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2.1 Zones de production à Chillimocco 66

2.1.4. Les muyuy: Zone de jachère et de repos pâturé alternant 73

En termes généraux, la zone de repos pâturé alternant, ou zone de cultures sèches alternantes (généralement connue comme muyuy80), est constituée par les terres de la communauté, sans irrigation, comme nous l’avons déjà signalé. Elles sont travaillées en parcelles familiales pendant un certain nombre d’années et laissées ensuite en jachère*, période durant laquelle la division entre parcelles disparaît en donnant lieu au pâturage généralisé pour tous les membres de la Communauté*. Cette période de repos (« samay » dans la terminologie locale) redonne au sol son potentiel (« samay » aussi) de fertilité tant par effet du repeuplement végétal que par les déjections du bétail qui y paît pendant cette période.

La zone de muyuy est dite d’usage alterné parce qu’elle est divisée en un certain nombre de secteurs qui suivent une même séquence de culture et de repos, avec un an de décalage. Ainsi, les secteurs commencent à être cultivés en années consécutives. Le nombre de secteurs et le nombre d’années de culture et de repos pâturé varient beaucoup selon les différentes communautés et régions. Il existe toutefois certaines caractéristiques communes. Nous voulons les rappeler ici, non seulement parce qu’elles aident à comprendre l’idée basique du modèle, mais parce qu’elles contrastent sur plusieurs points avec le cas de Chillimocco. D’après Orlove et Godoy (1986:171) dans un circuit de muyuy:

- Chacun des s secteurs muyuy suit la même séquence de w années de culture, plus r années de repos; c’est-à-dire, le nombre d’années de culture et de repos (et puis du cycle c) est constant.

- Le nombre de secteurs est égale au nombre d’années de la séquence (s = c = w+r). - Il n’y a pas deux secteurs qui vont avoir le même emploi agricole dans la même année. - Les terres qui constituent chaque secteur sont contiguës.

- Toutes les familles possèdent des parcelles dans chaque secteur de muyuy. - Ce patron d’usage de la terre est renforcé par des normes de la communauté.

80 Cette façon d’apeller ces espaces nous est plus familière parce qu’elle est utilisée à P’isaq (province de

Calca, Cusco) où nous avons fait une recherche dans les années 90. Plus tard, à Llusco et Quiñota (province de Chumbivilcas, Cusco), nous avons trouvé le terme « layme ». Cependant « muyuy » a une référence plus explicite au fonctionnement alterné du système, puisque ce mot quechua signifie généralement « tour » et « circulaire ». Il est intéressant de noter qu’une autre acception du mot « muyuy » est celle de « contribution » (Cusihuamán 2001a:153), sens qui se trouve aussi à la base d’un autre terme utilisé ailleurs pour apeller les muyu, qui est « aynoqa » (Orlove et al. 1996:87). Ce dernier provient d’« ayni », terme quechua utilisé pour parler de la cooperation entre personnes ou familles (voir Alberti et Mayer 1974).

Un exemple typique de cette description des muyuy, tiré aussi de la littérature anthropologique (Degregori & Golte 1973:44-45), est illustré par le tableau 2.2:

Tableau 2.2 – Cycle d’alternance à Pacaraos (dans les Andes de Lima)

années Secteurs81 1958 1959 1960 1961 1962 1963 1964 1965 1966 1967 I PdT Tub r R r r r r r r II r PdT Tub R r r r r r r III r r PdT Tub r r r r r r IV r r r PdT Tub r r r r r V r r r R PdT Tub r r r r VI r r r R r PdT Tub r r r VII r r r R r r PdT Tub r r VIII r r r R r r r PdT Tub r IX r r r R r r r r PdT Tub X Tub r r R r r r r r PdT

r = Repos pâturé (8 années) PdT = Pomme de terre

Tub = Autres tubercules andins nombre d’années cultivés (w) = 2

Dans cet exemple de Pacaraos, on reconnaît clairement les trois premières caractéristiques avancées par Orlove et Godoy (1986). On voit que, chaque année, les secteurs cultivés ont des usages agricoles différents (soit pomme de terre, soit tubercules andins) ou ils sont en repos ; que chaque secteur passe la même séquence pomme de terre / tubercules andins / repos pâturé ; et que le nombre d’années de cette séquence (c = w+r = 2+8) est exactement égal au nombre de secteurs alternants (s=10). Néanmoins, plusieurs auteurs (Orlove et al. 1996:91, Mayer 2004:301, Legoas 1995:90) ont signalé que la réalité s’avère plus complexe que ce modèle de base qu’ils ont pu montrer dans leurs études. L’analyse des muyuy de Chillimocco se veut donc une avancée dans cette direction.

En premier lieu, il faut noter que les Chillimoccokuna, en principe, partagent les secteurs alternants avec les autres trois petits villages de Ccollasuyo (Cocha, Tillpa, et Sayapata), puisque les cultures de muyuy sont régulièrement coordonnées et mises en place collectivement par l’ensemble de la Communauté. Cependant, le nombre (s) de secteurs de muyuy des

81 Les noms des secteurs sont moins importants pour notre description et nous les avons simplement

Ccollasuyo s’éloigne beaucoup des exemples habituels82. En effet, à la différence de Pacaraos (s=10) ou de la moyenne des cas étudiés par Orlove et Godoy 1986 (s=8) nous avons trouvé au moins 57 espaces dans lesquels les Chillimoccokuna font pousser la pomme de terre à travers séquences de culture et de repos pâturé. Bien que l’annexe 1 (organisant ces 57 espaces par tranche d’altitude) contient des informations complètes seulement pour 13 de ces lieux, il nous a permis d’élaborer la figure 2.1 qui donne une idée de l’utilisation des espaces dans le temps83. Ainsi, en tenant compte que les informations les plus complètes et fiables correspondent aux années dans lesquelles les informations furent recueillies (entre 2007 et 2009), cette figure nous indique trois éléments principaux:

- Le nombre d’espaces cultivés chaque année est entre 1 et 2 dans la zone basse, entre 2 et 4 dans la basse-moyenne, entre 5 et 9 dans la moyenne-haute, et entre 1 et 2 dans la plus haute.

- Par tranche d’altitude, on cultive plusieurs lieux séparés dans l’espace dans une même année.

- Les espaces cultivés consécutivement sont relativement voisins.

82 Et il vaut peut-être mieux de ne pas les forcer à rentrer dans l’idée d’un nombre exact d’espaces

homogènes.

83 À Chumpi c’étaient 5 secteurs et tous de Puna, mais cette partie est déjà devenue Chaupimaway.

Cependant, il y a un secteur por Collpa y… [en?] Chullo, se han aumentado en vez de Chumpi y Chuñuna. Estos sitios se han convertido en Chaupimaway (C + JA).

En deuxième lieu, il faut signaler que le nombre d’années de culture d’un secteur de muyuy de Ccollasuyo (w) n’est pas fixe; il peut varier d’un à deux ans (w=12)84. La première année, on

cultive toujours la pomme de terre, la deuxième des tubercules andins comme l’oqa, la lisa et l’isañu85, là où l’altitude et les distances (pour se rendre aux champs) le permettent. Cette irrégularité s’explique aussi par l’effet des gelées —ces tubercules y étant plus sensibles que la pomme de terre— et des risques de dégâts du bétail qui y paît et des animaux sauvages comme le cerf (taruka86) ou la moufette (añas).

Ensuite, nous avons trouvé que le nombre d’années de repos (r) des secteurs de muyuy des Chillimocco n’est pas non plus régulier. Par exemple, en 2008, cela devait être le tour du secteur Chuñuna d’entrer en culture, mais l’assemblée estima qu’il était encore trop « pelado » (peu couvert d’herbe) pour le juger suffisamment reposé et remis; on l’a donc repris seulement en 2009. Les espaces qui entrent en production ne sont pas donc mécaniquement programmés et cultivés; ils font l’objet d’une évaluation collective: « Dans l’assemblée, nous décidons si nous allons faire telle ou telle cabane87… toute la Communauté prend la décision88 » (Cancio). Des discussions difficiles, d’après Valentín Quille, se répètent assez souvent à Ccollasuyo à ce propos89.

84 Dans nos recherches préalables à P’isaq (Cusco) nous avons trouvé des communautés où les terrains

de muyuy sont cultivés entre un et cinq ans, avec un maximum de cinq cultures différentes (Legoas 1995:93-99).

85 Seulement dans un secteur de muyuy (Chak’imayu) situé dans la partie la plus basse de la comunauté

(autour des 2500m), on cultive le maïs dans la deuxième année. Alors qu’à cette altitude les parcelles sont normalement dédiées tout le temps au maïs, il est évident que, dans ce cas, il s’agit d’une stratégie des familles de Cocha (le village le plus proche de Chak’imayu) pour accéder moins difficilement à la pomme de terre, puisque ce village se trouve loin des secteurs de muyuy où elle est produite habituellement.

Dans des muyuy comme Mallqui Mallqui ou Chuñuna, dans la deuxième année on ne met pas de lisa ni d’oqa à cause du froid à ces hauteurs.

86 Par exemple, on nous signale que, à cause des taruka, on ne met pas de l’oqa à Turpoqaqapana après

la pomme de terre.

87 Les secteurs de muyuy sont aussi nommés « cabañas » (cabanes), probablement en référence aux

cabanes précairs qui se trouvent aux abords de ces champs.

88 Texte original : « En asamblea decidimos ya… tal na’ vamos a hacer… tal cabaña, tal cabaña, en

asamblea… quedamos todo… toda la comunidad ». « Na’ »* est un remplaçant générique d’un

substantif ou adverbe quelconque que l’on ne veut pas prononcer, ou que l’on oublie. On peut le déceler seulement si l’on connaît le contexte de son énonciation.

89 Bastien (1985:51) informe que dans les zones équivalentes à nos muyu chez les Qallawaya de Bolivie,

Le succès ou l’échec de la campagne agricole précédente et les conditions prévues pour l’année suivante dans le secteur à évaluer jouent un rôle important dans cette prise de décision. Par exemple, il peut arriver qu’une maladie ait atteint la pomme de terre dans la campagne précédente, ou que le secteur soit peu entouré de formations rocheuses ou de reliefs qui le protègent alors que l’année suivante s’annonce froide. Dans ces cas, on pourra composer avec d’autres options, ou, si le secteur en question est choisi de toute façon, les familles devront encore décider de cultiver ou non leurs parcelles qu’ils y possèdent, en fonction de la quantité de parcelles qu’ils détiennent dans d’autres secteurs en culture cette même année et de la qualité de ces derniers.

Ainsi, on a trouvé que le temps de repos n’est fixe que dans la partie haute de l’espace communal (1 an) alors qu’il peut varier entre quatre et six ans dans les autres parties, d’où le fait que les secteurs aient des cycles c (c=r+w) irréguliers pour la plupart. Dans la partie basse de la zone des muyuy, on trouve des cycles entre 5 et 8 ans, dans la partie moyenne-basse, entre 6 et 8 ans, dans la partie moyenne-haute, entre 5 et 8 ans de nouveau, et dans la partie haute de la zone des muyuy90, 7 ans invariablement. Le tableau 2.3 montre ces calculs.

Tableau 2.3 – Durée du cycle d’agriculture et repos des zones de muyuy de Chillimocco

Années cultivées (w) Années en repos (r) Durée totale du cycle (c=w+r)

Partie plus haute 1 6 7

Partie moyenne-haute 1-2 4-6 5-8

Partie moyenne-basse 1-2 5-6 6-8

Partie plus basse 1-2 4-6 5-8

À Ccollasuyo, il est dit —d’une façon assez proche à la règle mentionnée plus haut par Orlove et Godoy— que chacune des 140 familles de la Communauté possède au moins une parcelle dans chaque muyuy. Mais, à y voir de plus près, on se rend compte que, bien que toutes les familles aient le droit d’accéder á chaque muyuy, l’utilisation réelle de ce droit varie entre 25% et 100% des familles (voir pour les Chillimoccokuna la colonne « accès » dans l’annexe 3).

90 Aussi, à l’intérieur de chaque secteur, certaines parcelles n’ont pas été cultivées pendant dix, quinze

ou vingt ans, notamment à Chillimoccopata, où nous avons trouvé aussi des parcelles retravaillées après deux ans seulement. Par ailleurs, à Chumbivilcas nous avons trouvé des cycles d’entre sept et douze ans, ce qui est confirmé par Zeisser et Desnoyer (1999:91).

Mais les muyuy de Chillimocco présentent une caractéristique qui brise la logique normale de leur compréhension comme « zone de production ». Pour comprendre cette caractéristique, il faut signaler un certain nombre de choses. La quantité de parcelles possédées par famille dans chaque muyuy varie beaucoup, par conséquent on s’échange, se prête, se loue (et même se vend91) des parcelles entre les familles. « Nous louons du terrain, ou nous l’achetons, ou nous

l’empruntons. On travaille comme ça. Quelques-uns n’ont pas de terrain et d’autres en ont peu, alors, on loue…92 » —nous dit Luciano. On le fait en payant en argent ou avec des produits.

Aussi, il arrive que des familles qui ont très peu de terrain (dans le muyuy choisi par la Communauté pour une année donnée) travaillent pour celles qui en ont plus, afin d’obtenir des produits en échange. Mais, les Chillimoccokuna surmontent aussi ce type de difficultés en appliquant une autre stratégie, qui brise la logique habituelle de fonctionnement des muyuy : sept des secteurs de muyuy que nous avons repérés ne sont cultivés que par les familles de ce village, c’est-à-dire en excluant celles de Cocha, Tillpa et Sayapata (les autres trois villages de la même Communauté Paysanne de Ccollasuyo)93 —qui sont censées les partager. Cette situation particulière résulte de l’arrangement pris par un certain nombre de familles de Chillimocco qui n’ont pas assez de participation94 dans le muyuy choisi par toute la Communauté. Ce groupe décide, en toute discrétion, d’un lieu particulier peu accessible aux autres villages et d’une date proche pour y réaliser le semis. On ne le communique qu’aux familles du village de Chillimocco afin que celles de Sayapata (surtout), de Tillpa et de Cocha

91 La vente entre familles est interdite par la loi car la propriété du foncier dans la Communauté est

collective.

92 Texte original : Nosotros estamos… alquilando terreno o comprando, o prestando, así nomás

nosotros estamos trabajando. Algunos no tenemos, o tienen poco, entonces nosotros estamos alquilando pe…

93 Ces lieux sont notamment dans la partie apellée Chillimoccopata, où se trouvent les secteurs Qonqoro,

Accobamba Wayqu, Oqohuarachi, Sorapata, et K’uchuhuasi. Les deux premiers fonctionnent dans la même année et les autres les suivent consécutivement.

94 Les raisons les plus fréquentes pour qu’une famille ne cultive pas dans un muyuy donné sont la

distance et la difficulté croissante des nouvelles familles pour accéder à des parcelles. Plusieurs Chillimocco affirment qu’ils ne se déplacent plus jusqu’à certains muyuy qui sont plutôt près de Sayapata ou à d’autres qui se trouvent près des limites de la communauté: « L’année suivante c’est le tour à un secteur près du bord avec la communauté voisine de Soccapata… j’ai oublié le nom du lieu là… je l’ai oublié complètement. C’est loin ça, je n’y vais pas, je n’ai pas de parcelle là-bas. Ou plutôt… nous avons du terrain mais c’est trop loin… nous en avons un peu seulement, pas beaucoup ». (Texte original: Siguiente año al… na… colinda de Soccapata ya… Me he olvidado su nombre oe… … me he

olvidado siempre. Es lejos ya, no voy, ahí no tengo chacra. Tenemos terreno, pero muy lejos siempre; tenemos poco nomás, no tanto –Juan Cancio).

ne puisent pas exercer leur droit habituel de participer à l’utilisation de ces secteurs. Le problème qui se pose souvent est que les familles non prévenues continuent à faire paître leur bétail justement dans le lieu choisi discrètement, ce qui occasionne des dégâts aux plantes de pomme de terre. Mais c’est un risque que les Chillimoccokuna sont prêts à prendre95 :

—Ant. …Et on peut faire ce que tu dis? [que seulement 5 familles cultivent leurs parcelles dans le secteur Wakapuñuna, sans la permission de tous les membres du village].

—Cancio. Oui, on peut le faire, mais les animaux vont causer des dégâts.

—Aurelio. Et, le cas échéant, les propriétaires de ces animaux ne vont pas assumer leur responsabilité. Si seulement quelques-uns y travaillent, les propriétaires ne vont pas assumer la responsabilité de ce que leurs animaux peuvent y faire. Si tous les gens du village travaillent, on est responsable pour nos animaux. S’il y a des plaintes, on assume notre responsabilité. Ce terrain devient comme [sacré? —mot inaudible], c’est pourquoi on fait comme ça…

De toute façon, pour compléter la stratégie, les familles qui ont pris cette initiative de cultiver de manière exclusive un muyuy vont essayer de régulariser leur incursion dans ces terres auprès de l’assemblée, en cherchant à obtenir l’interdiction de pâturage dans ce secteur, afin d’éviter les dégâts que produit le bétail. Dans ce but, ils auront recours à des arguments collectivistes du type « tout le monde est d’accord à Chillimocco » ou « Si nous sommes dix à prendre l’initiative c’est assez, non? Parfois seulement deux ou trois familles se mettent à y travailler ». En même temps, l’information secrète sur le lieu qu’ils cultivent sera forcément rendue publique, mais si d’autres familles veulent les rejoindre, les premières auront déjà assuré la quantité de terrain dont ils ont besoin. Bien entendu, ce type de situations génère sans cesse des conflits, à cause des usurpations fréquentes (de la part des familles qui ont pris l’initiative) que les arrivants plus tardifs vont contester96.

Cette stratégie des Chillimocco, réfractaires aux normes d’organisation des muyuy de Ccollasuyo, fait que les secteurs de muyuy concernés soient plus irréguliers. Comme l’indique le dialogue suivant, cette irrégularité est due au risque de dégâts que produisent les animaux,

95 Texte original : —Ant. Y eso se puede hacer o no? [trabajar en Wakapuñuna solo 5 familias, sin

permiso]. —JCR. Sí, puede hacer pe, [pero] daña los vacunos y de los caballares, así nomás… dañan. —AR. No reconocen pe [los dueños de los animales, si hicieran daños]… unos cuantos chambean no reconoce pe… Aquí sector toditos chambeas, se reconoce pe; cuando quejas se na’ pe… Por ejemplo ese terreno, como [...? sagrado] pe, por eso estamos haciendo…”

96 Ou même par les premières familles elles-mêmes, qui vont se disputer entre elles, comme nous le

car les terres qui font objet de cette stratégie se trouvent souvent dans des secteurs qui avaient été destinés au pâturage97 :

—Cancio. Les plus vieux seulement ont travaillé un jour ici; pas nous, les plus jeunes. Je ne connais pas cette zone.

—Ant. Et pourquoi à Chillimoccopata on a pris tant de temps pour travailler de nouveau ce secteur de muyuy?

—Cancio. Nous l’avions interdit. C’était zone de pâturage là-haut. —Ant. Et alors combien de temps elle a été une zone de pâturage?

—Cancio. Beaucoup de temps cela a été une zone de pâturage, alors nous sommes en train de la retravailler après 10 ou 15 ans. C’était toujours zone de pâturage là-bas. —Ant. Mais pourquoi pendant 15 ans vous n’avez pas cultivé là-bas?

—Cancio. Il y avait des chevaux et des vaches partout… —Ant. Mais vous avez décidé cela un jour dans l’assemblée?

—Cancio. Oui, nous avons décidé. C’est pourquoi on n’y travaillait pas, parce qu’il y a des endommagements.

C’est ainsi que plusieurs familles laissent quelques-unes de leurs parcelles intouchées pendant un ou plusieurs cycles. C’est le cas de Juan Cancio qui affirme qu’en 2007, ce fut la première fois en 30 ans qu’il cultivait son lopin de terre dans le lieu nommé Qonqoro.

Il est possible que les autres villages de la Communauté appliquent une stratégie semblable dans d’autres lieux, tout en empêchant la participation des Chillimocco, mais nous n’avons pas pu confirmer cette information auprès des Tillpa ni des Sayapata. L’accès à cette information fut difficile parce qu’elle est de celles que l’on peut se cacher mutuellement entre villages (et parfois même entre familles d’un même village98). Comme nous étions identifiés comme habitant à Chillimocco, il s’avérait difficile que les habitants de Tillpa ou de Sayapata nous renseignent sur le fait qu’ils appliquent le même type de pratique au détriment des Chillimocco. Enfin, bien que ce type d’initiative particulière d’un village ait lieu tous les ans, son application est toutefois variable et dépend notamment des dimensions des secteurs de muyuy utilisés pour

97 Texte original : —JCR. Abuelitos [trabajaban aquí]… Entonces nosotros no pe… No conozco terreno

pe… —Ant. Y por qué en Chillimoccopata han pasado tantos años para volver a trabajarlo? —JCR. …Hemos na’do pe… Era… pastal era pe arriba. Ant. —Cuántos años pe ha trabajado arriba pastal nomás? —JCR. Tiemmmmpo era ese pastal entonces ahora estamos chambeando [cultivando]…