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LA PRISE EN CHARGE DES MNA, UN RÉVÉLATEUR DE PARADOXES

ENTRETIEN AVEC UN RESPONSABLE DE L’ASE

2. Les orientations politiques du département

Quel regard porte votre département sur la politique nationale d’évaluation, de mise à l’abri et d’accompagnement des MIE (circulaire du 31 mai 2013) ?

Le principe de la répartition nationale et de l’évaluation est une bonne chose, formalisée dans la circulaire du 31 mai 2013. Il permet d’accueillir ce public dans de bonnes conditions mais nous n’avons pas assez de moyens pour accueillir tous ces jeunes MIE, qui s’ajoutent à ceux relevant traditionnellement de l’ASE, lesquels étaient déjà en attente de placement.

Avant la circulaire, notre département n’accueillait quasiment pas de MIE, hormis quelques jeunes Marocains, Algériens et Tunisiens qui arrivaient via l’Espagne, transitaient une ou deux nuits sur notre territoire et partaient pour Marseille, où ils étaient accueillis par l’association Jeunes Errants, déjà implantée dans les Bouches-du-Rhône depuis longtemps.

Avec le nouveau dispositif, un effet d’« appel d’air » est en train de se produire puisque de plus en plus de jeunes arrivent directement ici pour être évalués. On peut penser qu’il s’agit d’un phénomène de réseaux qui ont eu connaissance de ce nouveau dispositif.

C’est une hypothèse sous tendue par l’arrivée d’une dizaine de jeunes Algériens d’un même village, il y a deux ans.

Par ailleurs, le mode de calcul de la répartition est discutable. Je déplore que l’État n’ait pas pris en compte les spécificités des territoires – dont l’ensemble de l’activité socio-économique des départements – mais qu’il se soit limité uniquement au seul effectif de la population en dessous de 19 ans. Or notre département est très précaire, parmi les trois premiers départements à compter le plus grand nombre de bénéficiaires du RSA.

Également il est confronté à l’arrivée importante de familles tchétchènes, roumaines, roms, qui rentrent dans les dispositifs d’accueil de la protection de l’enfance.

Sur le période d’évaluation, je constate avec regret que nombreux départements, notamment « les gros fournisseurs » se pressent d’évaluer ces jeunes pour les sortir au plus vite de leur territoire, par le biais de la répartition. Ils utilisent les cinq jours financés par l’État mais pas au-delà, de sorte que les mineurs soient transférés sans attente à l’issue des cinq jours dans le département de répartition afin que leur prise en charge n’incombe pas aux dépenses du département d’origine. Du coup, on récupère des évaluations de piètre qualité sinon « fausses », car les travailleurs sociaux ne se donnent pas la peine ou les moyens de vérifier les états civils et l’âge réel du jeune.

Heureusement ici on a une équipe de deux éducateurs du Foyer de l’enfance, chargés de cette mission depuis le début de la circulaire qui font un travail remarquable.

Comment cela s’est traduit en termes d’orientation ou de doctrine particulière au regard de la protection de l’enfance et en termes de déclinaison du dispositif ?

Au tout début de l’application de la circulaire, on n’avait pas de doctrine vraiment pensée par le département car les effectifs étaient relativement marginaux (20 à 30 jeunes sur les tous premiers mois). Les MIE étaient alors dispatchés sur les structures classiques de la protection de l’enfance, familles d’accueil et MECS, (huit ou neuf jeunes se trouvent encore actuellement dans ces structures). Ils ont alors bénéficié d’un accompagnement classique comme « les autres », c’est-à-dire pas grand-chose, ce qui a résulté en des parcours scolaires un peu bancals et des recherches d’insertion professionnelle un peu compliquées.

De plus, le profil particulier de ces jeunes a suscité un fort attachement, de l’empathie de la part des ASFAM et des TMS des centres médico-sociaux ou les ES des MECS et FDE. En effet, ces professionnels étaient en difficulté pour sortir du dispositif des jeunes à la majorité qui n’étaient pas régularisés. Le département a voulu stopper ce phénomène pour éviter l’embolisation du système et l’implication d’associations militantes dans ces situations.

Face à ces problématiques et à la montée en charge des effectifs, le département a alors décidé de mettre en place des outils plus spécifiques pour faciliter des sorties plus rapides du dispositif de la protection de l’enfance (afin d’éviter un phénomène d’engorgement et de saturation) en confiant la gestion et le suivi des nouveaux arrivants au service central de l’Action sociale et de la protection de l’enfance plutôt que de les confier aux agents sur les territoires. Et en créant une structure ad hoc en lien avec le FDE, il y a deux ans : le groupe AMI sur le Foyer départemental de l’enfance.

Ce service est dédié uniquement à l’accueil éducatif de jour de ce public avec un tarif de journée calculé au plus bas : 50 euros par jeune par jour ; pour une capacité de 45 places de MIE âgés de 16 à 18 ans ; encadrées par 4 ES ; hébergés en FJT ; repas fournis par les associations caritatives. C’était un dispositif expérimental jusqu’à fin 2015 qui va être pérennisé. Mais le service est déjà saturé, puisque quelques jeunes sont hébergés en attente sur le groupe de vie du FDE et 19 sont hébergés en hôtel. La sortie des 10 à 15 JM

du groupe AMI à compter du 1er février 2016 ne permettra pas d’intégrer tous ceux en attente.

Il a donc été décidé très récemment d’internaliser le suivi des jeunes majeurs et des mineurs les plus autonomes (c’est-à-dire ceux qui bénéficient d’un contrat d’apprentissage et ne nécessitent pas un suivi renforcé) par le service central du département, avec mise à disposition d’un travailleur social.

La doctrine du département a donc été de ne pas utiliser les MECS contrairement à d’autres départements, de penser un dispositif d’accueil isolé de celui plus traditionnel de la protection de l’enfance et d’offrir des prestations peu attirantes avec une prise en charge la plus rapide possible afin d’éviter l’embolisation et l’effet « appel d’air » auprès des filières.

Avec la possibilité de proposer un contrat de trois mois aux jeunes majeurs détenteurs d’un titre de séjour pour s’assurer de leur capacité d’autonomie avant de mettre fin à la prise en charge.

3. Comment envisagez-vous les évolutions de cette problématique au niveau départemental ? Quelle vision en avez-vous ? S’agit-il d’un phénomène conjoncturel ? Ou pensez-vous au contraire que l’arrivée de ce public va se pérenniser ? Le cas échéant, comment le département envisage-t-il de prendre en compte cette situation ?

Nous n’avons aucune vision à moyen terme ; on court après le système, les places étant déjà saturées. Chaque année, l’écart se creuse entre les arrivées et les places disponibles.

On essaie de trouver des solutions : ce fut la création du groupe AMI, puis dernièrement l’internalisation des JM et des apprentis, mais il va falloir trouver une troisième solution, avec aucun budget supplémentaire, on est obligé de bricoler au fur et à mesure.

Je m’interroge sur la manière dont les budgets nationaux sont répartis quand on voit notamment que la plupart des CER [Centre éducatif renforcé] / CEF [Centre éducatif fermé] sont quasiment vides.

On bricole, on fait avec des moyens insuffisants mais cela est risqué en termes de responsabilité avec les 19 mineurs actuellement en hôtel.

Il y aurait peut-être possibilité de solliciter des fonds européens mais sur des projets très limités, ce qui resterait insuffisant.

Je ne sais pas où on va, mais on trouvera toujours des solutions, en misant sur les flux avec un éventuel rééquilibrage entre entrants et sortants, mais force est de constater que le compte n’y est pas pour l’année 2016 puisque 36 sortants sont prévus pour plus d’une quarantaine d’arrivées.

On a le sentiment de ne pas être suffisamment entendus par les autorités au niveau national. En même temps, à force de bricoler, l’activité réelle est moins visible sur les lignes budgétaires.

Mais on ne tapera pas du poing sur la table car on sait bien qu’il faut trouver un équilibre budgétaire compte tenu de tous les demandes sociales auxquelles le département doit faire face.

4. Finalement, considérez-vous que ce soit un public qui relève de la