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Chapitre 1. Problématique de la recherche

1.1. Le contexte général de la recherche : le portrait actuel de la formation des chercheurs universitaires

1.1.3. Les formules d’encadrement de la recherche

Notre recherche vise la formation scientifique des étudiants-chercheurs. Il nous paraît alors essentiel de circonscrire ces deux concepts clés de notre analyse. Un « étudiant-chercheur »1 est une personne inscrite à un programme d’études de cycle supérieur comportant un volet de recherche comme axe central de la formation : c’est-à-dire, la maîtrise recherche ou le doctorat conduisant au grade de Philosophiæ Doctor (Ph. D.). L’étudiant inscrit à une maîtrise recherche (master recherche en France ou maîtrise avec mémoire au Québec) doit mener avec rigueur les étapes d’une recherche sous la supervision d’un professeur qui agit à titre de directeur de recherche. L’étudiant doit participer au développement des connaissances scientifiques, technologiques ou artistiques de son domaine d’études. Pour y arriver, l’étudiant doit réussir un certain nombre de cours (dont le nombre peut varier entre domaines, établissements et pays) et réaliser un projet de recherche (le mémoire) bien circonscrit dans son envergure et dans le temps sous la supervision d’un expert du domaine2. L’étudiant inscrit à un programme de doctorat conduisant au grade de Philosophiæ Doctor (Ph. D.) doit mener de façon autonome et experte un projet de recherche qui apporte une contribution originale à la connaissance, à l'interprétation ou au développement scientifique, technologique ou artistique de son domaine d’études, et ce, par la réalisation autonome d’un projet de recherche (la thèse) contribuant à l’avancement des connaissances du domaine (FESP, 2015).

1 Tout au long de ce document de thèse, d’autres termes sont utilisés pour nous référer aux étudiants-chercheurs, par

exemple « étudiants diplômés » et « chercheurs en formation ». L’expression « étudiant gradué » est très utilisée au Québec, bien qu’elle constitue un anglicisme (graduate student) rarement employé ailleurs dans la francophonie.

2 La section 2.6.1 aborde plus spécifiquement les aspects en lien avec les compétences à développer par les étudiants-

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Dans le cadre des études dans les cycles supérieurs, la « formation à la recherche »3 comporte l’ensemble d’activités d’enseignement visant le développement des compétences scientifiques des étudiants-chercheurs. Cette formation à la recherche se développe sur plusieurs plans, tel que décrit par Lee (2008) :

(1) Functional: where the issue is one of project management.

(2) Enculturation: where the student is encouraged to become a member of the disciplinary community.

(3) Critical thinking: where the student is encouraged to question and analyse their work. (4) Emancipation: where the student is encouraged to question and develop themselves. (5) Developing a quality relationship: where the student is enthused, inspired and cared for. (p. 270-271)

Dardes et Pérez (2015) déclarent que la formation à la recherche s’articule autour de cinq axes : attention aux besoins personnels et d’apprentissage, socialisation, pédagogie du processus de recherche et orientation. En ce qui a trait aux besoins d’ordre personnel, l’accompagnement offert aux étudiants-chercheurs vise leur intégration au milieu universitaire et leur adaptation aux exigences des études supérieures, à renforcer l’estime de soi, à soutenir l’affermissement de sa motivation intrinsèque, à favoriser leur persévérance et à contrer le perfectionnisme et la procrastination. L’enseignement en ce qui a trait au processus de recherche scientifique inclue les processus sous-jacents à l’élaboration d’un projet de recherche. Sur le plan de la socialisation, le besoin de surmonter le sentiment d’isolement constitue le principal défi. En ce qui concerne les besoins d’enculturation scientifique, la formation à la recherche favorise l’intégration des étudiants-chercheurs à la communauté scientifique du domaine, à renforcer la connaissance des différentes théories et perspectives et à soutenir la rédaction et la communication scientifiques. Les besoins de conseil incluent la disponibilité de l’expertise pour l’étudiant, les rétroactions, la résolution des doutes, la clarté des tâches, les rencontres régulières, le soutien à la motivation extrinsèque l’orientation relativement aux procédures administratives et le guidage à travers le cheminement d’études afin de maintenir un rythme d’avancement soutenu.4

L’encadrement de la recherche des étudiants diplômés est une activité soumise à de fortes pressions telles que le nombre croissant de l’effectif, les profils étudiants de plus en plus divers qui exigent des adaptations aux particularités et la surcharge de travail des professeurs. Ainsi, il est légitime de s’interroger sur les façons dont les corps professoraux des établissements universitaires assurent la formation scientifique des étudiants. Les chercheurs qui se sont penchés sur la question de l’encadrement des étudiants de cycles supérieurs (Cotterall, 2011; Kemp et al., 2014) ont établi, de manière conventionnelle, une distinction entre 4 types, à savoir :

3 « Encadrement » et « supervision » sont d’autres termes employés pour nous référer à la « formation à la recherche ». 4 Les dimensions de la formation à la recherche dans le deuxième cycle universitaire sont abordées en détail dans la

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1. Le modèle traditionnel où chaque étudiant travaille individuellement et intensément avec son directeur de recherche (modèle un à un).

2. Le modèle collégial où un comité d'experts (avec entre trois et cinq membres) supervise le travail de l’étudiant. Les membres du comité sont choisis en fonction du domaine de recherche et de l'expertise requise (modèle plusieurs à un).

3. Le modèle de laboratoire où des groupes d’étudiants-chercheurs travaillent ensemble sur un projet commun sous la direction d’un superviseur (modèle un à plusieurs). Le groupe peut inclure un ou plusieurs chercheurs, des stagiaires postdoctoraux, des techniciens et des assistants de laboratoire. Dans ce modèle, les pairs plus expérimentés constituent la source première de soutien et de conseil pour les étudiants néophytes. Si cette approche a été traditionnellement privilégiée par les sciences dites « dures » (sciences formelles et sciences de la nature), plus récemment, le modèle de laboratoire a été adapté et progressivement introduit dans les sciences humaines et sociales, suivant le modèle de supervision par cohorte, afin de tirer profit des communautés de pratique.

4. Le modèle de cohorte dans lequel plusieurs étudiants sont regroupés à dessein afin de poursuivre ensemble un programme d’études supérieures. Ce modèle se caractérise par la mise en place des processus sociaux et culturels qui favorisent l’interaction et le partage d’expériences, le travail collaboratif et l’engagement mutuel afin d’atteindre un objectif éducatif commun (Govender et Dhunpath, 2013). Contrairement aux autres approches d’encadrement, dans ce modèle, les cohortes peuvent varier considérablement en termes de formalité, du nombre de superviseurs (modèle plusieurs à plusieurs), de leur durée de vie, de caractéristiques du domaine d’études et de la façon dont la structure du programme est développée (Kemp et al., 2014; Lai, 2011; van Biljon et de Villiers, 2013). Comme illustré dans la Figure 1, ces formules peuvent être placés sur un continuum représentant un rapport inverse entre la participation des parties prenantes et le contrôle exercé sur le travail de l’étudiant. En plus de ces quatre modèles, l’option de codirection peut être utilisée dans de nombreuses configurations afin de mieux répondre aux besoins d’encadrement de travaux de recherche des étudiants (Grossman et Crowther, 2015).

13 Figure 1. Formules d’encadrement de la recherche

Force est de constater que chaque modèle exige des compromis et comporte une charge de travail pour le professeur. Si les modèles privilégiant le regroupement d’étudiants (de laboratoire et de cohorte) ont un potentiel intéressant dans une perspective d’efficacité d'échelle, ils peuvent être assez problématiques lorsque les rôles au sein de l'équipe ne sont pas clarifiés (Grossman et Crowther, 2015). À l'exception du modèle de laboratoire, les trois autres modèles pourraient demander un investissement accru en termes de travail et de temps. Le modèle collégial, pour sa part, pourrait exiger autant de temps que le modèle traditionnel, alors que le modèle de cohorte peut entrainer des difficultés d‘évaluation de l’efficacité, compte tenu de la variabilité des ratios étudiants/directeurs (van Biljon et de Villiers, 2013).

Dans le contexte de l’encadrement des étudiants-chercheurs, le modèle traditionnel a été historiquement dominant, et ce, pour deux raisons : premièrement, la propre expérience des professeurs lorsqu’ils étaient des étudiants-chercheurs et, deuxièmement, les conditions entourant l’encadrement qui forcent le choix d’une approche individuelle (Cotterall, 2011; Grant, 2003; Pyhältö, Nummenmaa, Soini, Stubb et Lonka, 2012; Stracke, 2010).

Le vécu des directeurs de recherche lorsqu’ils étaient aux études est la principale influence sur le style d’encadrement qu’ils adopteront avec leurs étudiants (Cotterall, 2011). Puisque la plupart des directeurs ont été encadrés selon le modèle traditionnel, ils ont tendance à le reproduire avec leurs étudiants, étant la seule référence pour exercer cette activité. Par conséquent, le style de direction un à un se perpétue, d’autant plus que la plupart des membres du corps professoral modifient rarement leur approche (Cotterall, 2011; Louw et Godsell, 2015).

Parallèlement, plusieurs facteurs conditionnant les tâches d’enseignement des professeurs peuvent contraindre ces derniers à privilégier le modèle traditionnel. Par exemple, la démocratisation de l’accès à l’enseignement supérieur entraine une grande diversité de profils d’étudiants avec des besoins très divers. Cette hétérogénéité de conditions peut déterminer l’adoption d’une approche individuelle qui tient compte les besoins particuliers

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des étudiants et qui représente une rétribution financière plus élevée de la part des gestionnaires (Grossman, 2018; Grossman et Crowther, 2015).

Ainsi, le modèle traditionnel reste dominant, et ce malgré le fait que les exigences d’une productivité accrue ainsi que la réduction de la taille du corps professoral l’ont rendu de plus en plus insoutenable (Louw et Muller, 2014). En outre, le modèle traditionnel ne serait pas le plus approprié dans le but d'augmenter de façon accélérée la production scientifique des étudiants (ASSAf, 2010). Cependant, l'imposition de modèles privilégiant les équipes d’étudiants à des professeurs habitués à encadrer en solitaire pourrait entrainer davantage d’effets négatifs (Govender et Dhunpath, 2013).