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Synthèse des notions centrales du chapitre 1

CHAPITRE 2 : Anaphores et Chaînes de Référence

2.2. Les chaînes de référence

2.2.1. Les chaîne de référence : définition

On ne peut définir précisément ce qu’est une chaîne de référence sans s’attacher à décrire les différentes caractéristiques de ses maillons, parmi lesquelles leur nombre, la distance entre eux, leur nature. La notion de chaîne n’est valable qu’à partir du moment où le nombre des expressions référentielles sur lesquelles on travaille est supérieur à deux unités, comme l’indique Corblin (1987a : 7) : « Chaîne permet de dépasser les contextes de simple succession de deux termes auxquels se limite le plus souvent le linguiste qui sort du domaine phrastique. » Cette précision apportée par Corblin est nécessaire car elle permet de différencier la notion d’anaphore de celle de chaîne de référence. Pour cette raison, à l’instar de Schnedecker (1997), nous parlerons de « chaîne » de référence à partir du moment où on compte au moins trois expressions coréférentielles. À l’inverse de l’analyse des anaphores qui peut s’effectuer à partir d’exemples construits, l’analyse des chaînes de référence s’appuie principalement sur des exemples attestés. Pour rendre compte de la notion de chaîne de référence, nous nous appuyons sur Schnedecker (1997).

Le nombre de maillons, s’il distingue l’anaphore de la chaîne, ne suffit pas à lui seul à spécifier une chaîne de référence car les chaînes peuvent présenter des caractéristiques diverses, comme le montrent les exemples suivants, empruntés à Schnedecker (1997) :

(92) Le lendemain, Bony resta au Trou du Pied-Bot. Il fit la lessive et prit la peine de cuisiner quelque chose qui ressemblait à du ragoût. Il remonta le sentier jusqu’au sommet de la falaise, le fusil sous le bras, espérant voir un kangourou car il avait remarqué des empreintes récentes dans le trou. Il passa

76 deux heures à examiner les anciens journaux et documents qu’il avait pris dans la vieille valise, sous le lit de Lonergan. (A. Upfield, L’homme des tribus).

(93) En homme qui ne craint ni le froid ni la neige, Michel Strogoff eût préféré voyager par la rude saison d’hiver, qui permet d’organiser le traînage sur toute l’étendue du parcours. Alors les difficultés inhérentes aux divers genres de locomotion sont en partie diminuées sur ces immenses steppes nivelées par la neige. Plus un cours d’eau à franchir. Partout la nappe glacée sur laquelle le traîneau glisse facilement et rapidement. Peut-être certains phénomènes naturels sont-ils à redouter, à cette époque, tels que permanence et intensité des brouillards, froids excessifs, chasse-neige longs et redoutables, dont les tourbillons enveloppent quelque fois et font périr des caravanes entières. Il arrive bien aussi que des loups, poussés par la faim, couvrent la plaine par milliers. Mais mieux eût valu courir ces risques, car, avec ce dur hiver, les envahisseurs tartares se fussent de préférence cantonnés dans les villes, leurs maraudeurs n’auraient pas couru la steppe, tout mouvement de troupes eût été impraticable, et Michel Strogoff eût plus facilement passé. Mais il n’avait à choisir ni son temps ni son heure. Quelles que fussent les circonstances, il devait les accepter et partir.

Telle était donc la situation que Michel Strogoff envisagea nettement, et il se prépara à lui faire face. (J.Verne, Michel Strogoff)

Bien que le nombre de maillons (signalés en italique) soit largement supérieur à deux dans les deux extraits précédents, l’effet produit en termes de « solidité » de la chaîne de référence (ou texture selon Halliday & Hasan, 1976 ; cf. chapitre 1, section 1.3.) n’est pas le même. En effet, dans (93), la deuxième mention du référent Michel Strogoff n’apparaît qu’une dizaine de lignes après la première. Alors que dans (92), toutes les mentions du référent sont très proches les unes des autres, quasiment une dans chaque phrase. La distance qui sépare chaque maillon de la chaîne (ou distance inter-maillonnaire) a une incidence sur la substance ou la consistance de la chaîne toute entière. Dès lors, nous pouvons nous interroger, à l’instar de Combettes & Tomassone (1988 : 14), sur la manière de mesurer cette distance :

« Délicat nous semble être le problème de la distance qui sépare la première occurrence du référent et le groupe « donné » ; à partir de quel moment va-t-on considérer qu’un élément, à l’écrit comme à l’oral aura disparu de la conscience du lecteur ? Faut-il estimer qu’une fois introduite dans le texte une unité est définitivement « donnée », même si elle n’est plus mentionnée pendant plusieurs pages, voire pendant plusieurs chapitres ? (…) Peut-on mesurer cette « distance », ce temps pendant lequel le référent demeure présent à l’esprit, en termes quantitatifs, s’agit-il de temps de lecture, de nombre de phrases ? »

En psycholinguistique, la distance inter-maillonnaire est évaluée en termes de temps de lecture. En ont été déduits deux facteurs de fonctionnement de la coréférenciation : le lecteur a tendance à prendre comme coréférent le syntagme le plus proche (stratégie de

77 distance minimale) et le temps de lecture augmente quand l’anaphorique est séparé de sa source par deux phrases16.

En linguistique, il est difficile de donner une unité de mesure stricte sur laquelle s’appuyer pour déterminer à partir de quelle distance entre deux maillons une chaîne est rompue ou non. Que ce soit en termes typographiques (nombre de caractères ou de lignes entre deux mentions), morphologiques (nombre de syllabes ou de mots) ou configurationnels (nombre de phrases ou de paragraphes), les unités constituant l’intervalle séparant deux expressions coréférentielles restent « dans les faits trop malléables pour être véritablement opérantes » (Schnedecker, 1997 : 39). La délimitation d’une chaîne reste donc floue. À ce sujet, Schnedecker (1997) emploie le terme de bornage, pour désigner les limites d’une chaîne, composées d’un côté d’une expression linguistique qui en marque le début et de l’autre d’une expression linguistique qui en marque la fin. Toutefois, les chaînes de référence interagissent avec les autres plans de l’organisation textuelle : le paragraphe semble avoir une influence sur le bornage des chaînes de référence car il produit des effets sur l’interprétation des expressions référentielles. En cela, il fait ressortir deux paramètres qui conditionnent la cohésion référentielle inter-paragraphique (ibid. : 41). Le premier est celui de la densité des expressions coréférentielles à l’intérieur d’un même paragraphe : plus elles sont nombreuses, plus elles « renforcent » la chaîne et se retrouvent plus facilement d’un paragraphe à l’autre. Le second paramètre est celui de la répartition des expressions coréférentielles. En effet, meilleure est leur répartition dans le paragraphe, meilleures sont les transitions référentielles. Aussi, comme le résume Schnedecker (1997 : 44) :

« l’existence de ces interactions [ndlr : entre le paragraphe et les maillons d’une chaîne] signifie-t-elle peut-être, tout simplement, que les questions de la distance et de l’unité ne doivent pas se poser en soi […] mais qu’elles doivent être corrélées avec l’usage qui est fait des expressions référentielles. »

S’il est difficile de délimiter le bornage d’une chaîne de référence en mesurant la distance qui sépare ses maillons, nous pouvons en revanche nous appuyer sur la nature des expressions référentielles. En effet, suivant Schnedecker (1997), la redénomination d’un référent par un nom propre indique un changement de point de vue et induit une rupture thématique car elle « signalerait qu’il va être dit, à propos du référent, des contenus de nature distincte » (ibid. : 186). De ce fait, le nom propre débute une nouvelle chaîne.

78 D’autre part, la texture d’une chaîne de référence tient aussi à la nature des maillons qui la composent. Aussi, on peut se demander si toutes les expressions référentielles peuvent être considérées en tant que maillon d’une chaîne de référence. Pour Charolles (1988b : 8), seules les formes linguistiques devraient être prises en compte dans le comptage des maillons :

« Seules peuvent appartenir (donner lieu à) une chaîne des expressions employées référentiellement, c’est-à-dire toutes et rien que les expressions nominales (ou pronominales) permettant d’identifier un individu (un objet de discours) quelle que soit sa forme d’existence (personne humaine, évènement, entité abstraite). »

Cette définition semble stricte car elle ne tient pas compte des éléments textuels en mesure d’informer le destinataire sur le référent, tels que les appositions, les anaphores zéro ou les phénomènes d’accords visibles comme dans (94), exemple de Schnedecker et Landragin (2014) souligné par eux :

(94) Drew Barrymore « Les amours à distance c’est l’histoire de ma vie. » Née dans les paillettes du 7e art

Elle boit son thé glacé à la paille et Ø répond du tac au tac, en ponctuant régulièrement ses phrases du fameux « F Word ». Drew Barrymore, née dans les paillettes du 7e art, a le vocabulaire et l’énergie d’une New-Yorkaise. Plus menue que prévu – en slim gris, T-shirt Mickey Mouse et derbys noirs -, le teint naturel et le sourcil sérieux, elle est aux antipodes de l’image que l’on se faisait d’elle. Une hippie-chic frivole et bouillonnante ? Pas seulement. Drew, l’aventurière extravertie capable de parcourir le globe avec sa meilleure amie (Cameron Diaz) pour une émission écolo, ou de montrer ses seins à David Letterman en plein talkshow télé, s’est visiblement assagie […] » (Elle, 20.08.10).

Dans cet extrait d’article de magazine, les expressions linguistiques en gras sont les maillons les plus communément admis. Il s’agit d’expressions nominales (SN, nom propre) et de pronoms permettant d’identifier l’individu dont il est question (Drew Barrymore). Les expressions en italiques sont pourtant autant d’informations sur le référent : appositions (dernière phrase en italique par exemple), phénomènes d’accords (née, menue, …), anaphore zéro (Ø).

Ainsi, on parle de chaîne de référence lorsqu’il y a au moins trois expressions coréférentielles ou maillons. Si le nombre de maillons suffit à déterminer une chaîne de référence, leur nature et la distance qui les sépare a une incidence sur l’effet produit sur le lecteur ou texture.

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