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Section 1.- Les symptômes des conflits de normes dans le droit applicable

A.- La concurrence des normes

154. L’étude de la concurrence de la norme alimentaire et de celle liée aux investissements internationaux met en lumière des incohérences normatives (1°) accentuées par des relations hiérarchiques embryonnaires (2°).

1°) L’incohérence des normes

155. Dans certaines hypothèses, le pouvoir de réglementation de l’État sera remis en cause par une opération d’investissement, et plus spécifiquement, le droit de propriété de l’investisseur. C’est là l’un des points les plus sensibles du droit international des investissements. L’Etat, garant et responsable de la sécurité alimentaire de sa population, se retrouve parfois piégé et freiné par les traités bilatéraux d’investissements qu’il a lui-même signés alors qu’il souhaite mettre en œuvre une politique publique, notamment une politique publique alimentaire. Cette mise en œuvre peut s’effectuer en vertu d’un changement de législation nationale en vue d’améliorer une protection alimentaire ou à la lumière d’une obligation alimentaire internationale en vertu d’un traité relatif au droit humain qui viendrait s’opposer à un accord d’investissement international. L’opération d’investissement va constituer un obstacle à la réalisation de son obligation alimentaire. Il s’agit donc de situations où l’application d’une mesure étatique d’intérêt public porte atteinte au droit des investisseurs. Dès lors, le tribunal arbitral d’investissement, malgré lui, va opérer un choix entre la légitimité d’une politique publique alimentaire et le droit de propriété de l’investisseur. Si la production des normes est marquée par le sceau de l’État sur son territoire, cette idée apparaît bousculée par les traités bilatéraux d’investissement qui réglemente les opérations des investisseurs étrangers sur le sol de l’Etat hôte.

156. C’est ainsi qu’une « tension entre le droit produit par ces accords et le maintien de la souveraineté376 » demeure omniprésente. Dans ces circonstances, il est parfois observé l’existence de normes contradictoires applicables simultanément à une même situation. Par exemple, l’article 11 du PIDESC est susceptible d’entrer en contradiction avec une clause d’expropriation377 présente dans un accord d’investissement international. Dans le silence du traité, le droit à un niveau de vie suffisant prévu par le PIDESC et la protection du droit de propriété des investisseurs s’affrontent en n’indiquant pas expressément quel droit devrait primer. Dès lors, tout dépendra de l’interprétation donnée à cette situation par le tribunal arbitral d’investissement. Les arbitres ne reconnaîtront pas en tant que tel un conflit de normes. A l’appui de leur raisonnement, ils n’hésiteront pas à faire appel à la convention

376

S. BONOMO, Les traités bilatéraux relatifs aux investissements, entre protection des investissements étrangers et

sauvegarde de la souveraineté des États, Thèse, Presses Universitaires d’Aix-Marseille, 2012, p. 21.

377

Exemple de clause d’expropriation, article 1110. 1°) de l’ALENA intitulé Expropriation et indemnisation, 1994 : 1. Aucune des Parties ne pourra, directement ou indirectement, nationaliser ou exproprier un investissement effectué sur son territoire par un investisseur d'une autre Partie, ni prendre une mesure équivalant à la nationalisation ou à l'expropriation d'un tel investissement («expropriation»), sauf : a) pour une raison d'intérêt public; b) sur une base non discriminatoire; c) en conformité avec l'application régulière de la loi et le paragraphe 1105 (1); et d) moyennant le versement d'une indemnité en conformité avec les paragraphes 2 à 6 (…)

de Vienne. Dès lors, l’interprétation restrictive ou extensive d’une norme et la marge d’interprétation de l’arbitre378 sont des variables à prendre en considération dans l’issue de la décision.

157. Un exemple de contradiction d’ores et déjà soulevé entre les normes est celui de l’article 103 de la Charte des Nations Unies379 avec les articles 103 et 104 de l’ALENA380. L’article 103 de la Charte des Nations Unies381 prévoit la prévalence de ses dispositions en cas de conflit avec tout autre accord international. De son côté, l’article 103 de l’ALENA précise qu’en cas d’incompatibilité avec un autre accord, c’est l’ALENA qui prévaut382. Si un conflit survient, les deux accords affirment leur primauté. L’article 104 du même accord se prononce sur les rapports avec des accords susceptibles d’affecter la sécurité alimentaire par la voie environnementale383. Il est mentionné précisément quelques Conventions relatives à l’environnement384 qui prévalent sur l’accord d’investissement. Par une interprétation littérale, toutes situations alimentaires ou environnementales qui ne rentrent pas dans ce champ conventionnel semblent exclues385. Par une interprétation téléologique, il semblerait que l’esprit du texte soit de faire primer les situations relevant de l’environnement sur les règles économiques. Il reste toutefois précisé que la conformité aux obligations suppose de choisir le moyen le moins incompatible avec les autres dispositions du présent accord. Pour autant, rien n’indique dans

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De vives critiques relatives à l’importance des marges de manoeuvre d’interprétation des tribunaux arbitraux d’investissement ont émergé. Voy. p. ex. R. BACHAND, « Les affaires arbitrales internationales concernant l’Argentine : enjeux pour la gouvernance globale », RGDIP, 2010, pp. 316-317 : « (…) au moment de prendre une décision sur une affaire qui lui est soumise, un organe juridictionnel tel qu’un tribunal arbitral ouvrant dans le domaine de l’investissement a à des multiples reprises la possibilité de statuer en faveur de l’une ou de l’autre des deux parties en présence et que le résultat auquel il arrivera est loin de n’être déterminé que par des règles »

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Charte des Nations Unies, 26 juin 1945, 1 R.T.N.U. xvi (entrée en vigueur : 24 octobre 1945), art. 103.

380

R. BACHAND, M. GALLIÉ, S. ROUSSEAU, « Droit de l'investissement et droits humains dans les Amériques »,

AFDI, 2003, p. 605.

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Article 103 de la Charte des Nations Unies : « En cas de conflit entre les obligations des Membres des Nations Unies en vertu de la présente Charte et leurs obligations en vertu de tout autre accord international, les premières prévaudront ».

382

Article 103 de l’ALENA (1994) : « 1. Les Parties confirment les droits et obligations existants qu'elles ont les unes envers les autres aux termes de l' Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce et d'autres accords auxquels elles sont parties ; 2. En cas d'incompatibilité entre le présent accord et ces autres accords, le présent accord, sauf disposition contraire, prévaudra dans la mesure de l’incompatibilité ».

383

Article 104 de l’ALENA (1994) : « 1. En cas d'incompatibilité entre le présent accord et les obligations spécifiques

que prescrivent en matière de commerc a) la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d'extinction, faite à Washington le 3 mars 1973 et modifiée le 22 juin 1979, b) le Protocole de Montréal relatif à des substances qui appauvrissent la couche d'ozone, fait à Montréal le 16 septembre 1987 et modifié le 29 juin 1990, c) la Convention de Bâle sur le contrôle des mouvements transfrontières de déchets dangereux et de leur élimination, faite à Bâle le 22 mars 1989, dès son entrée en vigueur pour le Canada, le Mexique et les États-Unis, ou d) les accords visés à l'annexe 104.1, ces obligations prévaudront dans la mesure de l'incompatibilité, si ce n'est que toute Partie, qui, pour se conformer auxdites obligations, a le choix entre des moyens d'une égale efficacité et d'une accessibilité raisonnable, devra choisir le moyen le moins incompatible avec les autres dispositions du présent accord.2. Les Parties pourront convenir par écrit de modifier l'annexe 104.1 pour y inclure toute modification d'un accord mentionné au paragraphe 1, ainsi que tout autre accord en matière d'environnement et de conservation. »

384

L’article 104 alinéa 1 de l’ALENA cite les instruments juridiques suivants : la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction, le Protocole de Montréal relatif à des substances qui appauvrissent la couche d’ozone, la Convention de Bâle sur le contrôle des mouvements transfrontières de déchets dangereux et de leur élimination et les accords visés à l'annexe 104.1.

385

Voy. sur ce point l’analyse de R. BACHAND, M. GALLIÉ, S. ROUSSEAU, « Droit de l'investissement et droits humains dans les Amériques », AFDI, 2003, p. 605.

la jurisprudence arbitrale que les tribunaux privilégient la norme extra économique sur la norme économique. On semble d’ailleurs bien loin d’analyser les différends sous l’angle des conflits de normes et de l’appropriation d’une telle analyse téléologique.

158. Cette incompatibilité normative est révélatrice des contradictions profondes qui prédominent dans l’espace juridique actuel. Elle révèle la défaillance de coopération institutionnelle, comme si chaque catégorie de droit était élaborée de façon isolée en niant la complexité des normes et du monde qui l’entoure. La coordination normative du droit international des investissements avec la sécurité alimentaire doit passer par une promotion du droit à l’alimentation incluant des obligations étatiques strictes et un renforcement des instruments juridiques dans l’ordre international. Un glissement véritable des valeurs de la sécurité alimentaire dans les traités serait le premier pas pour imposer le respect de la sécurité alimentaire aux investisseurs et aux Etats. Mais pour l’heure, de nombreuses affaires386 révèlent des difficultés de contradiction des obligations internationales d’un Etat qui se retrouve face à un choix ardu entre le respect des droits humains et la nécessité d’honorer ses engagements relatifs aux dispositions économiques des traités bilatéraux d’investissements. A ce titre, dans l’affaire Azurix c. Argentine 387, l’Etat et l’investisseur avaient conclu un contrat de concession portant sur l’approvisionnement en eau de Buenos Aires. Les habitants se sont plaints de la qualité de service tandis que l’Etat a informé la population de l’interdiction de boire l’eau en raison d’un mauvais traitement de celle-ci et d’une contamination. Dans le même temps, l’investisseur soulignait la mauvaise qualité des infrastructures laissées et l’absence par l’Etat du respect de ses engagements. Dès lors, l’Argentine a résilié le contrat passé avec l’investisseur au nom de la sécurité alimentaire de sa population (article 11 et 12 du PIDESC). Par cette mesure, l’Argentine aurait violé les dispositions du traité bilatéral d’investissement et porté atteinte aux droits de propriété des investisseurs. Le tribunal arbitral a retenu la responsabilité de l’Argentine388. Dans une affaire comparable, les arbitres ont déclaré que ces obligations n’étaient pas « incohérentes, contradictoires et incompatibles »389.

386

CIRDI, Suez, Sociedad General de Aguas de Barcelona, S.A.and Vivendi Universal, S.A. c. Argentine, aff. n°. ARB/03/19, 2010 ; CIRDI, Pac Rim Cayman LLC v. El Salvador, aff n°. ARB/09/12 ; CIRDI, Metalclad Corporation c.

Mexique, aff. n° ARB/(AF)/97/1, 30 août 2000; CIRDI, LG&E Energie Corporation et consorts c. Argentine, aff. n°

ARB/02/01, 3 octobre 2006 ; CIRDI, Biwater Gauff (Tanzania) Limited c. Tanzanie, aff. n°ARB/05/22, 26 juillet 2008 ; CIRDI, Sempra Energy International c. Argentine, aff. n°ARB/02/16, 28 septembre 2007 ; CIRDI, CMS Gas

Transmission Co. c. Argentine, aff. n° ARB/01/8, sentence du 12 mai 2005.

387

CIRDI, Azurix Corp. c. Argentine, aff. n° ARB/01/12, sentence du 14 juillet 2006.

388

Infra § 303.

389

CIRDI, Suez, Sociedad General de Aguas de Barcelona, S.A.and Vivendi Universal, S.A. c. Argentine, aff. n°. ARB/03/19, Décision sur la responsabilité, 30 juillet 2010, § 262. (ancienne appelation : Aguas Argentinas, S.A., Suez, Sociedad General de Aguas de Barcelona, S.A.and Vivendi Universal, S.A). Cette affaire sera nommée ci-après Aguas Argentinas.

159. Les mesures prises par l’Argentine dans l’affaire Azurix comme dans d’autres s’inscrivent dans la volonté pour l’Etat d’honorer ses engagements en matière de droits humains, en accord avec les principes généraux qui composent la Charte des Nations Unies. Sans les mesures prises par l’Argentine, il apparaît que le droit d’accès à l’eau n’aurait pas été garanti par l’Etat et qu’une partie de la population se serait retrouvée privée de ce droit fondamental. Dans l’affaire Aguas Argentinas, portant également sur une confrontation entre le droit à l’eau et le droit de propriété des investisseurs, les arbitres, sans se prononcer sous le prisme d’une hiérarchie des normes ont déclaré que les obligations relatives au traité devaient être traitées de manière égale à celles des droits humains390. Quel est le bon positionnement lors d’une telle incompatibilité ? L’affirmation de l’égalité semble s’opposer à l’esprit de l’article 103 de la Charte des Nations Unies qui comme cela a d’ores et déjà été affirmé semblait vouloir faire prévaloir les dispositions de la Charte sur les autres accords391. Si l’ALENA a la primauté sur les dispositions des articles, il n’en est rien sur les principes généraux du droit ni sur le droit coutumier392. Aussi, l’article 53 de la Convention de Vienne dispose que :

Est nul tout traité qui, au moment de sa conclusion, est en conflit avec une norme impérative du droit international général. Aux fins de la présente Convention, une norme impérative du droit international général est une norme acceptée et reconnue par la communauté internationale des Etats dans son ensemble en tant que norme à laquelle aucune dérogation n’est permise et qui ne peut être modifiée que par une nouvelle norme du droit international général ayant le même caractère.

Dès lors, la question de savoir si le droit à l’alimentation appartient au droit international coutumier est cardinale.

160. Droit international coutumier et droit à l’alimentation. Le droit international coutumier est un élément important en droit international des investissements. L’article 31-3 c) de la Convention de Vienne sur le droit des traités prévoit qu’il sera tenu compte de toute règle pertinente de droit international applicable dans les relations entre les parties. Le fait de savoir si le droit à l’alimentation correspond à une norme coutumière est sujet à débat. Certains s’y opposent, par exemple en soulignant la répétition des violations à l’encontre du droit à l’alimentation empêchant celui-ci d’être considéré comme une véritable source coutumière393. En revanche, la FAO considère

390

CIRDI, Aguas Argentinas c. Argentine, op. cit., § 262 ; « Argentina is subject to both international obligations, i.e. human rights and treaty obligation, and must respect both of them equally. »

391

R. BACHAND, M. GALLIÉ, S. ROUSSEAU, « Droit de l'investissement et droits humains dans les Amériques »,

AFDI, 2003, p. 605; J-P. JACQUÉ, « Droit constitutionnel national, Droit communautaire, CEDH, Charte des Nations

Unies . L'instabilité des rapports de système entre ordres juridiques», Revue française de droit constitutionnel 1/2007 (n° 69) , p. 32

392

R. BACHAND, M. GALLIÉ, S. ROUSSEAU, « Droit de l'investissement et droits humains dans les Amériques »,

AFDI, 2003, p. 605.

393

Voy. B. SIMMA et P. ALSTON, « The sources of Human Rights Law : Custom, Jus Cogens ans General principles », Aust. YBIL, 1988-1989, pp. 82 et s, cit in R. BACHAND, M. GALLIÉ, S. ROUSSEAU, « Droit de l'investissement et droits humains dans les Amériques », AFDI, 2003, p. 581.

que le droit international coutumier englobe le droit à l’alimentation. Pour s’en convaincre, elle avance que ce dernier repose sur une opinio juris et une pratique des Etats suffisantes à la caractérisation d’une règle de contrainte destinée à l’ensemble des Etats394. Dès lors, les conditions de caractérisation d’une source coutumière seraient remplies d’après l’organisation : la pratique par les Etats au fil des années et la conviction que cette obligation demeure obligatoire395. Partant, il est envisageable que les tribunaux arbitraux d’investissement prennent en considération le droit à l’alimentation en tant que norme coutumière susceptible de prévaloir sur les accords d’investissements.

161. C’est ainsi que nombreux doutes surgissent quant à la place du droit à l’alimentation lorsqu’il entre en conflit avec la norme liée à l’investissement.

2°) Des relations hiérarchiques embryonnaires.

162. Malgré des règles éparpillées dans certains accords, il n’apparaît pas envisageable d’entrevoir une hiérarchie des normes en droit international, du moins expresse. Des règles commencent à se dessiner, mais elles établissent des relations que nous qualifierons d’embryonnaires en comparaison des ordres juridiques nationaux. Dès lors, l’incompatibilité de certaines normes se résout par l’usage de principes généraux, notamment le principe de lex posterior priori derogat et le principe de specialia generalibus derogant396. La mise en œuvre de la hiérarchie des normes permet de résoudre les antinomies. Néanmoins, les situations factuelles peuvent dépasser les contours de la théorie397. Le Professeur Xavier Magnon a écrit que la théorie normativiste « s'intéresse au devoir être et non à l'être, à ce qui doit être selon les énoncés prescriptifs et non à ce qui est398 ». Ainsi, l’étude des faits peut conduire à des voies juridiques sans issues apparentes399. La hiérarchie des normes suppose l’existence d’un système préétabli des règles de droit avec un mécanisme fondé sur la primauté d’une norme sur l’autre400. L’inconvénient réside dans l’incertitude des situations qui n’auraient pas clairement été prévues par la loi et l’indécision des règles qui découlent de la coutume ou de principes généraux qui échappent à l’ordre traditionnel401. Pour autant, l’une des inquiétudes

394

FAO, Les Directives sur le droit à l’alimentation, documents d’information et études de cas, 2006, p. 103.

395

Ibid.

396

Nous citons ces deux principes qui seront étudiés quelques lignes ci-dessous.

397

R. LIBCHABER, « Propos hésitants sur l'incertaine solution des conflits de normes », RTD civ. 1997, p. 792.

398

X. MAGNON, En quoi le positivisme normativisme est-il diabolique ?, RTD civ. 2009, p. 269.

399

Ibid. L’auteur expose les limites de la théorie normativiste et emploie l’expression de « l'impasse sur le fait dans

l'analyse juridique ».

400

V. H. KELSEN, Théorie pure du droit, LGDJ, 1999.

401

dans l’espace normatif réside dans l’absence de hiérarchie potentielle entre les systèmes. C’est la distinction essentielle entre les ordres internes et l’ordre international402. L’absence de hiérarchie conduit aux conflits de normes. Le risque est de laisser à l’appréciation des juges la signification et la primauté que devraient recouvrir les dispositions juridiques. Le bon sens voudrait que les normes relatives à la sécurité alimentaire dominent le droit des investissements internationaux, car sans la garantie du premier droit, aucun autre ne peut se réaliser. Certaines normes méritent qu’on s’y penche avec singularité puisqu’elles sont plus importantes que d’autres403. Les obligations relatives aux droits humains, spécialement du droit à l’alimentation, devraient primer les traités bilatéraux d’investissements. Toutefois, dans de nombreuses affaires cette primauté n’est pas toujours mise en œuvre et laisse place à des incertitudes.

163. Hiérarchie des normes en droit international des investissements. L’annexe B.10 relative à l’expropriation dans le modèle canadien d’accord d’investissement (2014) semble établir une hiérarchie des normes. Il est précisé que :

Les Parties confirment leur compréhension commune des points suivants :

a) l’expropriation indirecte résulte d’une mesure ou d’une série de mesures d’une Partie qui ont un effet équivalent à une expropriation directe en l’absence de transfert formel de titre ou de confiscation pure et simple;

b) la question de savoir si une mesure ou une série de mesures d’une Partie constituent une expropriation indirecte doit faire l’objet d’une enquête factuelle au cas par cas portant notamment sur les facteurs suivants : i) les effets économiques de la mesure ou de la série de mesures en cause, étant entendu que le fait que la mesure ou la série de mesures de la Partie aient un effet défavorable sur la valeur économique d’un investissement ne suffit pas à lui seul à établir qu’il y a eu expropriation indirecte,

ii) l’étendue de l’atteinte portée par la mesure ou la série de mesures en cause aux attentes définies et raisonnables sous-tendant l’investissement,

iii) la nature de la mesure ou de la série de mesures ;

c) sauf dans de rares cas, tels ceux où une mesure ou une série de mesures sont si rigoureuses au regard de leur objet qu’on ne peut raisonnablement penser qu’elles ont été adoptées et appliquées de bonne foi, ne constitue pas une expropriation indirecte la mesure non discriminatoire d’une Partie qui est conçue et appliquée dans un but de protection légitime du bien-être public concernant, par exemple, la santé, la sécurité et l’environnement. 164. La hiérarchie est posée au point c). Néanmoins, la sécurité alimentaire n’est pas mentionnée, elle est visée indirectement par la santé, la sécurité, l’environnement. Les termes « par exemple » indiquent qu’une lecture littérale du texte n’est pas recommandée, et qu’il faudrait certainement procéder à une interprétation téléologique. Dans cette perceptive, la sécurité alimentaire pourrait être comprise de manière directe en qualité de « protection légitime du bien-être public » par l’application des termes « par exemple » ou indirectement par le biais des autres droits. Dès lors, il apparaît sur le fondement du modèle de traité canadien qu’une hiérarchie des normes soit posée. Pour

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Rapport du Groupe d’étude de la Commission du droit international, établi sous sa forme définitive par M. KOSKENNIEMI, Fragmentation du droit international: difficultés découlant de la diversification et de l’expansion du

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