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Chapitre 2. Cadre conceptuel et modèle théorique

2.1. La distance dans un contexte de FAD

2.1.1. Le concept de distance pédagogique (Jacquinot, 1993)

Jacquinot (1993) reconnaît plusieurs distances qui dérivent de l’éloignement physique des médiateurs du savoir (distance géographique) et de l’asynchronisme entre les activités d’enseignement et d’apprentissage (distance temporelle). Ces deux éléments sont à l’origine d’autres manifestations de la distance. Jacquinot signale alors l’existence d’une distance technologique qui réfère à l’éloignement des dispositifs pédagogiques médiés par des technologies par rapport aux besoins pédagogiques. Elle reconnaît également une distance socioculturelle et socioéconomique marquée par l’hétérogénéité des conditions familiales, d’âge, d’emploi, etc. qui caractérise ceux qui interviennent dans une activité de formation. Enfin, l’auteure identifie une distance pédagogique qui se manifeste par l’absence symbolique de médiateurs du savoir ou de partenaires d’apprentissage.

Pour Jacquinot (1993), la distance pédagogique est la plus difficile à réduire et, de plus, elle serait à l’origine des autres manifestations de la distance précédemment énoncées. Dans un contexte de FAD, la distance pédagogique est celle qui sépare les apprenants de l’enseignant. L’auteure souligne que le défi de la FAD est de « supprimer l’absence » des médiateurs du savoir ou des partenaires d’apprentissage à l’aide des technologies. Comme Jacquinot (1993) nous le rappelle, bien que le transfert de connaissances soit la question

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qui intéresse particulièrement l’apprenant, l’absence de l'autre pourrait dériver dans un dialogue avec l’activité cognitive propre.

Néanmoins, Jacquinot (1993) nous met en garde sur le fait que la présence physique de l'enseignant n’assure pas nécessairement sa disponibilité et sa connexion avec les apprenants. Ainsi, la coprésence de l’enseignant et des apprenants n’est pas, per se, un gage d'une relation pédagogique riche et productive. Dans un contexte de FAD, les technologies appropriées pourraient alors pallier l'absence physique des acteurs de la situation de formation, encourageant ainsi le partage, l'échange et, somme toute, la création d’un réseau qui met en lien les apprenants et les enseignants.

Si les technologies peuvent réduire l'absence physique, pour Jacquinot (1993), il resterait toujours l'absence symbolique qui ne pourrait pas être supprimée. De ce fait, lorsque c’est faisable, les gestionnaires des formations à distance introduisent des sessions présentielles. En faisant référence à Castoriadis (1975), l’auteure nous rappelle les dangers de « l'univers médiatique » qui risque de transformer l’homme en sujet « indépendant, isolable, autonome ». Toutefois, en ce qui a trait aux dispositifs de FAD, l’autonomie se réfère souvent seulement à la flexibilité spatiotemporelle. L’autonomie à laquelle Castoriadis (1975) fait référence est concevable comme un problème et comme un rapport social, dans le sens où les autres sont présents comme des interlocuteurs dans la transformation interpersonnelle de sens.

Selon Jacquinot (1993), il ne s’agit pas de donner une grande importance au rôle des technologies, mais de réfléchir aux manières dont elles participent aux relations sociales et aux nouvelles formes d’interaction « symboliques » qu’elles permettraient de créer. Pour illustrer ce point, Jacquinot (1993) s’appuie sur deux types fondamentaux de recherches dans le domaine de la FAD : le premier qui vise les interactions dans les groupes de téléconférence. Dans ce cas, ce qui est en question c’est de restituer la coprésence des acteurs par l’échange conversationnel. Le deuxième type de recherche a pour objet le design des ressources éducatives numériques. Dans ce cas, il s’agit de « supprimer l’absence » du présentiel par le biais d’un « dispositif d'élaboration et de transmission de savoirs » (p. 61).

Les recherches sur l'interaction dans les groupes de téléconférence se sont intéressées à étudier leur dynamique de communication (gestion de la parole, focalisation du discours, contrôle des statuts, stratégies identitaires, régulation socioaffective, etc.) par rapport à celle des rencontres présentielles (Carrupt et Barras, 2019; Macedo-Rouet, 2009; Savarieau et Daguet, 2014; Verquin et Daguet, 2016; Wallet, 2012). En ce qui a trait aux groupes de téléconférence, quelques constats sont clairs : premièrement, l’utilisation des stratégies identitaires est plus fréquente; deuxièmement, il existe « une économie d'échanges rentables » qui exerce une certaine « pression temporelle » et, troisièmement, l’organisation du groupe et sa formation imaginaire sont tributaires de la technologie utilisée.

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Cependant, que les résultats signalent des effets positifs ou négatifs à l’égard de l’usage des technologies, Jacquinot (1993) nous met en garde contre le déterminisme à outrance qui pourrait menacer ce type de recherche. Pour elle, il ne s’agit pas de déterminer si l’on fait mieux ou moins bien, mais de faire différemment, généralement avec des objectifs et des standards d'évaluation d'une autre nature. Jacquinot (1993) nous rappelle que la téléconférence est « une épreuve de situation qui problématise l'exercice de l'activité et fait apparaître la paradoxalité du sujet dans tout procès de communication » (p. 62).

Selon la technologie utilisée, des fonctionnalités particulières seraient alors offertes afin d’essayer de « supprimer l'absence » des membres d'un groupe. Or, chaque technologie entraine aussi des contraintes qui peuvent être surmontées grâce à un véritable processus d’appropriation. Cette dernière implique de mettre progressivement au point les procédures d'interaction spécifiques au contexte de téléprésence. Pour Jacquinot (1993), la construction de nouveaux paradigmes pour la télécommunication est aussi importante que la formation des médiateurs.

En ce qui a trait au design des ressources éducatives numériques, Jacquinot (1993) retrouve la même problématique que dans les groupes de téléconférence. Peu importe le degré d'interactivité fonctionnelle d’une ressource numérique, cette dernière implique au moins une phase de relation directe homme-machine et, de ce fait, elle doit recréer le positionnement de l’enseignant vis-à-vis de son message et des apprenants. Ainsi, par l’utilisation des ressources éducatives numériques, les enseignants et les apprenants essaient de compenser l’absence de coprésence physique. Jacquinot (1993) remarque que la problématique se complexifie davantage avec les ressources numériques permettant « une interactivité transitive », autrement dit, les dispositifs numériques qui réagissent aux réponses de l’utilisateur. Outre que recréer les démarches de l’enseignant, ces dispositifs prennent en compte les réactions de l’apprenant et, de ce fait, ils doivent prévoir toutes les démarches possibles.

L'interactivité pédagogiquement productive favorise un processus de production du sens; processus qui est partagé entre l’enseignant et l’apprenant et qui rend ce dernier capable de construire son propre apprentissage (Jacquinot, 1993). « L’interactivité transitive » offerte par la plupart des ressources éducatives numériques ne remplace pas cette interactivité pédagogiquement productive. Elle peut soit la faciliter, soit l'empêcher de fonctionner, mais jusqu’à présent, elle ne s’y substitue pas. La question principale pour le design de ressources éducatives interactives nous interpelle donc sur la façon de soutenir « l’interactivité intransitive », c’est-à-dire, ce que l’enseignant pense que l’apprenant fasse mentalement, et « l’interactivité transitive », c’est-à-dire, ce que l’enseignant prétend que l’apprenant fasse réellement.

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