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Chapitre 4 : Impacts des dysfonctionnements des institutions sur l’activité économique

II. Base de données «Doing Business»

3. Le droit du travail

Chaque économie établit un système complexe de lois et d’institutions conçues pour protéger les intérêts des travailleurs et garantir un niveau minimum de vie à sa population. Ce système comprend quatre corps de lois : les lois sur l’emploi, les lois sur les relations collectives dans les entreprises, les lois sur la santé et la sécurité du travail, et les lois sur la sécurité sociale.

3.1. Le code de travail d’outre Mer de 1952

Pendant la colonisation, les institutions en place à Djibouti, à l’instar des autres pays africains, étaient calquées sur celles de la métropole, car elles étaient destinées avant tout à répondre aux besoins des européens. Seules les entreprises créées et gérées par les européens se situaient dans ce cadre. Les entrepreneurs d’origine djiboutienne n’étaient pas nombreux à

à ce cadre réglementaire en payant les impôts et les charges sociales. La majorité, qui est constituée par des entrepreneurs traditionnels n’est pas concernée par ce cadre institutionnel, tout simplement parce que le pouvoir colonial n’essayait pas de les contraindre. La majorité des travailleurs évoluait dans une zone dominée par ce que les sociologues appellent l’infra droit, c’est à dire un droit déprécié.

C’est ainsi qu’au moment de l’indépendance (27 juin 1977), deux secteurs coexistent dans l’économie avec d’un côté un secteur formel respectant les prescriptions du gouvernement et d’un autre côté un secteur informel avec une myriade de petites activités, qui évoluent en marge du cadre réglementaire en vigueur. Au lendemain de l’indépendance, on aurait pu penser que les nouvelles autorités qui ont pris la relève, aient le souci de faire disparaître cette dualité en aménageant le cadre importé, voire en le remplaçant par un nouveau cadre au sein duquel les activités économiques se seraient situées. Malheureusement, Djibouti a conservé le cadre légué par la France en le considérant comme un élément clé du développement. C’est ainsi que le code du travail d’Outre mer de 1952 est resté toujours en vigueur plus d’un demi-siècle après sa promulgation jusqu’à sa disparition en mars 2006.

Or les institutions, particulièrement le droit ne sont rien d’autre que la traduction sur le plan normatif d’une certaine vision du monde. C’est un produit de la société qui ne peut être de portée universelle. La structure d’un droit, les classifications qu’il admet, les concepts et les notions qu’il utilise ainsi que le type de normes sur lesquelles il se fonde, devraient être inspirés des réalités culturelles et socio-économiques au risque de créer des coûts de transaction. Dans ce contexte, le rôle particulier qu’a toujours joué l’Etat dans l’économie constitue également un élément clé pour comprendre les maux dont souffre le marché du travail djiboutien. L’Etat assurait dans le pays une fonction de régulateur en matière de main d’œuvre. Sa fonction de principal employeur était à cet égard, déterminante notamment vis-à-vis des sortants du système éducatif en offrant des salaires attractifs, engendrant un effet d’éviction qui a longtemps privé les entreprises du secteur moderne (formel) des ressources humaines qualifiées nécessaires à leur développement. Il avait, par l'intermédiaire du bureau de main-d’œuvre, le monopole du placement. L'obtention d'une autorisation préalable de licenciement de l'inspection du travail était nécessaire pour les salariés à plein temps. Les fonctions de contrôle et d'inspection dominaient. Il en a résulté une gestion bureaucratique et administrée du marché du travail qui ne pouvait que créer rigidité et aberration dans un contexte économique marqué par la montée du chômage et le développement du travail à temps partiel.

3.2. Réformes institutionnelles : quels résultats ?

La déréglementation du marché du travail en 1997 a conduit à un abandon des conventions nationales de travail et a remis en cause l'intervention de l'Etat, jugée inappropriée, en supprimant les autorisations de licenciement et le monopole d'embauche. Elle visait à donner plus de flexibilité à la gestion de l'emploi et à réduire les coûts de transaction et les rigidités jugées excessives pour les entreprises en facilitant leurs capacités de réaction et d'adaptation aux lois du marché. Il s’agissait pour les autorités confrontées à la crise économique de trouver d’urgence une solution à la question du chômage dans le pays en adaptant la législation du travail à la réalité économique. L’idée sous-jacente à cette réforme est que le chômage à Djibouti n’est que le résultat des obstacles institutionnels auxquels les entreprises sont confrontées pour l’embauche et le licenciement des salariés. Malheureusement, les résultats obtenus sont loin d’être à la hauteur des espoirs caressés. Car la Loi 140 de 1997 complétée par la refonde totale du Code de travail de 2006 n’a pas pour autant limité les rigidités institutionnelles du marché du travail. La convention collective de 1973 (avant l’indépendance), qui ne correspond plus à la réalité économique du moment, est toujours la référence en matière de grille salariale constituant ainsi un casse de tête pour les employeurs pour fixer le salaire des travailleurs embauchés.

L’indice de difficulté d’embauche mesure si les contrats à durée déterminée sont interdits pour les emplois permanents, la durée maximum cumulée des contrats à durée déterminée et le rapport entre le salaire minimum obligatoire pour un stagiaire ou un premier emploi et la valeur ajoutée moyenne par salarié. Ce rapport est de 67 pour Djibouti sur une échelle de 0 à 100, 25,8 en moyenne pour les pays de la région MENA et 25,2 pour les pays de l’OCDE [World Bank, 2007].

Les contrats à durée déterminée sont interdits pour les emplois permanents et ils ne peuvent excéder 6 mois.

Les rigidités des horaires s’expliquent du fait que l’administration et les banques ne fonctionnent pas l’après-midi. Ce qui se répercute directement sur l’activité des entreprises, surtout celles qui ont à faire avec l’Etat.

Les difficultés d’embauche sont liées également à la mauvaise performance du système éducatif djiboutien. L’efficacité du système, mesurée à travers le taux de réussite au niveau du primaire est de 36% à Djibouti en 2007, soit le taux le plus faible de la région MENA

2008]. L’indice intégré concernant l'accès, l'équité, l'efficacité et la qualité du système éducatif, classe Djibouti au dernier rang dans la région MENA. Le système ne permet pas de répondre à certaines qualifications, notamment les besoins du secteur du tourisme où les operateurs sont obligés de faire appel à une main d’œuvre étrangère.

La flexibilité du marché du travail a permis l’apparition d’un réseau d’agences d’intérim sans cadre juridique légal. Certaines agences telles que l’entreprise Djibclean est même l’un des premiers employeurs du pays, mais sans cadre juridique légal. La précarité de ces agences peut entretenir le manque de transparence et une inefficacité des placements à des conditions qui n’assurent pas forcément la création d’emplois avec une baisse significative du coût du travail.

S’agissant des cotisations sociales, la question est plus délicate dans la mesure où elle est conditionnée par le maintien de l’équilibre financier du régime des retraites. Par ailleurs, ce qui fait réellement problème c’est le coût du travail dont les cotisations sociales à la charge de l’employeur ne sont qu’un élément. En d’autres termes, ce qui pousse les entreprises à une sous déclaration du nombre de leurs salariés à l’Organisation de Prévoyance Sociale (OPS). En soi, le développement de cette fraude illustre l’obligation de faire baisser le coût du facteur, mais il n’indique pas que les cotisations sociales à la charge des employeurs soient l’élément décisif du problème. Le laxisme de l’OPS, le manque de crédibilité et la faiblesse des sanctions font qu’il y a une incitation à la sous déclaration. Le nombre d’agents OPS dédiés aux contrôles est faible et le mode de fonctionnement de l’administration qui amène à des « négociations » avec les fraudeurs manque de transparence. Quoi qu’il en soit, le taux des cotisations à la charge des employeurs apparaît tout de même élevé, actuellement de 15,7% à la charge de l’employeur contre 4% pour les salariés [Plane, 2004].