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De la grammaire traditionnelle à la grammaire rénovée du Plan de Rénovation

Synthèse des notions centrales du chapitre 3

CHAPITRE 4 : L’enseignement des marques de cohésion et le jugement de cohérence des enseignants jugement de cohérence des enseignants

4.1. L’enseignement des marques de cohésion

4.1.1. La cohérence textuelle dans les programmes d’enseignement

4.1.1.1. De la grammaire traditionnelle à la grammaire rénovée du Plan de Rénovation

Avant les années 1970, l’enseignement de la grammaire à l’école primaire porte exclusivement sur la phrase dans la tradition de l’analyse logique mise en place à la fin du XIXe siècle (Chervel, 1988, 2006). Cette approche de la grammaire est fondée essentiellement sur la morphosyntaxe et privilégie la décomposition et l’analyse des unités de la phrase, notamment en termes de natures et de fonctions. L’enseignement « traditionnel » de la grammaire, tel qu’il est pratiqué à l’école comme au collège jusque dans les années 1970, est critiqué car jugé trop abstrait et artificiel : l’enseignement de la grammaire ne s’appuie pas sur le fonctionnement réel de la langue mais privilégie les critères sémantiques, entraînant des

117 confusions entre critères formels et sémantiques, et ne prend pas en compte la hiérarchisation des structures syntaxiques, dans une progression qui va du mot à la phrase (Combettes & Charolles, 1999 ; Combettes, 2016).

Face à ces critiques, le Plan de rénovation pour l’enseignement du français à l’école primaire, appelé « Projet Rouchette », est publié en 1971. Ses préconisations prennent appui sur les théories linguistiques issues de l’analyse phrastique, en opposition à celles dont s’inspire la grammaire traditionnelle. Nous faisons remarquer que la distinction entre grammaire « phrastique » et grammaire « traditionnelle » est importante car les deux notions ont souvent été amalgamées par les enseignants. À ce propos, Combettes et Charolles (1999 : 76) indiquent que :

« Cette assimilation est au demeurant relativement abusive dans la mesure où un certain renouveau grammatical s’était fait jour à partir des concepts empruntés au structuralisme, puis au distributionnalisme, voire au générativisme naissant, renouveau qui concernait il est vrai essentiellement la morphosyntaxe ».

On a donc d’un côté une grammaire « traditionnelle » relevant de l’analyse logique, enseignée avant le Plan de rénovation et de l’autre, une grammaire phrastique, « rénovée » (Petitjean, 1999), relevant de l’analyse structurale distributionnelle transformationnelle, préconisée par ce plan. On comprend donc pourquoi le Plan de rénovation de 1971 a marqué une rupture en proposant un enseignement rénové de la langue. Bronckart (2016 : 4) en résume ainsi les grandes lignes :

« ce plan proposait une démarche pédagogique centrée sur des activités créatives visant l’enrichissement des capacités d’expression orales et écrites […], articulée à des activités de réflexion guidée visant la construction de connaissances relatives aux régularités d’organisation de la langue ». Plus précisément, comme l’explique Combettes (2016 : 2) : « De ces principes découle, de façon logique, un programme qui n’est pas un programme de notions grammaticales, mais bien un programme de langue, avec des exemples d’énoncés illustrant les structures à travailler ». Dans cette perspective, l’enseignement de la grammaire ne met plus l’accent sur les natures et les fonctions, sur la décomposition et l’analyse des unités de la phrase, comme dans l’enseignement traditionnel. Ce sont à présent les formes fondamentales de la phrase (interrogation, négation…) qui doivent être étudiées dans des énoncés, c’est-à-dire l’analyse du fonctionnement linguistique de structures considérées dans leur totalité.

118 Cependant, les préconisations du plan de rénovation ayant soulevé beaucoup de critiques et de réticences, notamment à cause des désaccords au sujet des théories linguistiques dont il s’inspire, ses préconisations n’ont pas été véritablement prises en compte dans les textes officiels pour l’enseignement. En témoigne le texte officiel de 1972, Instructions relatives à l’enseignement du français à l’école élémentaire (1972 : 25) :

« On s’attachera au rythme, à l’enchaînement des phrases, aux groupes de mots et aux articulations dans la phrase », à travers l’étude des « transformations de phrases (par exemple, d’une affirmative faire une négative ou une interrogative), les substitutions (remplacement d’une structure par une autre, d’un mot ou d’un groupe de mots par un autre sans changement de structure), les déplacements (en particulier de compléments circonstanciels), les adjonctions ou soustractions à la phrase ».

La notion de cohérence textuelle n’est pas abordée dans les programmes. Toutefois, un des objectifs d’apprentissage de la scolarité primaire est l’apprentissage de l’expression orale. En apprenant à parler mieux, les élèves sont plus à même d’écrire mieux car « la tâche de l’élève est de trouver et d’agencer de façon intelligible les termes appropriés à sa pensée » (Instructions, 1972 : 15, souligné par nous), que ce soit à l’oral ou à l’écrit. De cette manière, « les occasions de rédiger seront fréquemment saisies ; les tentatives faites pour obtenir une formulation orale satisfaisante seront souvent reprises par écrit » (ibid.). Derrière les termes généraux intelligible et formulation satisfaisante, le linguiste peut trouver les lointaines prémices de la notion de cohérence textuelle, même si celle-ci reste implicite et ne fait pas l’objet d’un enseignement précis. D’autres éléments qui rappellent la cohérence textuelle sont encore évoqués dans les Instructions. Pour faciliter la bonne formation d’une rédaction, les Instructions préconisent de proposer aux élèves des activités de « mise en ordre de séries d’images, photographies, documents, questions pour une enquête ou résultats d’enquêtes » afin d’entraîner les élèves à « percevoir des rapports de succession et de liaison » (ibid. : 17). Les rapports de succession et de liaison sont des éléments constitutifs de la cohérence textuelle, bien que réduits ici aux connecteurs et présentés de manière très succincte, sans explication ou exemple précis.

La priorité donnée à la phrase se retrouve dans la circulaire sur la Terminologie grammaticale pour l’école élémentaire de 1976 : la notion est la première à y être mentionnée. Le choix de la terminologie indique une approche traditionnelle de la grammaire dans la tradition de l’analyse logique, avec le terme formes de la phrase mais aussi les notions de classes de mots et fonctions (ibid. : 4). Les programmes de 1978 (: 9) s’appuient explicitement sur la terminologie de 1976, dès l’introduction de la rubrique grammaire :

119 « Les indications ci-après visent à préciser le palier correspondant au cycle élémentaire en ce qui concerne les objectifs impliqués, pour l’ensemble de la scolarité primaire, par la circulaire du 25 octobre 1976 sur la terminologie grammaticale (à laquelle il convient de se reporter) ».

Dans cette circulaire, il n’y a pas de trace de notions liées à la cohérence textuelle. En revanche, dans les programmes de 1978, on retrouve dans la partie langue écrite pour le cycle élémentaire (CE1 et CE2) des objectifs ayant trait à la cohérence textuelle, bien que très concis et généraux : à propos d’un récit, l’élève doit « inventer une suite ou des variantes cohérentes » (ibid. : 8). De manière générale, tous les textes rédigés par les élèves doivent être appréciés par l’enseignant en prenant en considération la « pertinence et [la] cohérence du contenu par rapport aux intentions du texte produit » (ibid. : 9), quel que soit le but du texte (raconter un fait, rédiger un commentaire, résumer une histoire, répondre à des questions, …). Pour le cycle moyen (CM1 et CM2), l’objectif majeur est de « développer chez tous les enfants la capacité de communiquer et de s’exprimer avec aisance, clarté et correction, oralement et par écrit, dans la langue d’aujourd’hui » (ibid. : 10). Les activités d’expression écrite doivent donc rendre l’élève capable de « rédiger […] un texte d’une dizaine de lignes répondant à des consignes simples de fond et de forme, […] comprendre la nécessité d’un plan et de commencer à organiser ses rédactions » (ibid. : 12). Les textes ainsi produits s’apprécient en prenant en considération l’ « adéquation du texte produit, du registre de langue utilisé, aux intentions de l’auteur et à la situation » (ibid.). La cohérence est réduite ici à l’organisation des idées dans un texte, sans autre précision.

Dans l’enseignement de la grammaire, aucun changement notable n’intervient non plus dans les Programmes et instructions à l’école élémentaire de 1985. La phrase est analysée, « analyse et transformation des formes de la phrase » (ibid. : 8) et découpée en unités plus petites, les « éléments constituants de la phrase : le verbe et les groupes fonctionnels » (ibid. : 9), tels que le « groupe nominal » et le « groupe verbal ». Mais « rien n’est dit sur l’importance du groupe au niveau de la structuration de la phrase, sur son rôle dans le fonctionnement syntaxique » (Combettes, 2016 : 4). De même, l’analyse grammaticale garde la vision traditionnelle de « distinction des classes de mots », « reconnaissance des fonctions » (Programmes, 1985 : 8). La priorité reste donnée à l’analyse des unités ainsi qu’à leur décomposition, et l’étude des structures et des constructions reste marginale. En ce qui concerne la cohérence textuelle, rien n’est dit, si ce n’est un vague lien avec l’entraînement à la pratique de la composition écrite qui regroupe plan, articulation des idées, organisation en paragraphes (ibid. : 8-9).

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4.1.1.2. L’émergence de la grammaire textuelle dans les programmes français de l’école

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