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Chapitre 6 : Le financement du secteur informel

1. Analyse théorique

1.1. L’approche de Mc Kinnon et Shaw

La présence d'un secteur informel aux côtés du secteur formel serait la conséquence de l'inefficacité du secteur financier formel, inefficacité due en grande partie à la rigidité du secteur formel et l'omniprésence des pouvoirs publics, principalement en matière de fixation des taux d'intérêts, aux institutions du secteur formel, empêchant ce dernier de s'adapter aux conditions spécifiques de l'économie des pays en développement. La finance informelle est le signe du sous-développement financier de ces pays.

Ainsi, le secteur informel se serait développé car la majeure partie de la population rurale et urbaine est exclue de l'accès au crédit institutionnel, et aussi parce que les institutions de prévoyance et d'assurance sont absentes du secteur officiel. En règle générale, l’expression «répression financière» se réfère aux effets de la réglementation étroite du système financier et aux diverses formes de restrictions imposées par le gouvernement à l'activité des

institutions financières : fixation administrative des taux d'intérêt, endettement du Trésor, lourdeur administrative, etc. Ce sont ces restrictions et ces dysfonctionnements qui conduisent à une fragmentation des marchés financiers.

Pour Germidis, Kessler et Meghir [1991], la structure des taux d'intérêt reflète un profond déséquilibre : le loyer officiel de l'argent est contrôlé et maintenu à des niveaux bas. Dans le secteur informel, les niveaux très élevés de taux d'intérêt réels positifs appliqués aux prêts, contrastent avec les taux débiteurs et créditeurs appliqués aux opérations bancaires quelque soit leur durée. Dans le secteur officiel, les taux d'intérêt réels sont négatifs pendant de longues périodes diminuant ainsi l'incitation aux placements bancaires. Cette situation crée surtout un phénomène de rationnement (rationnement pur) du crédit bancaire traditionnel, l’ajustement de la demande et de l’offre de crédits se faisant par les quantités et non par les prix. Des emprunteurs potentiels sont rejetés et ne pourront pas emprunter, même s'ils indiquent leur volonté de payer plus que les taux d'intérêts du marché. Le taux d'intérêt qu'un individu accepte de payer agit comme un moyen de discrimination, car seules les entreprises dont le projet est à haut risque accepteraient d'emprunter à de telles conditions. Par conséquent, l'accroissement du taux d'intérêt peut accroître le risque du portefeuille de prêt de la banque en provoquant une dégradation de la qualité et donc de la rentabilité des actifs bancaires, dans la mesure où elle se traduit par un accroissement de la proportion de mauvais emprunteurs. Ainsi, un taux d'intérêt unique ne peut équilibrer le marché du crédit. S'il est trop bas, la rentabilité des prêts n'est pas assurée, s'il est trop haut les projets les moins risqués seront dissuadés. L'équilibre va se faire par les quantités. Les emprunteurs qui semblent les plus risqués sont rationnés.

L'endettement du Trésor auprès de la Banque centrale, lié au déficit budgétaire et aux déficits des entreprises publiques crée des effets d'éviction du secteur privé, notamment des petites unités et se traduit par des créances douteuses contraignant les banques à privilégier des prêts à court terme et à garanties élevées. Alors le phénomène de rationnement de crédit implique que les banques refusent de prêter même si elles disposent suffisamment de ressources.

La lourdeur administrative, les coûts de gestion et les délais de décaissement empêchent les intermédiaires financières d'atteindre les acteurs produisant à petite échelle induisant ainsi des coûts de transactions et favorisent la finance informelle.

On peut citer comme autres formes de restrictions imposées par le gouvernement : le contrôle des changes, les coefficients de réserves obligatoires, la régulation de la concurrence, etc.

Mc Kinnon et Shaw [1973] estiment que dans un système financier sur-règlementé et où la concurrence est limitée, les banques ressentent moins le besoin de rechercher de nouveaux clients et d'attirer des dépôts, tandis que les épargnants et les emprunteurs potentiels, n'étant pas sollicités, sont amenés à se tourner vers les circuits financiers parallèles. Ainsi, le secteur informel se développe et joue le rôle de régulateur en se substituant aux défaillances des institutions du secteur officiel. Il suffit donc que la répression financière soit éliminée pour que le secteur financier informel disparaisse. La libéralisation financière consiste à centraliser l'épargne entre les mains des intermédiaires financiers officiels, centralisation qui permettra l'unification du marché financier, et donc la disparition du secteur financier informel.

1.2. L'analyse néo-structuraliste

Pour l'analyse néo-structuraliste [Taylor, 1983 ; Winjbergen, 1983], le dualisme financier est considéré comme une conséquence d'un dualisme déjà existant au sein des structures économiques et sociales des pays en développement. L'analyse néo-structuraliste tient compte donc de l'existence de marchés financiers informels et leur attribue une grande efficacité en termes d'allocation des ressources. Loin d'être un handicap au développement économique, le secteur informel serait un facteur de croissance économique [Venet, 1994].

Si le secteur informel demeure dynamique, cela tient en grande partie aux facteurs culturels et à la persistance des habitudes d'investissement traditionnelles. En effet, les facteurs culturels déterminent dans une large mesure les motivations, les moyens disponibles et les formes préférées d'épargne et de crédit. Pour Germidis et, al. [1991] dans les pays en développement, la thésaurisation est une forme très courante d'épargne. Souvent, celle-ci vient du fait qu'il n'y a pas d'agence accessible, mais même lorsque ces agences sont présentes, la population n'y a pas forcement recours. Timidité, découragement, manque de confiance en sont les raisons principales.

Les facteurs socio-politiques expliquent également pourquoi les populations sont attachées aux pratiques financières informelles. En effet, l’instabilité sociale et politique, ainsi que des changements fréquents de politiques économiques ne créent pas un climat favorable pour

installer la confiance. Cela ne fait que renforcer l'attrait pour les populations de la finance informelle.

Selon Fry [in Venet, 1994], l’approche du modèle structuraliste repose sur cinq assertions radicalement différentes de celles de Mc Kinnon : les salaires sont déterminés de manière exogène (ou institutionnelle) au travers de conflits entre les classes sociales; l'inflation est déterminée par les poids relatifs des capitalistes et des travailleurs (qui sont eux-mêmes influencés par l'état de l'économie); l'épargne se détermine comme une fraction des profits et non des salaires; le niveau général des prix est déterminé par des marges fixes sur les coûts du travail, les importations et le financement du capital productif (taux d'intérêt) et enfin les pays en voie de développement dépendent de façon critique de leurs importations de matières premières, de biens d'équipement et de biens intermédiaires.

Les mécanismes d'ajustement des modèles néo-structuralistes sont keynésiens : le taux d'intérêt de marché du secteur informel s'ajuste de telle manière que l'offre et la demande de crédits et de monnaie s'égalisent. Sur le marché des biens, l'ajustement entre l'offre et la demande se fait par les quantités et non par les prix. Par ailleurs, l'inflation y est déterminée par les coûts. Ainsi, prôner une libéralisation financière ne pourrait que détériorer la situation économique des pays en développement. En effet, augmenter les taux d'intérêt nominaux (suite à une politique monétaire restrictive) ne peut qu'accroître l'inflation. De même, pratiquer une dévaluation ne ferait que renchérir le coût des importations et donc ralentir la croissance.

Le taux d'intérêt nominal qui assure l'égalité entre l’offre et la demande de crédit et de monnaie se fait sur les marchés financiers informels. Les détenteurs de monnaie servent de banques sur ces marchés où ils jouent le rôle d'intermédiaires financiers entre épargnants et investisseurs. Selon Taylor [1983], ces marchés sont souvent «compétitifs et agiles» [Venet, 1994].

Les prêts sur les marchés informels apparaissent donc comme une alternative aux dépôts bancaires, d'autant plus que les capitaux sont supposés circuler librement entre les deux secteurs. Le problème consiste donc à déterminer qui, du secteur bancaire officiel ou du secteur informel, est le plus à même de stimuler la croissance de l'économie. Pour les néo- structuralistes, le secteur non officiel est, par nature, plus efficace que le secteur bancaire qui

effet, est tenu de constituer des réserves obligatoires présentat une certaine fraction des dépôts. Cette hypothèse fondamentale permet de conclure, selon les néo-structuralistes, à la nocivité de la libéralisation financière prônée par les modèles Mc Kinnon et Shaw.

2. Offre et demande de financement formel et informel