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3.11 Le mobilier archéologique

3.11.3 Les lithiques Emmanuelle Evéquoz

3.11.3.1 L’outillage lithique

D’un poids total de 2,4 kg, les 29 fragments d’outils lithiques se répartissent entre matériel de mouture et aiguisoirs/polissoirs (fig. 108). Dans treize cas, les objets sont trop abîmés pour avoir conservé de quelconques traces d’utilisation ; seules les propriétés abrasives de leur matière première permettent de les rattacher à l’outillage lithique. La détermination des roches utilisées pour leur fabrication, ainsi que leur provenance probable a été effec- tuée par D. Aubry (annexe 7). Par ailleurs, devant l’impossibilité d’offrir une estimation de la morphologie et des dimensions ori- ginelles de ces objets, nous avons renoncé à la recherche de pièces de comparaison.

(pl. 4.7) ou d’une bande longitudinale abrasée et polie (CHE 002/5881 CO, non dessiné). Certains éléments sont visiblement entrés en contact avec une source de chaleur (CHE 001/2345 et 002/6729 CO, non dessinés).

La coexistence de ces deux grandes catégories rocheuses au sein du matériel de mouture corrobore les observations déjà effectuées sur le site de Develier-Courtételle où trois morceaux de brèche rouge ont été recensés parmi le mobilier lithique, l’un d’eux également marqué par des traces de réutilisation (Marti et al. 2006, p. 140). Ces deux sites présentent donc les premières attestations relatives à l’occurrence de ce matériau dans des contextes du Haut Moyen Age. La fabrication de moulins rotatifs en brèche rouge est bien connue de la fin de l’âge du Fer à la période gallo-romaine dans le massif de la Forêt-Noire, en particulier près de Schweigmatt (Lorräch, D) dans la vallée de la Wiese (Joos 1975). La question de la poursuite de l’exploitation de ces gisements durant le Haut Moyen Age est à nouveau soulevée par les éléments mis au jour à Lai Coiratte. A l’instar de Develier-Courtételle, le remploi d’un matériau récolté de manière spontanée sur un site avoisinant d’époque antérieure peut y être envisagé étant donné les décou- vertes effectuées sur le site protohistorique voisin de Combe En Vaillard (Deslex et al. 2009, p. 76-77).

En outre, l’une des deux qualités de grès feldspathique apparues à Lai Coiratte (CHE 002/5881 CO, non dessiné) a également été recensée à Develier-Courtételle (Marti et al. 2006, pl. 69.9) ainsi qu’à Combe En Vaillard (chap. 5), et est particulièrement bien représentée au sein du matériel de mouture du site de Courtedoux - Creugenat (communication orale de R. Fellner ; Deslex et al., à paraître). Dans chacun de ces sites, cette roche a pu être associée à des moulins rotatifs. La prépondérance de ce lithique en Ajoie pourrait dessiner une particularité régionale, peut-être en lien avec le réseau d’échanges. Les études à venir per- mettront sans doute de compléter cette observation.

Les aiguisoirs/polissoirs

Les seize fragments d’aiguisoirs/polissoirs exhumés à Lai Coiratte ont pu être répartis en quatorze individus (fig. 108). A ce décompte s’ajoutent les fractions de meule dont la fonction ini- tiale a été détournée. Le répertoire morphologique de ces outils obéit d’une part aux impératifs liés à leur utilisation, d’autre part

Matériau Meule Aiguisoir polissoir Brèche 6 2 Grès 7 6 Microgrès 0 5 Indéterminé 0 3 Total 13 16 Fig. 108 Répartition matérielle des outils lithiques.

Le matériel de mouture

Les treize fractions recueillies sur le site sont attribuables à au moins huit moulins rotatifs qui n’ont pas pu être reconstitués, ni répartis en catilius et meta. Fabriquées dans des roches dures à grain grossier, à l’exception de deux cas à granulosité fine, les pierres étudiées se rattachent à deux grandes familles rocheuses qui apparaissent en proportions équilibrées : les brèches (six mor- ceaux pour au moins une meule) et les grès (sept fragments pour sept meules).

Malgré une importante fragmentation, aucun segment ne pèse plus 150 g ; les surfaces de travail sont parfois encore perceptibles par une abrasion localisée de la roche (fig. 109 et CHE 002/5881 CO, non dessiné) et, plus rarement, par des traces de mise en forme ou de réaffûtage du disque de pierre par bouchardage (fig. 110). Occasionnellement, les stigmates d’une récupération comme aiguisoir/polissoir se traduisent par la présence de plusieurs sillons d’usure en U à base quadrangulaire (pl. 4.6) et en V

Fig. 109 Fragments de meules en brèche volcano-sédimentaire (CHE 002/5854, 6693 CO).

Fig. 110 Fragment de meule en grès arkosique (CHE 002/5866 CO).

aux contraintes imposées par la matière exploitée pour leur fabri- cation. Compte tenu de l’état fragmentaire du corpus étudié, l’éta- blissement d’une typologie s’avère difficile. Pour répondre à leurs besoins, les artisans ont sélectionné des roches généralement dures à moyennement dures, et de granulométrie le plus souvent fine : des brèches, des grès et surtout des microgrès.

Les pierres à aiguiser/polir produites à partir de roches à grains grossiers – brèches et grès – résultent généralement de la récu- pération de matériel de mouture hors d’usage. Préalablement à leur réaffectation, ces éléments ont le plus souvent subi un léger façonnage (CHE 002/5881 CO, non dessiné). L’un des cas les mieux conservés présente une section quadrangulaire aux arêtes prononcées (pl. 5.3). Produit à partir d’une roche noire d’aspect volcanique, son épaisseur est de 2,3 cm et aucune pièce de com- paraison n’est connue sur le plan régional. Bien que l’existence d’un polissoir en roche noire volcanique soit mentionnée parmi les découvertes du Lac de Paladru (Isère, F ; Colardelle et Verdel 1993, p. 282), sa mise en parallèle avec l’objet de Lai Coiratte ne peut aller au-delà de la simple hypothèse. Pour un second exemple (pl. 4.6), les ouvriers semblent simplement avoir tiré parti d’une face comportant des inclusions moins denses et de plus petites dimensions, sans que la pièce n’ait nécessité de pré- paration particulière.

La majorité des aiguisoirs/polissoirs qui composent ce corpus, treize morceaux, sont issus de roches à grains fins, des microgrès, et confirment en ce point les observations effectuées à Develier- Courtételle, au Lac de Paladru (Colardelle et Verdel 1993, p. 281) ou à Dorestad (NL ; Kars 1983, p. 3-4). Mieux conservés que les spécimens à grains grossiers, les microgrès peuvent être répartis entre formes fixes rotatives et formes portatives. Ainsi, au sein des formes fixes rotatives, deux exemples d’affiloir ou aléseuse sont à relever. Le premier est un segment de disque dont le diamètre est estimé à 20,3 cm (pl. 4.8) ; le diamètre du second exemple est, avec 20 cm, quasi identique (pl. 4.9 et CHE 002/5857 CO, non dessiné). Ils se distinguent par une surface polie, localisée sur la tranche de la pierre et dévoilant leur positionnement en station verticale. Cette face de travail est marquée de fines raies longitu- dinales dues à l’usage. L’observation en coupe révèle une légère convexité propre à ce genre d’outil (pl. 4.8). Les rares traces de percussion observables sont sans doute dues à l’entrée en contact de l’objet travaillé avec la meule en rotation (pl. 4.9). Cet individu présente par ailleurs une arête marquée délimitant une deuxième face d’utilisation trahissant sa réaffectation. Aucune information quant à leur support ou à leur mécanisme de mise en mouvement n’est observable. A titre de comparaison, un seul cas de meule à aiguiser apparaît à Develier-Courtételle sur un ensemble lithique de 206 objets (Marti et al. 2006, p. 141), alors que neuf cas sont recensés parmi les 400 aiguisoirs/polissoirs de Dorestad.

Parmi les outils portatifs, un individu présente une forme pyrami- dale caractéristique (pl. 5.1). Trois spécimens (fig. 111, 112 et 113) ont été taillés de façon à obtenir un format plutôt oblong qui cor- respond aux morphologies se dégageant des corpus de Develier- Courtételle (Marti et al. 2006, p. 137-139), du Lac de Paladru (Colardelle et Verdel 1993, p. 281) ou de Dorestad (Kars 1983).

Dans deux cas, la pierre paraît avoir été exploitée à l’état brut (fig. 114 et pl. 5.2). Les outils portatifs étaient soit accrochés à la ceinture par un système de suspension formé d’un lien végétal ou en cuir, soit placés dans un sac en tissu ou en peau lui-même accroché à la ceinture. Le premier mode de suspension nécessitait la perforation de l’extrémité proximale de l’objet. A Lai Coiratte, le fractionnement est tel qu’aucun système d’attache éventuel n’a pu être observé.

Dans l’ensemble, relevons que la plupart des pièces de Lai Coiratte portent d’importantes traces de feu, comme à Dorestad. Lorsqu’elles sont conservées, les faces de travail – marquées par une abrasion superficielle de la roche, une concavité plus ou moins prononcée, des rainures d’utilisation en U (pl. 4.6, 5.1 et 5.3) ou en V (pl. 5.1 et 5.3), des facettes de polissage et de nombreuses raies d’usage – témoignent de l’emploi multiple de ces outils. Le profil des sillons peut fournir un indice quant à l’affectation de l’objet. Ainsi des raies en U à base quadrangulaire renvoient au polissage d’objets de section quadrangulaire, alors que les rainures en V sont à mettre en rapport avec l’aiguisage des tranchants ou des pointes (Marti et al. 2006, p. 137). En dernier lieu, la variété des matières premières – dureté et granulosité – avec lesquelles sont fabriqués les aiguisoirs/polissoirs est liée aux propriétés recherchées pour accomplir les travaux de finition, l’affilage/polissage, des objets métalliques. Ceux-ci débutent avec des aiguisoirs/polissoirs à grain grossier et se poursuivent avec des roches de granulosité de plus en plus fine pour assurer un fini parfait.

Synthèse sur l’outillage lithique

Au terme de l’examen des outils lithiques, une sélection des pierres de fabrication, selon des critères de dureté et de finesse, est nettement constatée. Ainsi, le matériel de mouture est princi- palement fabriqué dans des roches dures à grains grossiers alors qu’une prédilection marquée pour les roches dures ou moyen- nement dures et à grains fins se dessine pour la fabrication des pierres à aiguiser/polir. Ceci correspond aux observations effec- tuées à Develier-Courtételle (Marti et al. 2006, p. 135), mais aussi au Lac de Paladru (Colardelle et Verdel 1993, p. 281-282), au Runde Berg (Christlein 1979) ou encore à Dorestad. En outre, la localisation de ce mobilier à proximité des structures d’arti- sanat métallurgique – trois exceptions – n’est pas propre à Lai Coiratte et permet d’établir un lien direct avec l’artisanat spéci- fique développé in situ. L’utilisation de moulins rotatifs pour le broyage et le concassage des minerais ou des scories est attestée sur divers sites de production métallurgique au sein d’occupa- tions d’Epoque romaine (Domergue et al. 1997) ou médiévale (Benoît et al. 1997). Toutefois, aucune évidence de ce travail n’est lisible sur les fragments conservés à Lai Coiratte, ni strie circu- laire, ni incision rayonnante ; par contre quelques sillons en U se rapportent à un remploi comme aiguisoir/polissoir. Ce recyclage nécessite une mise en forme préalable plus ou moins soignée (pl. 5.3 et CHE 002/5881 CO, non dessiné). Concernant l’appro- visionnement en matière première, le ramassage opportuniste de matériaux recherchés pour leurs propriétés abrasives, aussi observé à Develier-Courtételle ou à Dorestad, met en évidence la logique économique qui a prévalu chez les artisans mérovingiens.

N’apparaissant pas au sein des bancs rocheux locaux, ces matières devaient être importées, sans doute du sud des Vosges, du pays belfortain ou encore de la Forêt-Noire ; notons du reste que deux types de roche (fig. 115 et pl. 5.3), a priori d’origine volcanique, ne sont, à l’heure actuelle, pas répertoriés sur les sites du Haut Moyen Age environnant Lai Coiratte.

Par conséquent, afin de limiter les coûts de production, les Mérovingiens ont exploité au maximum ces roches trop endom- magées pour remplir leur fonction initiale comme matériel de mouture. Cette réutilisation justifie sans doute l’important nombre de meules, compte tenu de l’étendue du site, ainsi que les faibles dimensions des fragments, aucun n’excèdant 150 g. A titre comparatif, 54 éléments de meules sont dénombrés à Develier- Courtételle pour un total de neuf individus (Marti et al. 2006, p. 139). Le répertoire morphologique des aiguisoirs/polissoirs est varié. A Lai Coiratte, de même qu’à Develier-Courtételle ou à Dorestad, les formes fixes rotatives coexistent avec les formes por- tatives, mais sont rares. Cette rareté est vraisemblablement due à

des motifs économiques. Sans doute plus onéreux en raison de leur matière première, les moulins à aiguiser/polir étaient proba- blement importés à l’état de produit fini ; de plus, ils nécessitaient la construction d’un support ainsi que l’intervention d’une force de traction externe (humaine, animale, éolienne ou hydraulique) pour leur actionnement. La découverte d’un spécimen rotatif retaillé afin de servir d’aiguisoir/polissoir portatif conforte cette hypothèse (pl. 4.9).

3.11.3.2 Autres lithiques : les fossiles

Outre la vaisselle en pierre ollaire (chap. 3.11.2) et l’outillage (chap. 3.11.3), les autres lithiques n’apparaissent que par quelques fossiles, silex et cristal de roche. Ces deux derniers éléments ayant déjà fait l’objet d’une étude, nous n’y reviendrons

Fig. 111 Fragment d’aiguisoir/polissoir en grès fin

calcaire (CHE 002/5844 CO). Fig. 113 Fragment d’aiguisoir/polissoir en calcaire gréseux (CHE 002/6789 CO).

Fig. 112 Fragment d’aiguisoir / polissoir en grès ou brèche calcaire fossilifère (CHE 002/5851 CO).

Fig. 114 Fragment d’aiguisoir / polissoir en roche carbonatée à ooïdes (CHE 002/7105 CO).

Fig. 115 Fragment d’aiguisoir / polissoir en roche indéterminée (CHE 002/5859 CO).

pas (Saltel et al. 2008, p. 106-107). Des calcaires rubéfiés, insérés dans la couche archéologique 3a, proviennent de la zone centrale du site ; leur épandage ne paraît être rattaché ni à des structures ni à des niveaux de circulation.

Parmi les cinq fossiles répertoriés, un gastéropode et trois bivalves ont été exhumés du remplissage 2 du fond de cabane ou fosse 1 ; le dernier individu est formé d’un amas de fossiles marins et provient du ferrier (fig. 116). Ces objets ont probablement été récoltés de manière aléatoire au gré des affleurements fossilifères qui avoisinent le site et des déplacements de ses occupants faisant preuve d’une attitude de collectionneur. La découverte de fossiles dans des habitats du Haut Moyen Age apparaît à diverses reprises, comme à Develier-Courtételle où plusieurs individus ont été mis au jour dans le niveau archéologique (communication orale de R. Fellner), à Combe En Vaillard et Courtedoux - Creugenat où certains spécimens apparaissent dans des remplissages de struc- tures (communication orale de C. Deslex) et à Unterthürheim (Augsburg, D ; Grünewald 1988, p. 83). Ces objets pouvaient à l’origine avoir été placés dans des aumônières ou suspendus à des châtelaines, et servir d’amulette au même titre que les coquilles d’escargot exhumées de la tombe 204 de Lausanne - Bel-Air (VD ; Leitz 2002, p. 240), les coquillages fossiles et les ammonites retrouvés à Schleitheim - Hebsack (Burzler et al. 2002, tombes 438, 568, 599, 609) ou encore dans la tombe 923 de la nécropole de Cutry où l’ammonite fossile est montée en pendentif (Legoux 2005, p. 332).

La collection de pierres d’aspect ou de matière sortant de l’ordi- naire, de fossiles, de cristal de roche ou de silex, apparaît fréquem- ment au sein des nécropoles (Ganslmeier 1991, p. 429). Cette pratique est sans doute liée à des critères esthétiques ou à des croyances qui nous échappent (Dübner-Manthey 1987, p. 59-63). Dans cette acception, ces pierres remplissaient peut-être une fonction apotropaïque (Steiner L. 2005, p. 210) ou curative 122.

Un cristal de roche découvert sur le thorax du squelette occupant la sépulture 942 de Cutry pourrait avoir joué le rôle de talisman (Legoux 2005, p. 336). Relevons encore que les silex ont géné- ralement servi de pierre à feu pour les briquets et étaient consi- dérés comme des pierres protectrices face au danger de la foudre (Marti et al. 2006, p. 127-128 ; Neubauer 1991, p. 121-129 ; Ganslmeier 1991, p. 427).

3.11.4 Le mobilier en verre