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DE LA PROTECTION DE L’ENFANCE

MNA DEMANDEURS D ' ASILE EN E UROPE

3.4. Enjeux de l’accompagnement des MNA pour les acteurs de la protection de l’enfance

3.4.1. Besoins des MNA

La plupart des responsables des services et établissements se représentent les MNA comme des jeunes volontaires, motivés, ne présentant pas de trouble de comportement majeur et qui de ce fait sont susceptibles de générer un climat plus apaisé dans des institutions aux prises avec des jeunes qui s’opposent souvent à la prise en charge. De ce fait, il est une croyance assez répandue que l’encadrement éducatif, comme nous l’avons vu lors du paragraphe précédent, peut être allégé. Cette vision réductrice masque une autre réalité que les équipes de terrain appréhendent avec plus d’acuité.

En effet, les besoins des MNA en termes d’accompagnement ne se limitent pas aux seules questions de la régularisation et de l’insertion professionnelle. Ils sont plus complexes et nécessitent du temps et des connaissances spécifiques.

Comme en témoignent avec expérience certains travailleurs sociaux, enseignants FLE, psychologues et chefs de services, les MNA ont avant tout besoin d’être rassurés sur leur devenir et sur la situation de leur entourage familial resté dans le pays d’origine. La barrière de la langue et les décalages culturels peuvent générer des incompréhensions mutuelles et de la méfiance, voire de la suspicion, si suffisamment de temps n’est pas accordé aux échanges entre les jeunes et les intervenants. Les entretiens sont donc chronophages qu’ils soient conduits ou non en la présence d’interprètes. En effet, malgré leur débrouillardise et maturité, liées à leurs expériences de vie, ces jeunes ont besoin d’être accompagnés dans l’apprentissage des codes sociaux, de la culture et le repérage des fonctionnements institutionnels du pays d’accueil.

Il en est de même pour les multiples démarches administratives dans les consulats, préfectures et à l’OFPRA avec des déplacements parfois éloignés et couteux, de longues files d’attente pour l’obtention des documents d’état civil depuis les pays d’origine.

À cela, il convient également d’apporter une attention particulière à la dimension de la santé physique et psychique. En effet, certains jeunes présentent des pathologies, parfois lourdes, jusqu’alors méconnues des professionnels peu habitués à ce public. Les jeunes qui ont vécu des conflits, subis des violences dans leurs familles, ou lors de leurs parcours migratoires présentent des traumatismes que les professionnels n’identifient pas nécessairement de prime abord. Cette souffrance psychique et affective importante se traduit bien souvent, quelques temps après son installation dans la MECS, par un contrecoup émotionnel chez le jeune, lié au deuil de la famille à faire, aux missions de réussite sociale qui lui incombent et à l’impossibilité de retour au pays en cas d’échec.

Happées par l’urgence des démarches administratives, les équipes n’accordent une attention à cette dimension que plus tardivement. L’accompagnement est donc complexe à mener sur le plan psychique. Les risques de décompensation, d’auto-agression sont à envisager, compte tenu de la forte culpabilité du jeune. En revanche, rares sont les violences hétéro-agressives constatées à ce jour sur les MECS que nous avons interrogées.

L’inscription dans un parcours scolaire ou de formation nécessite également des démarches spécifiques auprès des partenaires et des enjeux majeurs comme l’obtention de l’autorisation de travail pour les jeunes s’engageant dans la voie de l’apprentissage.

Ces jeunes ne sont pas toujours aptes à poursuivre une scolarité classique sans aménagement du fait de la différence de langue ou d’un faible niveau scolaire.

Enfin, comme le soulignent les professionnels des MECS, ces enfants n’ont d’autre appui éducatif en France que la présence des travailleurs sociaux. « Ce sont des enfants qui sont toujours tout seul, 365 jours sur 365 jours », à la différence de leurs pairs français qui retournent dans leur famille lors des weekends et vacances scolaires. Ces professionnels se sentent de fait mis à une place particulière, tiraillés entre la

toute-puissance que leur confèrent ces jeunes « qui [les] sollicitent pour tout », en l’absence de leurs parents sur le territoire 63, et l’impuissance qu’ils ressentent face à la complexité, notamment administratives, de leurs situations parfois inextricables.

Ce qui fait dire à Jonathan Ahovi 64, pédopsychiatre, chercheur à l’INSERM à l’unité psychopathologique de l’adolescence et chef de service à la Maison des adolescents à Dijon, que les MNA ont besoin de trouver ce qu’il appelle des « co-mères », sorte de substitut à la fonction maternelle pour pouvoir faire face aux ruptures familiales qu’engendre l’exil. Il préconise ainsi, pour éviter des ruptures supplémentaires, que les entretiens éducatifs ou thérapeutiques soient toujours conduits dans la langue maternelle, ce qu’il compare au « souffle de la mère », au regard du parent.

Pour ce chercheur et thérapeute en consultation transculturelle, ces jeunes qui n’arrivent que rarement seuls, plutôt accompagnés d’autres pairs, « en bande, avec un copain », développent des liens très forts entre eux, qui viennent suppléer les liens familiaux et constituent une force majeure pour eux. Les priver de ces liens au moment de leur prise en charge à l’ASE constitue de nouvelles ruptures qui peuvent s’avérer préjudiciables pour ces jeunes sur le plan affectif. J. Ahovi s’intéresse à ce dont ces jeunes ont besoin pour continuer de grandir. La réponse est assez évidente : être protégé et apaisé. Pour autant, la mise en œuvre de ce principe semble beaucoup moins évidente.

Pour les équipes éducatives, les besoins des MNA sont en effet perçus comme élevés et complexes contrairement au discours ambiant et surtout en inadéquation avec les moyens alloués par les collectivités pour y répondre. Pour les MECS les plus expérimentées, il y a nécessité de se battre contre une idée communément répandue selon laquelle la prise en charge des MNA est vectrice de paix sociale dans l’institution.

63 Paroles d’un moniteur éducateur d’une MECS gardoise

64 URIOPSS Bourgogne – Franche-Comté, Journée d’animation régionale, 27 mai 2016, op. cit.

Ces lieux communs nient la complexité des accompagnements à mettre en place notamment sur le plan de la santé mentale et physique.

Au final, les MECS insistent sur le fait que ces accompagnements chronophages nécessitent des compétences spécifiques, et génèrent beaucoup de pressions pour un aboutissement incertain des démarches entreprises.

Mais, comme le rappelle Ravi Kholi, il ne faut pas oublier qu’au-delà de tous ces éléments spécifiques, « ces enfants et adolescents ont des besoins simples et similaires aux jeunes de leur âge (avoir des amis, pratiquer leur religion, étoffer leur réseau social, faire du sport, s’amuser) qui doivent également être pris en compte pour leur offrir l’opportunité de se sentir vraiment accueillis et en sécurité dans leur pays de séjour 65. »

Les compétences reconnues de ces jeunes, à savoir leur débrouillardise, maturité, autonomie, stratégie de survie, capacité d’adaptation, désir d’apprendre et d’intégration, permettent cependant aux équipes de relativiser leurs propos. En effet, le travail auprès de ce public est de manière quasi unanime perçu comme enrichissant et gratifiant, mais comme nous allons le voir plus précisément dans le paragraphe suivant, les missions éducatives traditionnelles se trouvent néanmoins déstabilisées par la prise en charge de ce public.