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Cohérence et continuité thématique autour de l’isotropie souverainiste

CADRE THÉORIQUE POUR UNE APPROCHE TEXTUELLE

2. Les paires cooccurrentielles : un observatoire pour la textualité lepénienne

2.1. Cohérence et continuité thématique autour de l’isotropie souverainiste

La structure sémantique du discours lepénien repose sur l’isotropie souverainiste déclinable en trois sous-thématiques : la grandeur de la France, l’indépendance de la nation et le rejet des immigrés. Parmi les multiples possibilités, nos recherches ont révélé plusieurs paires cooccurrentielles spécifiques du discours du FN sur le plan diachronique. Ce sont ces paires que nous analysons ici.

La grandeur de la France est exaltée à travers plusieurs réseaux lexicaux, tels que celui qui réfère au sentiment national (« cœur », « amour », « sentiment », « espoir »), ou celui qui renvoie au roman national (« nation », « histoire », « culture », « langue », « identité »). De

170 ces combinaisons la paire (nation ; histoire) s’est révélée pertinente pour rendre compte des relations effectives dans le discours FN.

Figure 42. Topologie et cooccurrence des lemmes nation et histoire

Ce graphique illustre le fait que les termes sont réguliers dans l’ensemble du corpus d’une part et que « nation » cooccurre significativement avec « histoire » d’autre part. Ces deux facteurs (régularité des occurrences et force de leurs combinaisons) permettent ainsi aux locuteurs Le Pen de construire leur discours autour de noyaux sémantiques répétés. Les trois exemples ci-dessous soulignent en effet l’importance du roman national dans le discours lepénien :

(4) Oui, Monsieur Sarkozy, il y a une autre politique que la vôtre, un autre avenir une autre espérance ! Sur la terre de France, en ce lieu où se rencontrèrent il y a plus de 20 siècles la fureur gauloise, la mesure grecque et l'ordre romain, ici même, à Nice, dans un de ces lieux où souffle l'esprit, laissons-nous porter par l'esprit de cette grande Nation112, par l'âme de notre France, par la force qui est née il y 2000 ans, dans cette

rencontre improbable de la Gaule Chevelue et des légions en marche ! Regardons haut et loin, car la France

C’est la grandeur ou rien,

171 C’est cette langue qui enrichit le monde de plus de chefs d’œuvre de l'esprit qu'aucune

autre langue,

C’est la splendeur des paysages et la douceur du climat,

C’est notre histoire, tragique, glorieuse, reconnue, qui donna au monde le sentiment national en même temps que la Liberté, l’Égalité et la Fraternité.

Cette France de toujours, que nous chérissons, nous ne la laisserons pas périr.

C’est à ce combat que je vous ai appelé depuis si longtemps déjà, et auquel vous avez répondu les premiers, vous qui vous avez toujours été à mes côtés, malgré les coups, les injures, le mépris et l’injustice !

Déclaration de JMLP, le 19 avril 2007 à Nice.

(5) Cette histoire de larmes et de sang, mais aussi de gloire et de joie est notre histoire, une histoire commune, celle d’une nation, une nation de cœur et d’âme, une nation de souvenirs et de sacrifices, d’espoirs et de projets, une nation de sentiments et de solidarité.

Déclaration de MLP, le 8 avril 2017, à Ajaccio.

(6) Je le répète le sens de l’histoire est celui des États-Nations, et nous incarnons l’histoire qui vient […].

Déclaration de MLP, le 23 février 2017, à Paris.

Ces trois exemples, mis en relief, illustrent le fait que parler du roman national vise à promouvoir une politique fondée sur l’État-Nation, soit un État fort et indépendant de l’Union européenne. Cette corrélation récurrente des termes « histoire » et « nation » nous permet d’affirmer ici que ces deux substantifs forment une paire cooccurrentielle significative de la structure textuelle lepénienne.

Dans la même sous-thématique relative à la grandeur de la France figure la corrélation significative des termes « langue » et « culture » (figure 43).

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Figure 43. Topologie des lemmes langue et culture

Dans le discours de Marine Le Pen, parler de la langue française la conduit toujours à une promotion de l’idéologie nationaliste : avec l’accumulation d’un jugement de valeur du type « la langue est le joyau de notre culture » (déclaration du 23 juin 2015) suivi de la description de la menace qui pèse sur la langue française : « la menace la plus grave c’est celle qui plane sur le français au sein même de notre territoire national. Si la France, nation-mère de la francophonie, n’arrive même plus à assurer la sauvegarde de sa propre langue sur son propre territoire, nous pouvons dire adieu à tout espoir de rayonnement francophone » (Ibid.). Et, durant la campagne de 2017, MLP reprend la stratégie sarkozyste de 2007 qui consistait à répéter selon le modèle de l’anaphore rhétorique des thèmes de l’identité française :

(7) Mais parlons-en de l’assimilation. Oui, notre pays a connu l’arrivée d’étrangers, qui ont participé pour partie à l’effort de construction du pays, des Italiens, des Portugais, des Polonais, des Espagnols, mais aussi des africains venant de ces pays francophones avec qui nous partageons notre belle langue. D’où qu’ils viennent, la France en a fait des Français. Notre langue en a fait des Français, notre culture en a fait des Français, notre histoire en a fait des Français, nos lois en ont fait des Français, nos écoles en ont fait des Français et parfois même, le sang qu’ils ont versé pour la patrie en a fait des Français. Français ils sont devenus, par l’effort, le mérite. Et ils l’ont aimé, cette France qui leur avait beaucoup demandé, mais qui leur a beaucoup donné en retour. Cela s’appelait l’assimilation et c’était notre fierté.

173 Parallèlement, tel que le faisaient déjà transparaître les différentes AFCs, il y a un bien un réseau lexical corrélant les termes « langue », « sécurité », « identité », « liberté », « culture » chez Jean-Marie Le Pen. En contexte, cette corrélation s’explique par le fait que JMLP les réunit régulièrement dans le cadre de l’énumération :

(8) La France, notre Patrie, c’est bien autre chose. C’est le cadre de notre vie, le sol où dorment nos ancêtres mêlés à la terre de France, celle que l’on n’emporte pas à la semelle de ses souliers. La Nation française, c’est le cadre irremplaçable de nos libertés, de notre sécurité, de notre identité, de notre prospérité, de notre culture, de notre langue, de notre civilisation chrétienne et humaniste. Elle s’est enrichie d’apports étrangers individuels et ceux-ci ont reçu en échange, sans commune mesure, le patrimoine immense que le passé lui a légué, dont chaque génération a l’usufruit et qu’elle devra transmettre au moins intact aux générations suivantes. La France donc, ce n’est pas seulement un présent et un avenir. C’est aussi et d'abord, un passé, ce n’est pas une population, au reste menacée par la crise démographique qui nous ronge, mais un peuple avec un esprit, une âme. Une Nation sans passé est une Nation sans avenir.

Déclaration de JMLP, le 15 avril 2007 à Paris.

Dans cet extrait, la nation est présentée comme la garante des concepts présents dans l’énumération et les termes « identité » et « culture » y entretiennent un lien intrinsèque. Ces deux premiers graphiques confirment l’idée que plusieurs paires cohabitent bien dans le discours souverainiste voire nationaliste du FN. Les réseaux mettent aussi en évidence la corrélation des termes « identité » et « nation » ainsi que celle des termes « identité » et « culture » (figure 44).

174 Les termes « identité » et « culture » entretiennent un lien fort tout au long de notre corpus. La culture comme la nation dans le discours du Front National permettent de définir l’identité :

(9) Cette perte de racines « géographiques » est encore aggravée par la suppression de nos frontières, mais aussi par l’immigration invasion, la perte d’identité de notre peuple et sa lente colonisation par des peuples qui n’ont en commun avec lui ni l’histoire, ni la culture, ni la religion.

Déclaration de JMLP, le 30 mars 2002 à Lille.

(10) À écouter la doxa dominante, il n’y a plus aujourd'hui d’identité française autre que le métissage à marche forcée et le multiculturalisme ! […]. Non, la France n’a pas vocation à ne plus être française, la France doit demeurer la France et son peuple demeurer Français ! Cette vérité, nous ne cesserons jamais de la proclamer ! Cette vérité – mes chers amis, et nous ne cesserons jamais de le proclamer – ne signifie pas que des étrangers ne puissent devenir français mais simplement qu’en nombre limité et avec notre accord préalable, ils doivent s’inscrire par eux-mêmes dans la continuité de ceux que nous fûmes et de ce que nous sommes l’assimilation c’est-à-dire le dépouillement volontaire par un individu d’une partie de sa culture et de son identité d’origine pour épouser celle du pays autre est un devoir moral pour celui ou celle qui nait étranger souhaiterait devenir français ! Mais, cette assimilation, nous le disons également est impossible tant que l’immigration continuera au rythme de 200 000 entrées légales par an et probablement à peine moins pour les entrées illégales ! Déclaration de MLP, le 1er mai 2014 à Paris.

Dans l’exemple (9), la culture unie à l’histoire et à la religion fait partie intégrante de l’identité tandis que dans l’exemple (10), les deux concepts entretiennent une relation d’identité. Dans le discours lepénien, en effet, parler d’une culture unique participe de la promotion de l’identité française ou bien est confondue dans le concept d’identité. Quoiqu’il en soit, parler de culture et d’identité française au singulier introduit souvent la sous- thématique lepénienne relative au rejet des immigrés. Les termes figurent non seulement dans le même réseau thématique dans les AFCs et sont bien cooccurrents (voir chapitre 2).

Les termes « culture » et « identité » occupent donc une place importante dans le discours du FN. L’ensemble des travaux de l’ouvrage collectif sur le discours nationaliste en Europe (Komur et Celle 2010) s’accorde pour dire que si le discours nationaliste a changé depuis quelques décennies, l’idéologie reste la même et les modifications portent essentiellement sur des glissements sémantiques.

Selon G. Noiriel (2007 : 68), « le programme du Front National s’inscrit dans le prolongement direct du discours nationaliste construit sur l’idée que l’identité française est menacée par l’afflux des étrangers ». Concernant le rejet des immigrés, nous présentons ici ce qui a déjà été étudié (chapitre 2), soit la paire cooccurrentielle (immigration ; insécurité). Cette paire cooccurrentielle porte la sous-thématique relative au rejet des immigrés,

175 substantielle de la textualité lepénienne. On observe dans le graphique ci-dessous la régularité de ces termes ainsi que leur forte cooccurrence sur l’intervalle 2000-2017.

Figure 45. Topologie des lemmes immigration et insécurité

Le rejet des immigrés se manifeste également dans la mise en confrontation d’un « nous » face à un « eux » (voir figure 46) sous-tendant le « carré idéologique » nationaliste, déjà évoqué, décrit par Van Dijk (2006). La littérature sur le discours nationaliste s’accorde d’ailleurs sur ce rôle du « nous » dans le discours nationaliste :

Le discours nationaliste parle de ce Nous dont il affirme l’évidence mais dont il lui faut constamment démontrer la légitimité et fixer les frontières. La preuve en question s’administre de moins en moins par un discours sur la Naturalité du fait national (d’où découlerait sa prééminence, à la façon de Maurras) ou par des analyses sur l’exceptionnalité : le caractère particulier d’un peuple, voire d’un Urvolk, essentialisé et porteur d’une mission particulière dans le concert des Nations. Elle se fait davantage par une affirmation de ce qui est commun (et qui pourrait disparaître) […]. (Komur et Celle 2010).

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Figure 46. Topologie et cooccurrence des pronoms nous et eux

Dans notre corpus, la première cooccurrence traduit en contexte l’opposition d’un EUX (les travailleurs immigrés) à un NOUS (les Français) : « Mais il faut qu’ils rentrent chez eux car ils font chez nous une concurrence illégitime » (Interview de Jean-Marie Le Pen, le 22 octobre 2001). Du côté de la partition de MLP, l’étude en contexte révèle qu’en campagne présidentielle, cette cooccurrence sert plus souvent à souligner la relation d’opposition entre les élites et les candidats FN (citation 11) :

(11) Hommes et femmes de droite et de gauche, ouvrez les yeux ! Comprenez enfin qu’il y a beaucoup plus de points communs entre eux qu’entre nous et eux, qu’ils se ressemblent beaucoup plus qu’ils ne vous ressemblent, que ce sont eux qu’ils aident, qu’ils aiment, qu’ils défendent… pas vous !

Ces francophobes, ces européistes qui vendent sans scrupule notre liberté, qui ont voté tous les Traités nous ayant désarmés dans la mondialisation, ces candidats faussaires voudraient maintenant se présenter comme les meilleurs amis des productions françaises.

Déclaration de Marine Le Pen, le 11 décembre 2011 à Metz.

En revanche, durant l’intervalle des campagnes (et plus précisément en 2014 et en 2015) cette opposition lui sert de nouveau à créer le « carré idéologique » nationaliste :

177 (12) Deuxièmement, il y a le problème de l’immigration intra-européenne, on l’a vu de

manière extrêmement précise notamment par l’intermédiaire du problème des Roms. On voit bien que la Bulgarie et la Roumanie sont entrées dans l’Union européenne, il n’y a pas de frontière au sein de l’Union européenne, les Roms viennent et s’installent dans des conditions qui sont insupportables pour nous et pour eux mais pour nous aussi.

Conférence de MLP, le 28 avril 2014 à Douai.

(13) Nous devrons donc agir par nous-mêmes, à travers les solutions que je vous ai exposées, en reprenant la maîtrise de nos politiques migratoires, ce qui suppose évidemment de sortir de l’espace Schengen et de renvoyer l’Union européenne plonger dans les abysses, à la place de ces hommes et ces femmes morts en mer, vers qui nos pensées se tournent, et qui ont le droit de vivre chez eux, comme nous chez nous.

Déclaration de MLP, le 1er mai 2015, à Paris.

Enfin l’indépendance de la nation fait bien partie de la sémantique lepénienne et plusieurs paires cooccurrentielles en sont les garantes.

Le graphique ci-dessous témoigne d’une part que les termes « nation » et « peuple » ont un usage régulier dans notre corpus et d’autre part qu’ils sont cooccurrents plutôt dans les années 2003-2006, puis avec Marine Le Pen notamment dans la campagne présidentielle de 2017.

178 Les exemples en contexte révèlent que cette corrélation a pour but de légitimer la mesure d’« indépendance des nations », qui consiste à sortir de l’Union européenne :

(14) En effet, à tous égards, cette élection présidentielle n’est pas comme les autres, elle met en jeu un débat crucial qui engage notre pays de manière fondamentale. De son issue, dépendront la continuité de la France en tant que nation libre et pour ceux qui comme nous se sentent avant tout français, notre existence en tant que peuple.

Déclaration de MLP, le 5 février 2017, à Lyon.

Le discours souverainiste du Front National consiste à construire une relation de causalité entre l’indépendance des nations et la liberté des peuples. Nous soulignions précédemment le lien intrinsèque qu’entretiennent les termes « nation » et « indépendance ». Le graphique ci- dessous confirme leur relation (figure 48).

Figure 48. Topologie et cooccurrence des lemmes nation et indépendance

Leur cooccurrence est plus notable durant la présidentielle de 2017 :

(15) Je veux retrouver notre souveraineté nationale, c’est-à-dire notre liberté et notre indépendance.

Déclaration de Marine Le Pen, le 27 mars 2017, à Lille.

Le profil cooccurrentiel (nation => souveraineté, liberté, indépendance) représente un réseau thématique essentiel dans la campagne de 2017 : c’est sur la défense de ces valeurs que Marine Le Pen crée son ethos de future présidente de la République.

179 C’est donc la corrélation entre le terme « nation » et les termes « histoire », « peuple » et « indépendance » qui nous a permis de rapprocher le discours lepénien du discours nationaliste.

Au regard de ces différents graphiques nous pouvons ici conclure que ces paires cooccurrentielles participent à la construction de la structure sémantique du discours lepénien. Ces paires cooccurrentielles des trois sous-thématiques décrites relèvent en effet de ce qui fait la cohérence d’une part (son sens global, qui engage « la bonne formation interprétative et communicative du discours » (Riegel, Pellat et Rioul 2009 : 1019) dans certaines conditions de production) et la cohésion (son architecture sémantique) de la textualité lepénienne, ces deux propriétés en assurant la continuité thématique (la « suite dans les idées »). Parallèlement à ce qui assure la continuité thématique du texte, nous nous penchons maintenant sur les facteurs de progression, d’évolution thématique, à propos de certaines paires coocurrentielles qui sont les plus pertinentes.