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Après l’UMPS, l’RPS : vers une disqualification insultante

DU FRONT NATIONAL

2. Des néologismes pour construire un ennemi polymorphe

2.4. Après l’UMPS, l’RPS : vers une disqualification insultante

Avec UMPS, les locuteurs FN parviennent à amener dans le discours politique une nouvelle lexie qui n’est plus à débattre, ce qu’atteste l’arrivée du terme RPS86. UMPS entériné, le changement de nom des Républicains est l’occasion de forger un nouveau mot sur la même base.

86 L’analyse de l’exemple (6) figure également dans les actes de colloque sur le discours populiste en Europe, et

114 Historiquement, RPS est un néologisme créé par Florian Philippot qui l’inaugure, via twitter, le 30 mai 2015, à l’occasion du changement de nom de l’UMP : « Bienvenue à l’RPS ! Ça gratte, ça démange, c’est mauvais pour la France. #Herpès ». Décrit explicitement dans son tweet, le mot-valise de Florian Philippot fonctionne lorsqu’il est prononcé comme le substantif herpès, désignant une maladie virale contagieuse. Dans ce tweet, Florian Philippot crée aussi un hastag visant à tagger le signifiant. Cet hastag et ce néologisme seront repris dans d’autres tweets et circuler.

Dans la base de données consacrée aux discours lepéniens, MLP l’utilise une fois, le 10 décembre 2015 :

(6) Avec le PS et l’UMP, nous avons affaire à deux clans d’une même mafia politique qui s’appelle l’UMPS et avec le changement de nom en les Républicains s’appelle aujourd’hui « L’RPS » et, je ne sais pas si vous êtes comme moi, mais je n’en ai pas envie pour la France.

Déclaration de MLP, le 10 décembre 2015, à Paris.

Dans cet exemple, l’adaptation du signifiant au signifié est dissimulé par le deuxième emploi du verbe pronominal s’appeler, glosable par « qui s’auto-désigne », stipulant ironiquement que les Républicains doivent désormais assumer la transformation de l’UMPS en RPS. Si c’est le dépliement du sigle néologique et le contexte d’UMPS qui sont disqualifiants, le néologisme RPS, qui n’est plus seulement un sigle, mais un acronyme dont le signifiant sonore renvoie à une lexie existante, a une visée insultante en soutenant l’analogie [mes adversaires = une maladie pour la France]. Dans le contexte, la locutrice savoure son néologisme sur un ton piquant, d’autant plus qu’elle se présente comme contrainte de le faire. À propos de l’insulte, Laurence Rosier (2012)87 dit qu’elle peut dénoter un « marqueur de maîtrise langagière » :

Bien insulter, c’est faire montre d’un savoir langagier (connaître du vocabulaire), rhétorique (clouer le bec de l’adversaire, faire mouche) et pragmatique (insulter au bon moment et à bon escient). L’insulte apparaît alors comme un procédé rhétorique, dans un contexte en tension, qui rompt avec une politesse verbale sentie non comme une convenance sociale mais comme un procédé de dissimulation et de manipulation. Mieux encore, elle peut être « une insolence » au sens où l’entend Michel Meyer (1998), salvatrice et bienvenue, dans une société policée.

C’est bien ici que se loge le néologisme RPS, la locutrice construit en discours l’ethos de la seule femme politique qui ose piquer la société trop policée, dont la doxa serait fervente du politiquement correct. Le néologisme, qui apparaît ici encore comme une simple

115 renomination (de l’UMPS), inscrit l’énoncé de MLP dans un registre polémique contrediscursif. L’extrait relève en effet des quatre critères du polémique (Amossy 2014 : 51) : la dichotomisation (de l’échiquier), la polarisation (des débats), la disqualification et la violence verbale (avec la charge insultante du terme). La teneur insultante du néologisme vise ainsi à présenter le discours du FN comme un discours iconoclaste, n’hésitant pas à saper le discours policé des autres. On a pu remarquer que ce néologisme ayant une teneur instante (contrairement à UMPS), MLP ne l’emploie que très rarement. En revanche le néologisme circule bien dans le discours du FN : 17 occurrences du néologisme RPS figurent dans la base de données consacrée aux communiqués de presse FN sur l’année 2015 (base n°5). Ces occurrences se manifestent dans les partitions de Steeve Briois, Gaëtan Dussausaye, Marine Le Pen, Marion Maréchal-Le Pen, Florian Philippot et Wallerand de Saint-Just. Contextuellement, le néologisme renvoie plus aux politiques locales (notamment dans le cadre des municipalités) comme l’illustre le profil cooccurrentiel du terme sur cette même base.

Figure 30. Profil cooccurrentiel d’RPS dans les communiqués du FN

Notamment parce que les locuteurs de cette base de données sont plus concernés par les enjeux municipaux, les principaux cooccurrents du néologisme renvoient à une politique de « proximité » (+2,24), aux « impôt[s] » (toujours « locaux » en contexte), à la « ville » (+4,41), à la « municipalité » (+3,36). Notons que l’année 2015 est l’année des élections départementales et non des municipales (qui ont eu lieu en 2014) mais certains locuteurs comme Steeve Briois, élu maire d’Hénin-Beaumont en 2014, utilise dans le cadre du communiqué de presse, le néologisme RPS pour justifier ou revendiquer des politiques FN contraires à celle imposée par l’État :

116 (7) Contrairement à l’RPS, aucune ville gérée par les maires Front national ne censure un

spectacle musical sous la pression du communautarisme islamiste. Communiqué de presse de Steeve Briois, le 11 juin 2015.

(8) Accueil des immigrés clandestins pour les Maires Front National, c’est NON ! […]. La grande famille de l’UMPS (RPS) est à nouveau réunie pour soumettre les Français à la déferlante migratoire.

Communiqué de presse de Steeve Briois, le 8 septembre 2015.

Tout comme UMPS, le néologisme RPS sert autant à identifier des référents, tels que les « maires », les « élites », « le gouvernement » ou les « complices » (voir exemple 9), qu’à faire exister le référent par sa simple présence (voir exemple 10).

(9) Mais pour l’Union Européenne et ses complices de l’RPS, il n’y a que les « quartiers prioritaires » qui comptent […].

Communiqué de presse de Wallerand de Saint-Just, le 8 juin 2015.

(10) Le rassemblement de tous ceux qui ne veulent pas de l’RPS ne peut se faire qu’autour du Front National.

Communiqué de presse de Steeve Briois, le 31 mai 2015.

(11) Engagement des forces armées en Syrie : panser les plaies du mimétisme atlantiste du RPS.

Communiqué de presse de Marion Maréchal-Le Pen, le 16 septembre 2015.

En (11) le consensus que crée le signifiant atteint son paroxysme puisque le néologisme figure dans le titre du communiqué. Toutefois si Marion Maréchal Le Pen fait ainsi allégeance à la nomination néologique, elle déleste le mot de sa charge insultante, en ne retenant que l’idée de collusion entre les deux partis, ce dont témoigne le choix de l’amalgame préposition+ article défini masculin du, qui empêche de facto la prononciation [εʀpεs] au profit de [εʀ-p-s] (elle est d’ailleurs la seule qui actualise ainsi le terme dans ce corpus). Au sein du FN, concernant ce terme, la tante et la nièce semblent ainsi prendre soin de piquer avec prudence. Durant la campagne de 2017, le terme RPS n’apparaît pas dans les discours de meeting de Marine Le Pen. Elle préfère conserver UMPS et essaye le nouveau terme UEMPS intégrant subtilement les acronymes de l’Union européenne ou du mouvement En marche, de l’UMP et du PS88.

Dans les communiqués de presse, RPS est donc employé sans explicitation métalinguistique (à l’exception de l’exemple [8]). L’observation de ces exemples nous permet

88 « Alors on nous a déniché le candidat Macron. Candidat original puisqu’il assume être le candidat de l’UMPS

et même de l’UEMPS, ralliant toutes les vieilles gloires du système, de Robert Hue à Alain Minc » (Déclaration de MLP, le 15 mars 2017 à Saint-Raphaël).

117 de nous interroger sur la stabilisation d’un néologisme lepénien lorsqu’il se trouve repris par d’autres locuteurs FN et plus précisément dans le cadre du genre communiqué de presse. En effet, la présence du néologisme RPS dans le communiqué de presse tend à prouver que le signifiant n’est plus à débattre. La reprise d’un néologisme dans un communiqué de presse, soit dans un espace discursif plus restreint qu’un discours de meeting par exemple, n’autorise que très peu la présence de commentaires métalinguistiques. Ces exemples semblent donc rendre compte de la stabilisation du néologisme dans notre corpus. Le réinvestissement du néologisme dans les communiqués de presse montre que la base locale du FN peut s’approprier un mot, une fois son utilisation cautionnée par la Direction du FN, et l’ériger par un usage répandu comme mot du vocabulaire FN.

Sur le plan argumentatif, avec UMPS et RPS, JMLP et MLP créent bien des néologismes de nomination. Ces néologismes ne comblent pas une lacune de la langue obligée d’innover devant de nouveaux référents, ils créent de nouveaux référents, ou, dans la logique des locuteurs FN, les dévoilent. La stratégie néologique des locuteurs Le Pen répond ainsi au besoin de créer un nouveau référent, l’ennemi unique polymorphe. Dans ces exemples, il s’agit bien de se construire un ennemi pour mieux exister et discours radicalement neuf face aux discours usés des autres, autrement dit, de faire passer un néologisme comme naturel puisque seule la forme serait neuve, le référent étant déjà là. C’est bien sûr un coup de force, car ni l’UMP ni le PS ne s’accordent sur leur appariement discursif. Les deux néologismes UMPS et RPS ont donc pour finalité de renommer les choses, et de laisser une trace dans les discours en s’imposant au-delà des discours du Front National. Les néologismes permettent d’acter dans le discours FN une frontière entre le FN, représentant du « peuple français » et l’UMPS, puis l’RPS, représentant du système « européiste » et « immigrationniste » – termes récurrents que nous étudions ci-après.