “Angeleno Named Envoy to Vatican”, The Tidings, February 20, 1981, p. 3.

24 David Shribman, “Man in the News; Ambassador Designate”, New York Times, January 11, 1984, p. A4.

25 La décision du président de nommer un envoyé personnel auprès du pape était quasiment devenue une pratique courante, dans la mesure où Ronald Reagan est le quatrième président consécutif à effectuer une telle nomination, mais comme ce fut le cas pour chacun de ses prédécesseurs, la décision suscita de vives réactions de la part de certains responsables protestants. Avant même son investiture, en décembre 1980, Reagan avait reçu une lettre d’Americans United, anciennement Protestants and Others United (qui avait mené avec d’autres la campagne contre la nomination de Clark en 1951-1952) lui demandant de ne pas nommer d’envoyé, car selon elle, « qu’il soit appelé ambassadeur ou envoyé, c’est la même chose. Le Vatican est avant tout une Eglise. » Americans United l’exhorte à laisser ce poste « s’éteindre en silence ». Foy Valentine, un des représentants de la Southern Baptist Convention, déclare pour sa part après la nomination de Wilson qu’« une telle nomination constitue un affront à la Constitution. C’est un affront pour ceux qui défendent la liberté religieuse, et pour ceux qui, comme les baptistes, croient fermement en la séparation entre les églises et l’Etat. C’est une mesure inutile, peu judicieuse et porteuse de divisions. Il serait préférable pour tous les Américains que cette nomination soit annulée ». (John Dart, “Reagan Chooses Bel Air Man as Envoy to the Vatican”, Los Angeles Times, February 21, 1981, pp. 28-29).

26 Mémo, L. Paul Bremmer à Richard Allen, February 6, 1981, folder: The Vatican: Pope John Paul II (81003101-8106715) box 41, National Security Council (NSC): Executive Secretariat, PA: Head of State File, RRL.

27 Mémo, James Rentschler à Richard Allen, February 5, 1981, folder: The Vatican: Pope John Paul II (81003101-8106715), box 41, NSC: Executive Secretariat, PA: Head of State File, RRL.

pontife dès le début de votre mandat et séduira les millions d’Américains qui ont suivi avec grande attention son voyage triomphal d’octobre 1979 aux Etats-Unis 28 ».

Les contacts se poursuivent par l’intermédiaire notamment de Wilson, qui rencontre le pape pour la deuxième fois le 20 mars 1981 pour lui présenter une lettre d’introduction, faute de lettres de créance (il s’agit de sa première audience à Rome, qui selon l’intéressé a consisté en un tête-à-tête de quinze minutes)29. Quelques mois plus tard, en mai 1981, Ronald Reagan transmet par l’intermédiaire du représentant Peter Rodino une lettre au pape à l’occasion non seulement de son anniversaire, mais également de la tentative assassinat dont il a été victime.

Reagan, qui avait fait lui-même l’objet d’une tentative d’assassinat le 30 mars 1981, y évoque la similitude de leurs expériences :

Heureusement, rares sont les dirigeants dans le monde aujourd’hui à partager la triste distinction de connaître exactement le genre d’événement que vous venez de vivre. Plus rares encore sont ceux qui, comme moi, ont conscience du courage et du dévouement considérables que vous avez dû déployer pour non seulement survivre à ce terrible événement, mais également pour le faire avec grâce, noblesse et sens du pardon30.

Les hauts responsables américains vont se succéder au Vatican pendant toute la durée de la présidence Reagan, que ce soit avant ou après l’établissement de relations diplomatiques, et ce grâce aux services de Wilson, qui ont pour tâche d’organiser les visites et d’obtenir des audiences avec le pape et ses collaborateurs31. Le pape reçoit ainsi le Président en audience le 7 juin 1982, dans le cadre d’un voyage qui a conduit Ronald Reagan en France, en Allemagne, au Royaume-Uni et en Italie. En décembre 1982, le Président téléphone à Jean-Paul II à l’occasion de Noël. Les deux hommes auront l’occasion de se revoir lors d’une escale commune en Alaska, le 2 mai 1984 et, en 1987, ils se retrouvent à deux occasions : lors de la visite de Ronald Reagan au Vatican, le 6 juin, et à l’occasion de la visite pastorale du pape aux Etats-Unis, le 10 septembre (le Président venant en personne l’accueillir à Miami).

Le vice-président Bush pour sa part rencontrera le pape à plusieurs reprises, notamment en

28 Mémo, “Recommended Telephone Call”, non daté, folder: The Vatican: Pope John Paul II (81003101-8106715) box 41, NSC, Executive Secretariat, PA: Head of State File, RRL.

29 Lettre, William Wilson à Merril Dean, April 1, 1981, box 1 folder 5, William A. Wilson papers, SC, GUL.

30 Lettre, Ronald Reagan à Jean-Paul II, non datée, folder: The Vatican: Pope John Paul II (81003101-8106715), box 41, NSC: Executive Secretariat, PA: Head of State File, RRL. “Happily, few leaders in the world today have the dubious distinction of knowing with some precision the kind of event you have just experienced. Fewer still can appreciate, as can I, the depth of courage and commitment on which you must have called, not only to survive that horrible event but to do so with such grace, nobility and forgiveness.”

31 Parmi les hauts responsables catholiques les plus souvent sollicités pour des entretiens avec des responsables américains, on compte le secrétaire d’Etat, le cardinal Agostino Casaroli, le secrétaire du Conseil pour les affaires publiques de l’Eglise (« ministre des Affaires étrangères » du Saint-Siège), Mgr Achille Silvestrini et le préfet de la Congrégation pour la doctrine de la foi, Mgr Joseph Ratzinger, ainsi que les responsables du Conseil pontifical justice et paix, notamment William Murphy et Diarmuid Martin et les dirigeants des grands ordres religieux.

janvier 198332, en février 1984, puis en juin 1985, tandis que les conseillers spéciaux à la sécurité successifs auront également des entrevues avec le pape ou les plus hauts responsables de la Curie romaine. Le secrétaire d’Etat George Shultz se rend à Rome en décembre 1982, le secrétaire à la Défense, Caspar Weinberger se rend quant à lui au Vatican en octobre 198333 et à l’automne 198634.

II. ii. Une véritable navette de renseignement

Parmi les Américains illustres en visite au Saint-Siège, on compte également le général Vernon Walters. Ce dernier a reçu comme instruction de se rendre régulièrement au Vatican en sa qualité d’ambassadeur itinérant de Reagan. Dans ses mémoires, Walters, ancien directeur adjoint de la CIA, a précisé la nature de ses entrevues avec Jean-Paul II :

Au cours de ma mission en tant qu’ambassadeur itinérant, le secrétaire d’Etat, Al Haig, avec l’accord de William Clark me convoqua dans son bureau et me donna pour instruction de rendre visite à Jean-Paul II à intervalles réguliers afin de lui exposer les principes de la politique américaine en matière de diplomatie et de défense. L’Administration était consciente qu’il existait une convergence d’intérêts entre l’Eglise catholique et les Etats-Unis dans leurs tentatives pour contenir l’expansion communiste.

D’après mes instructions, je devais exposer les faits en m’appuyant sur les meilleures sources de renseignement disponibles. J’entamai donc une série de deux ou trois voyages annuels au Vatican sur une période de quatre ans. […] En résumé, je lui parlais des menaces posées par les missiles, les forces terrestres conventionnelles, l’armée de l’air et la marine soviétique. De plus, dès que c’était opportun, j’évoquais les problèmes de la Pologne, et une fois j’ai même évoqué les camps de concentration soviétiques, qui étaient toujours en activité. Parfois, il nous indiquait les sujets dont il souhaitait parler lors de notre prochaine entrevue. Il me recevait toujours seul […]. Ces rencontres étaient généralement organisées par l’intermédiaire du nonce à Washington, l’archevêque (désormais cardinal) Mgr Pio Laghi et notre ambassadeur au Vatican, William Wilson35.

Dès le printemps 1981 donc, une intelligence shuttle, une navette du renseignement, aurait été établie entre la Maison-Blanche et le pape. Ce dernier aurait ainsi bénéficié de briefings réguliers de la part non seulement de Vernon Walters, mais aussi du directeur de la CIA, William Casey. Les deux hommes lui auraient rendu au total quinze visites en six ans36. D’après Wilson, « Walters était envoyé au Vatican avec pour mission précise de porter des messages entre le pape et le Président. Ses visites devaient rester discrètes. Elles ne portaient

32 Télex, Michael Hornblow à William Wilson, January 17, 1983, box 3 folder 9, William A. Wilson Papers, SC, GUL

33 Son désir de s’entretenir avec le pape est manifeste quand on lit les dépêches de l’époque : Wilson rapporte ainsi qu'« il [Weinberger] a demandé spécifiquement à rencontrer le Saint Père et le cardinal Casaroli», Télex, Wilson à Don Planty, non daté, “circa 82-83”, box 3 folder 23, William A. Wilson Papers, SC, GUL.

34 Mémo, Caspar Weinberger à Ronald Reagan, October 22, 1986, folder: Vatican 1986 (1 of 2), box OA 90901, Tyrus Cobb Files, RRL.

35 Vernon A. Walters, The Mighty and the Meek (London: St Ermin’s Place), pp. 232-233.

36 Bernstein et Politi, His Holiness, p. 269 (Walters affirme voir rencontré le pape tous les six mois entre 1981 et 1988. Casey se serait rendu au Vatican à chaque fois qu’il se rendait en Europe ou au Moyen-Orient (Bernstein et Politi, His Holiness, p. 32). Les archives Reagan confirment l’existence de nombreuses audiences accordées à l’ambassadeur itinérant Walters.

pas toutes spécifiquement sur la Pologne ; parfois, ils abordaient également la question de l’Amérique centrale ou des otages au Liban37 ». Quant à William Casey, il se serait rendu six ou sept fois au Vatican. Dans ses lettres au Président, il rapporte avoir abordé des thèmes aussi variés que la Pologne, l’Union soviétique, l’Europe de l’Est et l’Amérique centrale38.

L’importance que revêt le Saint-Siège aux yeux du directeur de la CIA (qui est catholique) est également reflétée par deux autres éléments. Tout d’abord, Pio Laghi, délégué apostolique, puis pro-nonce à Washington après l’établissement de relations diplomatiques avec le Saint-Siège, nous a confié au cours d’un entretien que parmi les responsables américains avec lesquels il avait été amené à traiter, William Casey avait été son interlocuteur le plus fréquent. Casey habitait dans le Maryland et devait passer par Massachusetts Avenue (surnommée Embassy Row, car elle concentre un nombre importants d’ambassades, dont la délégation apostolique, devenue plus tard nonciature apostolique) pour venir à Washington, et il lui arrivait de s’arrêter pour « prendre le café39 ». D’autre part, William Wilson rencontre Casey à de nombreuses occasions si l’on en croit l’emploi du temps du directeur de la CIA (le 28 mars 1981, le 6 juillet 1981, le 14 décembre 1981 [lors d’un dîner organisé par les Wilson, en l’honneur de Mgr Casaroli, auquel assiste Casey], le 4 mai 1982, le 11 janvier 1983, le 10 mars 1983, le 7 juin 1983, le 19 décembre 1983, le 11 février 1985…)40.

II. iii. Des contacts à double sens

En ce qui concerne les représentants du Vatican, Mgr Casaroli aura l’occasion de se rendre à plusieurs reprises aux Etats-Unis pour y rencontrer les plus hauts responsables américains, parmi lesquels le Président. Une rencontre était prévue dès le 15 mai 1981, mais elle dut être repoussée au mois de novembre suivant à cause de la tentative d’assassinat contre le pape. Une note rédigée à l’occasion de cette visite avortée témoigne de l’importance que revêtent à leurs yeux des contacts réguliers : « Le Vatican joue un rôle important en Pologne actuellement, ainsi qu’en Irlande du Nord et plus généralement avec le pape Jean-Paul II, il est en train d’émerger comme un acteur majeur sur la scène internationale41 ». Selon le

37 Bernstein et Politi, “The Holy Alliance”, p. 32.

38 Bernstein et Politi, “The Holy Alliance”, p. 287.

39 Pio Laghi, entretien avec l’auteur, 4 février 2008. Laghi avait été nommé délégué apostolique à Washington en 1980. Formé à l’Académie ecclésiastique pontificale, l’école des diplomates du Vatican, il avait travaillé dans plusieurs nonciatures apostoliques et délégations apostoliques, dont celle de Washington de 1954 à 1961 et celle de Buenos Aires de 1974 à 1980.

40 DCI [William Casey]’s Schedule, 1981-1985, MORI DocId 45011-45024, FOIA Request, reference number F-2008-00402, November 20, 2007, CIA.

41 Mémo, Richard V. Allen à George Bush, May 11, 1981, ID# 028154, CO170, WHORM: Subject File, RRL.

Conseil national de sécurité, « [i]l [Mgr Casaroli] maîtrise parfaitement les grands enjeux, y compris le Liban, le Salvador et la Pologne. Nous estimons qu’il est important pour nos relations avec le Vatican que Casaroli reçoive une attention de tout premier plan lors de sa visite à Washington42 ». Le prélat rencontrera plusieurs fois le Président : le 15 décembre 1981 à la Maison-Blanche, en août 1982 dans le Connecticut, à l’occasion du centenaire de l’organisation catholique conservatrice les Chevaliers de Colomb, et le 22 novembre 1983 à Washington, sans parler des rencontres ayant eu lieu dans le cadre de visites à Rome et des déplacements officiels du pape aux Etats-Unis.

Les relations avec le Saint-Siège passent également par l’intermédiaire d’un agent du département d’Etat affecté exclusivement au Vatican, chargé de coordonner les notes d’orientation ainsi que la communication entre les différentes agences américaines et d’aider à l’organisation des visites de hauts responsables américains. A Rome, un diplomate de la Curie romaine est chargé des contacts avec les Etats-Unis. Si l’agent du département d’Etat était très compétent selon Peter Murphy, son homologue romain laissait plutôt à désirer, car il ne connaissait pas les Etats-Unis et ne parlait pas un mot d’anglais, à tel point que Pio Laghi faisait peu usage de ses services43.

La lecture des talking points ou des comptes rendus des conversations entre représentants du Saint-Siège et de l’Administration nous permet d’avoir une idée assez précise des questions abordées, sur lesquelles nous aurons amplement l’occasion de revenir.

Si la Pologne ressort comme un thème de tout premier plan, il est loin d’être le seul. On retrouve pêle-mêle les tensions Est/Ouest (notamment au sujet des négociations de réduction des armements) ; l’Initiative de défense stratégique ; la question de la dissuasion nucléaire ; les évolutions à l’Est (la prise de fonction de Tchernenko, puis de Gorbatchev) ; le Moyen-Orient (avec un accent tout particulier sur le Liban, le statut de Jérusalem et le sort des Palestiniens) ; la situation en Amérique centrale (surtout au Nicaragua) ; la situation des chrétiens en Chine ; la querelle territoriale entre le Chili et l’Argentine ; les Philippines ; Haïti ; la dette du Tiers-Monde… La lecture de ces documents nous renseigne aussi sur le ton de ces conversations, qui est fort cordial, avec le souci apparent de prendre en compte les susceptibilités de chacun.

42 Mémo, L. Paul Bremmer à Richard V. Allen, May 6, 1981, ID# 8114304, CO170, WHORM: Subject File, RRL.

43 Peter K. Murphy, Oral History Interview, April 4, 1994, Foreign Affairs Oral History Collection, SC, GUL.

III. We seem to be overloading the Vatican circuits of late: la Pologne, exemple de cette