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Les fondements théoriques des effets de richesse

Section I - Position bilancielle des emprunteurs et amplification des chocs initiaux

A) Dépenses de consommation et effets financiers

1. Les fondements théoriques des effets de richesse

L’interaction entre fluctuations des marchés financiers, offre de crédits bancaires et

dépenses de consommation est devenue au fil des années une préoccupation majeure des économistes ainsi que des banquiers centraux. Ils s’interrogent de plus en plus sur le lien entre dépenses de consommation et patrimoine.

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Ce débat, vieux de plusieurs décennies si l’on prend en compte les articles de Keynes

(1936), d’Ando et Modigliani (1963)89 voire même de Friedman90 (1957), est loin d’être clos.

Si de nombreuses études empiriques (Catte et al91., 2004 ; Mishkin92 2007, BCE93 2009) sont

menées autour de ce sujet, c’est que la part de la consommation dans le PIB a grimpé dans les pays industrialisés pour atteindre en moyenne les 60%, même si dans la zone euro sa

contribution est estimée à 57%94 en 2007.

Dans certains pays, comme notamment les Etats-Unis, les dépenses de consommation représentent un peu plus de 70% du PIB. Or, cette consommation, alimentée par le crédit, grâce à la valorisation des actifs immobiliers au cours de ces dernières décennies, a permis de tirer la croissance dans les pays anglo-saxons, sans oublier certains pays de la zone euro, notamment l’Espagne, le Danemark, les Pays-Bas.

a) Les effets de richesse

Au milieu des années 1930, Keynes (1936) s’est saisi de la question de la richesse financière pour voir quel rôle elle peut jouer dans la consommation. Pour l’auteur, seuls les revenus disponibles et facilement mobilisables sont susceptibles d’affecter la consommation. Or, les revenus salariaux sont les seuls à répondre à ces deux critères, ils sont immédiatement disponibles, comparativement aux avoirs financiers qui ne possèdent pas ces propriétés. De notre point de vue, Keynes considérait que les marchés financiers de l’époque étaient peu profonds et liquides pour permettre de mobiliser assez facilement de fonds sur un délai très court. L’autre élément déterminant dans la position de Keynes est lié au fait que la détention d’actifs financiers n’était pas aussi répandue au sein de la population. Peu de gens détenaient des placements financiers et les rares détenteurs faisaient partie de la couche la plus aisée de la population, ce qui, justement, limitait ses effets sur le secteur réel.

89 A. Ando et F. Modigliani, «The Life Cycle Hypothesis of Saving: Aggregate Implications and Tests», American Economic Review, vol. 53, № 1, 1963, p. 55-84.

90 M. Friedman, «A Theory of The Consumption Function», Princeton University Press, 1957.

91 P. Catte, R. Girouard et C. André, «Housing Markets, Wealth and The Business Cycle OECD», Economics Department Working Papers, № 394, 2004.

92

F. S. Mishkin, «Housing and The Monetary Transmission Mechanism», Federal Reserve Bank of Kansas City Economic Symposium, 2007.

93 BCE (2009a), «Patrimoine immobilier et consommation privée dans la zone euro», Bulletin mensuel de la BCE, janvier 2009, p. 59-72.

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Ando et Modigliani (1963) qui tentent d’incorporer les avoirs dans la fonction de consommation. Ils adoptent un schéma analytique qui prend en compte le temps et scinde la vie en deux phases : la période active, au cours de laquelle l’individu accumule des avoirs financiers, et la retraite, phase pendant laquelle il pourra disposer de revenus supplémentaires en puisant sur ses épargnes. Ces revenus supplémentaires peuvent avoir un réel impact sur la consommation.

Si Ando et Modigliani ont pris soin d’établir une distinction nette entre les deux cycles de la vie, ils ont néanmoins complètement omis de séparer les deux revenus. Pour les deux auteurs, chaque salarié est aussi un épargnant qui lisse continuellement sa consommation durant tout son cycle de vie. Autrement dit, les dépenses de consommation sont déterminées par les revenus attendus sur l’ensemble du cycle de vie. Or, il est important de distinguer les revenus du travail qui sont plutôt stables des autres formes de revenus (issues de la valorisation du patrimoine) qui sont transitoires.

C’est Friedman qui va dans le sens de cette distinction dès 1957. Il considère que le revenu courant est constitué d’une partie permanente et d’une partie transitoire. Les autres formes de revenus sont transitoires et donc, ont très peu d’effet, en général, sur la consommation. Pour que les revenus transitoires aient un véritable impact sur les décisions des ménages il faudrait que les chocs les affectant soient perçus par les ménages comme permanents. Pour l’auteur, seuls les chocs supposés permanents sont susceptibles de modifier les dépenses de consommation des ménages. D’ailleurs, il est très difficile de faire une nette distinction en temps réel des chocs qui ont des effets permanents à ceux transitoires.

2) L’intensité des effets de richesse

a) Le cas des avoirs financiers

Pour que les effets patrimoniaux s’exercent pleinement dans une économie, il est important que les actifs qui composent le patrimoine des agents privés soient d’une part, facilement mobilisables, liquides et sensibles aux fluctuations des variables financières comme les indices boursiers et les taux directeurs. D’autre part, il est fondamental de tenir compte de la densité de la répartition des avoirs composant le patrimoine des ménages. Or, les actifs financiers répondent à tous ces critères à l’exception d’un : la répartition géographique, celle-ci est généralement faible, comparé aux avoirs immobiliers. Les actifs financiers détenus par les ménages sont en général concentrés entre les mains des épargnants relativement aisés.

96 b) Le cas des avoirs immobiliers

Même si l’opposition sous l’angle de la liquidité et de la disponibilité continue à

persister95 entre les actifs immobiliers et les actifs financiers, il nous semble que ces critères

sont aujourd’hui plutôt caducs voire tendent à être moins pertinents. La liquidité et la disponibilité ne sont plus uniquement sous l’apanage des actifs financiers. Contrairement à

une idée très répandue dans la littérature (Byrne et Davis96, 2003, Catte et al., 2004,

Sierminska et Takhtamanova97, 2007) les actifs immobiliers sont autant liquides que les actifs

financiers. La liquidité des actifs immobiliers est due à deux facteurs importants : d’une part, le développement du marché hypothécaire, et, d’autre part, ils sont devenus de simples instruments financiers au même titre que les placements de marché de types les bons du trésor ou les actions ordinaires.

Les actifs immobiliers sont traités comme des produits ordinaires de la finance, faisant l’objet de montages financiers, de spéculation, donnant naissance à d’autres instruments financiers, comme les options, les produits dérivés. Les acteurs qui sont présents sur le marché immobilier se sont diversifiés et ne se limitent plus aux particuliers. Ce marché s’est élargi aux institutions bancaires, aux fonds de pension et à divers organismes de placements collectifs.

« La déréglementation des marchés des prêts immobiliers et des marchés de capitaux

dans de nombreux pays, mouvement qui s’est largement intensifié au début des années quatre-vingt, a également permis à un plus grand nombre d’institutions financières de pénétrer sur le marché et a abaissé les coûts de transaction98 ».

Tous ces opérateurs ont rendu in fine les marchés immobiliers plus liquides et plus

profonds qu’autrefois. La taille du marché immobilier s’est élargie dans la plupart des pays. Aux Etats-Unis par exemple, c’est le cas aussi dans les autres pays, le marché immobilier est passé de 4000 milliards de dollars en 1999 à plus 10000 milliards en 2006 avec un rythme de

croissance annuelle de 14% par an99. Ajouter à cela, les actifs immobiliers bénéficient d’une

densité de répartition nationale beaucoup plus large.

95

Aviat A., Bricongne, J-C., et Pionnier, P. A., «Richesse patrimoniaux et consommation: un lien ténu en France, fort aux Etats-Unis », Note de Conjoncture de l’Insee, décembre 2007, p. 37-52.

96 J. P. Byrne et E. P. Davis, «Disaggregate Wealth and Aggregate Consumption: an Investigation of Empirical Relationships for The G 7», Oxford Bulletin of Economics and Statistics, vol. 65, 2003, p. 197-220.

97

E. Sierminska et Y. Takhtamanova, «Wealth Effects out of Financial and Housing Wealth: Cross Country and Age Group Comparisons», Federal Reserve Bank of San Francisco, Working Paper, № 2007-01, 2007.

98 BCE (2009a), op. cit., p. 64.

99 Sources: C. D. Carroll, M. Otsuka et J. Slacalek, «How large is the housing wealth effect? A new approach», Working paper, 535, Johns Hopkins University, 2006.

97

Dans les pays de l’OCDE, le taux de possession d’actifs immobiliers dépasse les 50%. Il est très élevé en Espagne avec 84%, 71% au Royaume-Uni, 69 % aux Etats-Unis, 58% en

France100. Ils concernent tous les groupes socioprofessionnels.

Tableau 22: Taux de ménages propriétaires de leur logement

Sources: BCE (2009a)101

B) Valorisation du patrimoine détenu, dépenses de consommation et investissements

La détention d’actifs financiers et immobiliers semble influer sur les décisions de consommation privée. Comme nous l’avons rappelé un peu plus haut, le débat sur l’interaction entre patrimoine et dépenses de consommation privée date de plusieurs décennies. Néanmoins, avec la progression de la richesse financière et immobilière des ménages dans les pays industrialisés, ce débat est devenu beaucoup plus récurrent. Ce qui se justifie d’ailleurs en raison notamment des nombreux changements notés sur le marché hypothécaire qui a connu un approfondissement avec la commercialisation de certains produits financiers tels que les home equity lines of crédit.

«En outre, les nouveaux produits financiers ont facilité la possibilité pour les

propriétaires d’effectuer des emprunts gagés sur leur logement102».

100 Sources: Fédération hypothécaire européenne, U.S. Census Bureau.

101

BCE (2009a), op. cit., p. 65.

Pays Taux de possession de logement (2005) Etats-Unis Pays-Bas Grande-Bretagne Danemark Italie Portugal Allemagne France Espagne Irlande 69 % 54 % 71 % 55 % 72 % 73 % 44 % 58% 83% 78%

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La mise en circulation de ces nouveaux produits financiers a contribué à la plus grande liquidité du marché immobilier, ce qui va dans le sens du renforcement de la corrélation entre

valeur des garanties et consommation privée (BCE, 2009)103. Même si, cette interrelation est

beaucoup plus forte et nette aux Etats-Unis et au Royaume-Uni, car celle de la zone euro n’affiche pas, selon l’étude de la BCE (2009), une relation constante sur la période 1980-2006.

Pourtant de 1980 jusqu’au milieu des années 1990, la consommation privée et le patrimoine immobilier ont évolué d’une manière très étroite, même si elle s’est effectuée avec un décalage plus ou moins important. Depuis le milieu des années 1990, il semble que la corrélation entre évolution des actifs financiers et dépenses de consommation a tendance à se renforcer.

« Durant les années vingt et pendant la majeure partie des années

quatre-vingt-dix, la croissance de la consommation privée a eu tendance à évoluer étroitement, de concert avec le patrimoine immobilier, précédant même les mouvements de ce dernier dans une certaine mesure. Ces dernières années, le co-mouvement entre les deux variables semble toutefois s’être quelque peu affaibli, à un moment où celui entre patrimoine financier et consommation privée semble s’être légèrement renforcé104 ».

Toutefois, si globalement l’évolution des prix des logements est légèrement déconnectée de celle des dépenses de consommation dans la zone euro, elle ne peut en réalité être généralisée à tous les pays membres. A l’intérieur de la zone euro, il continue de persister une forte hétérogénéité de situation en raison notamment des contraintes relatives à la capacité des ménages à emprunter en fonction de leur revenu futur attendu.

Dans les pays comme le Danemark, la Suède, le Pays-Bas et l’Espagne, le lien entre patrimoine et consommation est plus étroit du fait de l’existence dans ces économies des mécanismes de prélèvement de capital immobilier. Selon la BCE (2009) le marché immobilier de ces pays est d’ailleurs plus complet que le reste de la zone euro.

102 BCE (2009a), op. cit., p. 64.

103 BCE (2009a), op. cit., p. 62.

104

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BCE (2009) a utilisé les quotités de financement et les instruments de transfert de capital immobilier.

« Sous l’effet, en partie, de la déréglementation et de l’innovation financières, les marchés des prêts immobiliers sont, en général, devenus plus complets au cours des vingt dernières années, même si ce mouvement est intervenu à un rythme différent et à des degrés divers selon les pays. Les quotités de financement ont augmenté et le recours aux produits « de transfert de capital immobilier » s’est généralisé dans certains pays, notamment aux Etats-Unis et au Royaume-Uni105 ».

La quotité de financement est un indicateur qui sert à fournir des indications sur le niveau de disponibilité du crédit gagé sur un bien immobilier. Plus la quotité est élevée, plus les emprunteurs ont un accès beaucoup aisé au financement externe dont le patrimoine immobilier constitue la garantie.

Tableau 23: Quotité de financement standard

Source: BCE (2009a)106

105 BCE (2009a), op. cit., p. 64.

106

BCE (2009a), op. cit., p. 65.

Pays Quotité de financement standard (2005) Etats-Unis Pays-Bas Grande-Bretagne Danemark Italie Portugal Allemagne France Espagne Irlande 69 % 112 71 % 55 % 80 70-85 70 66 83 91-95

100

Comme le montre le tableau ci-dessous, la plupart des pays de l’OCDE ont un niveau de quotité très élevé. Un tel niveau révèle que les ménages de ces économies peuvent accroître leur capacité d’endettement en cas de valorisation de leurs garanties. De même, ils peuvent également convertir les plus-values immobilières en numéraire susceptible d’être dépensées.