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Les différentes sources de financement du secteur privé

Section I - Position bilancielle des emprunteurs et amplification des chocs initiaux

B) Les différentes sources de financement du secteur privé

Selon les enseignements des travaux de Myers et Majluf68 (1984) et de Myers69 de la

même année, en présence de frictions financières, induisant à des phénomènes de sélection adverse, les entreprises qui ont accès aux marchés financiers ont tendance à hiérarchiser leurs sources de financement. Cette hiérarchisation est déjà une réalité bien ancrée pour les entreprises très exposées aux frictions financières. Pour ces entreprises, l’autofinancement semble être la solution la plus économe, en tout cas, tels sont les résultats empiriques présentés par ces auteurs, suivi par l’endettement et enfin par l’émission de titres.

Ces résultats confirment une hypothèse-clé de l’analyse financière: tous les moyens de financement sont des substituts imparfaits, justifiant ainsi les différences de coûts entre les différents types de ressources. Toutefois, si l’autofinancement est moins onéreux, avec des coûts d’agence nuls, elle comporte moins de risques en termes de communication.

68 S. Myers et N. Majluf, «Corporate Financing and Investment Decisions: When Firms Have Information That Investors No not Have», Journal of Financial Economics, vol. 74 (2), 1984, p. 643-654.

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dévoiler leurs informations comptables et financières. En se pliant à cette exigence du marché, les entreprises contribuent à accroître manifestement leur vulnérabilité. Celle-ci est appelée à s’accentuer dans un environnement où toutes les informations financières, comme notamment la publication des flux de trésorerie, sont susceptibles d’amplifier les gains ou les pertes sur valeur nette.

1. Imperfections financières et accès aux financements

Les sources des imperfections financières, nombreuses dans une relation contractuelle, sont pour la plupart du temps liées au comportement de certains emprunteurs. Ceux-ci cherchent à minimiser ou à dissimuler les éventuels risques afin d’obtenir auprès des bailleurs de fonds les ressources nécessaires à leurs activités. De surcroît, ils ont intérêt à surestimer leur propre solvabilité, même si leur structure bilancielle s’est dégradée, pour ne pas subir une prime d’agence très élevée.

Du côté des bailleurs de fonds, il est important pour circonscrire ces risques éventuels,

proches de ce que la littérature qualifie de passager clandestin, d’évaluer correctement le profil de risque de l’emprunteur potentiel afin de réduire significativement le risque de perte. Accorder des financements sans un contrôle précis au préalable peut coûter cher aux bailleurs de fonds en cas de défaillance des débiteurs.

En cas de défaut de l’emprunteur, les établissements de crédit sont désormais appelés en raison des normes prudentielles à constituer des provisions sur pertes. Si le taux de couverture des créances douteuses est élevé, cela peut entraîner progressivement un ralentissement très important de l’offre de crédits.

a) Le financement par fonds propres

Le financement interne ou l’autofinancement occupe une position résiduelle dans la littérature financière qui privilégie naturellement le financement externe dans son analyse. Cette négligence, décelée dès les premiers travaux de la théorie financière, est due au fait qu’elle s’est davantage intéressée au paradigme des problèmes informationnels.

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b) La position supposée «résiduelle» de l’autofinancement

La thématique des problèmes contractuels continue de revêtir une place majeure dans la littérature financière. Cette orientation, qui n’est pas nouvelle, de la recherche sur les problèmes de financement a fini par donner plus de poids à la thématique relevant des imperfections sur le marché du crédit au détriment de la problématique qui a trait à l’autofinancement. Même si les analyses s’orientent désormais davantage sur le traitement des causes des frictions informationnelles.

En particulier, selon les analyses du canal étroit du crédit, seules les banques sont capables de traiter les problèmes informationnels sur le marché du crédit. Toute l’analyse de ce canal confère aux banques un rôle spécifique en tant que principal pourvoyeur de fonds dans l’économie.

D’ailleurs, toutes les hypothèses retenues par ce canal de transmission visent essentiellement à mettre en évidence la spécificité du crédit bancaire. Et, pourtant, la présence des imperfections informationnelles aurait dû orienter davantage l’analyse de la théorie financière sur le financement par fonds propres. Il se trouve que la problématique du financement par fonds propres a très peu attiré l’attention des économistes, elle est souvent reléguée au second plan. Les rares occasions où la théorie financière se saisi du thème de l’autofinancement, elle ne met en relief que le côté négatif de ce mode de financement tout en restant muette sur ses aspects positifs.

C’est le cas de la théorie du signal, développée par la littérature financière qui présente comment le rendement exigé par les apporteurs de capitaux augmente quand les asymétries d’information sont fortes. Selon la théorie du signal, une entreprise qui privilégie le financement par fonds propres est perçue comme opaque et, par conséquent envoie un mauvais signal au marché. En clair, elle cherche à se soustraire de la discipline financière externe. Cette vision pessimiste est souvent présente dans la littérature abordant le thème du financement par fonds propres. Ce traitement négatif du statut de l’autofinancement est difficile à justifier lorsque l’on examine de près la structure de financement des économies.

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Quel que soit le système économique en place (économie d’endettement ou économie de marchés financiers), le financement par fonds propres reste majoritaire, largement dominant selon les pays et les cycles conjoncturels. Mêmes les systèmes financiers dits orientés marchés, associés généralement aux pays anglo-saxons, censés avoir davantage recours au financement direct, n’y échappent pas. C’est le cas, notamment aux Etats-Unis et au Royaume-Uni où l’autofinancement occupe une place prépondérante. Selon une étude de

Fama et French70 (1999), les Etats-Unis, considérés comme l’archétype même d’une

économie de marché, 70% des besoins de financement des entreprises sont couverts par les fonds propres. Ils notent que sur la période allant de 1951 à 1996, les firmes américaines ont privilégié l’autofinancement. Même si, le financement par fonds propres a un peu fléchi pour se stabiliser actuellement aux alentours de 55%, il reste néanmoins de loin le premier moyen de financement des entreprises. En France, le taux d’autofinancement des entreprises non financières est aux alentours de 60% en fin 2006. Souvent ce taux a parfois atteint des sommets au cours de certaines années, notamment 1997, 1998 et 1999, avec respectivement

un taux d’autofinancement de 93,6%, de 98,6% et de 95,6, d’après les calculs de l’Insee71.

Tableau 16: Taux d’autofinancement des entreprises non financières (1991-2007)

Source: INSEE (juin 2008)

Toutefois, si l’autofinancement est le mode de financement privilégié par les entreprises, les ménages sollicitent davantage de fonds externes pour préfinancer leurs achats de logement.

70 Cf. E. F. Fama et K. R. French, «The Corporate Cost of Capital and The Return on Corporate Investment», Journal of Finance, vol. LIV, № 6, décembre 1999.

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80 d) Le financement externe

Si d’une part, les analyses de Myers (1984) et, d’autre part celles, de Myers et Majluf (1984) nous ont éclairé sur la hiérarchisation des différentes sources de financement en mettant en avant les imperfections financières sur les marchés du crédit, le canal patrimonial revient sur cette classification en s’appuyant sur le cadre analytique développé par ces auteurs pour faire émerger deux sources de financement majeures. Ce canal considère que les entreprises ont le choix de s’autofinancer ou de faire appel au financement externe. Ce dernier est analysé comme un bloc, quelle que soit sa provenance.

Néanmoins, en dépit de l’absence d’une quelconque hiérarchisation des différentes sources de financement externe, le canal du bilan soutient que le financement par fonds propres est moins onéreux que le financement externe pour les mêmes raisons évoquées dans les paragraphes précédents. Du fait de la présence des asymétries informationnelles, les différences de coût entre financement externe et financement interne sont systématiquement importantes. Ce qui va dans le sens du principe de base, du canal du bilan, qui admet que toutes les sources de financements externes sont des substituts imparfaits au financement interne.

Cette affirmation contredit la position initiale de la théorie financière, élaborée par

Modigliani-Miller72 (1958), qui stipule dans ses grandes lignes que les entreprises sont

indifférentes entre le financement par fonds propres et le financement externe, notamment par endettement ou par émission de titres. En clair, les coûts de recherche, de rédaction du contrat financier et de surveillance pour le prêteur sont complètement ignorés par ces deux auteurs. Or, lever des fonds sur le marché du crédit engendre souvent des coûts tant du côté de l’emprunteur que du côté des apporteurs de fonds. Ces coûts sont fonction des imperfections financières. Ne pas incorporer ces coûts signifie qu’une entreprise est complètement indifférente entre le financement interne et le financement externe dans la mesure où le coût d’acquisition des ressources externes est totalement nul. C’est évidemment la position de Modigliani et Miller qui nient tout écart de coût entre l’autofinancement et le financement intermédié. En minimisant ces différents coûts, ils élaborent un modèle analytique dans lequel le financement se résume à un simple voile.

72 F. Modigliani et M. Miller, «The Cost of Capital, Corporation Finance and the Theory of Investment», The American Economic Review, vol. 48, p. 261-297.

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Quelle que soit la structure patrimoniale de l’emprunteur, même défavorable, il aura accès aux financements externes sans pour autant supporter un coût supplémentaire. Cette thèse est résumée par le théorème Modigliani-Miller (1958) qui stipule que la valeur de marché d’une firme est indépendante de sa structure patrimoniale. Ce qui tend à accréditer la thèse selon laquelle il n’existe aucune interaction possible entre décision de financement et valeur de marché ou recettes futures attendues de l’entreprise.

En faisant abstraction de ces considérations, Modigliani et Miller se sont projetés dans un environnement macroéconomique dans lequel les activités de prêts ne souffrent d’aucune friction informationnelle. Ce qui donne à penser que les exécutions des contrats de prêts ne sont pas altérées par des problèmes informationnels. Cette vision idyllique des marchés du crédit et des capitaux, considérés comme parfaits, adoptée jusqu’au milieu des années quatre vingt, a été le principal cadre analytique des modèles macroéconomiques de l’époque.

Il a fallu attendre la fin des années 1980 pour voir émerger un nouveau courant théorique qui incorpore les frictions contractuelles dans l’analyse financière. La nouvelle approche analytique considère que les différents intervenants ne partagent pas la même information, ce qui pose naturellement un problème de confiance.

Pour y remédier, l’emprunt doit être parfaitement sécurisé soit par le biais d’un système de garantie lorsqu’il s’agit de financement provenant d’un établissement de crédit, soit en se conformant à la discipline de marché, ce qui requiert plus de transparence comptable dans le cadre d’une émission de titres. Dans les deux cas, la valeur nette interne de l’emprunteur va être une variable déterminante pour atténuer les problèmes d’aléa moral. L’utilisation de collatéraux dans les contrats de crédit va justement être une règle de base, appliquée par la plupart des établissements de crédit pour se protéger en cas de défaillance du débiteur.

« Les banques n’étant pas en mesure d’évaluer de façon crédible le risque inhérent à ce flux

de revenu, elles exigent des garanties. Les ménages sont susceptibles d’obtenir des conditions plus favorables lorsque les prêts sont adossés à des garanties. La valeur totale d’un prêt est généralement plafonnée à un pourcentage donné du patrimoine du ménage. Par exemple, une banque peut accepter de ne prêter qu’à hauteur de 70% de la valeur du logement. »73

73BCE (2009a), «Patrimoine immobilier et consommation privée dans la zone euro», Bulletin mensuel de la BCE, janvier 2009, p. 62-63.

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Les collatéraux permettront de sceller les intérêts des investisseurs et ceux des emprunteurs dans la mesure où ils puisent leur levier d’endettement sur leur propre richesse, même si les actifs immobilisés pour garantir l’emprunt ne peuvent être vendus en cas de saisie, pour financer leurs investissements. Des intérêts en principe divergents sont désormais liés par la contrainte de garantie.