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LES ARGUMENTS

Dans le document DE L ÉTAT LÉGAL À L ÉTAT DE DROIT (Page 135-142)

LA REVALORISATION DE L'EXÉCUTIF

Section 1 LES ARGUMENTS

Si le parlement a tous les défauts, l'exécutif est au contraire paré de toutes les qualités devant lesquelles disparaît jusqu'à la crainte de voir se constituer un régime autoritaire. L'argument essentiel de cette revalorisation de l'exécutif reste cependant implicite.

§ 1. - L'ARGUMENT DE L'EFFICACITÉ

Toutes les valeurs de l'époque sont désormais du côté de l'exécutif, et la première d'entre elles est la compétence. Nous retrouvons ici l'influence du positivisme sur le discours juridique : dès lors que l'on estime que le gouvernement est l'organe placé le plus près du réalités et de l'action, il s'ensuit forcément qu'il est le plus compétent.

Or le raisonnement suivi repose à la fois sur une tautologie et sur l'ambiguïté des termes utilisés : les juristes définissent d'abord la fonction exécutive par la mission de faire appliquer les lois ; ils en tirent la conséquence que l'organe chargé de cette mission est celui qui connaît le mieux les problèmes pratiques de l'exécution des principes posés par le législateur ; ils en concluent que l'exécutif est bien le plus compétent pour régler les détails d'application des lois364. Si le gouvernement est plus apte que le législateur à remplir cette mission, c'est aussi parce qu'il dispose d'une assistance technique et de moyens d'information que n'ont pas les assemblées. Il est ainsi amené à « suppléer aisément aux omissions du législateur grâce à l'aide des bureaux des ministères et des conseils administratifs comme le Conseil d'Etat »365.

La centralisation contribue elle aussi à faire de l'exécutif l'organe le mieux placé pour connaître les besoins du pays366. Dans ces conditions, le législateur devrait se contenter d'un rôle politique et laisser au gouvernement le soin des problèmes techniques qui prennent justement plus d'importance avec le développement de l'interventionnisme. Et de ce point de vue, l'exécutif présente encore un avantage sur le législateur : celui de la permanence367.

364 L. DUGUIT, Traité de droit constitutionnel, tome II, p. 467 ; A. ESMEIN, op. cit., p. 474 ; F. MOREAU, Le règlement administratif. Etude théorique et pratique de droit public français, p. 391; E. RAIGA, Le pouvoir réglementaire du Président de la République, thèse Paris, Larose, 1900, p. 20 ; J. VALEGEAS, Du pouvoir réglementaire en droit français, thèse Bordeaux, Cadoret, 1892, p. 19 ; A. DE SAINT-GIRONS, Essai..., op. cit., p. 282.

365 H. NEZARD, Eléments ..., op. cit. p. 185 ; G. CAHEN, Le gouvernement législateur, op, cit., p. 318 « Le gouvernement n'est-il pas particulièrement apte, avec les conseils, les moyens d'information dont il dispose, à tenter les réglementations expérimentales, qui facilitent ensuite le travail du Parlement ? » ; E. RAIGA, op.

cit., p. 22 ; J. VALEGEAS, op. cit., p. 57. Comparer A. GAUTIER, op. cit., tome II, p. 56.

366 F. MOREAU, Pour le régime parlementaire, op. cit., pp. 149 et 153.

367 A. ESMEIN, op. cit., p. 12.

Pour toutes ces raisons, l'exécutif est celui qui pourra le mieux servir l'intérêt général368. C'est là un point essentiel et qui montre un renversement total des conceptions de l'Etat légal selon lesquelles cette tâche est l'apanage du parlement.

Dans la mesure où les députés sont accusés de ne poursuivre que des intérêts locaux, ce sera un argument supplémentaire pour transférer au gouvernement une partie des fonctions législatives. Pour certains, la compétence de l'exécutif est même dans la nature des choses369. Cet argument, très clairement idéologique, débouche d'ailleurs chez Saint-Girons sur un tableau dichotomique des qualités comparées de l'exécutif et du législateur370. Le gouvernement a pour lui l'expérience quotidienne, la connaissance de la pratique et des réalités, le calme et la modération. Le législateur, au contraire, se trouve du côté de la métaphysique, de l'idéalisme, de la passion, voire de la révolution.

L'exécutif ne possède pas seulement la compétence technique, il décide aussi avec plus de rapidité que ne le permettent les procédures parlementaires371. Cette efficacité dans l'action doit alléger le travail du parlement372 qui, de toutes façons, « est dans l'impossibilité matérielle de voter lui-même toutes les dispositions réglementaires qui sont nécessaires »373. Plus mobile que la loi374, le règlement peut mieux qu'elle également s'adapter à une situation qui se modifie rapidement. Si quelques-uns s'inquiètent d'une telle évolution (« l'exagération de l'activité législative est aggravée par l'usage excessif de l'autorité réglementaire »375), ils estiment cependant que certaines dispositions ponctuelles prises par le législateur auraient dû l'être par le gouvernement »376. La plupart considèrent que ces

368 F. MOREAU, Pour le régime parlementaire, op. cit., p. 153 ; G. CAHEN, op. cit., p. 319.

369 A. ESMEIN, op. cit., p. 13 ; F. MOREAU, Le règlement administratif, op. cit., pp. 23 et 170.

370 A. DE SAINT-GIRONS, Manuel..., op. cit., notamment p. 409 ; comparer J. BARTHELEMY, Le rôle du pouvoir exécutif dans les Républiques modernes, op. cit., p. 9 : « la fonction législative et la fonction juridictionnelle ne forment en somme que la vie abstraite de l'Etat ; sa vie concrète, c'est la gestion des affaires publiques, c'est l'administration dans un sens trés large (...) Le rôle de l'exécutif est d'assurer par une intervention spontanée et continue la vie même de l’Etat ».

371 L'argument de l'urgence est souvent utilisé pour justifier les interventions du pouvoir réglementaire. Voir par exemple, L. DUGUIT, Manuel de droit public, op. cit., p. 1035.

372 H. BERTHELEMY, Traité élémentaire de droit administratif, 2e éd., 1902, p. 97 « L'attribution générale de l'autorité réglementaire au Président de la République a une double utilité. Elle allège le travail législatif eu permettant de n'inscrire dans la loi que les principes fondamentaux... » ; J. VALEGEAS, op, cit., p. 97.

373 L. DUGUIT, Manuel..., op. cit. p. 1010 ; idem, p..7.

374 H. BERTHELEMY, Traité..., op. cit., p. 98 ; M. HAURIOU, Précis de droit administratif, op. cit., p.63:

« les dangers qui menacent l'ordre public changent à chaque instant de nature ; le règlement seul est assez souple et assez rapide pour réussir à y parer »; E. RAIGA, op. cit., p. 10 et p. 20 ; J. VALEGEAS, op. cit., p.

110.

375 H. BERTHELEMY, «Le pouvoir réglementaire du Président de la République», R.P. P. 1898, p. 5 et p.

322, p. 6 ; A. MESTRE, « Analyse du livre de F. Moreau, Le règlement administratif», R.D.P. 1904, pp. 623-647, p. 646 : « Les Chambres votent des lois fort imparfaites, d'une rédaction manifestement incorrecte, mais dont elles essaient de masquer l'insuffisance par un appel presque continu au règlement ».

376 H. BERTHELEMY, « Le pouvoir réglementaire du Président de la République », loc. cit., p. 328 « plus l'État, le département, la commune avancent dans cette mauvaise voie qui les substitue à l'entreprise privée pour nous procurer ce dont nous avons besoin, plus nous avons dans nos budgets de recettes à caractère commercial et industriel c'est-à-dire constituant des prix de vente ou des loyers de service; je ne vois pas

changements constituent un progrès et qu'il appartient à l'exécutif de prendre de multiples décisions auxquelles le parlement n'a désormais plus assez de temps à consacrer 377.

Ce sont les mêmes arguments qui sont avancés pour justifier le régime des décrets présidentiels auquel sont soumises la quasi totalité des possessions coloniales : « le gouvernement, étant donné l'éloignement de ces pays, est souvent mieux placé que le Parlement pour savoir ce qui s'y passe. Les moyens d'information dont il dispose lui permettent de suivre les transformations qui s'opèrent soit dans les moeurs, soit dans les besoins de ces colonies. Il sera toujours plus difficile au Parlement de se prononcer avec une égale compétence sur ces points nombreux de législation coloniale »378. Ces considérations prendront un relief particulier au moment de la guerre, et tous les juristes pourront reconnaître sans difficultés au gouvernement le droit de prendre des mesures exceptionnelles en dehors de tout cadre légal379. La littérature juridique du début du siècle avait parfaitement préparé cette évolution par le complet renversement des valeurs qu'elle a opéré entre l'Exécutif et le législatif, renversement que symbolise très bien la majuscule acquise par le premier et perdue par le second dans certain texte de 1915 380.

S'agissant de la guerre ou des colonies, les éventuels scrupules libéraux ou démocratiques ont souvent tendance à disparaître. Mais, sans crainte des paradoxes, la revalorisation de l'exécutif est aussi présentée comme le moyen de sauvegarder la démocratie contre l'omnipotence d'assemblées incompétentes.

§ 2. - L'ARGUMENT DE LA DÉMOCRATISATION

La méfiance traditionnelle à l'égard de l'exécutif s'est atténuée dès la fin du dix-neuvième siècle en même temps que s'accroissait la vague d'anti-parlementarisme. Certes, Boulanger puis Déroulède ont réclamé eux-aussi la fin de la tyrannie législative et la revalorisation de l'exécutif381. L'existence d'un tel mouvement, assimilé au césarisme, aurait pu freiner les revendications des publicistes en faveur de l'exécutif ; mais nous l'avons vu, ils étaient eux-mêmes convaincus des excès parlementaires, et les réformes qu'ils préconisent diffèrent de

pourquoi les tarifs de ces loyers et de ces prix, variables avec les circonstances (...) exigeraient une détermination législative ».

377 G. JEZE, « Légalité des Décrets-Lois de guerre », R.D.P. 1915, pp. 479-490; L. ROLLAND, « L'administration locale et la guerre », RD.P. 1915, pp. 104-133 ; 266-309 et 500-544 ; J. BARTHELEMY,

«Le droit public en temps de guerre », R.D.P. 1915, pp. 134-162; pp. 310-359 et pp. 545-575.

378 E. RAIGA, op.cit., p. 230, de même pp. 231 à 233 ; J. VALEGEAS, op. cit., p. 57 : « Ici aussi, et plus longtemps encore, le champ doit rester libre à l'administration ».

379 G. JEZE, « L'Exécutif « temps de guerre. Les pleins pouvoirs », R.D.P. 1917, pp. 5-13.

380 BARTHELEMY, « Le droit public en temps de guerre »,3e article, loc. cit., p. 546.. Comparer avec J.

BARTHELEMY «Le droit public en temps de guerre »,ler article, loc. cit., pp. 154 et s.

381 Voir Z. STERNHELL. op. cit., p 93.

celles proposées par les boulangistes en ce que la plupart se contentent de réclamer un rééquilibrage des pouvoirs plus conforme à la logique du régime parlementaire382

À l’argument de l’efficacité, vient donc s’ajouter l’idée que le gouvernement ne met pas nécessairement en péril les libertés. Moreau insiste particulièrement sur ce point dans sa défense du régime parlementaire : « l'exercice du pouvoir réglementaire est un véritable bienfait public, et même dans le sens de la liberté » 383, grâce à l’extension du principe représentatif au pouvoir exécutif. Non seulement le président de la République est élu, mais le régime parlementaire offre aussi l'avantage essentiel d'organiser la collaboration des pouvoirs par l'intermédiaire des ministres, chefs de la majorité parlementaire. On pourrait logiquement penser que le système représentatif se concilierait mieux avec le régime conventionnel qu'avec le parlementarisme. Ce n'est cependant pas l'avis de Moreau pour qui l'élection des ministres par les chambres ne permettrait pas de préserver les prérogatives du chef de l'Etat à leur égard 384.

Mais la véritable explication est à chercher dans les possibilités que donne à l'exécutif la collaboration des pouvoirs. Ce qui importe finalement c'est que les ministres « dirigent en même temps le Gouvernement et le Parlement »385 . Le régime parlementaire « permet aux hommes d'Etat de diriger tous les pouvoirs »386, il aboutit ainsi à la confusion des pouvoirs tant décriée pourtant lorsqu'elle se fait au profit des assemblées. La supériorité du parlement sur l'exécutif, dit Moreau, n'est plus qu'une survivance de la Révolution387 et dès lors que l'exécutif est devenu représentatif, le vote du budget par le parlement ne devrait plus s'imposer 388. Enfin, la méfiance à l'égard du gouvernement est d'autant moins justifiée que la démocratie, selon Moreau, « est peu favorable à l'éclosion de grands génies politiques »389.

Tous ces arguments contradictoires ont un objectif commun : démontrer que l'on peut sans danger étendre les pouvoirs de l'exécutif censé représenter la nation au même titre que le parlement.

Une telle argumentation, qui n'est pas spécifique à F. Moreau, montre à quel point les conceptions des publicistes ont évolué. La transformation de l'idée de représentation, la théorie de l'organe, contribuent à ancrer l'idée que le corps législatif n'est pas le souverain ; la critique de la souveraineté absolue et l'assimilation de la suprématie législative à une nouvelle forme de despotisme

382 L. DUGUIT, Manuel op. cit.; p. 982.

383 F. MOREAU, Le règlement administratif, op. cit., p. 173.

384 F. MOREAU, Pour le régime parlementaire, op. cit., p.28.

385 F. MOREAU, ibidem, p. 12 ; A. ESMEIN, op. cit., p. 569. Comparer M. LEROY, La loi. Essai sur la théorie de l'autorité dans la démocratie, pp. 112-113.

386 F. MOREAU, ibidem, p. 90.

387 F. MOREAU, Le règlement administratif, op. cit., p. 289.

388 F. MOREAU, ibidem, p. 215.

389 F. MOREAU, Pour le régime parlementaire, p. 137.

permettent de présenter la revalorisation de l'exécutif comme une défense soit de la démocratie, soit des « vraies conceptions », c'est-à-dire des conceptions libérales390.

La façon d'envisager les rapports du pouvoir et des libertés a, elle aussi, changé : entre Ducrocq qui voyait le droit administratif sous l'angle des limitations qu'il apporte aux libertés et Duguit pour qui le droit administratif, c'est le droit des services publics et donc du développement de la solidarité sociale, c'est non seulement la conception des libertés qui a changé, mais c'est aussi celle du rôle de l'exécutif dans le développement de ces mêmes libertés qui s'est transformée, même si tous ne vont pas aussi loin que Duguit dans cette voie. Ainsi M. Hauriou, théoricien des équilibres institutionnels, occupe-t-il justement une sorte de point d'équilibre entre ces deux conceptions 391.

D'une manière générale, cette revalorisation de l'exécutif constitue l’un des nombreux éléments attestant la remise en cause de l'Etat légal : « une théorie qui séduit par son apparente simplicité et sa logique superficielle, dit Barthélemy, réduit à la législation toute la vie de l'Etat ; faire la loi, l'exécuter ces deux termes comprendraient toute l'activité publique (...) Cette conception qui doit à Rousseau une grande partie de sa fortune, a dominé les idées révolutionnaires sur le pouvoir exécutif, et elle a encore cours parmi les publicistes (...) La conséquence de cette conception, c'est la subordination étroite de l'exécutif au législateur(...) Il suffit cependant de sortir de la théorie et de regarder les faits pour se rendre compte que la puissance exécutive est autre chose que la force appliquée à la loi (...) Entre la simple primauté du pouvoir législatif, réduite à son minimum strictement logique, et sa souveraineté absolue, il y a des degrés qui correspondent à des conceptions diverses du rôle de l'exécutif »392 . L'adoption d'un point de vue à la fois réaliste («les faits ») et libéral (la lutte contre la souveraineté absolue) impliquerait donc, si l'on en croit Barthélemy, l'extension des pouvoirs de l'exécutif. Et cette revalorisation peut se présenter comme d'autant moins dangereuse pour les libertés que l'exécutif est assujetti au contrôle du juge.

§ 3. - L'ARGUMENT IMPLICITE

La violence des critiques portées contre le législateur appelle immédiatement la question des garde-fous contre les abus éventuellement commis.

390 N. SARIPOLOS, op. cit., p. 303: « Le pouvoir de la majorité dans les démocraties modernes, presque toutes plus ou moins représentatives, se concentre au corps législatif ; le Parlement, peut-on dire, tend à absorber aujourd'hui à peu près tous les pouvoirs publics ».

391 M. HAURIOU, Précis de droit administratif, pp. 60 et s.

392 J. BARTHELEMY, Le rôle du pouvoir exécutif dans les Républiques modernes, op. cit., pp. 7-8 et 14 ; voir également pp. 11-12 : « Dans ses analyses, le juriste penche à voir toute la vie publique dominée par la législation. Et cependant les lois sont bien loin d'être tout dans l'Etat Cc ne sont pas elles qui peuvent édicter l'intelligent emploi des ressources, la sage direction des services, la compréhension et la prudente gestion des intérêts nationaux au dedans et au dehors. Il y a, en dehors de l'application des lois, un immense domaine qui est celui de l'exécutif » ; dans le même sens, Ch. LEFEBVRE, op. cit., pp. 116 et s.

Or tous les auteurs sont amenés à constater que le régime n'organise aucune garantie juridique efficace à l'encontre du parlement. Il n'en va pas de même lorsqu'il s'agit de l'exécutif : « Nous avons vu que notre organisation n'apportait peut-être pas de garanties juridiques très puissantes contre les erreurs possibles du pouvoir législatif (...) Les sanctions juridiques contre le gouvernement et les administrateurs qui portent atteinte aux droits individuels sont plus efficaces »393. L'existence de contrôles juridictionnels sur les actes de l'exécutif devient ainsi un argument supplémentaire pour transférer à celui-ci une partie des pouvoirs des assemblées devenues incontrôlables. La revalorisation de l'exécutif constitue de ce fait un élément important dans l'institution de l'Etat de droit.

À l'inversion des valeurs que nous avons constatée entre l'exécutif et le législatif correspond sur le plan juridique le passage de l'Etat légal à l'Etat de droit.

L'adoption de la thèse selon laquelle le règlement est une loi matérielle participe de la même idée394. On constate en effet que la définition du règlement a évolué vers une assimilation de plus en plus nette entre loi et règlement au point de vue matériel. En 1858 (sous le second Empire donc), le Répertoire Dalloz, à l'article

« Règlement »395, opposait la loi et le règlement par le critère de l'objet : « les règlements administratifs comme les lois sont obligatoires pour tous les citoyens, mais ils se distinguent des lois en ce qu'ils ne peuvent avoir pour objet que d'en assurer l'exécution ou d'en déterminer l'application sur des points de détail que la loi, dans sa généralité, ne pouvait atteindre » ; en même temps, l'auteur de l'article refusait toute subordination hiérarchique du pouvoir réglementaire à la « puissance législative ». Le régime juridique du règlement découlait donc de sa nature définie par un critère matériel, critère qui permettait dans cette conception d'opposer la loi au règlement.

En 1895, ce même Répertoire adopte une présentation déjà différente : l'identité de la loi et du règlement sur le plan matériel est davantage soulignée ; l'opposition entre les deux actes relève à la fois du critère organique (« l'acte réglementaire émane du pouvoir exécutif et non du pouvoir législatif ») et du critère matériel (« il ne doit tendre qu'à l'exécution de la loi sans pouvoir se mettre en opposition avec elle »)396. Cette seconde opposition concerne plutôt le régime de

393 H. NEZARD, Eléments ..., op. cit., pp. 74.75 ; A. GUILLO1S, « Analyse de notes de jurisprudence », R.D.P. 1911, pp. 511-524, p. 519 : « contre les abus du pouvoir législatif, aucune protection... Contre l'autorité administrative, au contraire, le pouvoir judiciaire est armé » ; G. CAHEN, op. cit., p. 308 ; F.

MOREAU, Le règlement administratif, op. cit., p. 176; E. RAIGA, op. cit., p. 111 ; J. VALEGEAS, op.

cit., p. 3 et p. 111.

394 Voir notamment G. CAHEN, op. cit.; L. DUGUIT, Traité..., op. cit., tome II, p. 452 ; G. JEZE, « Note sous l'arrêt Sabin (CE. 4 mai 1906) », R.D.P. 1906, pp. 678-684 ; H. NEZARD, op. cit., pp. 83-84.

395 Répertoire de législation, de doctrine et de jurisprudence, de M. Dalloz, Paris, 1858, tome 39, article « Règlements administratifs et de police », pp. 2.28, p. 3 ; « Aucune autorité ne peut réformer les actes du pouvoir réglementaire, pas même la puissance législative. Ce sont deux pouvoirs de nature diverse qui ne sont point hiérarchiquement subordonnés l'un à l'autre » (ibidem).

396 Répertoire de législation, de doctrine et de jurisprudence de M. Dalloz, Supplément publié sous la direction de G. Griolet et Ch. Vergé, tome 15, Paris, 1895, article « Règlements administratifs ».

l'acte que sa nature, deux questions que les auteurs de cette époque ont tendance à confondre, et semble résulter cette fois de la hiérarchie constitutionnelle entre législateur et pouvoir exécutif.

Au début du vingtième siècle enfin, apparaît une nouvelle tendance qui consiste à identifier totalement la loi et le règlement sur le plan matériel397 (le règlement est une loi matérielle selon Duguit), l'opposition des deux actes résultant seulement du point de vue organique qui détermine un régime juridique différent pour la loi et pour le règlement 398.

Nature et régime juridique du règlement sont donc désormais conçus comme relevant de deux questions distinctes399 ; le règlement est identique à la loi quant à sa nature, et les différences qui l'opposent à la loi constituent un avantage pour le règlement : celui d'être soumis au contrôle du juge. Cette identification matérielle souligne qu'il appartient aussi à l'exécutif de fixer des règles générales400 . Il s'en trouve du même coup revalorisé, et ce d'autant plus que ses actes sont susceptibles de recours juridictionnels. Or la différence qui sépare la loi et le règlement résulte de la supériorité politique du corps législatif sur l'exécutif. Et les auteurs tendent à présenter cette situation comme l'héritage des conceptions de la Révolution, donc contingente, donc susceptible de disparaître401. Si l'on se souvient

Nature et régime juridique du règlement sont donc désormais conçus comme relevant de deux questions distinctes399 ; le règlement est identique à la loi quant à sa nature, et les différences qui l'opposent à la loi constituent un avantage pour le règlement : celui d'être soumis au contrôle du juge. Cette identification matérielle souligne qu'il appartient aussi à l'exécutif de fixer des règles générales400 . Il s'en trouve du même coup revalorisé, et ce d'autant plus que ses actes sont susceptibles de recours juridictionnels. Or la différence qui sépare la loi et le règlement résulte de la supériorité politique du corps législatif sur l'exécutif. Et les auteurs tendent à présenter cette situation comme l'héritage des conceptions de la Révolution, donc contingente, donc susceptible de disparaître401. Si l'on se souvient

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