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LA PRISE EN CHARGE DES MNA, UN RÉVÉLATEUR DE PARADOXES

4.1. Un cadre légal et des politiques publiques en contradiction

Le statut d’étranger sans référent légal de ces jeunes migrants, auquel se rattachent des cadres législatifs distincts de ceux de la protection de l’enfance, amène les institutions à mettre en place des modalités d’accompagnement différentes, parfois au mépris du droit de ces jeunes.

« Le double versant juridique qui la caractérise (mineur privé d’assistance et de protection de ses représentants légaux méritant protection institutionnelle vs personne étrangère susceptible de bénéficier des prestations sociales et de s’intégrer dans le

marché du travail) perturbe par son antagonisme l’action des autorités étatiques chargées de leur accueil et de leur prise en charge 87. »

Les travaux précédents en 2010 88 et 2013 89 de Daniel Hernández Senovilla, chercheur à l’Observatoire sur la migration des mineurs de MIGRINTER, mettent en évidence que les politiques des états européens privilégient un traitement juridique des MNA centré sur leur condition d’étranger plutôt que sur celle d’enfant en danger 90. En effet, bien que les MNA soient accueillis par les services de protection de l’enfance, les autorités compétentes en matière d’immigration et d’asile limitent les perspectives d’installation durable en restreignant les délivrances de titres de séjour ou l’octroi du statut de réfugié.

Face à ces probabilités, nous l’avons vu dans notre étude, les acteurs de la protection de l’enfance sont en difficulté pour élaborer avec ces jeunes des projets qui risquent d’être remis en question dès leur majorité prononcée.

Dans cette logique où les politiques de contrôle migratoire prennent le dessus sur la protection des mineurs non accompagnés ou isolés étrangers, leurs droits sont souvent bafoués tout au long du parcours qu’ils doivent subir dès leur arrivée sur le territoire d’accueil. Ces derniers doivent en effet surmonter plusieurs épreuves pour faire valoir leur condition d’enfants à protéger. Ils se retrouvent en effet parfois privés de liberté, en centre de rétention dans les zones aéroportuaires, alors que la Convention relative aux

87 SENOVILLA HERNÁNDEZ Daniel, « Analyse d'une catégorie juridique récente : le mineur étranger non accompagné, séparé ou isolé », éd. cit.

88 SENOVILLA HERNANDEZ Daniel, « Mineurs étrangers non accompagnés et séparés en Europe : une analyse comparative de l’application de la Convention internationale des droits de l’enfant dans six pays », Migrations et Sociétés, n°22, 2010, pp. 99-114

89 SENOVILLA HERNANDEZ Daniel, Mineurs Isolés Étrangers et sans protection en Europe, projet PUCAFREU, coordonné par MIGRINTER-CNRS-Université de Poitiers, 2013, 128 p.

90 « Les recherches doctorales de D. Sénovilla Hernández (2005-2010) ont porté sur la comparaison du traitement juridique et de la situation des mineurs isolés étrangers dans six états européens.

Entre 2011 et 2013, DSH a assumé la coordination scientifique et le pilotage du projet européen PUCAFREU – Promouvoir l’accès aux droits fondamentaux des mineurs isolés étrangers en Europe : www.pucafreu.org Il est actuellement responsable d’un projet de création d’un Observatoire de la migration de mineurs (OMM : www.omm.hypotheses.org) et responsable scientifique de la recherche en France dans le cadre du projet européen MiNAs autour de la notion d’intérêt supérieur de l’enfant appliquée aux mineurs migrants. » Biographie de D. Sénovilla Hernández in La Recherche à MIGRINTER, disponible sur https://migrinter.hypotheses.org/credits/z-2/daniel-senovilla-Hernandez

droits de l’enfant n’autorise cette pratique qu’en dernier ressort (en l’absence d’autres options alternatives) et sur une période de temps la plus courte possible. Or, la France a été condamnée plusieurs fois par la Cour européenne pour non-respect de ce droit. Ce qui fait dire à D. Senovilla Hernández que contrairement à ce que préconise l’échelle des normes juridiques, la souveraineté des états européens en arrive à primer sur les traités internationaux.

Une fois que les MNA / MIE sont autorisés à entrer sur le territoire français, ils doivent convaincre les autorités de leur minorité et isolement, deux éléments déterminants et constitutifs de leur catégorie juridique, qui sont quasi systématiquement remis en cause.

Le soupçon prévaut sur leur vulnérabilité et l’inconditionnalité de l’accueil. Ceux considérés comme majeurs se retrouvent sans protection, en situation d’errance, et sans droit, rejoignant le lot des adultes sans papiers.

Les constats établis à partir de notre recherche en Languedoc-Roussillon se retrouvent à l’échelle parisienne concernant la mise en place « d’une sous-catégorisation discrétionnaire qui vise à séparer les ‘mineurs isolés’ en deux groupes : ceux considérés être âgés de moins de 16 ans et qui sont envoyés aux services de protection de l’Aide sociale à l’enfance pour une prise en charge ‘classique’ et ceux évalués comme étant de plus de 16 ans qui sont simplement ‘mis à l’abri’ » selon D. Hernández Sénovilla (2014 91). Autrement dit, dans des hôtels, appartements en colocation avec un accompagnement éducatif minimal.

Ce type de dispositif mis en place pour éviter la saturation des services de l’ASE est contraire au principe de non-discrimination de la Convention relative aux droits de l’enfant parce que cette pratique établit « un traitement restrictif fondé sur le fait que le mineur soit d’un âge plus ou moins proche de la majorité 92. »

Cette politique de contrôle de la minorité et sa non reconnaissance conduit également à l’émergence d’une autre catégorie sociale mais sans existence juridique, et pour laquelle

91 SENOVILLA HERNANDEZ Daniel, « Analyse d'une catégorie juridique récente : le mineur étranger non accompagné, séparé ou isolé », éd.cit., p. 23

92 Op.cit.

deux néologismes sont apparus successivement dans le champ d’intervention, à savoir : les « mijeurs ou migrerrance » qui viennent gonfler les effectifs de la catégorie des adultes illégaux. Il s’agit là de l’apparition d’une catégorie forgée par les acteurs pour permettre l’action en faveur d’un public qui n’entre dans une aucune catégorie légale.

Enfin, les MNA doivent également convaincre les autorités de leur isolement, c’est-à-dire de l’absence de référents parentaux sur le territoire national. Or, lorsqu’ils sont accueillis par des membres de la famille élargie, pourtant sans délégation d’autorité parentale ou sans tutelle, ils se retrouvent en difficulté pour faire valoir leur isolement.

En effet, Daniel Hernández Senovilla souligne que les autorités de protection de l’enfance prennent rarement la peine de s’assurer des conditions de vie de ces jeunes, qui peuvent parfois s’avérer inadéquates voire maltraitantes, frôlant des situations d’exploitation. Par exemple, ces jeunes peuvent être contraints de travailler pour contribuer aux charges familiales ou rembourser la dette migratoire. Ces situations passent bien souvent inaperçues car les services de l’ASE ne se donnent pas les moyens d’évaluer leur sécurité et certains jeunes se retrouvent parfois en errance à l’issue de rupture d’accueil familial.

Au final, comme le souligne ce chercheur, on perçoit que ces pratiques de filtrage, induites par les politiques d’immigration, produisent « une catégorie sociale de jeunes exclus du bénéfice de la protection de l’enfance ainsi que de tout autre droit reconnu aux mineurs de 18 ans 93. »

4.2. Des départements en difficulté pour mettre en œuvre l’ensemble de leurs