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Chapitre 1. Problématique de la recherche

1.3. Les communautés d’apprentissage pour moduler la distance pédagogique dans la formation à la

Nous avons examiné la façon dont la recherche a exploré l’encouragement à participer à des communautés en tant que moyen « d’apprivoisement » de la distance pédagogique. Dans cette section nous passerons en revue les besoins de l’étudiant-chercheur, l’incidence de la distance pédagogique dans un contexte de formation à la recherche et l’état des connaissances en lien avec les communautés d’apprentissage comme approche d’encadrement de la recherche dans les cycles supérieurs.

Dans les dernières décennies, l’enseignement dans les cycles supérieurs a connu une augmentation importante du nombre d'étudiants à temps partiel, en partie en raison de l’essor de la FAD et des universités dites « ouvertes » (Evans, 2002; Evans, Hickey et Davis, 2004). Cette augmentation de l’effectif étudiant a entrainé des difficultés pour les membres du corps professoral concernant la direction des travaux de recherche des étudiants (Mitchell et Carroll, 2008) et l’attention aux besoins de ces derniers. Ces besoins peuvent concerner l’apprentissage en ce qui a trait au processus de recherche scientifique, la socialisation, l’enculturation scientifique, l’orientation dans la conduite du projet de recherche et ils peuvent aussi être d’ordre personnel, émotionnel ou psychologique (Dardes et Pérez, 2015; Lee, 2008, 2011).

Ainsi, l’apprentissage de la recherche scientifique au niveau des études supérieures est un processus complexe qui comporte plusieurs dimensions et qui pose des défis majeurs pour les directeurs et les étudiants. Or, la distance pédagogique pourrait agir comme catalyseur des difficultés relatives à l’apprentissage de la recherche (Silinda et Brubacher, 2016).

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L'un des défis endémiques de la formation à la recherche dans les cycles supérieurs est l'établissement et le maintien de relations fructueuses entre les professeurs et les étudiants-chercheurs (Mainhard, Rijst, Tartwijk et Wubbels, 2009). Les échanges présentiels sont généralement perçus comme étant essentiels pour construire une telle relation (Kleijn, Mainhard, Meijer, Pilot et Brekelmans, 2012). Nonobstant, des relations productives à distance se sont établies dans les communautés savantes dès les premiers temps (Stephen et Harrison, 1995). L'échange d'idées, de pensées et de données, fondé sur une tradition écrite, a permis aux membres de ces communautés de partager et de débattre de leurs travaux. La formation à la recherche dans les cycles supérieurs consiste en partie à initier l’étudiant, en tant que nouveau membre de la communauté savante, aux pratiques de celle-ci et, de nos jours, cela comprend l’utilisation des moyens de communication courants (Lee, 2008).

Florida (2003) soutient que, bien que les économies modernes « créatives » basées sur la connaissance fonctionnent à l'aide des technologies de communication en relativisant ainsi les limites spatiotemporelles, le contexte demeure un élément primordial pour les membres des sociétés et des communautés alimentées par ces économies. Bien qu’ils puissent avoir de solides relations professionnelles et sociales en ligne, leur existence quotidienne est enracinée dans le contexte particulier où ils vivent. Cette dichotomie imprègne l'enseignement dans les cycles supérieurs en général, néanmoins, l'équilibre est différent pour l'enseignement dans les cycles supérieurs à distance (Nasiri et Mafakheri, 2014).

Dans le contexte des études de cycles supérieurs, les difficultés en lien avec la distance pédagogique peuvent être un obstacle majeur, même pour les apprenants les plus motivés. En raison de son orientation très particulière et spécialisée, la recherche dans les cycles supérieurs repose sur une base de lecture, de pensée et d'écriture plutôt solitaires (Mills, 2002). Force est de constater que le sentiment d'isolement des étudiants et de leurs directeurs peut être plus important à la distance (Willems, Farley, Ellis, McCormick et Walker, 2011), bien qu’il puisse être assez intense pour n’importe quel étudiant à la maîtrise ou au doctorat (Ismail, Abiddin et Hassan, 2011). Pendant les études supérieures, la réussite repose autant sur la capacité d'effort soutenu, systématique et solitaire que sur les aptitudes intellectuelles.

Le défi est alors d’explorer les besoins relationnels des étudiants-chercheurs afin d'offrir des stratégies appropriées de réseautage et de soutien. Evans et al. (2004) suggèrent que les stratégies qui fonctionnent bien avec les étudiants de premier cycle (p. ex. les groupes d’étudiants structurés autour des activités sportives, culturelles et religieuses) peuvent ne pas être aussi fructueuses pour certains étudiants de cycles supérieurs. Les possibilités de connexion qu’elles offrent sont jugées insuffisantes et la fréquence de sollicitation est considérée comme étant excessive. Alors, les mécanismes de soutien aux étudiants-chercheurs devraient être en mesure de répondre à une grande variété de besoins et d'attentes (Nordentoft et al., 2013). À cette fin, il ne

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peut y avoir de formule qui subordonne les pratiques, les personnalités et les valeurs des personnes impliquées dans la relation étudiant-directeur. De nombreux dispositifs reposent en grande partie sur la capacité de l’encadreur à interpréter, adapter et diriger avec succès les exigences de cette relation (Eley et Murray, 2009; Ketteridge et Shiach, 2009; Lee, 2007, 2011; Remenyi et Money, 2012; Wisker, 2012).

Le soutien à l’apprentissage de la recherche constitue alors une avenue de recherche très prometteuse qui inclut l’analyse des besoins des étudiants-chercheurs et de leurs directeurs ainsi que la formulation de stratégies pour enrichir la tâche d’encadrement. Celles-ci devraient refléter les transformations qui se sont produites au niveau des études supérieures, la diversité d’intérêts et des besoins des étudiants et des directeurs ainsi que les particularités du domaine d’études concerné.

Afin de réduire les effets des difficultés relatives à l’apprentissage de la recherche scientifique, plusieurs solutions ont été explorées : formation à la direction de la recherche pour les professeurs, formation en méthodes de recherche pour les étudiants et changement des approches de direction pour augmenter la PTG (p. ex. Nordentoft et al., 2013). Les modèles de direction de travaux de recherche fondés sur une approche de groupe sont de plus en plus explorés au niveau des études doctorales (Boud et Lee, 2005; Crossouard, 2008; Flores- Scott et Nerad, 2012; Ford et al., 2008; Green, 2006; Olson et Clark, 2009; Paliktzoglou et al., 2010; Parker, 2009; Wegener et al., 2014; Wisker et al., 2007) où la littérature révèle une croissante tendance à promouvoir l'approche collaborative pour l’apprentissage de la recherche, tandis qu’au niveau de la maîtrise, les études demeurent rares (Choy et al., 2014; Johnston, 1995; Wichmann-Hansen et al., 2014).

Si la relation étudiant-directeur dans la formation à la recherche se veut une piste d’exploration très intéressante, il en va de même pour ce qui implique la construction et le maintien d’une communauté d’apprentissage de cycle supérieur. Ces dernières peuvent être considérées comme un pont vers les communautés savantes des champs disciplinaires des étudiants (Rockinson-Szapkiw, 2012). Nous pourrions supposer que la construction de communautés d’étudiants-chercheurs est semblable à la construction d'autres communautés d'apprentissage. Parker (2009) suggère, cependant, que les approches pédagogiques dans les cycles supérieurs s’opèrent de manière significativement différente à cet égard.

Il est important de reconnaître que les étudiants de cycles supérieurs sont des personnes avec un degré de scolarité très élevé. Pour les étudiants qui suivent des programmes de maîtrise axés sur la recherche, la réussite dans les cours ne représente généralement pas un problème (Lovitts, 2005). Ils font face à un défi plus important : entreprendre un travail de recherche dont le produit final sera évalué par des membres de la communauté scientifique. Munich (2014) avance que les étudiants-chercheurs apprécient les activités qui soutiennent leur projet de recherche, mais qu’ils ne sont pas favorables aux activités qui semblent être

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accessoires pour la poursuite de leurs objectifs. Certains étudiants sont des utilisateurs assez assidus des réseaux sociaux et des communautés en ligne, tandis que d'autres ne peuvent être que néophytes.

Des études effectuées avec des étudiants-chercheurs de troisième cycle (Ford et al., 2008; Green, 2006; Lee et al., 2006; Paliktzoglou et al., 2010) suggèrent que les étudiants sont généralement très réceptifs aux activités communautaires qui comprennent des tâches authentiques et fructueuses, et qu’ils sont généralement réticents à participer à des activités qui ne servent qu’à la construction de la communauté. Il y a un riche potentiel de recherche à propos de l’exploration des orientations et du rapport aux études des étudiants à la maîtrise, de leurs expertises et de leurs besoins, afin de développer des stratégies efficaces d’accompagnement.

Le développement des programmes de maîtrise de type recherche implique la compréhension de la nature des études supérieures et des réalisations attendues de la part des étudiants. Ces réalisations sont très différentes de celles menées dans le cadre d’un cours (Lovitts, 2005). En effet, l’apprentissage de la recherche comporte un effort individuel important, même dans les sciences de laboratoire où la recherche d'un étudiant fait partie d'un projet d'équipe. Essentiellement, un étudiant à la maîtrise de type recherche devrait appliquer ses connaissances théoriques et ses compétences méthodologiques pour entreprendre une étude avec rigueur scientifique (Mongeau, 2008). Si l’apport d’une contribution originale au savoir n’est pas une condition sine qua non pour le mémoire de maîtrise, l’étudiant devrait démontrer qu'il est capable de mener une démarche scientifique avec exactitude.

Le développement de communautés d'apprentissage dans un programme de maîtrise devrait donc reconnaître la tension entre un exercice communautaire et l'impératif individualiste de s’approprier du savoir et du savoir- faire de la recherche dans le domaine concerné (Samara, 2006). Par conséquent, dans la construction d'une communauté d’étudiants-chercheurs, les besoins des membres et les exigences qui leur sont imposées devraient se structurer dans les processus et dans la substance, ainsi que les différents contextes personnels, sociaux et professionnels (Dysthe, Akylina et Westrheim, 2006). Ces questions constituent un chantier de recherche assez profuse dans des domaines et des disciplines diverses.

Plusieurs aspects de ces communautés d’appentis-chercheurs nous interpellent. Premièrement, l’incidence des pairs sur l’amélioration progressive des apprentissages des étudiants et sur l’autonomie de ces derniers est un sujet que les recherches précédentes n’ont pas approfondi. Ces communautés, seraient-elles des structures temporaires qui soutiennent les étudiants dans le développement des compétences de haut niveau requises en tant que chercheurs scientifiques ? L’interaction avec les pairs, pourrait-elle pallier les effets de la distance transactionnelle entre l’étudiant et le chercheur chevronné ?

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Deuxièmement, la complémentarité des approches individuelle et communautaire est un aspect qui a été faiblement abordé jusqu’à présent (Dysthe et al., 2006; Samara, 2006). Les projets de recherche des étudiants portent souvent sur des sujets assez distincts. Néanmoins, ils éprouvent fréquemment les mêmes difficultés et ils partagent des incertitudes sur la démarche de recherche scientifique. De quelle façon la participation à une communauté pourrait-elle compléter l’encadrement personnalisé fourni par le professeur ?

Troisièmement, plusieurs questions se posent sur le rôle du professeur dans la communauté. La connaissance sur le degré de négociation de la présence enseignante entre le professeur et les étudiants demeure insuffisante. Quel niveau de structure devrait être fourni ? Quels seraient les effets d’un design diffus ou d’une structure fixe avec, par exemple, des activités établies et un calendrier de rencontres ? La littérature ne fait pas de référence à la condition institutionnelle de ces communautés. La mise en œuvre de celles-ci, doit-elle s’inscrire dans une politique facultaire ou être une décision discrétionnaire du professeur ?

Quatrièmement, plusieurs aspects essentiels en lien avec la perception d’utilité de ces dispositifs méritent d’être davantage analysés. Dans une large méta-analyse portant sur l’interaction entre étudiants dans des dispositifs de formation en ligne (Angulo, Papi et Brassard, 2016; Brassard, Papi, Bédard, Angulo et Sarpentier, 2016; Papi et Angulo, 2016, 2017; Papi, Angulo, Brassard, Bédard et Sarpentier, 2017, 2018, 2019; Papi, Brassard, Bédard, Angulo et Sarpentier, 2015) nous avons souligné le faible intérêt de nombreux étudiants pour la communication avec leurs pairs. Alors, comment soutenir un dialogue riche et productif au sein de la communauté ? Comment favoriser la participation active, l’engagement et l’appropriation de l’espace d’apprentissage ? De quelle façon les étudiants plus réticents pourraient être persuadés de participer au travail au sein de la communauté ? Plusieurs autres éléments n’ont pas été suffisamment étudiés tels que l’hétérogénéité des habiletés acquises en tant que chercheurs, la différence des rythmes d’apprentissage de chaque membre, la dissimilitude des perspectives concernant le travail en collaboration, ainsi que leur incidence sur l’efficacité de la communauté — en termes de développement des compétences scientifiques et d’avancement dans les travaux de mémoire —. Afin de tirer profit de cette pluralité, il serait nécessaire d’adapter un modèle d’accompagnement par les pairs. À titre d’hypothèse, la proximité des camarades se trouvant à une étape plus avancée du parcours d’études faciliterait l’acquisition de connaissances et le développement de compétences aux étudiants inexperts et, de ce fait, réduirait la distance transactionnelle avec le professeur.

Relativement à l’intégration de la technologie aux dispositifs d’interaction entre étudiants-chercheurs, la littérature met en relief quatre finalités sur lesquelles ces structures sont fondées. En premier lieu, certaines études analysent ces dispositifs technopédagogiques en tant que moyens pour réduire les difficultés liées à la dispersion géographique des pairs (Sloan et al., 2014; Sussex, 2006). En deuxième lieu, les communautés en ligne de chercheurs en formation sont étudiées comme des stratégies d’enrichissement de l’expérience

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d’apprentissage (Willems et al., 2011). En troisième lieu, cette mise en relation des étudiants-chercheurs, rendue possible grâce aux technologies de la communication, est explorée comme une façon de rompre l’isolement en soutenant l’interaction (Kevany, Lange, Cocek et Abidi, 2013). Finalement, ces dispositifs enrichis par les technologies ont été examinés à partir de leur potentiel à soutenir l’acquisition de connaissances et le développement de compétences en recherche scientifique (Hanna, 2015).

Dans cet ordre d’idées, émergent d’autres interrogations liées au choix des outils et des applications les mieux adaptés à l’objectif principal poursuivi par la communauté, soit d’offrir une plateforme d’entraide sur les plans cognitif, social et émotionnel pour les étudiants-chercheurs de deuxième cycle. L’adoption de technologies entraine plusieurs aspects à considérer, politiques dans certains cas, qui ne peuvent pas être contournés. Par exemple, les prescriptions relatives à l’usage des outils déterminés par l’institution (Irani, Wilson, Slough et Rieger, 2014). D’un côté, certains décideurs imposent l’usage de logiciels propriétaires et déconseillent l’emploi de logiciels libres, gratuits ou de code source ouvert. D’un autre côté, l’environnement socioéconomique qui entoure certaines universités conditionne le choix technologique et exige l’ouverture à l’utilisation d’outils en libre accès. Il est également important de se questionner sur les implications de ces décisions sur l’établissement d’une communauté qui répond aux besoins des membres.

En considération de ce qui précède, force est de constater que l’étude des communautés d’étudiants-chercheurs à la maîtrise médiées par des technologies, constitue un champ de recherche très prometteur et de grande envergure. Certes, nous ne pourrions guère aborder toutes ces interrogations dans le cadre de ce projet de recherche et plusieurs études seront nécessaires pour clarifier les aspects qui ont été exposés.

Nous avons examiné, d’abord, l’interaction entre les facteurs qui déterminent la mesure de la distance pédagogique et par conséquent du niveau d’autonomie requis : le degré de dialogue éducatif d’une part, et le niveau de structure d’autre part. Puis, les dimensions sociale, cognitive et éducative de la PTG ont été passées en revue. Ensuite, les besoins et les difficultés des étudiants-chercheurs ont été invoquées. Dans le cadre de notre recherche doctorale, nous nous intéressons plus particulièrement à explorer l’interaction de ces éléments dans un contexte de formation à la recherche à la maitrise, lequel mérite d’être davantage étudié. Dans les sections suivantes, nous formulerons les objectifs et les questions spécifiques de recherche qui concernent à ce projet de thèse.