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Chapitre 1. Problématique de la recherche

1.2. La formation « à distances »

L’objectif fondamental de la FAD est de rendre accessibles les programmes de formation à un public qui rencontre des obstacles à fréquenter les établissements d’enseignement (Moore et Kearsley, 2011). La FAD se caractérise par l’éloignement spatial entre l’enseignant et les apprenants, ce qui comporte un asynchronisme à niveau variable entre les activités d’enseignement et d’apprentissage (Glikman, 2002). Cette représentation spatio-temporelle de la distance a été, par tradition, le cadre utilisé pour analyser les phénomènes pédagogiques qui ont lieu en contexte de FAD (Peraya, 2011).

Dans un écrit qui a fortement inspiré la réflexion sur le sujet, Jacquinot (1993) reconnaît plusieurs distances qui dérivent d’une rupture de la coprésence spatiale entre l’enseignant et les apprenants. Aux distances géographique et temporelle déjà évoquées s’ajoutent d’autres dimensions. Elle peut être technologique, socioculturelle, socioéconomique ou pédagogique. Si elles imposent des contraintes, ces distances comportent

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aussi des avantages qui provoquent des innovations dans la relation pédagogique (Jacquinot, 2010). Le défi est alors de les « apprivoiser », car elles semblent être porteuses d’une valeur ajoutée, mais, en même temps, elles entraineraient des effets contreproductifs. Discutons certains aspects associés à ces distances.

Les distances géographique et temporelle facilitent l’accès aux ressources indépendamment du lieu et du moment, mais elles exigent aussi un haut degré d’autorégulation, une compétence qui n’est pas toujours suffisamment développée chez les apprenants débutants en FAD (DeTure, 2004). Ainsi, une grande importance est accordée à la gestion de la distance temporelle entre les requêtes de l’apprenant et les réponses de l’enseignant (Jacquinot, 1993). De ce fait, les rencontres synchrones, présentielles ou virtuelles, se multiplient au détriment de la flexibilité associée à l’asynchronisme de la FAD. Pourtant, celles-ci sont considérées comme étant un élément clé de l’accompagnement et un déterminant de la réussite des apprenants, étant donné qu’elles promeuvent des interactions spontanées et promptes et qu’elles favoriseraient le sentiment de connexion entre les acteurs d’une situation de formation (McBrien, Cheng et Jones, 2009). Cette dichotomie entre la flexibilité sur laquelle de nombreux projets sont fondés et les contraintes que les rencontres synchrones imposent a été dénoncée par Peraya (2014) comme une des limites de la FAD.

Jacquinot (1993) décrit aussi une distance technologique entre le développement d’outils (hard et soft) et les besoins pédagogiques. Cette distance semble être plus importante à l’heure actuelle, compte tenu de l’évolution accélérée des scénarios technologiques. Cependant, le potentiel de la FAD ne repose pas uniquement sur la disponibilité des dispositifs techniques, mais aussi sur la possibilité de les adapter aux besoins pédagogiques et de les intégrer de façon pertinente aux scénarios d’apprentissage (Peraya, 2005).

Relativement aux distances socioculturelle et socioéconomique, la volonté de réduire ces écarts a été le socle sur lequel se sont fondées les universités ouvertes à distance. En principe, elles visaient un public qui avait été exclu de la formation supérieure. Mais, ce sont les individus ayant déjà un certain niveau de formation universitaire et qui cherchent un moyen de spécialisation qui ont principalement bénéficié des avantages de la FAD (Christensen et al., 2013; Pomerol, 2014).

La distance pédagogique renvoie quant à elle à une faible perception de disponibilité des autres acteurs d’une situation de formation, jumelée au sentiment de déconnexion entre eux (Jacquinot, 1993). Ce concept rejoint l'idée centrale de la théorie de la distance transactionnelle (Moore, 1993; Moore et Kearsley, 2011) : la distance n'est pas simplement une question de séparation géographique, mais elle est principalement un phénomène pédagogique. Ce qui est important, c'est l'effet de cette séparation en particulier sur l'interaction entre apprenants et avec l’enseignant, sur la conception des dispositifs pédagogiques et sur l'organisation des ressources humaines et technologiques.

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Notre intérêt se centre sur cette distance, car elle est au cœur de la relation pédagogique. Or, elle semblerait être la plus difficile à réduire étant donné l’interdépendance de différentes dimensions de la distance (Trope et Liberman, 2010). Ainsi, un des défis majeurs consiste à trouver l’équilibre entre elles, tout en conservant un niveau tolérable de distance pédagogique. Plusieurs interrogations surgissent à cet égard : quels sont les éléments potentiellement nuisibles de cette distance et comment pallier leurs effets ? Quels bienfaits pourrait- elle entraîner ? De quelle façon pourrions-nous négocier un compromis entre les menaces et les opportunités qu’elle comporte ? Examinons la manière dont la création du sentiment de présence a été explorée comme possible solution aux difficultés engendrées par la distance pédagogique.

1.2.1. Moduler la distance pédagogique. Quelle présence faut-il créer ?

Le concept de distance sur lequel le phénomène de la FAD est fondé comporte ainsi plusieurs acceptions. La dimension pédagogique de cette distance fait l’objet de notre étude compte tenu de l’enjeu qu’elle représente pour l’apprentissage. Cette section a pour objet d’exposer les difficultés que la distance pédagogique peut induire. Nous examinerons aussi la façon dont la recherche a abordé la question de la création du sentiment de présence comme tentative de réduction de la distance pédagogique.

La distance pédagogique comprend toutes les dimensions qui affaiblissent la perception de disponibilité des partenaires d’apprentissage et qui accroissent l’écart communicationnel entre eux (Shin, 2002). L’ampleur de cet écart est une fonction du degré de dialogue éducatif d’une part, et du niveau de structure d’autre part. Par conséquent, la distance pédagogique détermine le niveau d’autonomie requis de la part des apprenants afin de composer avec cette distance (Bouchard, 2000).

L’autonomie de l'apprenant réfère à la capacité à prendre des décisions concernant son propre apprentissage. La promotion des habiletés telles que l’autogestion de l’apprentissage, la recherche de ressources et l’autoévaluation des progrès est un critère de qualité des programmes de formation (Moore et Kearsley, 2011) principalement dans les cycles supérieurs. Un certain niveau de distance pédagogique est alors tolérable, voire souhaitable, car elle favoriserait le développement de l’autonomie de l’apprenant ainsi que les compétences d’autogestion.

Un haut niveau de distance pédagogique pourrait cependant entraîner un certain nombre de difficultés. Par exemple, Baker (2010) a constaté que la faible perception d'immédiateté et de présence pédagogique est un prédicteur de démotivation. Sahin (2007) a observé une relation entre un niveau de soutien insuffisant et l’insatisfaction des apprenants. Sun, Tsai, Finger, Chen et Yeh (2008) ont ajouté d’autres facteurs induisant l’insatisfaction chez les apprenants : l’attitude de l’enseignant à propos de la FAD ainsi que la faible perception de pertinence de l’enseignement et de l’évaluation.

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Plusieurs recherches (p. ex. Martz, Reddy et Sangermano, 2004; Starr-Glass, 2013) suggèrent que le faible niveau d’interaction avec le professeur et entre les pairs est le principal déterminant du degré de distance pédagogique. Ces études mentionnent que l’écart communicationnel entre apprenants et entre ces derniers et l’enseignant peut entrainer le désengagement vis-à-vis d’un apprentissage significatif. Dans le même sens, Chang et Kang (2016) mentionnent que le manque d’interactions est le principal frein au développement de la capacité de travailler en équipe. Rovai (2002), pour sa part, dénonce le sentiment d’isolement comme étant une des conséquences dommageables d’une distance pédagogique négligée.

La mesure de la distance pédagogique est donc fonction du degré de PTG6 et d’activité des possibles interlocuteurs valables dans une expérience d’apprentissage. Il s’agit de moduler l’absence, autrement dit, d’assurer un niveau adéquat de PTG dans l’environnement d’apprentissage permettant de surmonter les difficultés provoquées par la distance pédagogique, sans compromettre l’autonomie et l’autogestion des apprenants. Ainsi, les environnements d’apprentissage médiés par des technologies permettent, d’une part, « d’apprivoiser la distance » (Jacquinot, 1993) par l’utilisation de moyens de communication synchrone et asynchrone et, d’autre part, de véhiculer des interactions sociales entre les acteurs de ces environnements (Jézégou, 2010b). Avec le soutien du numérique, cette vision s’appuie sur le principe selon lequel « la présence en e-learning résulte de certaines formes d’interactions sociales entre les apprenants, entre le formateur et les apprenants lorsque ces derniers sont engagés dans une démarche de collaboration » (Jézégou, 2010b, 2012, 2013, 2014, 2019).

La recherche confirme que le sentiment d’appartenance à une communauté peut non seulement moduler la distance pédagogique, mais aussi favoriser la persévérance aux études, le flux d'information entre les apprenants, la disponibilité du soutien, l'engagement envers les objectifs du groupe, la coopération entre les membres et leur satisfaction à propos des efforts du groupe (Benbunan-Fich, Hiltz et Harasim, 2005; Foucault, Metzger et Pignorel, 2003; Lee, Carter-Wells, Glaeser, Ivers et Street, 2006; Loisier, 2014). En outre, la participation à une communauté permet aux apprenants de bénéficier d’un climat socioaffectif favorable à la projection sociale et émotionnelle, par l’intermédiaire du moyen de communication utilisé (Garrison, Anderson et Archer, 2000). Cette dimension sociale de la PTG est influencée par le contexte de communication (qui inclut des facteurs tels que la motivation, la familiarité, les habiletés, l’engagement et les activités) ainsi que par le temps d’utilisation des médias.

Arbaugh et al. (2008) suggèrent que dans une expérience de formation, l’apprentissage profond et significatif se construit au sein de la communauté grâce à l’interaction entre les dimensions sociale, cognitive et éducative

6 La présence transactionnelle globale dans une communauté de cycle supérieur, une élaboration conceptuelle qui sert

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de la PTG. Ainsi, le renforcement de la PTG par les communautés d’apprentissage semblerait être une stratégie plausible dans le but de négocier les leviers et les freins associés à la distance pédagogique.

La dimension sociale de la PTG dans une communauté d’apprentissage comporte trois éléments : la communication ouverte, l’expression affective et la cohésion du groupe. La communication ouverte est associée à la création d’un environnement propice à la libre expression. Pour que la présence sociale prospère, les apprenants doivent se sentir libres de s’exprimer ouvertement (Garrison et Vaughan, 2008). L’expression affective se réfère au partage des émotions et à la camaraderie (Garrison et al., 2000). L’humour et l’autodivulgation sont deux exemples d’expression émotionnelle dans une communauté. La cohésion de groupe et l’interaction concernent également la présence sociale et l’apprentissage (Arbaugh, 2005). Les activités d’apprentissage collaboratif favorisent l’établissement de la présence sociale et le renforcement de la communauté (Richardson et Swan, 2003; Rovai, 2002).

Néanmoins, l’interaction sociale est insuffisante pour atteindre les objectifs pédagogiques d’une communauté d’apprentissage. Les niveaux plus élevés d’apprentissage requièrent une discussion riche afin de construire du sens en collaboration, d’y réfléchir de façon critique et d’en confirmer la compréhension. Ces aspects réfèrent à la dimension cognitive de la PTG, autrement dit, à la mesure dans laquelle les apprenants s’engagent dans le discours réflexif et continu menant à la construction du sens, à sa confirmation et à sa réflexion critique (Garrison et Arbaugh, 2007).

La dimension cognitive de la PTG est l’élément central de la pensée critique, cette dernière considérée, à la fois, comme un processus et comme un résultat majeur de l’enseignement dans les cycles supérieurs (Garrison et Arbaugh, 2007). Quatre phases de complexité croissante conforment la présence cognitive : premièrement, un évènement déclencheur permet aux participants de reconnaître un problème et de se questionner. Deuxièmement, les apprenants utilisent plusieurs sources d’information pour explorer les problèmes, échanger des idées et discuter des ambiguïtés. Troisièmement, en participant aux activités d’apprentissage, les apprenants intègrent les idées, créent des solutions et réfléchissent sur le contenu. Dernièrement, dans la phase de résolution ils décrivent les applications des connaissances créées.

Arbaugh (2007) a identifié le développement de la présence cognitive comme la plus exigeante des trois dimensions de la PTG. Pour aller au-delà de la phase d’exploration et afin d’atteindre des niveaux de pensée plus élevés, Meyer (2004) a suggéré des stratégies telles que l’établissement d’un agenda de discussion, la modération de la discussion ou la modélisation, ce qui amène la discussion vers la dimension éducative de la PTG.

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La dimension éducative de la PTG, pour sa part, est définie comme « le design, la facilitation et l’orientation des processus cognitif et social dans le but de produire des résultats d’apprentissage qui sont personnellement significatifs et pédagogiquement valables » (Anderson, Liam, Garrison et Archer, 2001) [Traduction libre]. La présence éducative commence avant le début de l’expérience d’apprentissage avec la planification de celle-ci et elle se poursuit tout au long de l’expérience avec les rôles de facilitation et d’orientation.

La problématique de départ tire donc son origine des résultats des recherches qui suggèrent que le travail en collaboration au sein d’une communauté pourrait favoriser la négociation d’un compromis entre les menaces et les opportunités que la distance pédagogique comporte. Des élaborations plus détaillées des concepts de « distance » et de « présence » sont présentées, respectivement, dans les sections 2.1 et 2.2. Ayant déjà exposé la première assise de notre problème d’étude, discutons maintenant de la deuxième, soit les difficultés en lien avec l’accompagnement des étudiants-chercheurs.

1.3. Les communautés d’apprentissage pour moduler la distance