• Aucun résultat trouvé

C. L’étude de Pascal Monin

3. Le système éducatif libanais

3.5. Facteurs agissant sur le niveau du français

L’enseignement du français débute à 4 ans révolus, dans les écoles privées et à 6 ans dans les écoles officielles. Mais le niveau de français atteint à la fin de cycle complémentaire et secondaire nous pousse à nous interroger sur les problèmes qui peuvent bloquer l’apprentissage de cette langue.

L’enseignement d’une langue étrangère à un jeune âge constitue un facteur primordial parmi d’autres à l’appropriation du français. Mais les résultats des examens officiels vont à

l’encontre de telles attentes. Il nous a paru donc crucial d’identifier les problèmes contextuels afin de définir les facteurs agissant sur le niveau atteint en français dans l’enseignement.

3.5.1 La politique de l’éducation nationale.

L’éducation nationale a imposé une langue étrangère, le français, dans la plupart des établissements, dès la maternelle. Le poids de cette langue s’accroît de cycle en cycle, pour devenir la langue véhiculaire de toutes les matières scientifiques.

L’élève est alors censé comprendre les sciences naturelles, résoudre des problèmes de mathématiques et plus tard, de physique et de chimie en français. Un double effort est donc exigé de lui : il faut qu’il comprenne le sujet traité et qu’il sache le déchiffrer pour s’exprimer dans une langue qui n’est pas la sienne.

Quant à l’enseignement de la littérature française et de la grammaire, il suit la plupart des temps une méthode traditionnelle centrée sur l’apprentissage de l’écrit. De plus, les textes ne prennent pas en compte la motivation et les centres d’intérêts des étèves.

Si cette politique a favorisé l’appropriation du français à travers les matières scientifiques, elle agit négativement sur les programmes d’enseignement du français lui-même. Elle ne prend pas en considération la formation d’un élève capable de communiquer en français, mais elle lui permet la compréhension (70% du temps) sans favoriser les conditions nécessaires pour améliorer son expression orale.

De plus, la plupart du temps, l’élève est amené à mémoriser et non à s’exprimer librement, ce qui justifie les bons résultats obtenus dans les matières scientifiques puisque les étudiants sont habitués à mémoriser, à utiliser les chiffres ou les mêmes mots déjà vus. Le taux d’échec est supérieur en langue française, où les élèves sont amenés à comprendre de nouveaux documents à s’exprimer et donner leur point de vue dans cette langue.

Il est clair que cette politique est en cours de modification. On essaie d’élaborer de nouvelles méthodes s’inspirant de l’approche communicative, de fixer des objectifs pédagogiques précis et mesurables et de permettre à l’élève de communiquer et d’être autonome. Mais les résultats de ces tentatives restent très limités, à cause du faible soutien financier accordé par l’Etat et le recrutement des enseignants.

3.5. 2. L’influence de l’école.

Il y a une grande variation dans le niveau d’enseignement, et plus précisément dans celui de la langue étrangère entre les écoles privées payantes ayant un bon niveau en français et les écoles officielles caractérisées par leur grande faiblesse. Le programme des écoles officielles

consacre 7 heures hebdomadaires à la langue française. Le travail des enseignants n’est pas contrôlé en permanence, et par la suite, les moyens financiers de l’école ne lui permettent pas d’avoir une bibliothèque ou des supports pédagogiques au sein de l’établissement. Ajoutons à cela, les conditions matérielles des classes et des bâtiments qui ne sont pas propices à un apprentissage optimal.

Quant aux écoles privées, elles favorisent un bon niveau en français. Les enseignants passent par des examens écrits et oraux avant d’être recrutés dans leur domaine de spécialisation et suivent des stages permanents en France. Leur travail est toujours contrôlé par le coordinateur de la discipline et le personnel administratif à travers l’observation des classes et le cahier de préparation de l’enseignant. Les laboratoires de langue et les matériels pédagogiques sont à la disposition des élèves qui viennent de milieux favorisés. L’administration et les parents travaillent toujours en collaboration pour assurer aux élèves un bon résultat qui apparaît durant les examens officiels. L’administration organise plusieurs réunions entre enseignants et parents, au cours de l’année, pour résoudre les problèmes des élèves. Les parents sont toujours convoqués lors d’un retard ou de l’échec d’un étudiant.

3.5.3. Le corps enseignant.

Contrairement à ce qui prévalait avant les années 70, où être instituteur était socialement bien considéré et où il fallait passer un concours dans les écoles normales de formation de futurs enseignants, ce métier s’est dévalorisé et il n’attire plus les éléments compétents puisque les enseignants sont mal payés. Par ailleurs, les Ecoles normales supérieures ont été fermées. Les instituteurs sont recrutés parmi des diplômés qui, sans aucune formation préalable au métier d’enseignement prodiguent des cours dans une langue dont ils n’ont qu’une connaissance approximative. A cause de la guerre et pour combler le vide, on a dû recruter des enseignants qui ont seulement appris le français à l’école et ils forment actuellement une part importante du corps enseignant dans les écoles officielles. De même, dans quelques écoles privées gratuites, on sélectionne des enseignants non diplômés pour ne pas leur payer des hauts salaires. Les maîtres ont une formation générale élémentaire et leur niveau d’instruction est le brevet. Il faut quand même noter que la formation et le niveau des professeurs ont beaucoup chuté depuis le début de la guerre.

Aux défauts de prononciation qui sont apparus lors de nos observations et de nos transcriptions et qui vont être analysés dans les chapitres suivants, s’ajoutent la mauvaise

interprétation des textes, l’exploitation linéaire, les fautes de grammaire et surtout une communication enseignant/ élève à partir d’expressions transposées de l’arabe.

Actuellement, personne ne nie l’importance de la formation des maîtres dans le système éducatif d’un pays. Mais au Liban, le maître d’un bon niveau en 2ème langue est souvent chargé de deux ou de plusieurs classes. Et pour combler le manque d’enseignants dans ce domaine, ce sont des enseignants d’arabe ou d’histoire qui seront chargés d’enseigner le français. Ainsi, dans les écoles publiques et les écoles subventionnées par l’Etat, avec des difficultés inhérentes à l’apprentissage d’une langue étrangère, les élèves reçoivent un français brouillé, mal structuré : cela apparaît dans la pure alternance codique présente dans toutes nos transcriptions et l’expression orale des enseignants durant leur explication. Dans les écoles des montagnes, certains instituteurs savent à peine parler le français et ont de la peine à l’écrire correctement. Dans l’enseignement public, les salaires sont tellement bas qu’il est souvent nécessaire d’exercer un second métier, ce qui empêche le professeur de donner le temps nécessaire aux préparations et aux corrections, et le métier pourra être exercé à la légère.

Cette dégradation de l’enseignement du français se reflète aussi dans l’enseignement des matières scientifiques, qui sont souvent expliqués et traduites en arabe du fait de l’incompréhension de l’élève. On peut considérer qu’une remise à niveau des enseignants, à travers des sessions intensives en français et des stages de formation continue, serait donc nécessaire.

3.5.4. Les aspects sociaux.

L’appartenance sociale est un critère qui agit sur le niveau éducatif au Liban. Ainsi un milieu social culturellement ouvert, favorise et encourage la pratique des langues étrangères : dans les familles aisées, les enfants baignent généralement dans une ambiance multilingue où leurs parents communiquent avec eux en français pour les aider à s’approprier cette langue, ce qui les prédispose à aborder, aussi naturellement la langue étrangère que la langue maternelle.

Malheureusement, cette situation est loin de prévaloir dans la plus grande partie de la société libanaise. Se trouvant dans son propre pays avec des gens qui parlent la même langue, l’élève libanais, comme dans bien des pays du monde, n’est pas plongé dans des situations qui l’inciteraient à s’exprimer dans la LS, les élèves ne sont pas toujours capables de

communiquer oralement dans cette langue. Ainsi, le niveau de français atteint à la fin du cursus scolaire est souvent qualifié de médiocre, d’après les résultats des examens officiels, tant à l’écrit qu’à l’oral.

Le niveau socioéconomique de la famille.

Le niveau socioéconomique de la famille influence à son tour le choix de l’école. Les plus pauvres se dirigent vers les écoles officielles, où ils n’auront à payer qu’une somme minime d’inscription imposé par l’Etat, ces frais étant très élevés et variables d’une école à l’autre dans le secteur privé. De plus, les enfants des écoles publiques sont privés de tout support extrascolaire : les parents d’un niveau d’instruction assez modeste sont incapables de soutenir leurs enfants dans leur scolarité et les cours particuliers sont exclus, à cause de la précarité de la situation économique familiale. Ajoutons à tout cela, que l’enfant n’est pas toujours encouragé à entreprendre de longues études : assez tôt, la famille commence à avoir besoin de sa participation familiale et les premiers échecs seront les derniers.

La répartition géographique.

Selon les statistiques du CRDP, les écoles localisées dans les villes, sont plus favorisées, par le nombre d’enseignants par rapport au nombre de classes, par le niveau d’instruction des maîtres et les équivalents scolaires. Les écoles les moins favorisées sont celles de la banlieue et des villages : les bâtiments sont très mal équipés, les professeurs ont un niveau d’instruction très limité et les élèves sont en très grand nombre par classe.

3.5.5. La place de l’anglais

La concurrence de l’anglais est non négligeable. Au Liban, vu la politique mondiale de la région, on remarque que l’anglais prend un grand essor. Beaucoup d’établissements scolaires et universitaires, se sont implantés dans des localités importantes du Liban. L’ « American Center » accueille, chaque année, un nombre énorme d’étudiants voulant apprendre l’anglais.

Et les écoles francophones intègrent cette langue dans leur programme dès le cycle primaire.

Dernièrement, plusieurs démarches ont été prises pour lutter contre l’essor de l’anglais comme l’ouverture de plusieurs centres et écoles de langue française dans différentes régions libanaises, souvent négligées avant la guerre, mais regroupant une population très importante.

Conclusion

A la fin de ce chapitre, on peut dire que malgré tous les présages, le français se porte encore bien au pays des Cèdres. La présentation que nous avons faite de la situation linguistique au Liban et du statut du français et son usage dans tous les domaines de la vie éducative et culturelle le montre bien. La présentation du système éducatif libanais, des différents types d’écoles et des programmes d’enseignement des langues étrangères a été nécessaire par le besoin de cerner et de comprendre la culture éducative libanaise. Enfin, la présentation du français dans la région de Nabatieh, quoique un peu brève (vu le manque de sources et d’études sur cette région), est nécessaire pour comprendre et expliquer les spécificités des interactions didactiques en classe de français.

Chapitre 2