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CHAPITRE 5 : LES RÉSULTATS

5.2 Thème 1 : Les attentes sociales et institutionnelles

5.2.4 Les professionnels et autres acteurs sociau

L’expérience avec d’autres agents de socialisation n’était pas un sujet couvert par le guide d’entrevue initialement. Toutefois, quelques-uns des répondants ont fait mention de comportements qui reflètent les attentes d’autres adultes envers eux, dont les professionnels.

Valérie avait un lien significatif avec son médecin de famille qui lui a offert un soutien dans ses difficultés scolaires. Anna, pour sa part, a eu l’impression que son médecin limitait ses chances de réussite :

Si on avait écouté à la lettre ce que le médecin avait dit, que probablement je ne finirais même pas mon secondaire, ils m’auraient mis dans la classe spéciale… D’après moi, je n’aurais pas été amenée à me développer autant. Anna

Pierre avait aussi l’impression que son orthophoniste ne croyait pas en ses chances de réussite, lorsqu’il a constaté son étonnement après lui avoir dit qu’il faisait des études universitaires. De plus, trois participants ont mentionné leur insatisfaction quant aux actions des conseillers d’orientation de leur école. Thomas a eu l’impression que le conseiller d’orientation limitait ses possibilités en fonction de ses notes et non en fonction de ses intérêts, ce qu’il aurait préféré; il est heureux de ne pas avoir suivi ses conseils. Jacob, quant à lui, s’est dit déçu que le professionnel lui suggère des options moins ambitieuses, croyant peu en ses chances de terminer son secondaire.

Des participants ont aussi rapporté des attentes des adultes envers eux, sans mention d’un acteur en particulier. Jacob se souvient avoir reçu plusieurs commentaires d’encouragement, le décrivant comme un modèle à suivre pour les autres élèves en difficulté. Ces encouragements l’ont amené à vouloir relever des défis et à se démarquer. Pour d’autres, les attentes ont été perçues plus négativement. Valérie se rappelle avoir eu l’impression que les gens autour d’elle doutaient de ses capacités à terminer ses études secondaires :

Ce que je comprenais, vu l’attention que les grandes personnes avaient sur moi, je sentais que j’étais un cas spécial, mais pas dans le sens positif du terme. (...) Je me sentais inférieure. Dans ma tête, les professionnels, mes parents, les gens autour de moi doutaient que j’allais réussir l’école. C’est l’interprétation du monde sur lequel je suis arrivée. Alors, dès qu’on me disait, dans ma tête je n’allais pas finir mon secondaire 5. J’avais des pensées défaitistes avant même d’avoir essayé réellement. Valérie

Simon avait aussi la perception que les gens croyaient peu en ses chances de réussite, se décrivant comme « le gars que tout le monde a dit, il n’allait jamais devenir quelqu’un ». Ces attentes étaient ressenties autant à la maison qu’à l’école.

5.2.5 L’institution

L’ensemble des participants, à l’exception d’une seule, affirme avoir reçu des services à l’école pour pallier les difficultés : orthopédagogue, classe ressource, classe spéciale, plan d’intervention, soutien en classe, pédagogie individualisée, aide aux devoirs, redoublement d’année scolaire, orthophonie et psychoéducateur. Pour la majorité des participants, ces services ont été offerts durant la formation primaire seulement, excepté pour les classes spéciales. C’est ce que déplorent plusieurs participants, soit le manque de soutien ou d’une aide spécifique à leur difficulté pendant le secondaire. Pour la majorité des participants, les plans d’intervention ont paru inexistants.

Plusieurs des répondants reconnaissent l’effet bénéfique des services reçus, mais se montrent insatisfaits de la quantité offerte durant leur parcours scolaire. Ils auraient voulu avoir plus de soutien de la part de l’école sur l’ensemble des difficultés vécues ou recevoir une aide plus adéquate.

Cette école-là, ils étaient comme en perte de moyens parce qu’ils ne savaient pas quoi faire avec moi. Fait que la seule affaire qu’ils ont trouvé à faire, c’est de me mettre de côté et on va juste te donner un gros livre épais de 300 pages. (…) J’aurais aimé ça dans le fond que la minute qu’ils voient que j’ai plus une grosse demande… je suis comme TDA/H et tout ça dans le fond.... J’aurais aimé ça que plus jeune, tout de suite, ils m’envoient dans une classe ou une école plus spécialisée dans ça. Clément

J’aurais voulu avoir plus d’aide parce que j’avais vraiment de la misère. J’ai rencontré des intervenants, mais au final, qu’est-ce qu’ils ont fait ? Ils ont juste parlé. C’est b’en beau les plans d’intervention, mais au final, ça me donne quoi ? Quand j’y repense, mon primaire, ça l’a été la même chose tout le long.

Jasmine

Je pense que, plus jeune, c’est le meilleur moment. C’est là que tu te construis. Si j’avais eu un meilleur encadrement, probablement que j’aurais eu de meilleurs résultats à ce moment-là. Sarah

Dans le cas de Simon, il aurait aimé que l’école prenne davantage en considération ses besoins pour réussir :

Primaire, ce n’était pas pire. Au secondaire, j’ai perdu 5 ans de ma vie totalement. B’en moi, l’effet que ça me fait, c’est d’avoir perdu mon temps

je voulais apprendre. Ou d’avoir eu une certaine attention, comme quelqu’un qui me demande c’est quoi j’ai de besoin pour réussir à apprendre? Simon

Inversement, d’autres se sont montrés heureux de ne pas avoir reçu plus de services durant leur formation, accordant les raisons des difficultés à leur manque d’effort.

C’est sûr que je n’étais pas un élève modèle au secondaire, pis avoir investi du temps plus dans mes études ça serait mieux sorti, fait que oui mes notes étaient très moyennes, mais je ne faisais rien en échange. Donc si j’avais voulu étudier plus, étudier davantage, à ce moment-là j’aurais eu des meilleurs résultats aussi.

Thomas

Je suis fière d’avoir réussi mon parcours scolaire sans médication et sans avoir eu un tel diagnostic. Je crois que ça m’a permis d’avancer et ne pas me limiter à mes difficultés. Rosalie

De l’aide c’est toujours pratique, mais en même temps j’ai peur que si j’avais été pris en charge tôt ça l’aurait fait quelqu’un de plus lâche. Dans le sens que trop sur son derrière… Ah ! J’ai ça! Donc je peux me permettre de... Nicolas

Les élèves qui ont bénéficié d’une aide en orthopédagogie ou en classe ressource au primaire ont soulevé différents points de vue. Les résultats de Sarah se sont améliorés après avoir reçu des services, tandis que Rosalie ne croit pas que cela ait fait une différence. Julie aurait préféré avoir une aide individualisée plutôt qu’être avec d’autres élèves en classe ressource. Elle croit aussi que cette aide n’a pas favorisé son estime de soi, puisqu’elle se sentait « catégorisée » comme élève « qui sort du cadre ». Julie a aussi trouvé difficile de reprendre une année scolaire, puisqu’elle a vu les autres élèves de son âge poursuivre, tandis qu’elle devait rester avec des élèves plus jeunes.

Les services offerts aux élèves qui permettent de les identifier comme étant « différents » des autres élèves de la classe ou de l’école sont, une fois de plus, ce qui semble le plus dérangeant pour eux. Jacob se souvient de s’être senti mieux dans une école spéciale parce que tous les élèves étaient différents et recevaient des services adaptés. En classe spéciale dans une école ordinaire, il a préféré éviter de montrer sa différence pour ne pas recevoir de commentaires déplaisants des élèves de classes ordinaires.

Certains participants croient que le système d’éducation n’est pas adapté à leur situation, limitant leurs possibilités de progrès : « Le système n’était pas fait pour moi quand j’étais petite », a affirmé Valérie. Aussi, la prise de médication pour faciliter la concentration en classe a été une expérience déplaisante pour plusieurs d’entre eux. David croit que c’est une solution aux difficultés imposée par les adultes : « J’avais de la misère à me faire des amis. J’étais comme dans ma bulle, je ne posais pas de questions. Juste à y repenser, je ne me sens pas bien ». Plusieurs de ces élèves ont pris la décision d’arrêter la médication par eux- mêmes. Pour d’autres, sans cette aide, ils auraient eu plus de difficultés à atteindre leurs objectifs scolaires.

5.2.5.1 La classe spéciale

En tout, neuf participants ont fait partie de classes spéciales durant une ou plusieurs années de leur formation secondaire. Ces classes visent différents objectifs, selon les besoins de l’élève et leur disponibilité dans les écoles, et recouvrent des formes variées : la classe de formation préparatoire au travail, la classe de formation à un métier semi-spécialisé, la classe de cheminement particulier, la classe d’adaptation, la classe de présecondaire, la classe de soutien pédagogique, etc. Les résultats montrent deux discours chez les participants qui reconnaissent à la fois les bienfaits des classes spéciales, mais soulèvent aussi certains inconvénients.

Certains soulignent le fait que les enseignants s’y montrent plus disponibles et disposent de méthodes plus adaptées à leurs difficultés. Ces classes permettent aussi de faire augmenter leurs résultats scolaires et d’atteindre plus facilement leurs objectifs. C’est le cas de Rosalie qui a vécu plusieurs succès dans cette classe :

C’est durant cette année que j’ai réalisé que je pouvais avoir de bons résultats scolaires si je trouvais des moyens. J’ai eu mes premiers 100 % et j’ai reçu des certificats d’encouragement. Cela, ça a fait une différence. Je n’étais pas celle que je pensais être, une fille pas intelligente qui ne peut rien réussir. Rosalie

Pour Clément, les classes ordinaires ne sont pas adaptées pour tous les élèves et il serait mieux de les intégrer le plus tôt possible en classe spéciale, pour faciliter leur réussite.

Plusieurs participants reconnaissent leur besoin d’être dans une classe adaptée plutôt qu’en classe ordinaire :

En fait, ça m’a permis d’avancer. C’est sûr que ça a été difficile, mais si j’avais été dans le régulier, je ne me serais peut-être pas rendue au niveau secondaire que je suis en ce moment. Je serais peut-être en secondaire 2 ou 3, ça me peinerait vraiment beaucoup. Fait que oui, ça m’a permis d’avancer et mieux avancer. Surtout dans l’autre classe, je n’aurais jamais passé mon secondaire 2 sinon. C’est sûr, c’était dans des cahiers et c’était plus facile pour moi qu’une classe normale. J’ai mieux cheminé avec des classes spécialisées. On prenait plus le temps d’expliquer, il y avait plus d’encadrement. Ça l’a beaucoup aidé.

Jasmine

J’en avais vraiment de besoin, d’être dans une classe spéciale. Je n’aurais pas pu être au régulier. Jacob

Simon reconnait aussi la nécessité des classes spéciales, mais suggère l’intégration des élèves DA en classe ordinaire pour faciliter leur réussite avec l’entraide des élèves plus performants.

Ce qu’ils auraient pu faire aussi, c’est prendre les jeunes en difficulté, par exemple, ils les mettent à part parce qu’ils ne veulent pas qu’ils dérangent les autres, b’en pourquoi nous on se dérangerait entre nous autres alors ? Si tu as quelqu’un qui a une difficulté, qui est assis à côté de quelqu’un qui est calme, capable de se concentrer et qui est capable de bien t’expliquer, b’en là, tu as une classe quasiment parfaite. Simon

Cependant, d’autres participants ont apprécié être rassemblés avec des élèves qui ont eux aussi des difficultés. Il était plus facile de développer des liens et un sentiment d’appartenance. Julie, souligne avoir gagné confiance en elle dans ces classes, puisqu’elle se comparait moins avec les autres élèves.

Pour certains, faire partie de ces classes spéciales a nui aux relations avec les autres élèves de l’école. Jacob se souvient qu’il était plus facile de s’intégrer avec les élèves de sa classe spéciale et moins avec ceux du « régulier », puisqu’il ressentait un jugement de leur part. Pour d’autres, le fait d’être en classe spéciale pouvait les amener à se sentir différents. Jacob et Simon se souviennent des classes spéciales qui portaient des noms, contrairement aux classes ordinaires. Dans le cas de Simon, l’école a placé dans un même couloir les

classes spéciales. Il s’est senti étiqueté par ses difficultés pour cette raison, ce qui a pu renforcer les croyances des pairs envers lui. Le cas de Simon montre sa perception d’une faible attente de succès de la part de l’institution :

Ils m’ont envoyé dans des classes spécialisées, CC1, Cours de cheminement particulier. Ce couloir-là, tout le monde avait le nom, c’était le couloir des retardés. Tu sors de là, tu as une étiquette dans le front. (...) Les classes à cheminements particuliers. Je n’appelle pas ça un cheminement, j’appelle ça juste particulier. C’est pour des « particuliers ». Ils ont dû se dire selon moi, tu as un petit espace dans toute l’école secondaire pour ces personnes-là… cette catégorie-là et le reste de l’école, c’est toute du monde régulier. Comment tu es vu par eux ? C’est plate le mot, de l’entendre, mais tu es vu comme de la merde. Il s’est ramassé là parce qu’il est mauvais à l’école et il ne fera rien de sa vie...

Simon

C’est davantage dans un contexte de « classe spéciale » que l’élève s’est senti exclu ou discriminé par l’institution en raison de ses difficultés. Jacob a été déçu de s’être fait refuser sa participation aux activités parascolaires de son école, puisqu’il n’était pas un élève de classe ordinaire. Clément a aussi partagé son expérience avec une conseillère d’orientation de son école qui lui a fait comprendre qu’il ne pouvait recevoir des services d’orientation, car il ne faisait pas partie d’un groupe d’élèves prioritaire:

La seule affaire qu’elle a faite à la fin, elle m’a dit, tu n’es pas la priorité. Elle m’a dit que le monde qui sont plus en priorité ce sont ceux en secondaire 5. Donc encore là, c’est dans l’optique de nous mettre de côté. Pour eux, c’était plus important le monde de secondaire 5. Fait que nous autres, c’est quoi qu’on était pour eux ? Clément

La faible attente de succès a également été perçue par des participants qui ont été en classe spéciale du type « cheminement particulier de formation continue », « formation préparatoire au travail » ou « formation à un métier semi-spécialisé ». Ces trois formations ne permettent pas de cheminer au secteur régulier vers l’atteinte du diplôme d’études secondaires. Les élèves ont alors ressenti une impression de « perte de temps ». Simon et Laurence se sont sentis pénalisés dans leurs apprentissages puisqu’ils n’avaient pas les mêmes cours qu’au cheminement régulier. Laurence croit que cela a pu diminuer sa motivation et son envie de poursuivre sa formation. Une déception, voire une frustration, a été rapportée par quelques participants concernant leurs possibilités limitées en emploi, par

la suite. Clément a l’impression, encore aujourd’hui, de faire partie d’une « sous-classe », depuis le moment où il a été intégré dans ces classes.

Pour Jasmine, avoir intégré une classe spéciale a d’abord été une déception puisqu’elle voulait paraitre « normale » :

J’étais comme, ok j’ai regardé les élèves et je me disais, mon dieu qu’est-ce que je fais là ? Pourquoi je me suis ramassée là ? J’étais un peu désespérée en fait. Je me suis dit, est-ce que je vais être pognée dans des classes de même tout mon secondaire, sérieusement ? (...) J’étais juste contente de retourner au régulier, de me dire je suis normale finalement. Au moins, j’étais heureuse d’être avec des gens normaux ou presque normaux. Jasmine

L’étiquetage des élèves qui fréquentent ces classes spéciales est aussi perçu par ceux qui ne les ont jamais intégrés. Ces participants se montrent heureux de ne pas avoir fait partie des classes spéciales, de ne pas avoir été « voués à ne pas être bon », ni d’avoir été catégorisés par les autres élèves. C’est le cas d’Anna qui croit peu au potentiel de ces classes :

Moi, j’y crois pas à ces classes adaptées là. Je ne sais pas pourquoi, mais je sens qu’on fait juste leur faire croire qu’ils vont aller plus loin qu’ils le peuvent.

Anna