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L’approche graduelle pour préparer le terrain

Section III - Lisibilité et prévisibilité des activités monétaires

B) La communication et orientation de la politique monétaire

1. L’approche graduelle pour préparer le terrain

Avec l’approche graduelle qui s’est d’ailleurs généralisée depuis les années quatre-vingt, les phases de hausses comme de baisses du coût de la liquidité sont dans l’ensemble étalées sur une période relativement longue. Ainsi, les modifications du coût de refinancement des établissements bancaires s’effectuent par de petites touches de l’ordre de 25 points de base après chaque réunion du comité. Toutefois, ce rythme de modifications semble selon certains éléments empiriques davantage respecté en cas de resserrement.

175 Cf. W. Brainard, «Uncertainly and The Effectiveness policy», American Economic Association, mai 1967, p. 411-426.

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Rares sont les banques centrales qui accélèrent le rythme de hausse des taux directeurs au-delà de 25 points de base sauf en cas de situations exceptionnelles comme notamment une forte poussée des pressions inflationnistes. Toutefois, il apparaît d’ailleurs selon les observations empiriques que les phases de hausses et les phases de baisses ne sont pas symétriques. En effet, depuis les années quatre-vingt, les banquiers centraux mettent en moyenne un peu plus de 24 mois pour atteindre le taux qu’ils ont ciblé en cas de resserrement de la liquidité.

C’est le cas de la Fed qui a procédé à de petites hausses de l’ordre de 25 points entre mi-2004 et mi-2006 pour ramener les taux des fonds fédéraux de 1% à 5,25%. Ainsi, il lui a fallu 24 mois pour augmenter de 425 points les taux des fonds fédéraux. La situation est similaire dans les autres pays, notamment, dans la zone euro où la BCE a mis 30 mois pour augmenter ses taux officiels de 200 points qui sont passés de 2, 25% fin 2005 à 4,25% mi-2008. Cette différence de 6 mois est due notamment aux pauses sur les hausses.

En effet, il est courant de voir que les banques centrales marquent une pause de quelques mois sur les hausses afin de mieux ancrer les anticipations de taux des agents. Par contre les épisodes de baisses sont beaucoup plus rapides comparativement aux délais de resserrement. Le rythme de baisses des taux est en moyenne beaucoup plus soutenu, variant entre 25 et 50 points de base. Entre fin 2000 et mi-2003, la Fed a réduit de 550 points les taux des fonds fédéraux qui sont passés de 6,5% à 1%. Pour y arriver, elle a procédé à neuf baisses de 50 points et seulement quatre baisses de 25 points de base. Nous retrouvons également ce cas de figure dans la zone euro avec la BCE qui a procédé à trois baisses de 75 points et quatre baisses de 50 points pour ramener ses taux directeurs de 4,75% mi-2001 à 2% mi-2003. Ce mode de fonctionnement des banquiers centraux, lorsqu’ils font entrer l’économie dans un nouveau cycle monétaire semble toutefois bien intégré par les opérateurs financiers. Ceux-ci sont également conscients que la banque centrale peut aussi procéder à des changements de grandes ampleurs en cas de tensions financières aiguës pouvant déstabiliser l’économie. C’est ainsi qu’un changement de 75 points de base est considéré par le marché comme un changement de cap important.

En effet, avec une modification de 0,75%, la banque centrale envoie un message fort aux marchés. Le plus souvent, l’ampleur d’une telle modification est observée lorsque l’économie est secouée par de fortes perturbations. Ce qui requiert une réponse agressive. C’était d’ailleurs le cas avec les dernières tensions financières.

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Les banques centrales ont répondu énergétiquement en baissant à chaque fois de 75 points de base leurs taux directeurs. Ces baisses agressives ne constituent pas une surprise, elles ont été longtemps préannoncées.

2. La banque centrale aiguille les anticipations des agents privés

Comme nous l’avons souligné dans les paragraphes précédents, l’élaboration et la mise en œuvre de la politique monétaire sont devenues sur tous ses aspects un dialogue permanent avec le marché. Cette conduite est due notamment aux efforts déployés par les banquiers centraux pour rendre leurs actions plus lisibles. La publication du procès verbal de leur réunion (les minutes) aide les marchés à mieux comprendre la stratégie choisie. Avec cette publication, les acteurs sont désormais au courant des questions-clés qui ont été discutées lors des réunions du comité.

En distillant leurs propres prévisions sur l’état de l’économie, les autorités monétaires fixent délibérément des points de repères aux opérateurs. Ce faisant, elles cherchent à moduler les anticipations des marchés. Cette stratégie de vouloir forger l’opinion future du marché a donné naissance à plusieurs analyses empiriques. Ainsi, de plus en plus d’analyses s’intéressent à la fonction de réaction des banques centrales. En clair, à travers des signes annonciateurs explicites d’une remontée ou d’une baisse des taux, il semble désormais tout à fait possible pour le marché d’anticiper les actions des banquiers centraux.

C) Anticipation de la trajectoire future des taux officiels

La communication des banques centrales est structurée de telle façon qu’il est possible de prédire l’évolution des taux directeurs sur un horizon court, notamment sur un mois, ce qui correspond en moyenne à la date de la prochaine réunion du comité. Une telle prédiction n’a rien d’extraordinaire si l’on se réfère au procès verbal de leur réunion qui résume la conduite future de la politique monétaire. C’est notamment grâce à ces informations que plusieurs

économistes, dont notamment Taylor177 (1993), ont pu retracer la manière dont la banque

centrale fait varier les taux d’intérêt afin de réaliser leurs objectifs. Ainsi, ces informations permettent de peaufiner la trajectoire future du coût du crédit.

177 Cf. J. B. Taylor «Discretion Versus Policy Rules in Practice», Carnegie Rochester Conference series on public Policy, volume (39), 1993, p. 195-294.

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En effet, en communiquant sur un nombre restreint de variables, les banquiers centraux arrivent désormais à asseoir leur influence sur les anticipations de taux (Woodford, 2005)178.

1. L’anticipation des décisions de politique monétaire

Le modèle proposé par Taylor (1993) montre qu’il est tout à fait possible d’anticiper l’évolution de la politique monétaire. L’auteur a pu présenter son modèle en se basant sur les déclarations de la Fed entre 1987 et 1992. A travers ses communiqués de presse, les agents privés ont pu connaître le poids que la Fed accorde aux objectifs d’inflation et de croissance. L’auteur constate que la Fed avertissait les agents privés de l’éminence d’un resserrement des conditions monétaires lorsque les poussées inflationnistes risquaient de dépasser les 2%. Même si, la Fed a toujours refusé de dévoiler de façon explicite le taux d’inflation qu’elle ciblait, à travers ses interventions, les agents économiques pouvaient savoir que le taux de 2% était la cible à moyen terme. De même, la Fed baissait ses taux lorsque le revenu était

inférieur à son potentiel. L’ensemble de ces mécanismes est résumé par l’équation179 suivante

qui décrit le comportement effectif du taux des fonds fédéraux entre 1987 et 1992 :

r = p+0,5y+0,5(p−2)+2

, où

-

r

est la déviation de l’objectif de la Fed pour le taux réel des fonds fédéraux par rapport à sa

moyenne à long terme,

-

p

la déviation de taux d’inflation par rapport à la cible d’inflation,

-

y

l’écart entre la production effective et la production potentielle.

La simplicité de ce modèle est due à la clarté du communiqué de la Fed qui ne s’exprime que sur le niveau de l’inflation et sur l’activité économique. La Fed relève son taux directeur lorsque la stabilité des prix à moyen terme est menacée et le baisse dans le cas contraire. Ce qui lui permet de faire évoluer les conditions monétaires dans le sens de ses objectifs. Ce qui est d’ailleurs constaté dans les autres pays, y compris dans la zone euro où le principal objectif de la BCE est la stabilité des prix.

178 Cf. M. Woodford, op. cit., p. 8.

179 Cf. J. B. Taylor, «Discretion versus Policy rules in practice», Carnegie-Rochester Conference series on Public Policy, 39, 1993, p. 202.

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renseigne aussi sur le fait qu’elle a réussi à focaliser l’attention du public à des moments précis en publiant ses prévisions macroéconomiques.

2. La réactivité du marché

Si la stratégie de la communication des banques centrales a réussi à coordonner les anticipations d’inflation et de taux d’intérêt, c’est grâce notamment à leur capacité à attirer l’attention des marchés financiers à leurs annonces. Ainsi, grâce à leurs activités de communication, les banquiers centraux sont arrivés à faire partager et accepter leur point de vue sur la conjoncture et sur l’inflation comme l’atteste la règle de Taylor.

En effet, selon Taylor (1993), il est plus facile d’anticiper l’évolution des taux directeurs en scrutant les facteurs qui agissent sur l’inflation et sur l’activité. Ce qui nous semble d’ailleurs vrai dans la mesure où le public connaît relativement bien comment la banque centrale adapte sa façon de conduire la politique monétaire. La construction de cette connaissance commune de l’économie a un double avantage.

D’une part, elle permet de faire aligner les anticipations d’inflation des marchés sur la cible visée et, d’autre part, elle favorise un ajustement rapide des taux courts avant même la modification effective des taux officiels du fait que cette décision a été largement anticipée grâce notamment aux annonces officielles. En favorisant une connaissance commune de l’économie, la banque centrale offre la possibilité aux agents privés de mieux anticiper les mesures de politique monétaire, contribuant ainsi à réduire la volatilité des taux avant et après la réunion du comité qui entérine le plus souvent des décisions déjà préannoncées.

Conclusion

Nous avons vu à travers cette section que les banquiers centraux ont réussi à asseoir leur influence sur les anticipations des agents privés malgré la financiarisation croissante des économies en menant une stratégie de communication plutôt efficace. A travers la publication des procès verbaux des réunions, leurs actions sont désormais plus prévisibles, ce qui permet un ajustement rapide des conditions monétaires sur l’ensemble des marchés. Nous avons aussi noté qu’au fil des années, leurs déclarations de plus en plus soignées commencent à devenir un véritable instrument au service de la politique monétaire.

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Grâce à son efficacité opérationnelle, la communication des banques centrales est institutionnalisée depuis l’instauration du régime des dates d’annonces préétablies. C’est uniquement au cours de ces rendez-vous que les changements d’orientation de politique monétaire sont décidés et commentés dans la foulée. Toutefois, la parole est aussi une arme à double tranchant. En effet, chaque mot prononcé est lourd de sens dans la mesure où il peut engendrer, en cas de mauvaise interprétation, des effets indésirables.

Conclusion du chapitre

Pour renforcer le canal des taux d’intérêt, les banquiers centraux ont introduit plusieurs séries de réformes touchant d’une part, au cadre des opérations de refinancement des banques et, d’autre part, ils ont rendu leurs actions beaucoup plus transparentes. En effet, en rendant plus flexible leur cadre opérationnel, les banquiers centraux ont réussi à avoir un cadre qui semble s’adapter beaucoup plus facilement au nouveau paysage financier. Par ailleurs, pour rendre plus efficace leurs actions, les banquiers centraux n’agissent pas uniquement ils communiquent aussi avec les marchés financiers.

Comme nous l’avons noté dans la troisième section, la communication est devenue au fil des années un redoutable instrument de la politique monétaire. Cette communication est stratégique dans la mesure où elle est organisée de telle sorte qu’elle facilite la formation des anticipations des agents privés. Toutefois, toutes ces innovations semblent aussi avoir des effets vertueux sur le rythme et le degré auxquels les décisions monétaires se diffusent dans l’économie.

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Chapitre V