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3.9 Les matériaux liés à la postréduction du fer

3.10.2 Fonctionnement de l’atelier

Les éponges du bas fourneau ont été nettoyées sur place, dans les foyers de forge regroupés à l’ouest de l’espace de production (chap. 3.14). En effet, les calottes de Lai Coiratte montrent une plus forte influence de la scorie de réduction dans leur composi- tion alors que celle de la paroi de bas foyer est moindre, contraire- ment à ce qui a été observé pour les calottes de Develier-Courtételle (chap. 3.9.1.15). On peut donc en déduire qu’une part très impor- tante des calottes de Lai Coiratte témoigne de l’expulsion de la scorie de l’éponge de fer brute sortie du bas fourneau, et que ces opérations se sont déroulées de manière suivie sur place, à la dif- férence de Develier-Courtételle où, de toute évidence, les éponges, nettoyées au préalable, ont été travaillées dans les forges du hameau.

NMI Poids moyen Poids total Opération

d’épuration (nb) de réductionOpération(nb) Poids total de scories

(kg) (kg) à 30 kg / op. à 50 kg / op.

Calottes 150 0,5 75 50 100 150 Coulées 100 3000 5000

300 0,5 150 100 200 300 200 6000 10000

Fig. 94 Estimation du nombre d’opération de réduction, ainsi que du volume de déchets issus de la réduction, à partir du NMI de calottes et du nombre d’opé- rations de réduction (point de départ : une calotte provient d’une opération d’épuration, chaque opération d’épuration nécessitant au préalable une éponge de fer, donc une opération de réduction).

Estimation 1 nb %

Poids minimal de scories (kg) 3000 100 Nombre d’opération 100

Scories coulées conservées 280 9,3

Manque 90,7

Estimation 2

Poids minimal de scories (kg) 6000 100 Nombre d’opération 200

Scories coulées conservées 280 4,7

Manque 95,3

Estimation 3

Poids minimal de scories (kg) 5000 100 Nombre d’opération 100

Scories coulées conservées 280 5,6

Manque 94,4

Estimation 4

Poids minimal de scories (kg) 10000 100 Nombre d’opération 100

Scories coulées conservées 280 2,8

Manque 97,2

Fig. 95 Estimation de la part des scories coulées conservées dans la partie fouillée de l’atelier (le poids minimal des scories est repris de la figure 94).

Le nettoyage de l’éponge étant l’activité principale attestée dans les bas foyers de forge de Lai Coiratte (70 %), on remarque que les deux phases ultérieures, à savoir le compactage de l’éponge et le forgeage à proprement parler, ont été de moindre importance (20 % et 10 % ; chap. 3.14.4). La situation était très différente à Develier-Courtételle, où le forgeage constitue la moitié de l’acti- vité métallurgique 71.

La taille globalement restreinte des calottes de Lai Coiratte a déjà été relevée (chap. 3.9.1.1). L’étude métrique de cette catégorie a montré que les pièces suffisamment bien conservées (75 % au moins, 98 pièces des 154 individus constituant le NMI) ont une taille assez standardisée 72. L’analyse chiffrée met en évidence que

deux tiers des individus examinés ont un diamètre de 6 à 12 cm (fig. 96). En intégrant les plus petites pièces (diamètre inférieur à 6 cm), le regroupement se précise : quatre cinquièmes ont un diamètre maximal de 12 cm, tandis que le cinquième restant pré- sente un diamètre de 12 à 18 cm. Bien que le poids ne soit pas un critère constitutif, il a été analysé dans les deux groupes : dans celui des calottes à diamètre inférieur ou égal à 12 cm, la four- chette du poids oscille entre 50 et 400 g ; 10 % de ces pièces (soit huit individus) pèsent plus de 400 g. Le poids de quinze des vingt calottes dont le diamètre oscille entre 12 et 18 cm varie entre 750 g et 1750 g (deux pièces sont plus légères que la limite inférieure, trois autres plus lourdes que la limite supérieure indiquée). Ces quelques données chiffrées semblent mettre en évidence deux grands groupes de calottes aux dimensions distinctes. Peut-on en déduire qu’il existait au moins deux types de bas foyers de forge ? L’état de conservation des structures empêche d’apporter une réponse claire. Deux autres considérations sont à intégrer dans la réflexion : la première est que la faible présence de traces de paroi de bas foyer sur les calottes ne permet pas d’établir une corrélation directe entre le diamètre des calottes et celui de la structure dans laquelle ce déchet s’est formé 73. La

seconde est que la taille de cette catégorie de déchet est tribu- taire de la quantité de métal travaillé, ainsi que de l’étape de la chaîne opératoire : épuration, compactage ou forgeage. En effet, ces opérations engendrent des quantités différentes de résidus d’aspect variable (plus ou moins de scorie et/ou de métal plus ou moins travaillé). Cela implique que des calottes de dimensions similaires ne donnent pas a priori d’indication sur la taille du bas foyer dans lequel elles se sont formées.

Malgré les restrictions, il n’en demeure pas moins qu’une calotte épouse au cours de sa formation la morphologie de la structure dans laquelle elle s’accumule 74. Une majorité de ces déchets

témoigne de l’expulsion de la scorie, ce qui parle pour une rela- tive homogénéité du processus mis en œuvre. Si l’on suppose

que l’éponge ainsi travaillée, à sa sortie du bas fourneau, était d’une taille plus ou moins égale, il en résulte que la morphologie « standardisée » des calottes de Lai Coiratte reflète malgré tout le diamètre approximatif du fond des bas foyers où elles se sont formées : entre 12 et 18 cm, environ.

Un dernier élément manquant soulève encore des questions : aucun fragment de tuyère 75 n’a pu être mis en évidence dans le

périmètre fouillé. A ce jour, les deux seuls ateliers jurassiens du Haut Moyen Age ayant fait l’objet d’investigations en ont livré plusieurs fragments : à Boécourt - Les Boulies plus d’une tren- taine d’individus ont été récoltés et à Corcelles - La Creuse (BE) un sondage limité en a tout de même révélé quelques fragments. Pourquoi ne trouve-t-on pas ces pièces à Lai Coiratte ? Trois hypothèses peuvent être formulées :

– le bas fourneau pour la réduction du minerai de fer a été chauffé par ventilation naturelle, à travers une ouverture fron- tale et grâce à un appel d’air à travers la cheminée ;

– les fragments de tuyères n’ont pas été conservés dans la zone ouverte par la fouille, soit parce qu’ils ont été rejetés ailleurs, soit parce qu’ils ont été détruits entre le moment de leur abandon et celui de leur mise au jour ;

– le bas fourneau comporte des ouvertures permettant d’intro- duire l’embouchure d’une soufflerie sans emploi d’une pièce intermédiaire. Ce genre de fourneau est connu en contexte médiéval à Schaffhouse 76 (Beck et Senn 2000, p. 268).

La première hypothèse obligerait à considérer d’une nouvelle manière la sidérurgie ancienne du Jura central suisse durant le Haut Moyen Age. Si l’on compare les caractéristiques obser- vées à Lai Coiratte avec celles décelées sur l’atelier médiéval de Lajoux - Envers des Combes 77, le procédé technique mis en œuvre

semble être tout à fait différent. A Lajoux, l’opération de réduc- tion se déroule dans un bas fourneau qui fonctionne assurément à tirage naturel. La différence entre les résultats analytiques des déchets provenant des deux sites invalide toutefois, à notre avis, cette première hypothèse.

L’approche analytique d’un fragment de paroi de bas fourneau de Lai Coiratte soutient l’idée d’une soufflerie artificielle (cat. 29). La présence de cristobalite indique en effet qu’une très haute tempé- rature devait localement être atteinte à un moment donné, lors de l’opération de réduction dans cet appareil (au moins 1470°C sont nécessaires à la formation de ce minéral). Il est difficilement imaginable qu’une telle température puisse être obtenue à l’aide du seul effet de cheminée dans un bas fourneau à tirage naturel. Cette considération nous renvoie alors à la seconde ou à la troi- sième hypothèse. Il faut alors soit admettre la disparition ou la destruction totale, dans la zone fouillée, de tout morceau ayant appartenu à une tuyère, soit que des ouvertures étaient aména- gées dans la paroi pour le dispositif de soufflerie sans présence de véritable tuyère. Comme la preuve par l’absence n’en est pas véritablement une, le paradoxe reste entier et la question ne peut être vraiment tranchée.

Diamètre (cm) Part du corpus Fourchette du poids des pièces

< / = 6 ± 1 / 8 50 g à 150 g (8 % >) < / = 12 ± 4 / 5 50 g à 400 g (10 % >) > 6 - < / = 12 ± 2 / 3 75 g à 400 g (12 % >) > 12 - < / = 18 ± 1 / 5 750 g à 1750 g (10 % < - 15 % >)