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CADRE THÉORIQUE POUR UNE APPROCHE TEXTUELLE

1. Des réseaux lexicaux aux isotropies lepéniennes

1.1. Les isotropies souverainiste et économique

Selon ces mots qui forment des réseaux, plusieurs catégorisations sont possibles mais les deux graphiques (figures 32 et 33) rendent compte de deux isotropies fondamentales : l’une axée sur un lexique souverainiste (le versant droite de JMLP en 2007 et le gauche de MLP en 2017) et l’autre sur un lexique plus économique (le versant gauche de JMLP en 2007 et le versant droite de MLP en 2017).

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Figure 32. AFC des 300 mots pleins. Regroupement isotropique chez JMLP en 2007

Autour du premier facteur de l’AFC, l’axe horizontal (F1), s’organise une lecture dichotomique opposant à l’extrême gauche une isotropie économique – avec les termes « chiffre », « population », « compter », « milliard », « million », « euro », « chômage », « industrie », – à l’isotropie souverainiste située à l’extrême droite du graphique – avec les termes « nation », « protéger », « peuple », « respect », « ordre », « nature », « valeur », « moral », « oublier », « idéologie ».

Cette lecture horizontale doit être suivie d’une lecture verticale, autour de l’axe F2 qui oppose la partie haute de la partie basse de l’AFC. En bas, se trouvent ainsi réunis des termes plutôt relatifs au domaine socio-économique : « solidarité », « recherche », « professionnel », « formation », « métier », « logement », « protection », « emploi », « retraite », et en haut des termes de l’« élection » « présidentiel[le] » avec les termes « candidat », « campagne », corrélés à la mise en forme du discours de campagne : « messieurs », « mesdames ».

Au centre du tableau, se trouvent les termes « immigrer », « immigration », « masse », « étranger », « clandestin », « insécurité ». Les analyses des profils cooccurrentiels ont déjà

156 révélé, dans notre première partie, que ces termes forment un réseau majeur, à la fois transversal et caractéristique du discours FN.

Figure 33. AFC des 300 mots pleins. Regroupement isotropique chez MLP en 2017

En 2017, l’axe F1 oppose l’isotropie économique, avec quasiment les mêmes termes qu’en 2007 : « milliard », « euro », « impôt », « augmenter », « charge », « achat », « million », à l’isotropie souverainiste avec les termes « histoire », « nation », « culture », « respect », « vision », « peuple », « fondamental », « liberté », « indépendance ».

L’axe F2 distingue en haut des termes relatifs à l’élection (le réseau est plus étendu qu’en 2007) : « voter », « élection », « présidentiel », « campagne », « candidat » et en bas la substance idéologique du discours FN, avec les termes « patriotisme », « identité », « souveraineté ». Nous étiquetons ici ces deux isotropies selon la distinction terminologique d’Étienne Brunet qui oppose le concret à l’abstrait (1981), c’est-à-dire qu’en terme de « souverainisme », le mot le plus abstrait serait « patriotisme » et le plus concret, le terme « candidat ».

Ces deux premiers graphiques révèlent bien deux isotropies majeures dont la première, l’isotropie souverainiste, n’est que très légèrement modifiée de la campagne de 2007 à celle de 2017, alors que des divergences semblent concerner l’isotropie économique. L’isotropie

157 souverainiste structure thématiquement la textualité lepénienne et repose, en 2007 et 2017, sur les termes substantiels tels que « histoire », « nation » et « peuple ». Proches de ces termes se trouvent les verbes « oublier », « protéger » chez JMLP, et « respecter », « choisir », « défendre » chez MLP. On voit dès lors se profiler trois sous-thématiques qui reposent sur la description de la grandeur de la France, la volonté de redonner son indépendance à la nation, et le rejet des immigrés.

Figure 34. L’isotropie souverainiste en 2007

En 2007, l’isotropie repose notamment sur un réseau qui renvoie plus à la protection de la nation qu’à son indépendance. Ce réseau repose ici sur la proximité des termes (peuple ; protéger), (respect ; ordre), (liberté ; défense). L’exaltation du sentiment national et la grandeur de la France reposent parallèlement sur le réseau suivant : « fort », « grand », « origine », « équilibre », « avenir », « libre ». Ce terme « origine », corrélé à l’oubli de la nation (oublier ; nation) renvoie à l’idée d’un équilibre passé qu’il est nécessaire de retrouver

158 dans l’avenir. Ce constat rejoint les conclusions de C. Alduy et S. Wahnich (2015 : 183) qui posent que les deux locuteurs lepéniens projettent un futur idéal dans « un retour au passé ». Cette isotropie révèle enfin que cette protection de la nation ne pourra se faire que dans l’exclusion d’une partie de la population. La proximité de la préposition « chez » et du pronom « nous » sous-tend aussi le carré idéologique que Van Dijk (2006) fait reposer sur la « différenciation entre ce qui fait partie du groupe et ce qui en est exclu, c’est-à-dire typiquement entre nous et eux » (Ibid. : 77). Le rejet des immigrés devient d’ailleurs explicite via le réseau lexical « protection », « préférence », « sécurité », « national » d’une part, et le réseau « disparition », « territoire », « frontière », « détruire », d’autre part.

Figure 35. L’isotropie souverainiste en 2017

En 2017, la proximité des termes « liberté » et « indépendance » constitue bien ce que D. Mayaffre nomme une « paire cooccurrentielle », ces deux termes au profil cooccurrentiel

159 proche se rencontrant si souvent dans le discours lepénien qu’ils forment une paire. En contexte, l’indépendance renvoie à « l’indépendance de la nation » et la liberté à la « liberté des peuples ». Cette sous-thématique est à l’œuvre dans l’ensemble du réseau thématique (souligné en jaune dans l’AFC) qui renvoie à la position géopolitique souhaitée pour la France. Ce réseau est porté par les termes « défense », « international », « national », « territoire », « origine », « frontière ». L’exaltation du sentiment national se retrouve enfin avec les termes « cœur », « grand », « fort » auxquels s’adjoignent les termes « culture », « respect », « histoire », « liberté », « valeur ». On note enfin la présence d’un nouveau réseau dans notre corpus qui propose un renouvellement des institutions avec les termes « référendum », « changer », « démocratie », « essentiel ».

Cette première étude nous permet désormais de confirmer que l’isotropie souverainiste révèle une structure sémantique similaire en 2007 et en 2017 dont il s’agira d’approfondir l’analyse ci-après avec l’étude des paires (en 2.).

Parallèlement, des différences semblent exister dans le discours lepénien concernant l’isotropie économique. L’ambivalence du discours du FN sur l’économie a déjà été soulignée par de nombreux analystes en sociologie ou en sciences politiques (Dézé 2015, Ivaldi 2015). Selon Ivaldi (2015 : 169), cette instabilité économique est à l’œuvre dans la plupart des programmes des droites radicales en France et en Europe.

Dans notre corpus les deux graphiques (figures 32 et 33 et plus précisément ci-après figures 34 et 35) révèlent bien sûr, avant les divergences, des similarités qui concernent notamment l’intrication des politiques économique et migratoire : on l’observe grâce aux relations qu’entretiennent les termes « insécurité »/« travail » et le terme « clandestin » pour JMLP, ou le terme « étranger » pour MLP. Néanmoins malgré ces similarités, des divergences entre les discours des locuteurs Le Pen apparaissent bien sur le versant économique.

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Figure 36. L’isotropie économique chez JMLP en 2007

161 Tel que le révélaient déjà les spécificités lexicales étudiées au cours du premier chapitre, JMLP utilise un lexique beaucoup plus centré sur l’agriculture, déclinant son programme économique dans le champ du territoire national, avec les deux aspects de sa glorification et de sa préservation nécessaire. Cette isotropie économique rapproche d’ailleurs les termes « agriculture », « terre », « paysan », « agricole ». Parallèlement, le versant économique de MLP renvoie à une dimension socialo-poujadiste qui consiste à défendre une partie de la population : les petits commerçants et le chef d’entreprise contre les « charges », les contribuables contre l’« impôt », le consommateur contre les « prix » élevés, et les travailleurs contre le « chômage ». En 2017, MLP se revendique comme la porteuse d’une « révolution de proximité » : « je crois en la vertu de proximité » (meeting de Bordeaux le 2 avril). Ce graphique rapproche également en 2017 les termes « patriotisme », « protection » et « économique ». Nous étudierons plus précisément ce réseau thématique en (2.) pour approfondir ce constat que le texte lepénien évolue au niveau des sous-thématiques et non pas au niveau de sa structuration profonde.

Ces premières analyses accordent les partitions lepéniennes sur l’isotropie souverainiste, mais révèle une ambivalence dans le discours économique du Front National. Dès lors nous proposons dans notre prochaine étude de développer ces nuances du discours lepénien.