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Les marques de cohésion à l’écrit : études linguistiques, psycholinguistiques et didactiques

CHAPITRE 1 : Recherches linguistiques sur les notions de cohérence et de cohésion de cohésion

1.3. La cohésion textuelle selon Halliday & Hasan (1976)

Dans les travaux linguistiques sur la cohésion et les marques cohésives, les précurseurs sont sans conteste Halliday & Hasan (1976). Il leur est souvent reproché une description purement linguistique des marques de la cohésion, s’appuyant sur les opérations interprétatives uniquement dans le texte au détriment des opérations cognitives de représentation mentale (pour une critique de leurs travaux, voir entre autres Brown & Yule, 1983 ; Blass, 1990). Il est néanmoins indéniable que ces travaux fondateurs sur la cohésion textuelle apportent des éléments descriptifs. Halliday & Hasan (1976 : 6) définissent la cohésion ainsi : « The concept of cohesion is a semantic one; it refers to relations of meaning that exist within the text, and that define it as a text. »7.

Selon ces chercheurs (ibid. : 10), « cohesion refers to the range of possibilities that exists for linking something with what has gone before »8. Ces liens entre entités (au sens le plus large du terme, que ce soient des personnages, des lieux ou même des évènements), ou « marques de relation entre énoncés » (Charolles, 1988b), sont des marques de cohésion participant à la cohérence générale du texte. Elles ont pour fonction « […] d’avertir le lecteur quand deux segments de texte doivent être connectés aux niveaux inter- et/ou

7 « Le concept de cohésion est un concept sémantique ; il fait référence aux relations de sens qui existent à l’intérieur du texte et qui le définissent en tant que texte » (notre traduction)

8 « La cohésion fait référence à la gamme des possibilités qui existent pour relier quelque chose à un élément précédent. » (notre traduction)

40 phrastiques » (Chuy & Rondelli, 2010 : 88). Pour aider le lecteur dans cette entreprise, il existe différents types de marques de cohésion, dont nous allons faire un bref inventaire en nous appuyant sur les travaux et les exemples de Halliday & Hasan (1976). Toutefois, la différence de langue (anglais/français) pose parfois quelques limites à la transposition de ce modèle, ce que nous ne manquons pas de faire remarquer lorsque c’est le cas.

1.3.1. La substitution

La substitution est un « dispositif de cohésion lexico-grammatical » (Apothéloz, 1995a) car, au moins ancrée en partie dans la structure syntaxique, la substitution permet de maintenir une unité linguistique, par le remplacement d’un item par un autre, comme l’expliquent Halliday & Hasan (1976 : 89) : « Substitution, on the other hand, is a relation within the text. A substitute is a sort of counter which is used in place of the repetition of a particular item. »9

Les substitutions peuvent être :

- nominale : le substitut est le constituant tête du groupe nominal et remplace un nom ayant lui-même la fonction de constituant :

(30) We have no coal fires ; only wood ones.

« Nous n’avons pas de chauffage au charbon ; seulement au bois. » (notre traduction)

- verbale : Le principe est le même que pour la substitution nominale mais avec un verbe :

(31) – Does Granny look after you every day ? – She can’t do at weekends, because she has to go to her own house.

« -Est-ce que mamie te garde tous les jours ? – Elle ne peut pas le faire les weekend, parce qu’elle doit rentrer chez elle. » (notre traduction)

9 « La substitution, d’autre part, est une relation à l’intérieur du texte. Un substitut est une sorte de jeton qui peut être utilisé à la place de la répétition d’une entité particulière. » (notre traduction)

41 - propositionnelle : toute la proposition (sujet compris) est remplacée par le

substitut :

(32) Everyone seems to think he’s guilty. If so, no doubt he’ll offer to resign.

« Il semble que tout le monde le pense coupable. S’il l’est, cela ne fait aucun doute qu’il proposera de démissionner. » (notre traduction)

La substitution est donc un outil qui permet de « faire figurer une information déjà donnée dans un environnement où est apportée de l’information nouvelle. » (Apothéloz, 1995a : 121).

1.3.2. L’ellipse

L’ellipse est un phénomène proche de la substitution par son fonctionnement. En effet, l’ellipse se manifeste par l’effacement d’une partie de la structure grammaticale d’une phrase sans en empêcher la compréhension, comme dans l’exemple ci-dessous :

(33) Here are my two white silk scarves. I can lend you one if you like.

« Voici mes deux écharpes blanches en soie. Je peux t’en prêter une si tu veux. » (notre traduction) Ici, le one de la deuxième phrase remplace la reprise telle quelle de white silk scarf de la phrase précédente (il n’est pas écrit I can lend you one white silk scarf if you want). Les ellipses peuvent être nominales, comme dans l’exemple précédent, mais aussi verbales ou propositionnelles. Dans le cas de l’ellipse verbale, il s’agit d’effacer le verbe lexical, comme dans (34) où les opérateurs verbaux might, was to, may not, should, sont susceptibles d’être complétés par le verbe lexical :

(34) – Is John going to come ?

- He might. He was to, but he may not.

- He should, if he wants his name to be considered.

Cet exemple est difficilement traduisible en français car sa structure est typique de l’anglais mais nous tentons tout de même d’en donner une traduction : « - John va-t-il venir ? – Cela se pourrait. Il en avait l’intention, mais peut-être qu’il ne viendra pas. - Il devrait, s’il veut que son nom soit pris en compte. »

42 Mais l’ellipse verbale peut aussi consister en l’effacement de l’opérateur verbal, il s’agit alors du mécanisme inverse :

(35) –What will they be doing now, do you think ? - Finishing their essays, probably.

« Que sont-ils en train de faire, à ton avis ? – Terminer leur rédaction, probablement. » (notre traduction)

Dans le cas d’une ellipse propositionnelle, l’effacement se répercute soit sur l’élément modalisateur (le sujet grammatical de la proposition et la partie fléchie du groupe verbal), comme l’illustre (36) :

(36) - What was the Duke going to do ? – Plant a row of poplars in the park.

« Qu’est-ce que le duc était sur le point de faire ? – Planter une rangée de peupliers dans le parc. » (notre traduction)

soit sur l’élément propositionnel (la partie restante du groupe verbal et les éventuels compléments et adjoints) comme dans (37) :

(37) – Who was going to plant a row of poplars in the park? – The Duke was.

« -Qui était sur le point de planter une rangée de peuplier dans le parc ? – Le Duc. » (notre traduction) L’ellipse a cependant besoin de s’appuyer sur une phrase précédente pour être pleinement comprise par le lecteur et de fait, ne fonctionne qu’à de très courtes distances.

1.3.3. La conjonction

Si l’ellipse et la substitution sont des outils cohésifs qui fonctionnent en renvoyant à de l’information en amont ou en aval du texte, le dispositif de conjonction caractérise la manière dont l’énoncé qui suit doit être relié à celui qui précède. Il n’y a donc plus de lien avec la structure syntaxique propre à la phrase, comme en témoigne l’exemple suivant :

(38) They fought a battle. Afterwards, it snowed.

43 Apothéloz (1995a) explique que dans (38), il y a une succession de deux phrases, c’est-à-dire deux entités non reliées syntaxiquement. La relation de succession temporelle est indiquée par l’adverbe après, fonctionnant comme adjoint.

Lorsqu’il s’agit de la relation temporelle entre deux évènements narrés et que la temporalité est celle des évènements, la relation conjonctive est qualifiée d’externe, comme c’est le cas dans (39) où les deux situations se succèdent à l’intérieur de la narration :

(39) First he switched on the light. Next he inserted the key into the lock.

« D’abord, il a allumé la lumière. Ensuite, il a inséré la clé dans la serrure. » (notre traduction)

Lorsqu’il s’agit de la relation entre deux énoncés et que la temporalité est celle de la production de ces énoncés, la relation conjonctive est dite interne. C’est le cas dans l’exemple suivant, où les deux situations sont reliées par l’organisation du discours même (first/next), par la matérialisation des étapes de l’argumentation :

(40) First he was unable to stand upright. Next, he was incapable of inserting the key into the lock. « D’abord il fut incapable de se tenir debout. Ensuite, il fut incapable d’insérer la clé dans la serrure. » (notre traduction)

1.3.4. La cohésion lexicale

Le seul dispositif cohésif défini par Halliday & Hasan (1976) qui ne présente pas de caractère grammatical est la cohésion lexicale. En effet, ce type de cohésion se manifeste dans le lexique, au niveau des choix lexicaux, sous deux formes différentes.

La première forme de cohésion lexicale, la réitération, se traduit par la répétition d’un lexème par le même lexème (41) ou bien à travers l’emploi d’un synonyme ou quasi-synonyme (42), d’un hyperonyme (43) ou d’un nom général (44) :

(41) There was a large mushroom growing near her, about the same height as herself ; […] She stretched herself up on tiptoe, and peeped over the edge of the mushroom.

« Il y avait un gros champignon qui poussait à côté d’elle, à peu près de la même taille qu’elle ; […] Elle s’étira sur la pointe des pieds et jeta un coup d’œil par-dessus le bord du champignon. » (notre traduction)

44 (42) Accordingly […] I took leave, and turned to the ascent of the peak. The climb is perfectly easy… « Par conséquent […] je pris congé, et me tournai vers l’ascension du pic. L’escalade est parfaitement facile.» (notre traduction).

(43) Henry’s bought himself a new Jaguar. He practically lives in the car.

« Henry s’est acheté une nouvelle Jaguar. Il vit pratiquement dans la voiture. » (notre traduction)

(44) Can you tell me where to stay in Geneva ? I’ve never been to the place.

« Pouvez-vous me dire où je peux séjourner à Genève ? Je ne suis jamais allé dans cet endroit. » (notre traduction)

La seconde forme de cohésion lexicale, la collocation, se manifeste lorsque des lexèmes ont tendance à se côtoyer dans les textes. Comme l’explique Alonso Ramos (1994), c’est à J.R. Firth que l’on doit le terme de collocation pour décrire des combinaisons récurrentes d’unités lexicales. Pour Firth, la collocation est la cooccurrence de deux éléments linguistiques, et l’attente mutuelle (collocability) que chaque mot fait porter sur l’autre. Par exemple, les lexèmes dark et night ont tendance à apparaître ensemble, comme l’explique Firth (1957 : 196) :

« Meaning by collocation is an abstraction at the syntagmatic level and is not directly concerned with the conceptual or idea approach to the meaning of words. One of the meanings of night is its collocability with dark, and of dark, of course, collocation with night.10»

La collocation se traduit donc par certains types de relations entre deux termes : antonymie (like/hate11), complémentarité (stand up/sit down), converses (buy/sell), partie-tout (car/brake), etc.

10 « Une collocation est une abstraction au niveau syntagmatique et ne se préoccupe pas directement du concept ou de l’approche du sens des mots. Un des sens de nuit est sa collocativité avec noire, et [un des sens] de noire, bien entendu, sa collocation avec nuit. » (notre traduction)

45 Tous les éléments que nous venons de voir participent à la cohésion d’un texte, à des niveaux différents. Les marques de cohésion contribuent donc grandement à la construction de la référence.

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