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Les contrats incomplets et l’opportunisme

Chapitre 2 : Coûts de transaction, Institutions et Développement

I. Les concepts théoriques

3. Les contrats incomplets et l’opportunisme

La notion de comportement opportuniste est utilisée par Williamson [1985] pour élargir la conception néo-classique du comportement économique orienté par l’intérêt individuel. L’agent opportuniste est disposé pour réaliser son intérêt personnel à utiliser la ruse ou la tricherie ou à épuiser de bonne foi toutes les possibilités d’interprétation des contrats. La protection des cocontractants contre de tels comportements semble être mieux assurée dans le cadre d’une firme que celui du marché en mettant en place des clauses de sauvegarde. Néanmoins, les protections se révèlent souvent insuffisantes dans le cadre des contrats dits spécifiques. C’est ainsi qu’on observe une réhabilitation de la notion de confiance dans les firmes pour limiter les comportements opportunistes avec les clients, les fournisseurs et le personnel.

3.1. Les contrats incomplets

Les contrats sont établis, au sein d’une firme, entre les participants à l’activité de production, en vue d’une coopération durable. Parmi ces agents, certains exercent une autorité, c'est-à-dire un droit de décider du comportement des cocontractants et de l’utilisation des éléments définis par les accords. Cette autorité garantit l’efficacité de l’organisation régie par les contrats. Elle permet à ceux qui l’exercent de prendre des décisions rapides et adaptées, grâce aux informations dont ils sont seuls à disposer et grâce à la liberté d’action que leur reconnaissent les contrats. Cette liberté résulte de la spécification des accords. En effet, ces derniers se contentent de définir le cadre général des transactions qui doivent se réaliser dans la firme et les modalités de renégociation. Ils ne déterminent ni l’ensemble des événements susceptibles de survenir, ni le détail des droits et des obligations des parties dans tous les états de la nature envisageables. Ils permettent ainsi de réduire les coûts de prévisions dans un environnement complexe et incertain. Des prévisions détaillées ne sont d’ailleurs pas indispensables pour toutes les parties d’un tel contrat. C’est ainsi que les salariés n’ont pas besoin de connaître à l’avance les conditions exactes de leurs interventions pendant toute la durée couverte par le contrat de travail. Par contre, l’employeur désire posséder de telles informations. Mais devant les difficultés pour les obtenir à un coût raisonnable, il définit les

services à fournir en termes généraux dans le contrat et détermine les détails plus tard au moment de leur utilisation. Il peut ainsi assurer une affectation simple des ressources selon les besoins [Grossman, Hart, 1986].

La pratique qui se développe dans le cadre général des contrats détermine d’une part des règles de décisions et de fonctionnement et d’autre part des codes qui facilitent l’acquisition des informations et la communication. L’adhésion des membres de la firme à ces règles et à ces codes permet d’étendre leur rationalité en assurant un langage commun et en réduisant l’incertitude qui résulterait des comportements indépendants. Le caractère général des contrats incomplets permet donc d’étendre les limites de la rationalité des agents en leur donnant la possibilité de tenir compte d’un volume d’informations moins élevé que celui qu’ils devraient considérer s’ils intervenaient d’une façon indépendante sur un marché. Mais la nature approximative de ces accords peut conduire à des comportements opportunistes dont il convient de se protéger.

3.2. Les origines des comportements opportunistes

L’opportunisme des agents peut se manifester lors de la négociation des contrats ou au cours de leur exécution.

L’opportunisme dans la négociation des contrats se traduit au moment de la négociation par le fait que l’une des parties est au moins bien informée que l’autre sur les conditions précises des transactions. Elle doit engager des coûts importants pour établir la symétrie des informations. Cette situation soulève le problème de l’anti-sélection (adverse selection) qui se pose dans les cas où il est difficile d’apprécier les caractéristiques exactes des biens et des services qui font l’objet du contrat. C’est ainsi qu’au cours des négociations d’un contrat de travail, les salariés qui désirent être embauchés connaissent mieux que l’employeur leur capacité exacte de travail. Sauf s’il engage des coûts importants de recherche d’informations. Il est incapable de distinguer parmi les candidats à un emploi, ceux qui ont une productivité élevée de ceux dont la productivité est faible. S’il fixe un salaire identique pour tous, il attire que les agents dont la productivité correspond à cette rémunération ou à un montant inférieur. Il risque ainsi d’engager des salariés ayant une productivité très faible et de n’obtenir aucun salarié très productif [Coriat et Weinstein, 1995].

3.3. L’opportunisme au cours de l’exécution des contrats

Le comportement opportuniste qui se manifeste pendant l’exécution d’un contrat peut résulter des difficultés relatives à l’observation des prestations des participants et à la définition du partage du produit à l’activité.

La première difficulté relève de l’aléa moral (moral hazard). Ce dernier apparaît dès que des événements envisagés dans des contrats contingents sont délibérément provoqués par l’une des parties. C’est le cas de l’incendie allumé par l’agent ayant souscrit une assurance contre ce dommage. D’une façon générale, on parle d’aléa moral lorsque les agents profitent du fait que le contrôle de leurs comportements est onéreux pour ne pas respecter leurs engagements contractuels. C’est le cas des contrats de travail non respectés par les salariés qui tirent au flanc ou par l’employeur qui exploite les travailleurs de sa firme. Les agents peuvent tenter de profiter d’une seconde catégorie de difficultés susceptibles de se manifester au moment de l’exécution d’un contrat. S’il est impossible de mesurer la contribution de chaque agent à la réalisation du gain d’une activité régie par un contrat, il est probable que chaque participant essaie de s’attribuer la part la plus importante possible de ce gain [Coriat et Weinstein, 1995]. On remarquera que dans ces situations, le problème vient de la divergence d'intérêt et de l'asymétrie d'information entre les deux parties, lesquelles engendrent des coûts d'agence. Jensen et Meckling [1976] définit la relation d’agence comme «un contrat par lequel une ou plusieurs personnes (le principal) engage une autre personne (l'agent) pour exécuter en son nom une tâche quelconque qui implique une délégation d'un certain pouvoir de décision à l'agent.»

Le problème est alors de déterminer la forme d'organisation qui minimise les coûts d'agence. La firme peut être définie comme un «nœud de contrats» écrits ou tacites, entre les détenteurs de moyen de production et les clients. Elle est une simple «fiction légale qui sert de noyau à des rapports contractuels et qui est caractérisée de plus par l'existence de créances individuelles divisibles sur les actifs et les revenus de l'organisation qui peuvent en général être vendues sans l'autorisation des autres contractants» [Jensen et Meckling, 1976]. La firme n'est donc pas un individu ayant des motivations propres. Elle est indifférente du caractère interne ou externe des transactions. Il n'y a pas d'opposition fondamentale entre firme et marché. De même il n'y a pas de hiérarchie entre les différents agents, ni de rapports de pouvoir, puisque toutes les relations sont contractuelles.

3.4. La protection contre l’opportunisme

La protection contre l’opportunisme peut être assurée par un degré de substitution important entre les contractants et par des clauses contractuelles. L’opportunisme des contractants risque d’être d’autant moins important que leur éviction et leur remplacement par d’autres sont aisés. C’est ainsi que les salariés respecteront les clauses du contrat qui les lient à leur employeur s’ils savent que ce dernier est en mesure de leur en substituer facilement d’autres. Le degré de substitution entre les contractants dépend de leur spécificité et de celle des biens et des services qu’ils fournissent. Cette spécificité dépend de la compétence des agents, de la localisation et de la spécialisation des actifs mis à la disposition de l’activité de production, et de la complémentarité de ces actifs par rapport à ceux fournis par d’autres agents. Pour réduire les risques de comportements opportunistes, l’entreprise est incitée à mettre ses fournisseurs en concurrence, plutôt qu’à se lier à un agent unique par un contrat à long terme. Mais elle est aussi tentée d’éviter de prendre des mesures qui pourraient améliorer sa productivité. Elle peut notamment hésiter à engager dans une formation trop spécialisée de son personnel ou à acquérir du matériel spécifique. En effet, elle accroît ainsi sa dépendance par rapport à ses salariés et, éventuellement, envers des fournisseurs d’équipements complémentaires. Pour éviter de tels inconvénients, une protection contractuelle contre l’opportunisme s’impose.

3.5. Les clauses de protection

Pour lutter contre les comportements opportunistes, les contrats doivent prévoir des sanctions pour ceux qui fournissent des informations erronées ou ne se conforment pas à leurs engagements. Elles peuvent se traduire par une rupture de contrat, ce qui n’implique pas seulement un coût pour le fautif, ou par des pénalisations avec maintien du contrat. Ces sanctions doivent se fonder sur un mécanisme de vérification des informations et de surveillance de l’exécution des contrats qui comporte des coûts pour la firme. Des mesures pécuniaires ou non pécuniaires incitant les agents à révéler les informations dont ils disposent au moment de la négociation des contrats ou à respecter leurs engagements au cours de leur exécution. Elles en constituent un complément si elles incitent les agents, contraints à tenir leurs engagements par le système de sanctions à adopter dans ce cadre, les comportements les plus efficaces possibles.

3.6. Les avantages des contrats spécifiques

Les avantages de ces accords peuvent être illustrés par l’exemple des contrats de travail. En adhérant à ces contrats, les salariés acceptent qu’une autorité de surveillance remplisse les fonctions d’évaluation et de vérification de leur activité. L’existence d’une telle autorité constitue une caractéristique distinctive de l’organisation des relations de travail par la firme par rapport à une organisation par le marché. Cette autorité permet d’observer la productivité des salariés au cours de l’exécution du contrat et de moduler les rémunérations en fonction de ces observations par un système de primes prévues dans les contrats. Elle s’impose notamment dans le cas d’une production réalisée par une équipe d’agents dont les activités sont complémentaires. En effet, dans ce cas, le marché ne permet pas de déterminer la rémunération de chaque co-équipier parce qu’il n’est pas en mesure d’évaluer à un coût raisonnable la contribution de chacun à la production globale. Cette incapacité induit des comportements opportunistes de tire au flanc qu’une autorité de surveillance peut éviter au sein d’une firme par la rémunération des services sur la base des performances constatées. De plus, l’existence d’une telle autorité permet d’influencer le recrutement des salariés. En effet, sachant qu’au cours du déroulement du contrat, ils ont la possibilité d’améliorer leurs rémunérations sur la base des performances constatées, les salariés à haute productivité sont disposés à accepter le salaire moyen commun proposé dans le contrat, au moment de leur recrutement, même s’il est inférieur à leurs prétentions. Le problème de l’anti-sélection évoqué ci-dessus peut ainsi trouver une solution.