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Les interactions entre Défection et Prise de parole

III ESPERER

DEFECTION / PRISE DE PAROLE

5. Les interactions entre Défection et Prise de parole

Hirschman se consacre ensuite à l’étude des conditions dans lesquelles la Prise de parole et la Défection se manifestent.

Ces mécanismes d’ajustement comme il le suggère

“s’opposent sans s’exclure ”431 et sont liés par une relation négative : la hausse de la Défection entraîne la baisse de la Prise de parole et vice et versa432. L’interaction de ces modes de comportement chez Hirschman repose initialement sur l’idée que l’organisation économique nécessite une oscillation entre l’action de processus marchands, la Défection, mais aussi de mécanismes extérieurs au marché, la Prise de parole ; cette dernière n’est donc pas un substitut ni une contrainte à l’action économique mais un complément visant à suppléer à ses défauts. Mais, loin du paradigme standard de l’équilibre il s’agit toujours d’organiser continûment le déséquilibre433. Exit, voice and loyalty suppose donc l’antagonisme des deux modes d’action qui ne sont complémentaires que dans la durée : leurs développements varient suivant l’élasticité de la

429 Ibid., p. 92.

430 La question du Loyalisme, facteur renforçant de la Prise de parole, est abordée dans le point 2 de la partie III.

431 Ibid., p. 32.

432 Hirschman introduit l’idée de “ jeu de bascule classique ”, in « Exit and Voice : An Expounding Spheres of Influences », traduction française, « Défection et prise de parole : l’état du débat », in A. O. Hirschman, Vers une économie politique élargie, ouv. cit., pp. 57-87., ou de “ modèle “ hydraulique ” simple : la dégradation suscite un mécontentement, dont la pression sera canalisée sous forme de prise de parole et de défection ; plus la pression s’échappe par la défection, moins elle nourrit la prise de parole ”, Un certain penchant à l’autosubversion, ouv. cit., p. 25.

433 “ The new approach does not satisfy our craving for equilibrium, harmony, and final repose ”, A. O. Hirschman, Essays in trespassing, ouv. cit., p. 237.

demande par rapport à la qualité ; une élasticité forte entraîne un taux élevé de Défection alors qu’une faible élasticité contribue à la hausse de la Prise de parole. Le choix dépend donc directement en premier lieu d’une comparaison des coûts qu’engendrent les deux formes d’activisme. La prise en compte des caractéristiques structurelles434 fait que généralement la Défection est préférée à la Prise de parole ; cette dernière agit alors comme un complément ou un

“ résidu ” à la première. Néanmoins, elle devient une alternative viable à la concurrence lorsque l’influence et le pouvoir de négociation sont estimés suffisants de la part des

“ clients ” de l’organisation pour exercer une action efficace sur le niveau de qualité requis435. L’incertitude de la Prise de parole constitue cependant un désavantage comparatif face à la Défection436. La présence de cette dernière affaiblit donc les possibilités de développement de la Prise de parole.

434 Les caractéristiques structurelles sont définies par le type de l’organisation : économique ou politique, le degré de qualité, la durabilité et la disponibilité du bien ou du service distribué, et, le nombre d’acheteurs concernés, A. O. Hirschman, Défection et prise de parole, ouv. cit., p. 73.

la Défection s’applique davantage aux organisations économiques produisant des produits de basses qualités ou non durables (faibles coûts), présents en grande quantité sur le “ marché ” ; la Prise de parole, à l’inverse, se manifeste plus à l’égard premièrement des organisations politiques au sein desquelles les

“ membres ” disposent d’un pouvoir de négociation élevé susceptible de conduire à une politique efficace de redressement de la qualité, et deuxièmement des organisations distribuant des produits de hautes qualités ou durables (coûts élevés), dont la disponibilité reste faible. Ainsi, “ le nombre et la variété des biens disponibles sur le marché d’une économie développée favorisent la défection au détriment de la prise de parole ; mais l’importance croissante des biens de consommation durables qui nécessitent une grosse mise de fonds exerce une influence en sens inverse de la première ”, ibid., p. 71.

Deux cas limites sont envisagés : un premier définit les situations où la Défection est interdite comme dans les institutions sociales de la Famille, de l’Etat, etc. ou encore au sein d’un monopole économique ; un second décrit les situations où la Prise de parole est nulle comme l’hypothèse de la concurrence parfaite de la théorie économique le présuppose.

435 La création d’“ organes d’expression ” (associations de consommateurs, etc.) peut s’avérer un appui efficace à la Prise de parole en abaissant le coût des caractéristiques structurelles, ibid., p. 73.

436 “ Lorsque les acheteurs ou les membres d’une organisation ont le choix entre la défection et la prise de parole, ils donnent une préférence excessive à la première solution ; c’est qu’ils fondent généralement leur décision sur une évaluation rétrospective du coût et de l’efficacité de la prise de parole, alors que la faculté d’inventer, qui permettra peut-être d’en abaisser les coûts et d’en accroître l’efficacité, fait partie de son essence même ”, ibid., p. 74.

Considérer l’interaction de ces deux modes d’action implique donc de tenir compte de la qualité des produits offerts. Une variation de cette dernière est ressentie différemment suivant les individus ou les groupes concernés. De fait, une baisse de la qualité n’induit pas nécessairement une réaction analogue de la part des clients à une hausse des prix. Le modèle

“ standard ” de la théorie économique est inapplicable dans ces situations en ce sens que ce ne sont pas les “ clients marginaux ” qui réagiront à une variation de la qualité mais ceux qui bénéficieront de la plus forte “ rente du consommateur ”. Ainsi, les consommateurs-citoyens attachant une attention particulière à la qualité seront les plus susceptibles de faire Défection s’ils trouvent des articles de substitution de qualité supérieure même à un prix plus élevé sur le marché, ou bien, à prendre la parole si aucun article de substitution jugé satisfaisant ne leur est proposé.

L’introduction de la notion de qualité implique de tenir compte du processus de prise de décision de l’organisation concernée. En effet, comment va-t-elle déterminer son niveau de production étant donné que le prix et la qualité agissent sur le comportement de ses clients ? Dans cette nouvelle situation, l’entreprise cherche d’une part à maximiser ses bénéfices comme le prédit la théorie économique, et d’autre part, à minimiser le mécontentement de sa clientèle afin de limiter la probabilité de la Prise de parole437. Il s’ensuit que la poursuite exclusive du profit n’est plus le seul déterminant du comportement de l’organisation ; plus les clients enclins à prendre la parole en cas de baisse de la qualité seront nombreux, plus la firme aura tendance à ne pas choisir le choix de baisse de la qualité même s’il correspond à la maximisation de ses bénéfices438.

437 Le mécontentement, manifesté par la Prise de parole, bien que non mesurable en termes de coûts, est supposé avoir une influence suffisamment importante sur la prise de décision de l’organisation économique ou politique.

438 Hirschman se sert de cet argument pour réfuter le modèle de Harold Hotelling sur la théorie de l’emplacement et la dynamique du bipartisme montrant que les partis politiques subissent l’influence des électeurs les plus partisans dans leurs choix politiques, ibid., p. 108-116.

6. Les quatre configurations proposées de la Défection et