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Synthèse des notions centrales du chapitre 1

CHAPITRE 2 : Anaphores et Chaînes de Référence

2.2. Les chaînes de référence

2.2.4. Les chaînes de référence et le genre narratif

Dans la mesure où les productions d’élèves qui font l’objet de notre étude sont des textes appartenant au genre narratif19, nous nous intéressons à présent à ce genre en particulier. Le but de cette section est de montrer les procédés des scripteurs experts à travers l’étude de romans notamment, afin de les comparer plus tard à ce que font les apprentis scripteurs de notre corpus.

Dans les textes du genre narratif, on peut rencontrer certains éléments spécifiques sur lesquels s’appuyer pour identifier des caractéristiques de la composition des chaînes de référence les constituant. Givón (1983, 1989), dans des travaux consacrés au genre narratif et plus particulièrement au roman, a pris en compte plusieurs paramètres tels que distance, persistance et interférence pour distinguer des chaînes de référence de topiques « continus » (c’est-à-dire des référents saillants) et « discontinus » (référents non saillants). Ainsi, selon lui, dans le genre narratif la chaîne de référence d’un topique « continu » (soit un référent saillant) devrait être majoritairement composée de pronoms personnels dans au moins dix phrases consécutives. Pour le monter, nous nous appuyons sur un exemple que nous empruntons à Schnedecker & Landragin (2014), (souligné par eux) :

(101) Comme le leader des étudiants, le doyen des études éprouvait le besoin, moral et politique, d’observer ce qui se passait dans l’anti-institution. Pour des raisons fort différentes, en majorité dues à sa loyauté et à son attachement pour Gerard Wijnnobel, il savait qu’il devait surveiller ce que faisait et prêchait Eva Wijnnobel. Il savait qu’il n’était pas taillé pour s’acquitter de tâches d’infiltration ou de confrontation. Il était par instinct profondément libéral et partisan du laisser-faire. Il avait accepté le poste de doyen parce que, d’une part, tout le monde était obligé d’assumer à tour de rôle une fonction d’autorité et, d’autre part, il voulait rendre les choses plus faciles et plus libres pour les étudiants. Il savait mieux s’y prendre avec des réactions instinctives de nervosité dans son propre camp – restrictions, répressions, exclusions – qu’avec une opposition doctrinaire qui s’opposait pour le plaisir de s’opposer, ce qu’il percevait mais Ø n’arrivait absolument pas à comprendre. (A.S. Byatt, Une femme qui siffle, 2003)

19 La consigne de la tâche-problème proposée est de raconter une histoire dans laquelle les élèves doivent insérer trois phrases imposées (cf. partie II méthodologie et mise en œuvre de l’étude).

84 Dans cet exemple de texte narratif, la première mention du référent s’effectue à l’aide du SN défini le doyen des études. Dans toutes les autres phrases, le référent est repris sous la forme du pronom anaphorique de troisième personne il.

Les chaînes de référence d’un topique discontinu (ou référent non saillant) devraient, quant à elles, être plus courtes et instancier davantage de SN que de pronoms dans la mesure où elles entrent en compétition avec d’autres chaînes (Schnedecker et Landragin, 2014).

Dans leur étude comparative de cinq genres textuels (articles politiques, éditoriaux, romans, textes de lois, rapports publics), Longo et Todirascu (2009) montrent que les chaînes de référence sont plus longues lorsqu’il s’agit de roman que de tout autre genre de texte. En moyenne, une chaîne comporte alors une dizaine de maillons.

En ce qui concerne la distance moyenne entre chaque maillon d’une même chaîne, cette étude montre que, pour certains genres comme le roman, tous les maillons de la chaîne sont localisés dans la même phrase ou dans la phrase suivante. Schnedecker & Longo, dans leur étude de (2012), font le même constat.

Dans un genre narratif tel que le roman, il s’avère que les premiers maillons des chaînes de référence sont principalement des SN indéfinis (Corblin, 1985 ; Longo et Todirascu, 2009 ; Longo, 2013). Toutefois, Landragin & al. (2015 : 11) précisent qu’une chaîne coréférentielle prototypique d’un référent (humain) peut débuter par un nom propre et se retrouver sous la forme : nom propre – description définie – succession de pronoms personnels de troisième personne.

L’analyse de la nature la plus fréquente des maillons des chaînes de référence dans le roman (Longo & Todirascu, 2009 ; Schnedecker & Longo, 2012, Landragin, Tanguy, Charolles, 2015) révèle qu’en moyenne, les expressions référentielles dans ce genre de texte ont plutôt tendance à être des pronoms et des SN possessifs avant d’être des SN définis puis des SN indéfinis. L’usage dominant du pronom, à partir de la deuxième mention, n’est pas une surprise puisqu’il était déjà admis que cette forme est la plus couramment employée dans les chaînes de référence (Combettes, 1986 ; Schneuwly, 1988), « dans des rapports qui vont du tiers à la moitié des expressions référentielles totales » (Masseron & Schnedecker, 1995 : 4). Le pronom est la forme « non marquée » de la reprise (Kleiber, 1994), donc la plus facilement et longtemps utilisable, jusqu’à la nécessité d’une redénomination.

85 La redénomination d’un référent est l’indice d’un problème référentiel (Masseron & Schnedecker, 1995) qui peut être de différentes natures. La première cause de nécessité de redénomination (ou premier type de problème référentiel) tient à la distance inter-maillonnaire qui sépare deux mentions référentielles. Pour illustrer cela, nous empruntons un exemple à Jules Verne (102) :

(102) Le 29 mai de cette année-là, un berger surveillait son troupeau à la lisière d’un plateau verdoyant, au pied du Retyezat, qui domine une vallée fertile, boisée d’arbres à tiges droites, enrichie de belles cultures. Ce plateau élevé, découvert, sans abri, les galernes, qui sont les vents de nord-ouest, le rasent pendant l’hiver comme avec un rasoir de barbier. On dit alors, dans le pays, qu’il se fait la barbe – et parfois de très près. Ce berger n’avait rien d’arcadien dans son accoutrement, ni de bucolique dans son attitude. […] (Jules Verne, Le château des Carpathes, notre exemple).

Dans cet exemple, l’intervalle entre les deux mentions du berger est trop grand (plusieurs lignes) et les sujets abordés trop variés (paysage, vents, etc.) pour que le référent puisse être récupéré par le lecteur sous la forme d’un pronom. La redénomination vient ici réactiver le référent en question.

La redénomination s’impose également lorsqu’il y a un risque d’ambiguïté référentielle entre deux entités, tel que l’illustre (103), issu d’un texte d’élève et emprunté à Masseron & Schnedecker (1995) :

(103) L’homme arriva dans une station-service et demanda au pompiste de l’essence. Le pompiste lui a fait le plein et lui demanda de l’argent. L’homme énervé tira sur le pompiste et quitta la station à fond. Ici, le premier référent l’homme se voit concurrencé par l’introduction d’un deuxième référent le pompiste avec les mêmes caractéristiques morphologiques. L’emploi d’un pronom ne permettrait pas de déterminer lequel des deux fait l’action.

Ainsi, dans le genre narratif, les chaînes de référence ont quatre caractéristiques principales :

1) elles se caractérisent par la nature des maillons qui les constituent : elles sont composées d’une majorité de pronoms pour les référents saillants et une majorité de SN pour les référents non saillants. Le premier maillon qui introduit un référent est principalement un SN indéfini ou un nom propre.

2) elles se caractérisent par la concentration de leurs maillons dans la même phrase ou la phrase suivante.

86 3) leur longueur est plus importante que celle des chaînes que l’on trouve dans d’autres

genres discursifs

4) Dans le cas où la première mention se trouve trop éloignée de sa reprise anaphorique, ou qu’il y a un risque d’ambiguïté référentielle, la redénomination s’impose.

2.2.5. Les chaînes de référence et la construction des personnages dans les textes

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