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Analyse des stratégies explicatives et communicatives monolingues De l’enseignant

1. Sollicitations et formes de questions

1.1. Les caractéristiques du dialogue interrogatif

Ce dialogue interrogatif fait partie du rituel de la classe de langue et il a plusieurs spécificités :

a. « Dans la classe de langue, le rôle du questionneur semble revenir de manière préférentielle à l’enseignant en raison de la dissymétrie des locuteurs devant le code langagier». (Ricci, 1996 : 132). L’enseignant peut, en effet, avoir recours à toute forme de questions suivant le niveau de ses élèves, son répertoire didactique, la nature de l’activité. C’est lui qui est, le plus souvent34, l’initiateur des échanges et des questions comme le montre la séquence suivante.

Extrait 1 : de qui on a parlé hier ? EB6 : Lycée Pilote

05 P : oui je dis je demande à Nasser quelle est la leçon quelle est notre leçon c’était quoi notre leçon hier qu’est-ce qu’on a fait ? ++ comment je dis je parle hier *mish hék ?*

(n’est-ce pas) aujourd’hui c’est mardi hier c’était quoi ? 06 As : lundi

07 P : qu’est-ce qu’on a fait hier *shu ‘mélna* (qu’est-ce qu’on a fait ?) hier qu’est-ce qu’on a fait ? ++ nous avions une leçon de français de quoi on a parlé hier ?

08 Haidar : madame Larousse à Larousse 09 P : on a parlé de qui ?

10 As : à Larousse

11 P : écoute bien pour répondre bien hein ? ON A PARLE DE QUI ? 12 As : de français

13 P : Ecoute lui il a dit à Larousse moi j’ai posé la question on a parlé de qui ? +++ de qui on a parlé ? * lesh lesh tlabbakto [huwwé ´āl inno ḥaka]* (pourquoi pourquoi vous êtes confus ? lui il a dit qu’il a parlé) (Elle désigne Haidar) on a parlé à Larousse moi j’ai posé la question pour qu’il + REPONDE juste *ma hék tayjéwéb saḥ rje‘et saaltl...

34 Nous avons trouvé dans notre corpus quelques rares exemples où ce sont les apprenants qui prennent l’initiative des échanges. Nous en parlerons plus loin.

su´āl + ‘an mīn ḥkīna* (pour qu’il réponde juste, j’ai posé la question une nouvelle fois + de qui on a parlé ?)

14 Am : (à voix basse) *‘an* Larousse 15 P : DE QUI ON A PARLE hier ?

16 Haidar : Pierre Larousse ++ madame à Pierre Larousse

17 P : *eh* (oui) [réponds juste on a parlé...] (Elle pointe l’index vers Haidar et le bouge en mouvement saccadé à chaque syllabe)

18 Haidar : on a parlé à à larousse

19 P : ah on a parlé * men´ulsh* (on ne dit pas) on a parlé à qu’est ce qu’on dit ? on a parlé hier [DE QUI] (le geste interrogatif) on a parlé ?

20 Haidar : on a parlé [à Pierre Larousse] (la paume de la main est ouverte et dirigée vers Haidar)

21 P : FAIS BIEN attention Haidar + DE QUI on a parlé [hier] (Elle lève la main par dessus son épaule)? j’ai pas dit A QUI on a parlé hier ? [de qui on a parlé hier] ? (le geste interrogatif)

22 Haidar : *‘an mīn* (de qui)

23 P : oui + *ma ´elet ana* (je n’ai pas dit) à qui on a parlé à qui je parle ? à Haidar à qui j’ai parlé ? à Haidar n’est-ce pas ? et moi je pose la question [hier] (elle lève les deux mains par-dessus ses épaules) de qui on a parlé *‘an mīn ḥkīna * (de qui on a parlé ? ++

24 Moussa : *´amūs* (dictionnaire) 25 Zeina : de dictionnaire

26 P : de dictionnaire mais qui a fait le dictionnaire quel est le + le personnage ou bien la personne qui a écrit le dictionnaire ?

27 Moussa : Madame Pierre Larousse

Dans cette séquence, extraite du début d’un cours de lecture au Lycée Pilote, l’objectif de l’enseignante est de faire produire la phrase suivante : « Hier on a parlé de Pierre Larousse ».

On constate qu’il y a une alternance absolument régulière entre les prises de parole professeur/ apprenants. L’enseignante intervient une fois sur deux et c’est elle qui a l’initiative des échanges verbaux. Pour amener les élèves à s’exprimer oralement et à construire progressivement une « bonne réponse », elle les sollicite à travers des questions successives et les somme de répondre en désignant un élève précis, c’est ce qu’elle fait en 05 lorsqu’elle demande à Nasser de faire un récapitulatif de la leçon qu’elle avait commencée à

expliquer la veille : « je dis je demande à Nasser quelle est la leçon quelle est notre leçon c’était quoi notre leçon hier qu’est ce qu’on a fait ? ».

Devant le silence de l’élève, et pour ne pas bloquer l’interaction, l’enseignante enchaîne et décompose sa question en deux parties : « hier c’était quoi ? » (En 05) et « de quoi on a parlé ? » (En 07). Et quand elle n’obtient pas la réponse précise qu’elle cherche à faire produire (Haidar en 08 a répondu « à Pierre Larousse »), elle apporte des éclaircissements à sa question et la précise ; elle la répète et commente les productions des élèves et leur repose la question.

Les questions posées ne sont pas seulement des actes d’introduction car elles permettent de lancer et de relancer la conversation mais également « des actes d’appel à l’autre » (Kerbrat- Orecchioni, 1991 : 10) c’est-à-dire, elle est tournée vers autrui, doublée d’un acte de sommation dans la mesure où elle oblige le destinataire à réagir verbalement, c’est ce que montre bien l’alternance régulière des prises de parole entre l’enseignante et les apprenants.

On remarque que l’enseignante se trouve prise dans un double enjeu : elle est à l’écoute de l’autre, tout en restant centrée sur son objectif. Elle écoute les réponses des apprenants, les reprend et les commente. C’est ce qu’elle fait en 14, lorsqu’elle reprend la réponse de Haidar émise en 08. Cela crée une continuité interdiscursive, basée essentiellement sur la répétition de l’énoncé proposé par l’apprenant. En même temps, elle reste centrée sur son propre objet – faire produire la phrase : « on a parlé de Pierre Larousse »- comme le montrent les reprises de la question de départ : « on a parlé de qui ? » (Reprise en 11, 13, 15, 19, et en 21).

Dans son souci de se faire comprendre en parlant en français, l’enseignante multiplie ses explications et ses questions et on remarque les structures syntaxiques et grammaticales incomplètes comme en 19 lorsque l’enseignante, commentant la réponse de l’apprenant et voulant attirer son attention sur sa faute de syntaxe, reprend le début de la réponse et continue son tour de parole en posant de nouveau la question qu’elle avait déjà posée en 16 et en mettant l’accent sur « DE QUI » pour attirer l’attention de Haidar sur son erreur et lui fournissant un indice, mais Haidar ne semble pas avoir saisi l’intention de l’enseignante puisqu’il fait la même faute en reprenant la même réponse, en 21 : « on a parlé à Pierre Larousse ».

Dans cette séquence, l’enseignante pose des questions, sollicite les élèves, s’attarde sur la reformulation de ses questions, se concentre tantôt sur la forme, tantôt sur le contenu. On rencontre là la deuxième caractéristique du dialogue interrogatif.

b. Ce deuxième trait caractéristique du dialogue interrogatif en classe de langue réside, en effet, dans le double message de la question didactique : nous pouvons observer une focalisation soit sur le contenu/ vécu de l’apprenant, soit sur la forme (qui prime lors de la communication à propos d’une langue). Pierre Bange (1992b :56) parle de

« bifocalisation : focalisation centrale sur l’objet thématique de la communication ; focalisation périphérique sur l’éventuelle apparition de problèmes dans la réalisation de la coordination des activités de communication ». La séquence précédente est un bon exemple de la bifocalisation : en effet, l’attention de l’enseignante était d’abord focalisée sur le contenu de la question : « qu’est ce qu’on a fait hier ? » (07), mais quand Haidar donne la réponse : « madame Larousse à Larousse », l’attention de l’enseignante se concentre sur la forme de la question comme le montre bien les interventions 13 :

« écoute lui il a dit à Larousse, moi j’ai posé la question on a parlé de qui ? » et 19 : « ah, on a parlé * men´ulsh * (on ne dit pas) on a parlé à, qu’est ce qu’on dit ? on a parlé hier DE QUI on a parlé ? ».

Dans ces deux interventions, l’enseignante, par ses questions voulait attirer l’attention des élèves sur la forme incorrecte des réponses données par Haidar en 08, en 18 et, et pour cela elle commente les réponses et répète sa question en mettant l’accent sur « DE QUI ».

c. Une autre spécificité des questions posées en classe de langue est que l’enseignante connaît déjà la réponse à la question qu’elle pose : elle cherche à faire produire par les apprenants une réponse qu’elle connaît d’avance comme le montre la structure ternaire des échanges en classe : sollicitation- réaction- évaluation (négative ou positive de la réponse de l’élève).

Extrait 2 EB6 Zebdine

56 P : par quoi se termine le féminin ? 57 As : par e

58 P : par e + Extrait 3

EB1 Collège Notre- Dame des Sœurs Antonines 247 P: ah pourquoi on dit c est une ici?

248 Am: demoiselle35 on va faire la liaison 249 P: oui on va FAIRE la liaison

250 As: la liaison

Dans ces deux exemples, les enseignantes posent les questions tout en connaissant d’avance les réponses comme le montre la répétition affirmative des réponses des élèves. La question posée ne répond pas à une réelle demande d’information, puisque par principe, l’enseignante est en position de détenteur de savoir et les questions posées ne sont là que pour faire parler les apprenants et guider leur apprentissage.

C’est surtout autour de ce point que s’est posée la question de l’authenticité36 du discours didactique en classe de langue étrangère. Cette « authenticité » étant posée par rapport aux conversations et aux échanges de la vie quotidienne, on peut dire que la salle de classe de classe représente une situation bien réelle, qui a aussi son authenticité, son code de comportement ; le langage qui y est produit doit être jugé dans son cadre naturel d’émission et non pas selon des normes extérieures. Les objectifs visés dans cette situation précise ne se limitent pas à converser agréablement comme des locuteurs de langue maternelle, mais à acquérir un système, à réfléchir sur son mode de fonctionnement et d’utilisation, en un mot, à apprendre. Et c’est là où apparaît le rôle principal de la question pédagogique en tant que guide précieux et irremplaçable vers la conquête du savoir.