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De immigration-invasion à immigrationnisme : un coup de force sémantique ? 101 Après avoir montré que les néologismes UMPS et RPS permettent aux locuteurs du

DU FRONT NATIONAL

4. De immigration-invasion à immigrationnisme : un coup de force sémantique ? 101 Après avoir montré que les néologismes UMPS et RPS permettent aux locuteurs du

Front National de créer une nouvelle dichotomisation de l’échiquier (notamment au moyen de la disqualification et de la visée insultante avec RPS) ainsi qu’une polarisation des débats avec les néologismes en -isme, nous nous attachons, dans cette dernière étude, aux néologismes qui ont une visée discriminatoire.

Nous nous concentrerons d’abord sur le néologisme immigration-invasion – repéré dans le chapitre précédent dans l’environnement sémantique du terme immigration – et sur néologisme immigrationnisme, partant notamment des études d’Alice Krieg (1999) et de Fabienne Baider et Maria Constantinou (2017) qui le considèrent comme un néologisme typique du discours d’extrême droite. Dans notre contribution (Bouzereau 2020), nous montrons que ces deux néologismes peuvent être considérés comme des marqueurs discursifs de haine dissimulée. Nous entendons par discours de haine toutes formes d’expression qui « propagent, incitent à, promeuvent ou justifient la haine raciale, la xénophobie, l’antisémitisme ou d’autres formes de haine fondées sur l’intolérance, y compris l’intolérance qui s’exprime sous forme de nationalisme agressif et d’ethnocentrisme, de discrimination et d’hostilité à l’encontre des minorités, des immigrés et des personnes issues de l’immigration » (définition du Conseil de l’Europe, voir Weber 2008 : 3) et par discours de haine dissimulée, avec F. Baider et M. Constantinou (2020), toute manifestation discursive pouvant de manière implicite ou masquée inciter à la haine, à la violence et/ou à l’exclusion de l’autre. Le discours de haine dissimulée « peut impliquer la mobilisation de mythes, du déjà dit, ou du préconstruit, mais il perpétue, construit ou renforce des stéréotypes et des préjugés ; dans cette dynamique dialogique, le discours de haine dissimulée peut se mettre au service d’une “visée argumentative” (Amossy 2000) et incitative dans sa dimension perlocutoire pour faire d’abord croire et ensuite “faire faire” » (Baider et Constantinou 2020 : 12).

Le discours lepénien sur l’immigration a déjà fait l’objet de plaintes judiciaires. JMLP a par exemple été condamné pour « incitation à la haine raciale » le 24 février 2005. MLP, quant à elle, a été poursuivie mais non condamnée pour des propos tenus en 2010 qui comparaient les prières de rue des musulmans à l’occupation nazie. Très récemment, c’est le candidat Nicolas Dupont-Aignan qui a été poursuivi pour provocation à la haine ou à la discrimination après des propos sur l’« invasion migratoire » durant la campagne

101 Les développements qui suivent sont une version actualisée de l’article publié dans l’ouvrage collectif dirigé

135 présidentielle de 2017. Le 17 janvier 2017, le candidat déclarait dans un tweet : « En 2016, les socialistes compensent la baisse de natalité par l’invasion migratoire. Le changement de population, c’est maintenant ! ». Suite au signalement de la LICRA, le parquet avait engagé des poursuites et Marine Le Pen avait apporté son soutien à Nicolas Dupont-Aignan comme en témoigne le tweet ci-dessous :

À l’audience, le parquet de Paris a requis 5000 euros d’amende avec sursis à l’encontre du candidat et le procureur a dénoncé une reprise de la « théorie complotiste et raciste née dans les tréfonds de l’extrême droite française » : la thèse du « grand remplacement » décrite par Renaud Camus102. Dans la formule, c’est l’association porteuse de discriminations qui a constitué l’objet du procès mais Nicolas Dupont-Aignan a finalement été relaxé « sur le fond »103.

Le nom composé immigration-invasion et le syntagme invasion migratoire sont bien sûrs distincts mais le discours est discriminatoire dans les deux cas. Jean-Marie Le Pen utilise huit fois le syntagme invasion migratoire dans notre corpus et les deux présidents du FN exploitent la thèse du grand remplacement. JMLP l’aborde régulièrement en affirmant que « l’immigration de peuplement » est la solution trouvée par les dirigeants pour répondre à la crise démographique (rappelons que le substantif peuplement est évalué comme un cooccurrent proche du terme immigration, avec un indice de spécificité élevé à (+20,58)). Dans son discours, l’immigration aurait pour finalité de « substituer » la population actuelle au moyen de « l’invasion ». Cette thèse conspirationniste fait également partie du discours de MLP en 2011 :

102 https://www.bfmtv.com/politique/invasion-migratoire-5-000-d-amende-avec-sursis-requis-contre-dupont-

aignan-1412019.html consulté le 5 septembre 2018.

103 http://www.leparisien.fr/politique/invasion-migratoire-dupont-aignan-relaxe-pour-ses-propos-de-campagne-

136 (28) Les chiffres de l’immigration que je vous présente aujourd’hui ne sont pas seulement

accablants, ils sont littéralement terrifiants parce qu’ils dessinent une pente irrémédiablement ascendante ! À l’heure où tous les pays européens prennent conscience de l’urgence d’un sursaut, ces chiffres montrent que non seulement l’immigration en France n’a pas été freinée mais qu’elle est volontairement accélérée dans un processus fou dont on se demande s’il n’a pas pour objectif le remplacement pur et simple de la population française.

Conférence de presse de MLP, le 21 février 2011.

(29) Comment pourrions-nous nous satisfaire de voir nos adversaires poursuivre leur œuvre de ruine morale et économique du pays, de le livrer à la submersion par un remplacement organisé de notre population, d’asservir notre peuple à la dictature des marchés.

Déclaration de MLP, le 11 mars 2011.

La statistique cooccurrentielle a aussi révélé que le terme invasion concerne très souvent la thématique de l’immigration (chez JMLP) : l’adjectif « migratoire » est calculé comme étant son cooccurrent le plus spécifique (+8,54). Immigration-invasion est un néologisme de nomination par composition, avec soudure partielle du tiret, et l’homophonie des finales favorise l’attraction sémantique entre les noms grâce au sème commun /entrer dans/. Le premier nom et un dérivé suffixal du verbe migrer (du latin migrare, « s’en aller d’un endroit, partir ») et le second est un emprunt au latin invasio (lui-même dérivé du verbe invadere « marcher, aller, s’avancer dans »). Tous deux ont en commun le préfixe in- « dans » et le suffixe -ion (ou leurs allomorphes). Ce néologisme fait sens hors contexte et programme une réception polémique :

(30) Les partis de la Bande des Quatre sont convenus d’appliquer les consignes du B’Mai Brith pour bâillonner le Front National, avocat du peuple et voix de la Nation. Les médias font de même et organisent le silence autour de ses activités, […]. Chirac et Jospin ont même été, à la veille des élections régionales jusqu’à lancer du haut du perron de leurs palais officiels, l’anathème emprunté au MRAP communiste : racistes, xénophobes et antisémites. À la vérité, tout cela ne vise qu’à interdire au peuple français d’entendre les vérités relatives à l’immigration-invasion. Par une démarche parallèle, ce sont les pompiers et les médecins qu’on caillasse dans les banlieues. Le peuple doit mettre en échec ces manœuvres qui visent à le priver de sa liberté de choix en votant massivement pour ceux qui le défendent à tout risque. Il doit profiter des prochaines consultations pour renvoyer chez eux, tous les politiciens qui depuis 25 ans le trompent et le trahissent.

Déclaration de JMLP, le 1er mai 2001, à Paris.

(31) […] l’immigration massive que nous dénonçons inlassablement depuis 30 ans et qui nous vaut l’injuste réputation d’être racistes et xénophobes, alors que nous ne sommes que patriotes et francophiles, est aujourd’hui la menace la plus grave qui pèse sur notre avenir. […]. Les politiciens ont fait pendant 30 ans exactement l’inverse de ce qu’il fallait faire. Je les accuse d’avoir été les complices d’une substitution délibérée de population et d’un véritable crime contre la Nation et le Peuple français. La situation,

137 qui de préoccupante est devenue inquiétante, va évoluer de façon irréversible s’il n’y

est pas donné de coup d’arrêt en 2002. Après, il sera trop tard. Car, et les deux phénomènes sont liés, si la menace extérieure, c’est l’Europe fédérale et la perte de souveraineté, la menace intérieure c’est l’immigration-invasion.

Déclaration de JMLP, le 1er mai 2001, à Paris.

(32) À la vérité, la lâcheté de l’établissement dirigeant n’a pas de limites : moi, j’ose dire que les problèmes de voitures brûlées, les problèmes d’insécurité en général, les problèmes d’engorgement immobilier et hospitalier, les difficultés budgétaires chroniques ne ressortissent essentiellement qu’à un seul problème fondamental, celui d’une c’est l’immigration-invasion, coûteuse, prédatrice et destructrice de nos grands équilibres nationaux.

Conférence de presse de JMLP, le 16 janvier 2009, à Lyon.

Les occurrences (30) et (31) closent le discours du 1er mai 2001 qui développe la vision lepénienne de l’immigration contre celle des « partis de la Bande des Quatre » (désignation – au sens de Kleiber – à visée déjà assimilatrice, comme UMPS). JMLP fait des partis et des médias un système censurant le Front National : il commence par dénoncer cette censure politique faisant de lui une victime afin que l’auditeur s’interroge sur la raison de ces faits. Il y apporte une réponse : « À la vérité, tout cela ne vise qu’à interdire au peuple français d’entendre les vérités relatives à l’immigration-invasion ». Se dégage de cette phrase l’ethos d’un locuteur à la fois franc et lucide : les déclinaisons du substantif vérité (soulignées dans le texte) sont nombreuses et résonnent en opposition à l’« anathème emprunté » des adversaires. Le locuteur affirme que la vérité se loge dans le sens porté par le néologisme immigration-

invasion. Les trois occurrences du mot composé sont actualisées par un article défini de

notoriété, présupposant un savoir partagé avec l’auditeur. La franchise de celui qui ose dire les choses telles qu’elles sont est exprimée en (32) par le commentaire méta-énonciatif « moi j’ose dire ». La force illocutoire des énoncés tient dans la dénonciation des tabous voire des mensonges à l’œuvre dans l’ensemble des discours politiques contemporains. La visée pragmatique est quant à elle d’attiser la colère, voire la haine des auditeurs contre les adversaires du locuteur, mais pas seulement. En effet, deux niveaux d’analyse cohabitent ici. En (31), Jean-Marie Le Pen anticipe la critique en substituant aux étiquettes de « raciste » et « xénophobe » qu’on lui prête celles antagonistes de « patriote » et « francophile », selon le principe de la figure dialogique de la paradiastole (voir Gaudin et Salvan 2008c et 2010b). Il évoque ensuite la thèse du grand remplacement en allant jusqu’à renommer ce phénomène « crime contre la nation » qui contrebalance la dénomination – implicite mais présente en creux sur le mode du détournement – « crime contre l’humanité »104. En réalité ici, c’est

138 l’ensemble du déroulement argumentatif qui œuvre pour l’instauration de l’idéologie haineuse : si le discours demande explicitement aux auditeurs d’exclure du pouvoir les adversaires de JMLP (le peuple doit « renvoyer chez eux » (30) les responsables d’« un véritable crime contre la Nation et le peuple français » (31)), il sous-tend également la haine des responsables du phénomène migratoire mais également des individus immigrés. Ce discours implicite se loge dans l’ensemble des associations. En (31), JMLP relie explicitement les termes menace et immigration et crée, en (32), une relation de finalité entre les divers problèmes que subissent les Français et le phénomène migratoire. Il y a bien une double critique, un double ennemi. Si JMLP est la victime des responsables politiques, les Français sont les victimes de ces responsables mais aussi des référents auxquels renvoie le « on » dans la comparaison : « Par une démarche parallèle, ce sont les pompiers et les médecins qu’on caillasse dans les banlieues » (dans la citation 30). Cette double critique progresse ainsi de la disqualification banalisée des adversaires politique vers une incitation à exclure les immigrés. Quand le FN néologise sur l’immigration, le contexte est bien discriminatoire. Si le discours de Marine Le Pen occulte le néologisme immigration-invasion il réinvestit le néologisme immigrationnisme, déjà utilisé par Jean-Marie Le Pen. Le programme Ngram Viewer repère plusieurs occurrences du terme dans les années 1920, puis une nouvelle utilisation à partir de 1993. Il ne s’agit donc pas d’un terme créé par le Front National même s’il circule largement dans leur discours.

Dans le contexte du paragraphe, sur la base consacrée aux discours lepéniens, le lemme

immigrationnisme se trouve associé à d’autres termes porteurs d’idéologies : « libre-

échangisme » (+4,77), « mondialisme » (+4,24), « mercantilisme » (+3,69), « européisme » (+5,22), ainsi qu’à l’adjectif « anti-national » (+3,36).

139 Le néologisme renvoie aussi à la « doctrine » (+3,2) du « gouvernement » (+4,37) ou plus globalement du « système » (+2,05), faisant « consensus » (+3,29) mais qui se révèle être une « utopie » (+2,93) et « suicidaire » (+3,18). La visée du néologisme immigrationnisme repose ainsi et de nouveau (comme pour les autres substantifs en -isme déjà étudiés) sur la polarisation du débat qui oppose l’« UMPS » au FN.

Dans notre article, nous soulignions (Bouzereau 2020) que c’est aussi, dans les diverses oppositions que se loge la stratégie discursive de haine dissimulée, dissimulée parce qu’il n’est jamais commandé explicitement de haïr telle ou telle communauté. Dans le discours datant du 1er mai 2012, MLP déclare ainsi :

(33) Ils sont européistes et mondialistes, nous sommes nationaux et patriotes ! Ils sont contre la souveraineté nationale, nous sommes pour ! […] Ils sont immigrationnistes, pas nous !

Déclaration de MLP le 1er mai 2012 à Paris.

Cet extrait est discriminatoire par l’usage du stéréotype mettant en confrontation un EUX et un NOUS à l’œuvre dans le discours d’exclusion. Quand le système ou les dirigeants (EUX) pensent « immigration », le FN (NOUS) pense « nation ». Quand le système (EUX) pense aux immigrés, le Front National (NOUS) pense aux Français. Ainsi se loge la polarisation d’un débat qui oppose des intérêts divergents. Durant la campagne de 2017, ce double discours est toujours présent et prend une valeur électoraliste :

(34) La France n’a plus le goût des fausses alternances, […]. Gauche ! Droite ! Gauche ! Droite c’est le pas cadencé que le mondialisme, l’immigrationnisme et le mercantilisme veulent vous faire adopter. Il nous conduit sur un tapis de roses vers l’abîme !

Déclaration de MLP, le 26 février 2017, à Nantes.

Nous sommes au début du meeting : le néologisme immigrationnisme s’inscrit dans une critique idéologique globale, actualisé comme les autres noms par un article défini de notoriété (consensuelle), il connote négativement une politique d’ouverture à l’immigration. Avec le « mondialisme » et le « mercantilisme », il impose une marche forcée, quasi militaire (« pas cadencé »), vers un gouffre sans fond (le substantif intensif abîme ajoutant une dimension morale). Les responsables sont ici aussi les représentants de la gauche et de la droite, porteurs d’idéologies destructrices, et ceux qui en paient le prix sont les Français (« vous ») sur lesquels s’exerce la « mise au pas » orchestrée par la fausse alternance. Une valeur électoraliste s’ajoute dans le discours MLP par rapport à celui de son père :

140 (35) Sur tous les sujets relatifs à l’immigration ou la sécurité, les Français sont d’accord

avec nous jusqu’à 80%. […]. Pourtant, cette adhésion ne se traduit pas toujours encore en intention de vote. Notre victoire idéologique est largement acquise. On le voit, notre problème est moins de convaincre de la pertinence de nos analyses ou même de notre projet que de faire bouger des habitudes de vote.

Déclaration de MLP, le 26 février 2017, à Nantes.

L’occurrence (36) montre enfin que la thématique migratoire fait partie intégrante du discours anti-système du FN :

(36) Vous le voyez, le système s’est ingénié à occuper tous les carrés de jeu, on dirait chez les commerciaux tous les segments du marché :

M. Fillon occupe le créneau gauche-droite en se présentant comme le candidat de « l’alternance » !

Lui qui est le triple recordman de la dette (+ 600 milliards), de l’immigration (1 million d’immigrés légaux entrés pendant le quinquennat), de la baisse du nombre de policiers, gendarmes, douaniers, militaires.

M. Macron, lui, occupe le créneau système-antisystème en se présentant comme le candidat qui dépasserait les clivages des partis !

Personne ne doit être dupe. Derrière le sourire marketing de l’un ou le masque défait de l’autre, c’est le plat unique et avarié du mondialisme, de l’union-européisme, et de l’immigrationnisme que l’on nous ressert.

Déclaration de MLP, le 2 avril 2017, à Bordeaux.

Au même titre que le « mondialisme » et l’« union européisme », l’« immigrationnisme » désigne dans le discours du FN une idéologie destructrice, assimilée métaphoriquement à une nourriture indigeste et délétère (« plat unique et avarié »). Cette réunion idéologique permet de redistribuer l’échiquier – de le remettre dans le bon ordre – alors qu’il est perturbé par des adversaires remettant en cause la polarisation gauche/droite.

Le terme immigrationnisme a réussi un coup de force discursif : il circule, non seulement dans le discours FN, mais aussi dans le discours public contemporain, qu’il s’agisse des discours politiques ou des discours médiatiques et scientifiques. P.-A. Taguieff publie ainsi en 2006 dans Le Figaro un article qu’il intitule : « L’immigrationnisme, dernière utopie des bien-pensants »105. Certaines associations discriminantes martelant le discours FN paraissent donc aujourd’hui faire peu polémiques, surtout en cette dernière campagne présidentielle qui, entendant combattre le terrorisme, a banalisé l’amalgame [immigrés = terroristes]. D’ailleurs si l’association des termes invasion et migration a fait polémique en 2017, le contenu a finalement été jugé non discriminatoire, le néologisme immigrationnisme tendant à faire consensus.

105 http://www.lefigaro.fr/debats/2006/05/09/01005-20060509ARTFIG90200-

141

Conclusion - Le néologisme FN : une tentative pour créer un contre-lexique

L’étude du phénomène néologique nous permet de conclure que le néologisme lépenien – même s’il se présente souvent comme un simple néologisme de (re)nomination – vise avant tout à créer de nouveaux référents, pour permettre au parti de se (re)positionner sur la sphère idéologique et politique (voir surtout UMPS / RPS et immigrationnisme / immigration-

invasion) et de créer un système idéologique et politique. Le néologisme est alors un moyen

discursif économe et percutant pour servir des fins politiques et électoralistes.

Par ailleurs, plusieurs néologismes lepéniens dépassent le cadre du discours FN et circulent à l’extérieur, dans les discours politiques et médiatiques. Cette circulation sert les intérêts du Front National : si les mots du FN sont tus, il s’agit d’une stratégie électorale visant à faire taire les « vrais analystes », et si les mots du FN sont réutilisés, il s’agit d’une victoire idéologique (exemple 35).

Le néologisme FN, et plus précisément le néologisme lepénien, s’inscrit systématiquement dans un registre polémique et a une triple visée : disqualifiante, insultante et discriminatoire, pour mieux promouvoir le Front National et ses valeurs nationalistes. Dans cette perspective, le phénomène néologique permet au locuteur FN de se re-positionner sur la scène politique en proposant à ses auditeurs une idéologie présentée comme non institutionnelle d’une part, en déstabilisant ses adversaires avec la création d’un contre- lexique d’autre part. Concernant leur actualisation en discours, il s’agit le plus souvent de corréler les néologismes (cf. « leur » ci-dessus) aux stratégies contrediscursives du Front National. Ce qui demeure le plus souvent contrediscursif avec les néologismes repose en effet sur l’usage de certains termes ou certaines combinaisons alors que d’autres existent de manière plus répandue.

Certains néologismes pourraient aussi se porter candidats à la construction d’un contre- lexique que pourrait revendiquer le Front National. À partir de l’analyse du vocabulaire du FN, nous avons vu que les mots du FN sont souvent actualisés en discours comme étant opposés aux mots des autres. Nous avions alors posé l’hypothèse d’un contre-lexique objectivable, et avions envisagé de constituer une liste de ce contre-lexique objectivable. Si nous ne pouvions parler d’un contre-lexique nationaliste, l’étude des néologismes montre ici que l’établissement d’un contre-lexique serait toutefois pertinent à effectuer.

Cette partie consacrée à l’approche lexico-grammaticale nous a permis de montrer l’importance de l’acte de nommer dans le discours du FN : dialogisme de la nomination (chapitre 1), (re)nomination (chapitre 2), création lexicale faisant système (chapitre 3). Des

142 mots extrapolés par la statistique occurrentielle et analysés linguistiquement par un retour au texte, il s’agira désormais de voir comment se structurent les thématiques qui ont commencé à poindre. Pour avoir une vision d’ensemble de ces thématiques, nous choisissons une approche textuelle fondée sur la méthode contextualisante, permise par la statistique cooccurrentielle. Nous avons pointé l’importance du nationalisme (comme anti-mondialisme) ainsi que les thématiques anti-européenne et anti-immigration, accréditant l’idée au cœur de notre recherche d’un discours du FN construit contre une doxa unique critiquée de manière