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Les obligations alimentaires étatiques vs les clauses d’expropriation

Section 2.- Les symptômes des conflits de normes sur les opérateurs

A.- Les obligations alimentaires étatiques vs les clauses d’expropriation

194. La relation entre les obligations alimentaires et les clauses d’expropriation recouvre un caractère conflictuel (1°). Les théories classiques permettant de résoudre des éventuels litiges entre le droit de l’alimentation et le droit international des investissements n’apparaissent pas nécessairement adaptées. C’est la raison pour laquelle de nouvelles voies ont été envisagées (2°).

1°) Le caractère conflictuel des clauses d’expropriation et du droit de l’alimentation

195. La difficulté traditionnellement mise en lumière dans les différends liés à l’expropriation réside dans l’identification d’une mesure ayant un effet équivalent à une expropriation, notamment le fait de savoir à partir de quel moment la réglementation bascule dans le régime soumis à l’expropriation. Partant, après s’être intéressé à la notion d’expropriation (a), nous porterons une appréciation critique des théories permettant la résolution des différends entre le droit de réglementation des États et les droits des investisseurs (b).

a) La notion d’expropriation.

196. En principe, l’Etat agit au nom de l’intérêt général. Partant, après la détermination de l’expropriation indirecte, il s’agit de savoir si une mesure prise par l’Etat en vertu de la sécurité alimentaire portant atteinte à la propriété d’un investisseur conduit à l’exonérer de son obligation d’indemnisation. S’il s’agit bien d’une atteinte à son droit de propriété sous le prisme de l’investisseur, il n’en reste pas moins que sous l’angle de l’État, l’atteinte à l’investissement ne constitue que « la conséquence du prix que chacun doit payer à l’intérêt général470 ». C’est la raison pour laquelle deux théories ont émergé471 : la théorie de l’effet unique et la théorie des police powers. Selon que l’on adhère à l’une ou l’autre, la décision dans un litige portant sur la sécurité alimentaire et les investissements internationaux est susceptible de changer et de faire surgir des contradictions. Les deux doctrines apparaissent critiquables dans la mesure où l’une est susceptible d’être radicalement protectrice envers l’investisseur et l’autre envers l’État. Or, si l’objectif de la sécurité alimentaire demeure plus que légitime, le prix à payer ne devrait pas automatiquement conduire à l'anéantissement de l’investissement, sauf cas exceptionnel, lorsque ce dernier est si négatif et d’une gravité telle à l’encontre de la sécurité alimentaire qu’il n’existe aucune autre voie que sa disparition.

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A. DE NANTEUIL, Droit international des investissements, Pedone, 2017, p. 371.

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De manière non exhaustive, voy. p. ex sur la question : R. DOLZER et C. SCHREUER, Principles of International

Investment Law, OUP 2nd, 2012, spec. pp. 112-115 ; A. PELLET, « Police Power or the State’s Right to Regulate » in

M. KINNEAR, G. R. FISCHER, J. R. ALMEIDA, L. FERNANDA TORRES and M. URAN BIDEGAIN (dir.), Building

International Investment Law, The First 50 Years of ICSID, Kluwer Law International, Alphen, 2016, 447-462 ; C. TITI,

« Police Powers Doctrine and International Investment law », in F. FONTANELLI, A. GATTINI and A. TANZI (Eds),

General Principles of Law and International Investment Arbitration, Brill, 2018, pp. 323-343 ; A. NEWCOMBE, « The

Boundaries of Regulatory Expropriation in International Law, ICSID Review, Vol. 20, 2005, pp.1-57; B. MOSTAFA, « The Sole Effects Doctrine, Police Powers and Indirect Expropriation under International Law », Australian

International Law Journal, 2008, pp. 267-296; P-M. DUPUY et Y. RADI, « Le droit de l’expropriation directe et

indirecte », in Ch. LEBEN (dir.), Droit international des investissements et de l’arbitrage transnational, Paris, Pedone, 2015, spec. pp. 395-404 ; J. L. SAX, « Takings and the Police Power », Yale Law Journal, 1964, pp. 36-76.

197. L’identification d’une expropriation indirecte n’est pas aisée si l’on s’en tient à la jurisprudence arbitrale qui ne parvient pas à un consensus. Lorsque le cas d’une expropriation indirecte se pose à un tribunal arbitral d’investissement, les arbitres peuvent interpréter la notion de manière extensive ou restrictive. Dans cette dernière hypothèse, les arbitres peuvent ainsi préférer observer une violation de la norme de traitement juste et équitable plutôt que de caractériser une expropriation indirecte472. Au fil du temps, les tribunaux arbitraux ont fondé leur décision sur différents critères en vue de justifier l’absence ou la présence d’une expropriation indirecte. Derrière cette décision, les arbitres apprécient le degré de prise en compte de la sécurité alimentaire dans le droit international des investissements selon l’intensité accordée au pouvoir de réglementation de l’Etat.

198. Les investisseurs jouissent d’un droit de propriété cristallisé dans le socle des droits de l’Homme et dont découle notamment le droit à une protection contre les expropriations des Etats. En 1962, la Résolution 1803 (XVII) des Nations Unies portant sur la souveraineté permanente sur les ressources naturelles consacrait déjà un droit à la nationalisation, l’expropriation ou la réquisition en vertu d’un motif d’utilité publique, de sécurité, ou d’intérêt national et à la condition de la réception par le propriétaire d’une indemnisation adéquate473. Jusqu’alors, les conflits ne portaient presque plus sur les expropriations directes qui traitaient surtout des nationalisations, il s’agissait principalement de s’intéresser aux expropriations indirectes474 et aux réglementations des investissements étrangers.

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Sur ce point, Voy. p.ex. CIRDI, Sempra Energy International c. Argentine, aff. n°ARB/02/16, sentence du 28 septembre 2007, § 300 : « It follows that it would be wrong to believe that fair and equitable treatment is a kind of

peripheral requirement. To the contrary, it ensures that even where there is no clear justification for making a finding of expropriation, as in the present case, there is still a standard which serves the purpose of justice and can of itself redress damage that is unlawful and that would otherwise pass unattended. Whether this result is achieved by the application of one or several standards is a determination to be made in the light of the facts of each dispute. What counts is that in the end the stability of the law and the observance of legal obligations are assured, thereby safeguarding the very object and purpose of the protection sought by the treaty », cit in R. DOLZER et C. SCHREUER, Principles of International Investment Law, Oxford UP, 2è ed, 2012, p. 117.

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Résolution 1803 (XVII) de l'Assemblée générale des Nations Unies, « Souveraineté permanente sur les ressources naturelles», 14 décembre 1962. Le point 4 prévoit que : « La nationalisation, l'expropriation ou la réquisition devront se fonder sur des raisons ou des motifs d'utilité publique, de sécurité ou d'intérêt national, reconnus comme primant les simples intérêts particuliers ou privés, tant nationaux qu'étrangers. Dans ces cas, le propriétaire recevra une indemnisation adéquate, conformément aux règles en vigueur dans l'Etat qui prend ces mesures dans l'exercice de sa souveraineté et en conformité du droit international. Dans tout cas où la question de l'indemnisation donnerait lieu à une controverse, les voies de recours nationales de l'Etat qui prend lesdites mesures devront être épuisées. Toutefois, sur accord des Etats souverains et autres parties intéressées, le différend devrait être soumis à l'arbitrage ou à un règlement judiciaire international ».

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De nombreux auteurs se sont penchés sur la notion d’expropriation indirecte, pour en déterminer et commenter ses critères, sa nature et ses effets. Dans le droit international, la notion d’expropriation en raison de la réglementation soulève des questions depuis de nombreuses années, voy. p.ex : G. CHRISTIE, « What Constitutes a Taking of Property Under International Law ? », BYBIL, 1962, pp. 307-338 ; R. HIGGINS, « The Taking of Property by the State : Recent Developments in International Law », RCADI, 1982, t. 176, pp. 261-392. Cette question des mesures expropriatrices et régulatrices est réapparue avec force dans le droit international des investissements spécifiquement, voy. p. ex parmi un grand nombre d’études sur la question et de manière non exhaustive: Y. NOUVEL, « Les mesures équivalant à une expropriation dans la pratique récente des tribunaux arbitraux », RGDIP, 2002, pp. 79-102. ; R. DOLZER, « Indirect

Pour revêtir le caractère de la licéité, il est nécessaire que l’expropriation intervienne dans un but d’intérêt public, qu’elle soit non discriminatoire, qu’elle relève d’une procédure régulière et qu’elle offre une compensation financière. Par ailleurs, l’exercice du pouvoir de réglementation de l’État vient dans certaines circonstances concurrencer les droits des investisseurs. Cet affrontement est particulièrement marqué sous le prisme de l’expropriation indirecte et est susceptible de ressurgir avec force dans l’hypothèse des croisements entre la sécurité alimentaire et l’expropriation directe s’agissant spécifiquement des investissements agricoles à grande échelle475. L’annexe 8-A du CETA476 distingue l’expropriation directe et indirecte :

a. une expropriation directe se produit lorsqu'un investissement est nationalisé ou exproprié directement d'une autre façon, par transfert formel d'un titre de propriété ou par saisie pure et simple;

b. une expropriation indirecte se produit lorsqu'une mesure ou une série de mesures d'une Partie ont un effet équivalent à une expropriation directe, en ce qu'elles privent substantiellement l'investisseur des attributs fondamentaux de la propriété de son investissement, y compris du droit d'user, de jouir et de disposer de son investissement, sans qu'il y ait transfert formel d'un titre de propriété ou saisie pure et simple.

199. En conséquence, si l’expropriation directe apparaît ne plus poser de difficultés particulières, au contraire, l’intérêt de l’expropriation indirecte n’a fait que grandir. Partons du constat que l’expropriation indirecte désigne l’application de mesures étatiques ne visant pas à déposséder l’investisseur de ses droits mais qui par l’effet des mesures prive en partie ou partiellement l’investissement de valeur. Dès lors, le pouvoir de réglementation de l’État conduit à l’expropriation

Expropriation of Alien Property », ICSID Review, Foreign Investment Law Journal, 1986, pp. 41-65 ; R. DOLZER, « Indirect expropriation: New developments ? », N.Y.U. Env. Law Journal, 2002, pp.64-93 ; L Y. FORTIER et S. DRYMER, « Indirect Expropriation in the Law of International Investment : I Know It When I See It, or Caveat Investor », ICSID Review, Foreign Investment Law Journal, Vol. 19, Issue 2, 2004, pp. 293-327 ; Ch. LEBEN, « La liberté normative de l’Etat et la question de l‘expropriation indirecte », in Ch. LEBEN (Dir.), Le contentieux arbitral

transnational relatif à l’investissement. Nouveaux développements, Paris, LGDJ, 2006, pp. 163-183 ; B. KUNOY,

Developments in Indirect Expropriation, case Law in ICSID, Transnational arbiration, The journal of world investment

and Trade, 2005, n°3, pp 467-491 ; S.H. NIKIÈMA, « Les mesures d’expropriation indirecte en droit international », in Le droit des rapports internationaux économiques et privés », Mélanges en l’honneur de Jean-Michel Jacquet, Lexis

Nexis, 2013, pp. 235-253 ; P.-M DUPUY et Y. RADI, « Le droit de l’expropriation directe et indirecte » in Ch. LEBEN (dir.), Droit international des investissements et de l’arbitrage transnational, Paris, Pedone, 2015, pp. 375-413 ; J. PAULSSON, « Indirect Expropriation : Is the Right to Régulante at Risk ? », Transnational Dispute Management, 2006; C. SCHREUER, « The Concept of Expropriation under the ETC and other Investment Protection Treaties »,

Transnational Dispute Management, 2005 ; A. RAJPUT, Regulatory Freedom and Indirect Expropriation in Investment Arbitration, Kluwer, 2018. Pour des thèses : S. ROBERT-CUENDET, Droits de l’investisseur étranger et protection de l’environnement. Contribution à l’analyse de l’expropriation indirecte, Martinus Nijhoff Publishers, 2010 ; A. DE

NANTEUIL, L'expropriation indirecte en droit international de l’investissement,Pedone, 2014 ; Sur la responsabilité de l’Etat et l’expropriation, voy par ex : J. HO, State Responsability for Breaches of Investment Contracts, CUP, 2018, spec. pp. 139-179.

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L’expropriation directe revient sur le devant de la scène concernant les questions de sécurité alimentaire notamment par le biais de la question contemporaine des investissements agricoles à grande échelle. Ces types d’investissement constituent une menace pour la mise en oeuvre de la sécurité alimentaire. Infra § 486 et s.

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Accord économique et commercial global entre le Canada, d’une part, et l’Union européenne et ses États membres, d’autre part (AECG ou dénommé ci-après CETA comme dans sa version anglaise), Journal Officiel de l’Union européen n° L 11 du 14 janvier 2017, signé le 30 octobre 2016. Son application provisoire a pris effet le 21 septembre 2017 mais ne concernait pas l’intégralité du Chapitre 8 portant sur l’investissement, et notamment la Section F portant sur le mécanisme de règlement des différends États/investisseurs. Le 30 avril 2019, la CJUE a déclaré que le mécanisme envisagé destiné à remplacer l’arbitrage Etat-Investisseur par un tribunal permanent était compatible avec le droit de l’Union. V. Communique de presse n° 52/19, Luxembourg.

indirecte et impose le versement d’une compensation. Sous l’angle de notre étude, la question est de savoir dans quelle mesure un Etat peut-il procéder à une prise de possession d’un bien sous le couvert de l’intérêt général alimentaire, et dans quelle mesure doit-on dédommager l'investisseur ? A ce titre, les accords d’investissements internationaux contiennent des dispositions de protection. Par exemple l’article 1110-1°) de l’ALENA477 protège les investisseurs contre des expropriations et prévoit :

(qu’) Aucune des Parties ne pourra, directement ou indirectement, nationaliser ou exproprier un investissement effectué sur son territoire par un investisseur d'une autre Partie, ni prendre une mesure équivalant à la nationalisation ou à l'expropriation d'un tel investissement («expropriation»).

Ensuite, il est inséré les exceptions :

« sauf pour a) pour une raison d'intérêt public ; b) sur une base non discriminatoire; c) en conformité avec l'application régulière de la loi et le paragraphe 1105 (1); et d) moyennant le versement d'une indemnité en conformité avec les paragraphes 2 à 6 ».

Dans la même optique, l’article 8. 12 - 1°) du CETA précise :

qu' « 1. Une Partie ne nationalise ni n'exproprie un investissement visé, directement ou indirectement, au moyen de mesures ayant un effet équivalent à une nationalisation ou à une expropriation ». Puis, viennent aussi les exceptions sauf « a. pour une raison d'intérêt public, b. en conformité avec l'application régulière de la

loi, c. de manière non discriminatoire, et d. moyennant le paiement d'une indemnité prompte, adéquate et effective 478 ».

200. De manière similaire, les traités bilatéraux d’investissement intègrent des clauses d’expropriation protectrices tels qu’en témoigne le modèle américain479 et chinois480. La notion de mesure d’effet équivalent à une expropriation a fait l’objet d’une riche jurisprudence ces dernières années481. En effet, les investisseurs introduisaient une requête devant un tribunal arbitral, en

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Article 1110-1°) de l’accord de libre-échange nord-américain (ALÉNA), entré en vigueur le 1er janvier 1994. Dans la même perspective, l’article 14.8 - 1°) de l’accord visant à remplacer l’ALENA par l’Accord entre le Canada, les États- Unis d’Amérique et les États-Unis Mexicains (ACEUM), signé le 30 novembre 2018 prévoit que : « 1. Aucune Partie ne

nationalise ni n’exproprie un investissement visé directement ou indirectement au moyen de mesures équivalentes à une nationalisation ou à une expropriation (« expropriation »), si ce n’est : a) à des fins d’intérêt public; b) de façon non discriminatoire; c) moyennant le versement d’une indemnité prompte, adéquate et effective, conformément aux paragraphes 2, 3 et 4; et d) dans le respect du principe de l’application régulière de la loi ».

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Les exceptions sont similaires à celles mentionnées dans l’ACEUM, accord visant à remplacer l’ALENA et dont la disposition sur les exceptions prévoit que

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Article 6. 1°) US Model BIT. Treaty Between the Government of the United States of America and the Government of [Country] Concerning the Encouragement and Reciprocal Protection of Investment (2012) : « 1. Neither Party may

expropriate or nationalize a covered investment either directly or indirectly through measures equivalent to expropriation or nationalization (“expropriation”), except: (a) for a public purpose; (b) in a non-discriminatory manner; (c) on payment of prompt, adequate, and effective compensation; and (d) in accordance with due process of law and Article 5 [Minimum Standard of Treatment](1) through (3) ».

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Article 4. 1°) China Model BIT. Agreement Between the Government of the People’s Republic of China and the Government of […] on the Promotion and Protection of Investments (2003) : « 1. Neither Contracting Party shall

expropriate, nationalize or take other similar measures (hereinafter referred to as “expropriation”) against the investments of the investors of the other Contracting Party in its territory, unless the following conditions are met: (a) for the public interests; (b) under domestic legal procedure; (c) without discrimination; (d) against compensation ».

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Voy.p. ex de manière non exhaustive. Pour des affaires ayant conduit à la responsabilité de l’État en raison une indirecte liée à la sécurité alimentaire : CIRDI, Compañia del Desarrollo de Santa Elena S.A. c. Costa Rica, aff. n°. ARB/96/1, sentence du 17 février 2000 ; CIRDI, Bernardus Henricus Funnekotter and others c. Zimbabwe, aff. n° ARB/05/6, sentence 22 avril 2009 ; CIRDI Metalclad Corporation c. Mexique, affaire n° ARB(AF)/97/1. Pour des

invoquant leur droit à une indemnisation sur la base d’une expropriation par le jeu de la mesure d’effet équivalent dès que l’Etat mettait en œuvre une politique publique d’altérer son droit de propriété482. Dans l’affaire Metalclad c. Mexique483, une entreprise américaine avait investi pour la construction d’une usine de traitements des déchets. L’acceptation du permis par les autorités fédérales s’était concrétisée en dépit de vives oppositions des autorités locales. Cela a conduit à une mesure de l’Etat qui entendait établir une zone écologique dans ce secteur, empêchant la construction de l’usine. Une requête fut introduite devant le CIRDI qui condamna le Mexique à une indemnisation pour une mesure d’effet équivalent à une expropriation. D’un côté il y a une mesure de protection environnementale prise par un Etat au nom de l’intérêt général et en vertu du respect des droits fondamentaux, de l’autre, un investisseur lésé qui voit une atteinte portée à son investissement pour l’intérêt public. Les organisations non gouvernementales ont vivement critiqué les montants élevés des indemnisations, notamment car l’action de l’Etat visait l’intérêt général484. Toutefois cette décision aura permis de garantir de manière effective la protection de l’investissement. Dans cette décision, une définition très souple de la notion d’expropriation a été précisée :

« elle comprend non seulement l’appropriation ouverte, délibérée et reconnue de biens telle que la saisie ou un transfert formel ou obligatoire de propriété en faveur de l’Etat d’accueil, mais également toute entrave indirecte ou incidente de l’usage de biens qui a pour effet de priver le propriétaire, pour tout ou pour une partie importante, de l’usage de son bien ou du bénéfice économique qu’il pouvait raisonnablement espérer en retirer, même si cette intervention n’est pas nécessairement faite au profit immédiat de l’Etat d’accueil485 ».

201. L’expropriation conduit à deux effets, la dépossession d’un bien à son propriétaire c’est- à-dire la privation de son droit de propriété, et le transfert de la propriété à l’Etat. Ainsi, il est constaté un transfert de propriété de la sphère privée vers la sphère publique486 au nom de l’intérêt général. Ce qui est visé est l’atteinte excessive, c’est-à-dire « celle qui est d’une magnitude suffisante pour provoquer une dépossession487 ».

sentences liées à la sécurité alimentaire n’ayant pas admis l’expropriation indirecte, voy. p. ex : CIRDI, Azurix Corp. c.

Argentin, aff. n° ARB/01/12, sentence du 14 juillet 2006 ; CNUDCI, Ethyl Corporation c. The Government of Canada,

sentence 24 juillet 1998 ; CNUDCI, Glamis Gold, Ltd. c. Etats-Unis, sentence 8 juin 2009 ; CIRDI, Consortium

Groupement L.E.S.I.- DIPENTA c. Algérie, aff .n° ARB/03/08, sentence du 10 janvier 2005 ; CNUDCI, Methanex Corporation c. Etats-Unis, sentence finale, 5 août 2005.

482

Y. NOUVEL, « Les mesures équivalant à une expropriation dans la pratique récente des tribunaux arbitraux », RGDIP, 2002, pp. 79-102.

483

CIRDI, Metalclad Corporation c. Mexique, affaire n° ARB(AF)/97/1, sentence du 30 août 2000.

484

A. PRUJINER, « L’expropriation, l’ALENA, et l’affaire Metalclad », International law forum du droit international:

the journal of international Law Association, 2003, vol 5, p. 215.

485

CIRDI, Metalclad Corporation c. Mexique, op cit., § 103.

486

A de NANTEUIL, « L’expropriation indirecte en droit international de l’investissement », Pedone, 2014, p. 44.

487

Y. NOUVEL, « Les mesures équivalant à une expropriation dans la pratique récente des tribunaux arbitraux », RGDIP, 2002, p. 88.

b) L’appréciation critique des critères de l’effet et de l’intention

202. L’application du critère de l’effet de la mesure conduit à la primauté de la norme liée à l’investissement international sur la norme alimentaire (i) tandis que la mise en œuvre du critère de l’intention est susceptible de générer une primauté de la norme alimentaire sur la norme liée à l’investissement (ii). Dans les deux hypothèses, on a assiste à l’exclusion d’une norme par le respect d’une autre.

i) L’appréciation critique du critère exclusif de l’effet de la mesure : l’affirmation du

droit de propriété des investisseurs par la négation de la sécurité alimentaire

203. La théorie de l’effet unique est fondée sur l’atteinte à l’investissement. Au cœur de la difficulté demeure l’identification de l’expropriation indirecte. En conséquence, une partie de la doctrine a préconisé de considérer l’effet de la mesure sur l’investissement en qualité de critère. La proposition apparaît radicale si le critère de l’effet agit comme critère exclusif de caractérisation de l’expropriation indirecte. L’idée de déterminer l’expropriation indirecte sur la base des effets sur les droits de propriété des investisseurs permet d’envisager une compensation dès lors qu’une mesure porte atteinte à l’investissement. La jurisprudence arbitrale Metalclad488 demeure certainement l’une des plus célèbres :

Thus, expropriation under NAFTA includes not only open, deliberate and acknowledged takings of property, such as outright seizure or formal or obligatory transfer of title in favour of the host State, but also covert or incidental interference with the use of property which has the effect of depriving the owner, in whole or in

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