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2.3 Développement de l’excellence sportive

2.3.1 Les concepts fondamentaux du développement du talent sportif

Tout d’abord, la hausse de popularité des programmes sportifs organisés mettant en place des conditions de participation visant l’atteinte de l’expertise sportive a été abordée dans le chapitre précédent. Pour y faire un peu de lumière, cette section se consacre aux concepts fondamentaux qui guident le courant de recherche sur le développement du talent sportif vers l’expertise.

Définir le talent sportif

D’entrée de jeu, il nous semble important de faire une distinction entre talent sportif et expertise sportive. D’une part, nous nous inspirons de la définition du talent de Gagné (2004) pour circonscrire ce qu’est le talent sportif. En effet, on peut considérer le talent sportif comme la maîtrise exceptionnelle d’habiletés ou de compétences développées aux moyens de la pratique sportive par un individu. Cette maîtrise le placerait dans les dix pour cent les plus performants chez les individus d’un âge similaire qui ont également développé des compétences dans cette même pratique sportive.

D’autre part, rappelons-nous que l’expertise sportive se définit comme l’atteinte d’une performance sportive supérieure sur une longue période de temps (Starkes, 1993) – soit la consécration et la reconnaissance d’un athlète au plus haut sommet de sa discipline sportive. Les chercheurs qui s’intéressent au développement de l’expertise sportive sont en mesure d’identifier les facteurs favorables ou nuisibles à l’atteinte de ce statut (Baker, Horton, et al., 2003; Baker et Horton, 2004). Très brièvement, il semble que le bagage génétique d’un athlète, ses compétences psychologiques et le contenu d’entrainement sont les facteurs d’influence dominants. En contrepartie, ceux ayant une influence secondaire sont principalement de nature environnementale, tels la relation entraineur-athlètes et le soutien familial. Dans le contexte du programme Sport-études, ce sont principalement les facteurs liés au contenu d’entrainement et aux facteurs environnementaux qui nous intéressent. Résumons

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l’expertise simplement : c’est un heureux mélange de facteurs individuels et environnementaux (Baker, Horton, et al., 2003).

Maintenant, nous désirons attirer l’attention sur la propension des programmes sportifs à mettre en place des dispositifs d’identification du talent sportif chez les jeunes sportifs – souvent avant la puberté, et ce, malgré l’absence de preuves empiriques de l’efficacité de ces processus (Vaeyens et al., 2009). Ainsi, les jeunes démontrant certaines habiletés, tant physiques, physiologiques et psychologiques, sont identifiés et développés dans un contexte censé favoriser l’atteinte de l’expertise sportive (Burgess et Naughton, 2010). Dès lors, la question du développement du talent sportif vers l’expertise sportive est au cœur des préoccupations des différents modèles théoriques s’intéressant à ce champ.

Rappel historique de l’étude du développement du talent sportif

Au cours des trente dernières années, de nombreux modèles pour expliquer l’atteinte de l’expertise sportive ont été proposés (Bruner, Erickson, McFadden, et Côté, 2009). Afin de justifier le choix du modèle qui sera présenté plus tard, il nous apparait pertinent de faire un bref historique de ce champ d’études. Pour y arriver, nous consultons Bruner et ses collaborateurs (2009) qui ont mené une étude analytique sur 229 articles portant sur le développement de l’athlète et répondant à sept critères9 identifiés par les auteurs. Le but de leur démarche était de mieux comprendre l’origine du champ d’études sur le développement sportif des athlètes, ainsi que de déceler les tendances et les directions futures de celui-ci. À ce chapitre, ils distinguent deux courants de recherche majeurs qui jalonnent le champ. Le premier concerne les transitions vécues par l’athlète pendant et après sa carrière sportive alors que le deuxième porte sur le développement du talent chez les athlètes. C’est ce dernier qui nous intéresse davantage. Autrement, l’analyse de l’ensemble des articles produits sur ce thème leur a permis d’identifier certains travaux qui ont fortement influencé le champ d’études du développement sportif des athlètes. Nous présentons ici les trois modèles qui, selon ces

9 (1) présente une conceptualisation du développement, (2) est spécifique au sport, (3) concerne le sport en

général à l’opposé à une discipline sportive, (4) couvre plus d’une phase de participation sportive, (5) couvre l’ensemble des cultures à l’opposé d’une seule, (6) couvre autant les filles que les garçons et (7) a été publié dans une revue anglo-saxonne, révisé par les pairs.

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auteurs, ont le plus influencé la recherche sur le développement du talent sportif, ainsi qu’une mise en exergue de leurs contributions principales au champ de recherche.

Développement du talent chez les jeunes (Bloom, 1985)

Premièrement, mentionnons le travail de Bloom (1985), psychologue américain et spécialiste de l’éducation. Ce pionnier proposa un modèle de développement du talent. Son modèle, issu de plusieurs études menées auprès de sportifs, d’artistes et de scientifiques, met en exergue trois stades d’engagement distincts. Il y a d’abord les premières années où l’individu en bas âge est fortement encouragé par ses parents et où le plaisir est la première source de motivation. Par la suite, il y a les années médianes où l’individu alloue plus de temps à son activité dans le but de devenir plus compétent et, par la suite, il y a une période d’investissement total où l’individu entre dans une démarche d’excellence avec les visées les plus élevées. La plus grande contribution du modèle de Bloom, c’est d’avoir conceptualisé une trajectoire assez générale à l’aide des différents stades du développement, intégrant notamment des éléments de l’environnement.

Théorie de la pratique délibérée (Ericsson et al., 1993)

Pour expliquer les origines de l’approche par la spécialisation hâtive, nous avons brièvement abordé les travaux de Ericsson, Krampe et Tesch-Römer (1993) dans le précédent chapitre. Soulignons, en accord avec ce qui a été dit précédemment, que cette théorie a eu une incidence majeure sur le champ d’études du développement du talent sportif chez les jeunes. À ce jour, la plus grande contribution de cette théorie – mis à part avoir nourri les débats populaires et scientifiques sur l’atteinte de l’expertise sportive – a été la conceptualisation de la pratique délibérée. Selon Ericsson et ses collègues (1993), la quantité et la qualité de la pratique délibérée seraient les seuls facteurs qui influenceraient l’atteinte ou non de l’expertise sportive. De plus, puisque cette pratique nécessite un niveau d’effort et de concentration élevée, l’individu s’y engageant doit être motivé par un puissant désir de performance. Il doit être en mesure de se projeter dans le futur, car la pratique délibérée ne procure pas un plaisir immédiat. Qui plus est, contrairement à la pratique sportive régulière, l’athlète engagé dans sa démarche vers l’expertise sportive se concentrera sur certains aspects techniques qu’il ne maîtrise pas, plutôt que sur quelque chose qu’il fait facilement (Ericsson et al., 2007). Fait à

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noter, il semble que la présence d’équipements spécialisés et d’entraineurs compétents soit nécessaire à l’atteinte de l’expertise (Ericsson, 2003).

Au final, en dépit du fait que les conclusions de cette théorie – la pratique délibérée est nécessaire et suffisante pour atteindre l’expertise (Ericsson et al., 2007) – soient contestées (Campitelli et Gobet, 2011; Côté, Baker, et Abernethy, 2003), ce modèle d’acquisition de l’expertise a été adopté par plusieurs. Finalement, notons que ce cadre rejette le concept de talent ou de compétences innés, puisqu’il considère qu’une pratique suffisante engendrera une adaptation physiologique et cognitive qui permet d’atteindre le plus haut niveau de performance dans un sport donné (Ericsson, 2003).

Modèle développemental de la participation sportive

Le troisième et dernier modèle étant considéré comme ayant le plus d’influence sur le champ d’études par Bruner et collaborateurs (2009) est le modèle développemental de la participation sportive présenté par Côté (1999). Ce modèle, spécifique au sport cette fois-ci, est similaire à celui de Bloom, au sens où il subdivise l’idée du développement de l’expertise en trois phases consécutives. Cependant, le modèle de Côté s’inscrit dans la continuité d’Ericsson et ses collaborateurs (1993) et leur cadre conceptuel est basé sur le type de pratique. En effet, pour Côté, chaque stade de participation sportive (diversification, spécialisation et investissement) est caractérisé par un groupe d’âge spécifique et surtout, des types de pratique différents. Fait à noter, l’auteur introduit un nouveau concept dans cette recherche, celui de jeu délibéré. Celui-ci se définit comme étant une activité sportive ayant pour but de favoriser le plaisir et la motivation intrinsèque, tout en développant des compétences spécifiques au sport. Contrairement au concept de pratique délibérée présenté plus tôt, le jeu délibéré peut se faire sans la supervision d’adulte et ne nécessite pas d’équipement ou de site d’entrainement spécifique. De plus, selon Côté et ses collègues (2007), le jeu délibéré aura un effet positif sur le désir d’un individu à s’engager à plus long terme dans le sport et par extension, dans une démarche d’expertise sportive. En lien avec cela, il est à noter que le jeu délibéré serait déterminant dans les premières années de la participation sportive du jeune (Côté et al., 2007).

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Le concept de jeu délibéré a émergé de différentes recherches s’intéressant au développement de l’expertise sportive dès les balbutiements d’un jeune dans le sport (Côté, 1999; Côté et al., 2003). Par exemple, s’intéressant à la prise de décisions d’experts dans les sports d’équipe, Baker, Côté et Abernethy (2003) ont comparé 15 athlètes professionnels reconnus comme des experts dans leur discipline sportive et 13 non-experts, ayant de l’expérience sportive, mais d’un niveau provincial tout au plus. Au terme d’entrevues semi- dirigées, les chercheurs ont conclu que le volume de pratique spécifique était similaire entre experts et non-experts jusqu’à environ 10 ans d’expérience dans le sport, mais qu’après cela, il y avait changement drastique ; les experts allaient jusqu’à doubler le volume de pratique des non-experts en cinq ans. Autrement, les experts semblent avoir participé à plus d’activités non spécifiques à leur sport tôt dans leur cheminement. Les conclusions de la recherche laissent croire que les experts ont eu un parcours sportif plus diversifié et un équilibre entre jeu et pratique délibérée en bas âge.

Par ailleurs, dans des analyses subséquentes de l’influence du MDPS, on désignera ce modèle comme un des premiers à être spécifique au sport et à inclure des variables psychosociales de façon systématique (Bruner et al., 2009; Bruner, Erickson, Wilson, et Côté, 2010). Dans la foulée de ces modèles, particulièrement ceux de Côté (1999) et d’Ericsson et coll. (1993), les chercheurs se sont intéressés aux coûts reliés à l’atteinte de l’expertise et aux impacts sur le développement des jeunes (Bruner et al., 2009).

Autres modèles de développement du talent sportif et justification du MDPS

Outre les trois présentés, la littérature regorge de modèles qui s’intéressent au développement du talent et de l’expertise sportive. Par exemple, le modèle de Développement à Long Terme de l’Athlète (DLTA) (Bayli et Hamilton, 2004; Centres Canadiens Multisports, 2007) est un modèle fort populaire au Canada. À l’instar du MDPS, il prend en compte le développement physiologique et psychologique du jeune, en prescrivant un type de travail plus général et ludique en bas âge pour, par la suite, se spécialiser dans une discipline choisie. Le DLTA est préconisé par certains pour permettre aux jeunes d’atteindre l’expertise (Vaeyens et al., 2008) et ce, malgré certaines critiques à son égard, notamment en raison du peu de validité empirique et de son caractère très prescriptif (Gulbin, Croser, Morley, et

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Weissensteiner, 2013). Sinon, un modèle plus récent vient d’être proposé par l’Institut des Sports d’Australie, le Fondation-Talent-Élite-Maîtrise (FTEM) (Australian Institute of Sport, 2012; Gulbin, Croser, Morley, et Weissensteiner, 2013). Ce modèle s’inscrit dans la même lignée que le DLTA, tout en offrant un cadre plus flexible et différentes voies pour atteindre l’expertise.

À notre avis, tous ces modèles contribuent d’une façon ou d’une autre à la compréhension de la détection et du développement du talent sportif. Le choix d’utiliser le MDPS de Côté et Fraser-Thomas (2011) est justifié par ses ancrages théoriques dans l’approche du développement positif de l’adolescent, ainsi que dans sa conception du développement humain similaire à la perspective bioécologique. En effet, le MDPS nous donne les outils pour comprendre comment à travers la pratique sportive dans une perspective d’expertise, le jeune se développera en tant qu’individu. Le MDPS suggère différents stades de participation sportive par rapport aux objectifs poursuivis ainsi qu’à la lumière des interactions entre l’individu et son milieu (parents, entraineurs ou pairs), du type de pratique sportive et/ou de l’expérience vécue.