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Le croisement du quantitatif et du qualitatif pour une approche textuelle

CADRE THÉORIQUE POUR UNE APPROCHE TEXTUELLE

3. Le croisement du quantitatif et du qualitatif pour une approche textuelle

Nous articulons dans cette partie un pôle centré sur la « cohérence » qui traitera du facteur sémantique via la statistique cooccurrentielle et un pôle axé sur la « cohésion » qui examinera les liens logiques inter-phrastiques par les connecteurs.

3.1. De la statistique cooccurrentielle …

Pour analyser la cohérence thématique à l’œuvre dans le texte lepénien, nous prenons comme point de départ, la statistique cooccurrentielle dans la perspective ouverte par J.-M. Viprey. Pour analyser la textualité, il propose d’observer la répétition des items lexicaux et leur signification contextuelle « livrée avant tout par les faits de cooccurrence » (Ibid. : 61). Ce postulat le conduit à une analyse des vocables en réseau, soit à une « étude de la répartition des occurrences au fil du texte » (Id.). Se dessinent alors des « séquences thématiques plus ou moins marquées, dont les profils s’ajusteront d’ailleurs plus ou moins aux repérages séquentiels effectués selon d’autres critères (marqueurs spécifiques, grammaticaux ou typographiques, notamment) » (Id.).

Dans son article publié dans l’ouvrage collectif Sciences du texte, J.-M. Viprey (2005) s’intéresse au Monde Diplomatique sur l’intervalle 1980-2000 et fait le choix d’y observer du côté de la continuité sémantique via une statistique cooccurrentielle. Il fait le constat que « les items proches sur le graphe ont des contextes massivement similaires du point de vue de leur constitution lexicale, ils ont les mêmes cooccurrents » (Ibid. : 65). Ces résultats le conduisent à la proposition théorique de remplacer la notion d’isotopie par la notion d’isotropie qui

150 « correspondrait aux tendances collocatives et surtout à la structuration lexicale systématiquement singulière que ces tendances déterminent, telle que la manifeste ce genre de projection graphique » (Id.) :

Le fait, par exemple, que ces termes qui occupent le bas du graphe, d’une part « aillent ensemble » le plus communément, d’autre part montrent du texte même, par une opération de simple explication, comme l’une de ses saillances majeures, est à la fois typique et singulier. De même bien sûr, pour tous les groupements, plastiques, non-dichotomiques, que l’observation minutieuse, exhaustive du graphe, alternante avec de substantielles phases de retour au texte linéaire et tabulaire, mettra en valeur (Ibid. : 65-66).

La finalité est simple : établir une cartographie du texte à travers un calcul cooccurrentiel des thématiques les plus utilisées. Le logiciel Hyperbase permet cette recherche via la fonction

Corrélat qui dresse la carte synthétique des cooccurrences (par une analyse factorielle de

correspondance). Le programme commence par établir une liste de mots (au moins les substantifs, adjectifs ou verbes qui sont les plus fréquents – la version web du logiciel s’attache elle aux 300 mots pleins les plus utilisés de plus de trois caractères) et enregistre toutes leurs rencontres dans le même paragraphe. Ce registre est alors tenu dans un tableau carré où les mêmes éléments sont portés sur les lignes et les colonnes (Viprey 2005.).

L’approche cooccurrentielle permet donc de caractériser un mot par sa micro- distribution par rapport aux autres, c’est-à-dire par son contexte intra-textuel local. Le traitement statistique permet de généraliser cette approche pour rendre compte au niveau du texte des structures ou maillages qui se dégagent. Concrètement, la fonction Corrélat va regrouper mathématiquement ou graphiquement les mots qui ont le même profil cooccurrentiel, postulant l’idée que les mots qui ont le même profil cooccurrentiel, c’est-à- dire distribués de manière identique dans les paragraphes, ont un rapport sémantique ou thématique. Dans cette perspective, les isotropies telles que décrites par J.-M. Viprey représentent des zones de textualité et constitueront notre objet d’étude dans le chapitre suivant.

La méthode de J.-M. Viprey est largement utilisée en logométrie. Si D. Mayaffre, dans son ouvrage sur le discours présidentiel de Nicolas Sarkozy (2012a : 35), affirme que sur le plan méthodologique « la mise en exergue objective des thématiques des discours est un problème difficile », les tentatives les plus abouties sont bien, selon lui, celles de J.-M. Viprey :

151 À ce stade et pour une rare fois dans la procédure logométrique, il n’y a pas de contraste avec d’autres corpus qui tienne : les substantifs les plus utilisés – en valeur absolue – par le président sont considérés comme les meilleurs témoins de la substance de son discours (« pays », « politique », « président », « crise », « travail », « violence », etc.). Ensuite, on étudie les relations qu’entretiennent ces mots-clés entre eux : le texte, au sens étymologique, est un tissage et la rencontre entre les mots (ou co-occurrence) en constitue les mailles fondamentales d’où émerge le sens. Chacun des deux cents mots les plus fréquents est donc croisé avec tous les autres afin de repérer les attirances/répulsions privilégiées. En d’autres termes, un score de co-occurrence est établi pour toutes les paires de mots, et chacun des deux cents substantifs se trouve doté de son profil co-occurrentiel (sa relation avec tous les autres). Les paires co-occurrentielles (banque crise ; violence prison ; travail effort ; etc.) représentent des noyaux de sens, et les profils co-occurrentiels (banque => crise capitalisme régulation Europe ; violence => prison autorité gauche étrangers) laissent entrevoir les réseaux thématiques ou la structure sémantique sous-jacente du texte. L’ensemble de la procédure repose sur l’idée fondamentale que le mot seul – quand bien même il est souvent répété – ne saurait se suffire à lui-même et que seul son contexte d’utilisation est éclairant. Ce contexte est ramené ici, de manière minimale mais calculée, aux co-occurrences. (Mayaffre, 2012a : 35).

Après la description des principales isotropies repérées statistiquement, nous poursuivrons par l’analyse des sous-thématiques illustrées par la fonction Topologie, pour terminer par une réflexion sur la notion de motif – forme linguistique complexe de cooccurrences – développée par D. Longrée et S. Mellet (2013).

3.2. … au fonctionnement textuel des connecteurs

Les connecteurs – « termes de liaison et de structuration » (Riegel, Pellat et Rioul 2009 : 1044) qui subsument plusieurs catégories grammaticales (conjonctions de coordination, adverbes, groupes prépositionnels, etc.) – ont une force textualisante par leur fonction d’organisation. Les connecteurs argumentatifs – qui vont spécialement nous intéresser – jouent en outre un rôle dans l’articulation logique des idées et dans l’orientation argumentative d’un texte. Nous souhaitons dans cette partie examiner l’hypothèse selon laquelle, si ces connecteurs permettent d’articuler logiquement les idées dans le paragraphe et les propositions dans la phrase, ils permettent aussi dans notre corpus politique une manière de s’arranger avec l’argumentation (Bonnafous et al. 1999).

Notre étude textuelle se poursuivra ainsi par l’observation du niveau inter-phrastique à travers l’étude du système des connecteurs lepéniens. Les connecteurs ont été très tôt évalués en fonction de leur contribution à la cohésion / cohérence du texte :

152 Des morphèmes comme MAIS, SI, CERTES, ALORS, DONC, CAR, PUISQUE, PARCE QUE, mais aussi MÊME, QUAND MÊME, BIEN QUE, etc., dont il ne sera pas question ici, marquent le discours d'une façon tout aussi forte et au moins aussi subtile que les substantifs. Ceux que l'on considérait autrefois comme des « mots vides » ou des « mots outils » jouent un rôle essentiel à la fois au niveau de la cohésion-cohérence globale du texte (de la progression et des enchaînements des propositions) et au niveau de la cohérence pragmatique-énonciative (Adam 1984 : 107).

La valeur structurante des connecteurs joue à plusieurs niveaux, dont celui de l’enchaînement inter-propositionnel ainsi que celui qu’on pourrait appeler « instructionnel ». Comme le rappelle Geneviève Salvan (1996 : 25), les connecteurs sont des « morphèmes grammaticaux qui ont une fonction pragmatique, ils donnent des instructions pour l’interprétation d'un énoncé ». Selon elle, les connecteurs ont une fonction :

celle de structurant du texte (au niveau de la progression et de l’enchaînement des propositions, et ce dans une perspective narratologique large) et un rôle d’instructeur de la cohérence pragmatique d’un énoncé. (Id.).

Dans un article consacré à mais dans un dialogue de Crébillon fils, elle observe l’« enchaînement structuré d’arguments liés par une stratégie globale qui vise à faire adhérer l’auditoire à la thèse défendue par l’énonciateur » et réaffirme le rôle de marqueurs de « l’orientation argumentative vers une certaine conclusion » (Riegel, Pellat et Rioul 2009 : 1053). Les connecteurs constituent donc un bon poste d’observation pour voir comment s’enchaînent et se combinent les arguments dans le discours du FN. Cette appréhension des spécificités argumentatives des connecteurs rejoint dès lors le parti pris méthodologique suivi par Michèle Monte (2009a).

Nous examinerons l’usage de trois connecteurs qui sont à la fois spécifiques et marqueurs de lien logique fort dans l’argumentation lepénienne (les connecteurs du paradoxe, du consensus et de la conséquence). Ce second versant de notre étude permettra aussi de rendre compte des réseaux thématiques lepéniens soulevés par ces trois types de connecteur, l’enjeu étant de déterminer à travers l’analyse des contextes de ces connecteurs quelles sont les principales thématiques que soulève le paradoxe lepénien et de repérer à l’inverse ce qui doit faire systématiquement consensus selon les locuteurs lepéniens.

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CHAPITRE 5. STRUCTURATION

SÉMANTIQUE DE LA TEXTUALITÉ

LEPÉNIENNE

Introduction

Dans ce chapitre, les résultats obtenus grâce à la statistique cooccurrentielle constituent une entrée linguistique pour décrire la « structure sémantique »109 de la textualité lepénienne. Concrètement, nos recherches ont discriminé, au moyen des fonctions Corrélat, Topologie et

Distribution, deux facteurs de textualité que nous nommons dans cette thèse isotropie et sous- thématique.

L’idée est la suivante : après avoir décrit les isotropies repérées grâce à la fonction

Corrélat, nous étudierons plus en détail la régularité de certains mots récurrents et

géographiquement proches sur les AFCs. Il s’agira de comprendre dans un premier temps ce qui crée les isotropies du discours FN, ainsi que les sous-thématiques qui en fondent la charpente, en observant minutieusement parmi les groupes de mots proches dans l’AFC ce en quoi ils forment un réseau (1.). De là, nous détaillerons ces réseaux qui créent les sous- thématiques du texte lepénien ((2.) et (3.)), en allant voir du côté de ces groupes de mots proches dans l’AFC. Si les « paires cooccurrentielles », renvoyant aux « noyaux de sens », mènent naturellement aux réseaux lexicaux, repérables quant à eux via les profils cooccurrentiels (Mayaffre 2010 : 35), la réciproque est régulièrement prouvée statistiquement mais n’est pas automatique. Autrement dit, les mots géographiquement proches sur le

Corrélat ont nécessairement des profils associatifs proches, mais cette proximité

109 Nous appelons ici structure sémantique ou réseaux thématiques cette matrice mathématique qui regroupe les

154 géographique ne témoigne pas de la coprésence effective des mots dans les paragraphes : deux mots peuvent avoir un environnement lexical semblable et concourir à la formation d’une thématique sans jamais être cooccurrents entre eux (Guaresi 2015 : 19). Notre parcours progressera ainsi des paires cooccurrentielles en (2.), c’est-à-dire des noyaux sémantiques répétés, aux segments répétés en (3.).

Les calculs de la fonction Corrélat – contrairement à beaucoup des fonctionnalités statistiques utilisées dans cette thèse – se fondent uniquement sur la partition sélectionnée, sans calcul contrastif. Partant effectivement du postulat épistémologique que le sens naît en contexte, et du postulat méthodologique que la cooccurrence est la forme minimale de ce contexte, les profils cooccurrentiels de 300 mots dessinent ainsi sous la forme d’une AFC la cohérence sémantique des discours lepéniens en campagne présidentielle de 2007 et 2017.