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1.2 La sous évaluation des titres : un phénomène généralisé sur les marchés financiers

1.2.3 Les autres explications de la sous évaluation

Jusqu’à a très récemment, les asymétries d’informations présentes entre les différents agents lors d’une introduction en bourse ont été la principale source d’explications du phénomène de sous évaluation des titres. Des travaux novateurs ont exploré de nouvelles hypothèses basées sur l’environnement institutionnel des entreprises, la composition de l’actionnariat et le comportement des acteurs.

1. 2.3.1 Raisons institutionnelles

Les travaux dans la littérature avancent trois principales raisons institutionnelles susceptibles d’influencer le niveau de sous évaluation initiale des titres lors d’une introduction en bourse. La première est inspirée de l’idée de Logue (1973) et Ibbotson (1975). Selon l’argumentation de ces auteurs, les entreprises sous évaluent intentionnellement leurs titres de peur d’être poursuivies par leurs actionnaires si ces derniers ne sont pas satisfaits de la performance boursière de la société. Lowry et Shu (2002) estiment que 6% des entreprises introduites aux Etats Unis entre 1988 et 1995 ont été poursuivies par leurs actionnaires pour de telles raisons. Les pertes subies par l’entreprise atteignent 13,3 % des fonds levés.

évaluation initiale est intentionnelle lors de l’ouverture du capital et agit comme une assurance contre les risques éventuels de procès. Cette explication est cependant centrée essentiellement sur les marchés américains alors que le phénomène de sous évaluation est généralisé sur l’ensemble des marchés financiers. Le risque d’être poursuivi n’est pas significatif en Australie (Lee et al. 1996), en Finlande (Keloharju, 1993), en Allemagne (Ljungqvist, 1997), au Japon (Beller et al. 1992), en Suède (Rydqvist, 1994), en Suisse (Kunz et Aggarwal, 1994), ou encore en Grande Bretagne (Jenkinson, 1990).

Une deuxième explication institutionnelle a été avancée par d’autres auteurs. Elle est basée sur l’existence de processus de stabilisation de prix pratiqués par les introducteurs dans les jours ou les semaines qui suivent l’introduction en bourse26. Ruud (1993) estime que la sous évaluation observée lors de l’introduction n’est pas intentionnelle. Selon cet auteur, les entreprises sont introduites à leur juste valeur. Seulement, certaines d’entres-elles dont les prix d’offres sont susceptibles de baisser après l’ouverture du capital, bénéficient du maintien artificiel des cours grâce au processus de stabilisation assuré par les teneurs de marché. Cette stabilisation tend à éliminer la queue de distribution des rentabilités initiales et ainsi contribue à l’augmentation des prix sur les marchés. Cette explication purement statistique a relevé de nombreuses interrogations chez les financiers et un corpus théorique s’est constitué autour de cette pratique. Wilhelm et al. (1986) ont été les premiers à formaliser ce phénomène. Ils montrent, dans leur modèle, que les investisseurs institutionnels qui communiquent leurs informations privées lors de l’ouverture du capital augmentent significativement leur profit grâce à la stabilisation pratiquée par les teneurs de marché.

Ellis et al. (2000) montrent que les banques introductrices chef de file sont celles qui interviennent le plus sur les marchés financiers dans les 20 jours qui suivent l’ouverture du capital. Ces banques achètent proportionnellement plus de titres qui ont été introduits à un prix inférieur à leur prix d’offre et qui n’ont pas fait l’objet de transactions lors des 20 premiers jours, que de titres qui n’ont pas été côtés à un prix inférieur à leur prix d’offre dans les 20 premiers jours de présence sur les marchés. Les auteurs concluent que le comportement des banques est directement induit par leur connaissance des pratiques en matière de stabilisation des prix.

Une dernière explication institutionnelle a été avancée par Rydqvist (1997) sur le marché suédois. Elle est basée sur les avantages fiscaux que l’entreprise peut titrer d’une sous évaluation intentionnelle des titres. Avant 1990, la réglementation suédoise taxait plus lourdement les revenus directs (salaires) que les gains en capital. Du fait de cette réglementation, des pratiques de rémunération consistant en l’attribution de titres sous évaluées aux employés se sont développées. En 1990, la réglementation d’imposition des revenus s’est modifiée. Les bénéfices réalisés par la sous évaluation sont devenus imposables au même titre que les salaires. Rydqvist (1997) a observé une chute du niveau de la sous évaluation des titres de 41% durant la période 1980-1989 à 8% durant la période 1990-1994.

Un argument semblable a été avancé par Taranto (2003) sur le marché américain. Pour minimiser le montant des taxes à payer, les managers décident du niveau de sous évaluation à pratiquer lors de l’ouverture du capital. Aux Etats Unis, l’exercice des « stock options » génère deux impositions différées dans le temps. Dans un premier temps les managers payent un impôt sur le revenu calculé par la différence entre le prix d’exercice et la valeur de l’action (estimée par la valeur du prix d’offre). Dans un deuxième temps, ils payent un impôt sur les gains en capital calculé par la différence entre la valeur de l’action et le prix de vente. Comme le deuxième impôt est différé dans le temps et que le taux pratiqué est inférieur à celui de l’impôt sur le revenu, les dirigeants préfèrent sous évaluer le prix de l’action (soit son prix d’offre).

1.2.3.2 Contrôle et participation au capital

L’introduction en bourse, est dans de nombreux cas, le moyen de séparer les fonctions de propriété et de contrôle. Ces dernières, peuvent être à l’origine de conflits d’agences entre les actionnaires managers et les autres actionnaires de l’entreprise (Jensen et Meckling, 1976). La sous évaluation est la conséquence de ces conflits.

Dans le modèle de Brennan et Franks (1997), la sous évaluation des titres apparaît comme un moyen pour protéger la richesse des dirigeants en augmentant leur pouvoir lors du processus d’attribution des titres. Pour maximiser leur richesse, les dirigeants sont incités à limiter la sous évaluation lorsqu’ils cèdent une forte proportion de leurs titres. En revanche, lorsqu’ils ne cèdent pas (ou cèdent peu) d’actions, les dirigeants sont incités à réduire le prix d’offre (et augmenter la sous évaluation) pour garantir le succès de l’opération.

Un tel comportement favorise une sursouscription et permet aux responsables de l’entreprise de procéder à un rationnement lors de l’attribution définitive des actions en faveur des « petits » investisseurs. Ce rationnement peut être souhaité pour éviter

qu’un investisseur détienne un bloc de contrôle après l’introduction et soit en mesure de contrôler les responsables de l’entreprise. La sous évaluation permet donc à ces derniers de mieux protéger leurs intérêts après l’opération, sans subir de perte de richesse considérable puisque le coût de la sous évaluation est principalement supporté par les actionnaires minoritaires qui cèdent leurs actions lors de l’opération.

Contrairement au modèle de Brennan et Franks (1997), qui considère la sous évaluation comme moyen pour contrôler l’attribution des titres et éviter le contrôle de l’entreprise par des investisseurs externes, le modèle de Stoughton et Zechner (1998) utilise la sous évaluation comme incitation permettant de renforcer la surveillance de l’entreprise par de nouveaux actionnaires. Selon ces auteurs, un meilleur contrôle évite le gaspillage des ressources et assure la meilleure cotation à l’entreprise.

1.2.3.3 Hypothèse comportementale

A la fin des années 1990, les sous évaluations initiales ont fortement augmenté sur la plupart des marchés financiers. Plusieurs chercheurs se sont interrogés sur la portée du pouvoir informationnel des explications avancées dans la littérature. Selon ces derniers, les asymétries d’informations, les contextes institutionnels et la volonté de contrôler les entreprises ne sont pas des explications suffisamment fortes pour prédire les niveaux élevés des sous évaluations. Ils avancent des hypothèses comportementales et attribuent ces niveaux de sous évaluations à l’irrationalité de certains investisseurs27. Welch (1992) montrent qu’une info-cascade28 peut se produire dans un contexte d’introduction en bourse si les parties prenantes dans l’opération prennent leur décision d’investissement d’une façon séquentielle. En se basant sur la demande formulée par d’autres investisseurs, elles peuvent changer leur décision d’investissement tout en ignorant l’information privée qu’elles possèdent. Les initiateurs de la cascade peuvent demander davantage de sous évaluation lors de l’ouverture du capital.

27 Ce courant de littérature est encore naissant. Pour une revue de la littérature voir Baker, Ruback et

Wurgler (2006) dans « the handbook of finance : Empirical Corporate Finance » B. Espen Eckbo. Editions.

28 Rappelons qu’une info-cascade survient lorsque des décideurs en série commencent, en toute rationalité,

à se copier sans égard à leur propre information, donc en retenant celle-ci hors du marché. Leur mimétisme, devenu info-cascade, propulse souvent le marché vers une surévaluation des titres.

Ljungqvist, Nanda et Singh (2004) étudient l’impact du « sentiment des investisseurs » sur le comportement des titres introduits en bourse. Ces auteurs constatent que les investisseurs ont été fortement optimistes dans leur prédiction des opportunités de croissance futures des récentes introductions en bourse. Ils prédisent dans leur modèle que les entreprises qui s’introduisent en bourse dans des périodes de fortes activités présentent des sous performances à long terme par rapport au premier cours côté et par rapport au prix d’offre. Cook et al. (2003) valident leur modèle sur le marché américain, Dorn (2002) le valide sur le marché allemand. Les auteurs montrent que les entreprises introduites en bourse pendant des périodes de fortes activités s’échangent à des cours plus élevées que d’autres entreprises introduites à d’autres périodes.

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