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Les marques de cohésion à l’écrit : études linguistiques, psycholinguistiques et didactiques

CHAPITRE 1 : Recherches linguistiques sur les notions de cohérence et de cohésion de cohésion

1.2. Le statut informationnel

1.2.4. La notion de saillance

Lors de l’interprétation d’un message, certains mécanismes linguistiques et cognitifs dirigent l’attention du sujet sur un élément plutôt qu’un autre et favorisent sa prise en compte dans le processus d’interprétation, au niveau de la détermination du sens comme de la résolution des références et coréférences (Landragin, 2004). La saillance est un élément prépondérant dans la production ou la compréhension d’un message car c’est un facteur de cohérence textuelle. Concept multicritère, la saillance repose sur des aspects prosodiques, lexicaux, morphologiques, syntaxiques, sémantiques, pragmatiques, stylistiques ou cognitifs (Schnedecker, 2009 ; Landragin, 2010). C’est donc elle qui rend un élément prégnant ou non, comme l’explique Landragin (2004 : 3) :

37 « Du point de vue de la forme, être saillant, c’est ressortir en premier lors de l’audition d’un énoncé (ou de la lecture d’une phrase) compte tenu de la forme que prend cet énoncé, c’est-à-dire des mots qui le composent, de l’ordre et des fonctions grammaticales de ces mots. La saillance dénote alors le degré d’influence de l’attention du sujet par les entités perçues. Du point de vue du sens de l’énoncé, être saillant, c’est ressortir en premier lors de l’audition d’un énoncé, compte tenu du sens immédiatement perceptible de cet énoncé, c’est-à-dire avant tout processus complexe de raisonnement. »

La saillance permet donc de rendre un élément prégnant, que ce soit au niveau de sa forme (saillance linguistique formelle) ou de son fond (saillance linguistique sémantique).

Saillance linguistique formelle

La forme de l’énoncé est le point de départ pour décrire les différents facteurs de saillance, à l’oral comme à l’écrit, mais nous nous focaliserons ici sur les caractéristiques de la saillance dans le discours écrit, en nous appuyant principalement sur les travaux de Landragin (2004).

Dans l’aspect formel, lorsqu’on se place au niveau du mot, certains mots sont plus saillants que d’autres par leur nature même, comme c’est le cas avec les mots ayant une orthographe inhabituelle par exemple (mot avec une succession rare de consonnes), car ils sont remarquables au premier coup d’œil. Si l’on considère la classe grammaticale des mots, tous n’ont pas le même degré de saillance. C’est le cas notamment du nom propre : « A named character is more highly focused than one described by a referring expression6 » (Garrod & Sanford, 1988).

Lorsque l’on se place au niveau de la phrase, la structure syntaxique est un facteur important de saillance. En effet, certaines constructions typiques de l’oral sont connues pour mettre en relief une entité que l’on veut rendre saillante. Ces constructions se retrouvent à l’écrit notamment chez les apprentis scripteurs. Il s’agit des constructions clivées en c’est (24) ou en il y a (25) mais aussi du détachement en tête de phrase (26) ou des dislocations (27) (Landragin, 2004). Les exemples suivants sont empruntés à l’auteur :

(24) C’est le triangle rouge qui doit se mettre à côté du bleu. (25) Il y a le téléphone qui sonne.

6 « Un personnage nommé [ndlr. par un nom propre] est plus focalisé qu’un personnage décrit par une expression référentielle » (notre traduction)

38 (26) Jean, sa sœur, je la déteste.

(27) Le triangle rouge, il doit se mettre à côté du bleu.

L’ordre et la fréquence des mots dans une phrase ont aussi un rôle. Généralement, les positions de début et de fin de phrase sont propices à rendre saillant le mot ou groupe de mots qui s’y trouve. De même, plus un mot est mentionné dans un énoncé (via une répétition, clarification, reprise, etc.) plus il est saillant (Landragin, 2004). Enfin, la fonction grammaticale d’un mot ou groupe de mots influe aussi sur son degré de saillance. Dans une langue à structure SVO (Sujet-Verbe-Objet) comme le français, le sujet, ordinairement en première position dans la phrase, est considéré comme le constituant grammatical le plus saillant. La Théorie du Centrage d’attention (Grosz & al., 1995) suggère d’ailleurs qu’après le sujet, le complément d’objet est l’élément le plus saillant, suivi par les autres catégories grammaticales. Mais les seuls critères formels ne peuvent suffire pour déterminer la saillance d’une entité.

Saillance linguistique sémantique

D’un point de vue sémantique, les caractéristiques des entités représentées par les mots ont une influence sur leur saillance (Lyons, 1980 ; Pattabhiraman, 1993). En effet, le caractère « humain » ou « animé » d’une entité augmente sa saillance, par rapport à une entité « non animée » ou un animal, car comme l’explique Lyons (1980), il existe une hiérarchie universelle qui induit un intérêt décroissant selon les traits : « en tant qu’êtres humains nous nous intéressons davantage aux personnes qu’aux animaux, aux animaux qu’aux entités inanimées, et ainsi de suite. » (Lyons, 1980 : 142). Dans l’exemple (28), emprunté à Landragin (2004), la foudre est le sujet syntaxique et il est placé en première position, il devrait donc être le plus saillant (cf. supra, ordre et fréquence des mots). Or, la foudre étant une entité non humaine, elle entre en compétition avec l’entité humaine la fillette. La saillance se porte donc sur la fillette :

(28) La foudre a tué une fillette de huit ans : elle courait sur la plage au beau milieu de l’orage.

En outre, dans les cas où toutes les entités sont des humains, Wanner & Bateman (1990) avancent que les relations d’influence que les personnages humains exercent les uns sur les autres déterminent leur saillance, avant même la nature de l’évènement qui les lie. C’est le cas dans l’exemple de Landragin (2004) ci-après :

39 (29) L’élève écoute le professeur.

Dans (29), le professeur serait rendu saillant par le seul lien d’influence qu’il exerce sur son élève du fait de sa fonction.

Ainsi, la notion de saillance tout autant que celle de statut informationnel (et par extension, la progression thématique) sont des facteurs de cohérence textuelle car ils régissent le niveau macrotextuel, ou pour reprendre l’expression de Charolles (1988b), l’interprétabilité du texte. Mais comme nous l’avons vu plus haut (cf. ce chapitre, 1.1), la cohérence ne suffit à elle seule à faire qu’un texte soit perçu comme tel. Il faut aussi des marques linguistiques qui assurent les liens intra- et interphrastiques ou cohésion.

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