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Chapitre 2 : Coûts de transaction, Institutions et Développement

I. Les concepts théoriques

4. Confiance et relations contractuelles

L’étude des dilemmes sociaux séquentiels (dilemme du prisonnier séquentiel et jeux de confiance) débouche sur les questions de la confiance et de la loyauté [Eber, 2006]. Alors que la théorie standard prédit l’absence de confiance et de loyauté dans les comportements économiques, les observations expérimentales mettent clairement en évidence l’influence considérable des normes sociales existant en la matière : les individus ont une tendance à faire confiance et à être loyaux dans des contextes d’interactions stratégiques, même lorsque celles-ci sont anonymes et non répétées. Comme pour les normes de coopération, il est important d’étudier de quoi dépendent les normes de confiance et de loyauté ainsi que les moyens envisageables pour renforcer l’application de ces normes.

Pour rentre compte de l’intérêt de la notion de confiance dans notre analyse, nous allons d’abord la définir, avant de tenter de cerner ses attributs et d’analyser si la confiance est substitut du contrat ou si elle est le produit du contrat.

4.1. Définition du concept

Définir le concept de confiance est particulièrement complexe. La diversité des notions de confiance et l’absence d’une définition simple et commune ne doit pas surprendre car le phénomène est traité par différentes disciplines des sciences sociales (ayant chacune leur spécificité). Dans chaque discipline respective, il existe différentes approches de la notion de confiance, soit en raison de la spécialisation au sein de la discipline, soit en raison de leurs hypothèses de base. Au-delà de ces divergences d’ordre plus épistémologique, il importe de prendre conscience de l’hétérogénéité réelle du phénomène et des problèmes soulevés. Nous recourrons à une définition axiomatique et précise de la notion telle qu'elle peut être utile dans le cadre de l'analyse des relations bilatérales.

La confiance est une croyance, une conjecture dans le comportement de l'autre dont on suppose qu'il va être dicté par la poursuite d'un intérêt commun à long terme plutôt que par la volonté de maximiser l'intérêt personnel à court terme. Cette définition a un double intérêt. D'une part, elle lie la confiance non pas au calcul mais à la conjecture. Comme le souligne Brousseaux [2000], une conjecture est un pari sur une relation de causalité. Contrairement au résultat d'un calcul, elle ne se démontre pas et ne peut qu'être démentie par les faits. Elle résulte donc d'un autre mécanisme que le calcul et apparaît nécessaire lorsque le premier n'est plus possible. D'autre part, elle renvoie directement à l'économie de la coordination et de la gouvernance. La confiance permet d'alléger les dispositifs de gouvernance en limitant le recours à des mécanismes de supervision, d'incitation et de répression. Ce faisant, elle permet de renforcer l'efficacité de la coordination tout en diminuant les coûts de transactions. On retrouve ainsi deux des traits qui semblent caractéristiques de la confiance : son éloignement du domaine du calcul et sa substituabilité avec les mécanismes formels de gouvernance. La confiance est donc une conjecture dont la nécessité émerge lorsque l'on n’est plus en mesure de prévoir par calcul le comportement de l'autre. Elle est ruinée (invalidée) lorsqu'un comportement opportuniste est décelé. L'une des difficultés en la matière est de déterminer précisément les causes d'un comportement inefficace de l'autre. S'agit-il du résultat d'un défaut de compétence, d'une erreur non-intentionnelle, ou bien d'un comportement

délibérément opportuniste ? De telles questions nous montrent que la confiance est une croyance complexe car elle est à la fois très forte et très fragile. Elle est forte dans la mesure où sa remise en cause exige une analyse approfondie de ce qui s'est passé et une interprétation du comportement de l'autre. Elle est fragile pour les mêmes raisons parce qu'elle ne repose sur rien de tangible. Elle apparaît aussi comme une croyance largement bimodale : elle existe ou n’existe pas. Quoi qu'il en soit, il importe d'essayer de mieux comprendre comment elle est générée. Contrairement à Brousseau [2000], la confiance n’est pas uniquement le résultat des dispositifs de gouvernance, elle peut naître également de l’absence ou la défaillance des structures institutionnelles.

4.2. Les attributs de la confiance

L’établissement d’une relation de confiance demande trois pré-requis [Schuller, 2004].

Il faut qu’il y ait un risque. En l’absence de risque il n’y a pas besoin de faire confiance. Cette dernière offre la possibilité de réduire le risque ou l’incertitude qui sont généralement générés par des problèmes de temps et/ou d’information. Lorsque les transactions sont espacées dans le temps pour les deux acteurs de la transaction, la question de confiance se pose. Dans les relations humaines, il peut toujours y avoir un manque d’information (même si beaucoup est retenu dans un contrat, un accord, une convention). Par ailleurs, il reste souvent de la marge pour un comportement opportuniste pour le cocontractant. Autrement dit, comme le processus de contractualisation n'empêche pas définitivement toute manifestation de comportement opportuniste, les parties impliquées dans une relation de coopération considèrent la confiance comme une condition nécessaire et, faute de mieux, suffisante pour asseoir leur relation de coopération mutuelle.

Un autre pré-requis pour la transaction est le degré d’interdépendance entre les deux acteurs : entre celui qui fait confiance et celui à qui est fait confiance. Si celui qui fait confiance a normalement l’initiative de la relation de confiance, celui à qui est fait confiance a le pouvoir d’honorer la confiance donnée ou non. Cette interdépendance génère une communauté d'intérêts entre les parties. Les parties engagent des ressources dans un processus de coopération, ressources qui ne produiront un retour sur investissement qu'au-delà d'un certain délai de gestation d'une innovation et d'exploitation de cette dernière. Pendant ce délai, les parties ont intérêt à coopérer. Cette coopération engendre en soi un cercle vertueux puisque les ressources qu'elle mobilise et produit, créent une communauté d'intérêt entre les parties,

qui assied la crédibilité de l'engagement coopératif et incite à continuer à investir dans la relation. Bien entendu ce cercle est fragile car son existence ne garantit pas en soi qu'il ne sera jamais «payant» pour un opportuniste potentiel de trahir. Il le fera notamment s'il a une forte préférence pour le présent et si les gains potentiels de la défection sont importants [Brousseau, 2000].

Enfin la troisième caractéristique de la confiance est la vulnérabilité. L’établissement d’une relation de confiance en cas de risque ou d’incertitude présuppose qu’un des acteurs ne prenne l’initiative, ose faire confiance à son partenaire de la transaction. Le propre de cet acte de confiance est d’espérer (d’avoir) l’attente que le partenaire honore la confiance accordée. Mais il a la liberté de ne pas le faire. Ces attribuent montrent le degré de fragilité du concept mais également son importance dans le cadre des relations bilatérales.

4.3. La confiance comme produit du contrat ou la confiance comme substitut du contrat

Les contrats constituent des supports nécessaires à l'établissement et au maintien de conjectures de confiance. Il arrive que les firmes s’affranchissent de leurs arrangements contractuels, pour gérer au jour le jour les problèmes concrets. Ces écarts par rapport au contrat formel nécessitent une certaine dose de confiance mutuelle. Autrement dit, dans une situation d’interaction où des individus rationnels n'ont aucune raison de sacrifier leur intérêt au nôtre, la conjecture de confiance ne peut émerger que si toute forme de comportement opportuniste peut être systématiquement identifiée et réprimée. C'est la condition nécessaire et suffisante pour qu'il y ait absence de défiance à l'égard de l'autre. Ici, elle est beaucoup plus qu'une conjecture puisqu'il y a certitude assise sur le calcul. En fait, on retrouve l'analyse de Williamson [1993] et la notion de confiance est totalement inutile car elle résulte soit de l'alignement des intérêts individuels, soit de l'existence de mécanismes de représailles crédibles.

Pour Berggren et Jordahl [2003], la qualité du système légal et la protection de droits de propriété influencent favorablement la confiance. L’idée centrale est que l’économie de marché est basée sur des transactions et des interactions libres entre amis et étrangers dans le cadre d’un système légal donné. Aussi cette économie de marché recèle-t-elle des stimulants et des mécanismes faisant émerger de la confiance entre les personnes concernées. Néanmoins il n’est pas évident d’identifier dans quelle direction opère la causalité. L’analyse

empirique révèle que la liberté économique et la confiance sont interdépendants, mais que l’influence semble plutôt s’exercer de la première vers la seconde.

En outre, le revenu national a un effet positif sur la confiance généralisée [Knack et Keefer 1997; Zak et Knack 2001]. Dans le modèle de Zak et Knack [2001], ceci se produit par le biais de l’économie réalisée à cause de l’absence de contrôle et de vérification de certaines actions. L’éducation vient aussi renforcer la confiance généralisée [Knack et Keefer, 1997; Knack et Zak, 2003]. Les tensions économiques et sociales (indicateur Gini) sont également mises en relation avec la confiance. Une faible inégalité de revenu est ainsi positivement corrélée avec elle [Knack et Keefer, 1997; Glaeser et al, 2000; Zak et Knack, 2001].

Knack et Zak [2003] étudient différents moyens (politiques) pour augmenter le capital social; renforcement des institutions formelles, diminution des inégalités, réduction des distances sociales. Il s’avère que la confiance peut être élargie directement par un accroissement de la communication et de l’éducation et indirectement par le renforcement des institutions formelles et par la réduction des inégalités. De toutes ces voies possibles, l’éducation, les transferts redistributifs et la liberté sont les critères les plus efficients en termes des coûts (politiques) et de bénéfices pour les citoyens. Par ailleurs, l’analyse souligne qu’une politique appropriée vient directement engendrer une spirale vertueuse. Des politiques promouvant la confiance de manière efficiente augmentent le niveau de vie, la liberté individuelle, renforcent les institutions et réduisent la corruption.

La Porta [1997] tout en se basant sur d’autres variables de base, confirme aussi la corrélation positive entre confiance et performance économique. Par ailleurs, Bornschier [2000,] a réalisé des études empiriques en reprenant cet ensemble de facteurs (y compris le capital social, composé d’un indicateur mixte, confiance et tolérance) dans une fonction de production du type Cobb-Douglas. Pour un groupe de 24 pays riches et 9 nouveaux pays industrialisés, il s’avère que pendant la période 1980 à 1998, l’indicateur est statistiquement significatif.

Sur la base d’une analyse de la croissance dans le cadre d’un modèle d’équilibre général, Zak et Knack [2001] étudient l’effet de la confiance sur la croissance. Ils mènent l’analyse pour un échantillon de 37 pays dont les réponses à la question si l’on peut faire confiance à la majorité des gens, varie entre 5,5% pour le Pérou à 61,2% pour la Norvège. Ils arrivent à la conclusion que le rythme de croissance s’accélère de 1% par an pour chaque relèvement du niveau de confiance de 15%. En outre l’investissement (considéré comme ratio du PIB) s’accroît de 1 point de pourcentage à chaque relèvement du niveau de confiance de 7%. Les

résultats de l’étude soulignent qu’un développement économique favorable est fonction de la réalisation d’accords conclus et de la confiance respective des acteurs à ce sujet. Des institutions politiques renforçant la force de la loi et le système légal viennent renforcer cette confiance. En outre, les pays ayant un niveau de confiance élevé sont en général ceux qui ont un niveau de corruption relativement faible. Dans ce sens, les corrélations inverses avec les performances sont également vérifiées.

Par ailleurs, la confiance favorise également les innovations technologiques du fait qu’elle élargit le champ d’action et permet à des entreprises d’entrer en coopération. Parallèlement, la confiance réduit les coûts de transaction et de contrôle.

Toutefois, si ces arguments ci-dessus montrent clairement la confiance comme étant un produit des institutions solides, des récentes études montrent le rôle de la confiance dans l’économie.

Granovetter [1985] a donné un nouvel élan à l’analyse de la confiance dans les sciences économiques. Il prend clairement position par rapport à toutes les thèses qui considèrent que le marché et les institutions (la hiérarchie) sont des cadres suffisants pour le déroulement optimal des activités économiques. Il note à cet effet que les institutions ne suffisent pas à produire de la confiance et qu’elles sont au mieux un substitut fonctionnel [Granovetter, 1985, p489]. Dans sa contribution, Granovetter vise à démontrer que l’activité économique est largement encastrée (embedded) dans les relations sociales, ce qui est insuffisamment pris en considération par le courant néo-institutionaliste dont Williamson «for very special relations between family, friends, and lovers»1 [Williamson, 1993, p.483].

L’instauration de la confiance est censée réduire les incertitudes, les coûts de surveillance, d’information et généralement de transaction et, de ce fait, augmenter l’efficacité des opérations économiques. Dans cette perspective, les facteurs de production (le capital et le travail) n’expliquent qu’une partie du développement économique. D’autres facteurs sont à prendre en considération comme la technologie, l’éducation (qualifiée de capital humain) mais aussi le capital social dont la confiance est une composante essentielle.

Dans l’optique de Williamson [1985,1996], l’entreprise est caractérisée par l’existence d’instances et de procédures de contrôle du déroulement des contrats dont les particularités

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Pour le courant néo-institutionaliste dont Williamson, la confiance se réduit uniquement dans « les relations entre la famille, les amis et les couples »

résultent des hypothèses de rationalité limitée, d’opportunisme et de spécificité des ressources. Elle constitue donc plutôt un réseau centralisé et régulé de contrats spécifiques d’une unité de production. L’analyse qui débouche sur cette vision de l’entreprise suscite des critiques de nature empirique et théorique. Sur le plan statistique, il est difficile d’évaluer les coûts de transaction. En effet, comme ils sont définis par rapport à des situations idéales de rationalité complète et d’absence de comportement opportuniste, ils constituent des coûts d’opportunité. N’étant pas directement observables, ils sont saisis par des mesures approximatives fondées sur l’exploitation de questionnaires soumis à des responsables d’entreprises. L’utilisation de ces mesures imprécises pour l’analyse des relations pouvant exister entre les coûts de transaction et la nature des contrats peut donc conduire à des résultats peu probants. Cet inconvénient est accentué par les difficultés d’un recensement des contrats spécifiques. Un coût majeur de transaction entre individus est le «coût de contrainte», les individus étant forcés de suivre les règles du jeu. S’ils prennent des engagements contractuels, ils veulent s’assurer qu’elles seront respectées comme il convient. Ces coûts sont élevés quand les individus ne se connaissent pas les uns les autres comme c’est le cas sur un marché d’échange impersonnel. Pour rendre possible l’interaction du marché, la contrainte d’un tiers acteur est nécessaire. Dans ces situations, le rôle de l’Etat s’avère pertinent dans la mesure où l’on croit que l’arbitrage d’un tiers peut effectivement réduire les coûts d’interaction entre individus; d’où l’importance des institutions pour expliquer les coûts des transactions. Car, les institutions permettent de limiter les coûts de transaction.

Nous allons voir comment les institutions favorisent le développement en prenant les exemples des Etats-Unis, de l’Europe occidentale et dans d’autres régions du monde.