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LA CRISE DU PARLEMENTARISME

Dans le document DE L ÉTAT LÉGAL À L ÉTAT DE DROIT (Page 97-106)

LA CRISE DU RÉGIME REPRÉSENTATIF

Section 1 LA CRISE DU PARLEMENTARISME

Les publicistes sont unanimes à dénoncer la déviation du régime parlementaire instauré par les lois constitutionnelles de 1875 en régime d'assemblées consacré par la pratique. C'est en effet par cette transformation que le parlement s'impose comme souverain dans l'Etat et nie les prérogatives de l’exécutif. Mais le parlement fait un peu figure de bouc émissaire dans la mesure où les critiques qui lui sont adressées sont très souvent contradictoires, dans la mesure également où la toute-puissance qu'on lui attribue semble a posteriori plus illusoire que réelle. Aussi faut-il s'interroger sur les raisons profondes qui conduisent les publicistes et la majorité de l'opinion à désigner le parlement comme le grand responsable des dysfonctionnements du régime et sur les transformations réelles qui se sont opérées par rapport au type classique du parlementarisme

§ 1. - LA DÉVIATION DU RÉGIME PARLEMENTAIRE EN RÉGIME D'ASSEMBLÉES

Parler de déviation suppose un point de référence, une norme à partir de laquelle on mesure la pratique politique. En toute logique, cette norme doit être recherchée dans les lois constitutionnelles. Mais le compromis auquel ont abouti les constituants de 1875 est susceptible d'interprétations variables, et partant, le régime parlementaire peut lui aussi faire l'objet de plusieurs définitions.

A — Le discours critique des publicistes

Pour Charles Benoist, « le parlementarisme consiste essentiellement dans l'accord pour la politique et la législation entre l'exécutif et le législateur, entre le chef de l'Etat et le parlement, établi et maintenu par l'intermédiaire obligatoire d'un Cabinet nommé par le chef de l'Etat, responsable, non seulement en droit, mais en fait, autrement que par une clause « de style », devant lui et devant le parlement »218. Le vrai régime parlementaire est donc, d'après cette définition, reprise par Duguit219,

218 Ch. BENOIST, « Parlements et Parlementarisme », Congrès international de droit comparé tenu à Paris du 31 juillet au 4 août 1900, Paris LGDJ, tome 2, 1907, pp. 292-313, p. 302 ; Ch. LEFEBVRE, Etude sur les lois constitutionnelles de 1875, Paris, Marescq, 1882, p. 102. Opinion contraire : R. CARRE DE MALBERG, op. cit., tome 2, P. 81.

219 L. DUGUIT, « Note sommaire sur le fonctionnement du régime parlementaire en France depuis 1875 », Congrès international de droit comparé..., Paris LGDJ, tome 2, pp. 313-325, pp. 314 et 315 : « Réduit à ses éléments simples, tel qu'il est sorti de la longue évolution historique dont il est l'aboutissant, le gouvernement parlementaire se reconnaît aux caractères suivants. Le pouvoir politique appartient à deux organes, agissant en une continuelle collaboration, et se limitant l'un l'autre par l'action réciproque qu'ils exercent l'un sur l'autre : un organe électif et collectif, le Parlement, un organe unitaire, le Gouvernement personnifié par un chef d'Etat (...) Mais en même temps, pour concilier la responsabilité et la stabilité gouvernementales, le Gouvernement se compose de deux éléments : un élément permanent et irresponsable, le chef de l'Etat, un

de type orléaniste plutôt que britannique. C'est aussi, à l'époque boulangiste, la définition qu'en donnent les radicaux pour en souligner le caractère peu démocratique 220. Pourtant, nulle part dans la constitution de 1875 ne figure cette responsabilité du gouvernement devant le président de la République.

L'interprétation orléaniste n'est donc que l'une des interprétations possibles, celle qui avait été soutenue par Mac Mahon et le centre droit contre les républicains monistes221. La norme du régime parlementaire se situe plus près du régime anglais chez F. Moreau qui consacre tout un ouvrage à sa défense en 1903 222. Mais quelle que soit la définition qu'on en donne, il s'agit toujours d'une norme qui postule l'idée contestable que tout écart par rapport à cet idéal théorique constitue une déviation, un fonctionnement défectueux223. Au-delà de leurs éventuelles divergences sur l'idéal politique à suivre, tous les auteurs se retrouvent en effet pour dénoncer la déformation française du parlementarisme comme une forme de despotisme224.

La fortune de ces critiques vient de ce que le régime d'assemblées peut alors concentrer sur lui toutes les attaques : celles de la gauche, comme celles de la droite.

Vers 1885, la gauche radicale dénonce l'omnipotence parlementaire comme une appropriation indue de la souveraineté par une oligarchie, celle de la bourgeoisie

élément changeant et responsable, le ministère (..) le chef de l'Etat est l'inspirateur de la politique ministérielle, il choisit ses ministres, qui doivent avoir à la fois sa confiance et celle du Parlement ».

220 Sur ce point, voir Z. STERNHELL, La droite révolutionnaire, les origines françaises du fascisme 1885-1914, Paris, Seuil 1978, p. 43: « les premières attaques contre la Constitution lancées, en mai 1881 par Alfred Naquet, alors député radical du Vaucluse, peuvent être considérées comme le coup d'envoi de la campagne contre la République libérale et bourgeoise que va désormais mener l'extrême gauche radicale. Le 31 mai, Naquet demande à la tribune de la Chambre la révision de la Constitution. Depuis, il ne cessera plus d'instruire le procès du régime parlementaire et de ses incohérences, de son inefficacité, de sa nature antidémocratique. Pour le député, devenu en 1883 sénateur radical, le régime parlementaire, importé d'Angleterre, est un rouage de la monarchie constitutionnelle et non un rouage de la démocratie de suffrage universel ».

221 Voir J.J. CHEVALLIER, Histoire des institutions et des régimes politiques de la France de 1789 à nos jours, Paris, Dalloz, 5ème éd. 1977, p. 292 : « Cette République, à laquelle, telle qu'elle était, personne ne croyait, il fallait absolument se réserver la faculté de la changer, de la réviser. Le centre doit comptait bien en faire une vraie monarchie parlementaire orléaniste, c'est-à-dire dualiste, avec un centre de pouvoir dans 1c roi et un centre de pouvoir dans les assemblées. Les républicains, les "vrais", les "croyants', et surtout les vieux, les Louis Blanc, les Edgar Quinet, comptaient bien tirer de cette "République honteuse", de cette

"Cendrillon", de cette "République sans républicains", comme on disait, fille de Thiers "l'orléaniste défroqué", la vraie République jacobine de style 93. Les plus jeunes comptaient bien en tirer la République opportuniste, celle enfin qui réussirait et s'installerait, enfin solide, enfin à l'abri des aventures du pouvoir personnel ».

222 F. MOREAU, Pour le régime parlementaire, Paris, Fontemoing, 1903.

223 Cf Ch. SEIGNOBOS, « Analyse du livre de Ch. Benoist, la crise de l’Etat moderne, Paris 1897 », R.D.P.

1898, tome IX, pp. 141-144, p. 143 : « si un mécanisme politique était une fin en soi, on aurait le droit de dire que la machine "va mal" quand elle ne fonctionne pas suivant les règles conçues par le mécanicien. Mais toute forme politique n'est qu'un procédé pour assurer à une nation des biens désirables en eux-mêmes, la prospérité matérielle, la liberté et la sécurité, l'activité intellectuelle. Ces résultats ont-ils jamais été obtenus aussi complètement que de nos jours et dans les pays à "suffrage inorganique" (...) Ainsi la formule "tout va mal" ou n'a aucun sens ou se réduit à dire que l'évolution politique du monde civilisé ne s'est pas conformée aux règles tracées d'avance par une école doctrinaire — dont les derniers survivants achèvent d'ailleurs de s'éteindre ».

224 A. DE SAINT-GIRONS, Essai sur la séparation des pouvoirs dans l'ordre politique, administratif et judiciaire, p. 264.

libérale. Naquet et Laisant qui instruisent ce procès et rejoindront plus tard les rangs du boulangisme, attaquent aussi bien le régime parlementaire (« le parlementarisme bourgeois ») que sa déviation. Après la période boulangiste, qui a fourni aux extrêmes un terrain commun d'attaque contre le régime, la droite reprend la critique de l'omnipotence parlementaire pour des raisons opposées à celles de Naquet : il ne s'agit plus de dénoncer le parlementarisme libéral, mais de le défendre contre ses déviations provoquées par la pression du suffrage universel.

Défendre le régime parlementaire après l890, c’est aussi une façon de se tenir à distance du césarisme. Dans cette optique, le parlementarisme peut apparaître comme le régime de l'équilibre, celui du juste milieu ; dès lors qu'on s'en éloignerait, ce serait retourner au despotisme225. S'il faut défendre le régime parlementaire, dit Duguit, c'est parce qu'« il est le meilleur procédé qu'aient encore inventé les hommes pour protéger l'individu contre l'arbitraire d'un dictateur, d'une classe ou d'une majorité »226. Les adversaires naturels du régime parlementaire, ajoute Moreau, sont

« les hommes de tous les despotismes, ceux qui lui reprochent d'avoir à jamais rendu impossible le pouvoir absolu d'un souverain, et ceux qui s'irritent des obstacles qu'il oppose à l'avènement d'un régime conventionnel »227. Les rares partisans du régime présidentiel estiment eux aussi que la « vraie liberté, celle de l'individu, est ennemie de l'omnipotence d'une assemblée »228. Tous parviennent à cette même constatation

« nous sommes arrivés au terme de ce que Benjamin Constant appelait « l'horrible route de l'omnipotence parlementaire »229.

À cette toute puissance du parlement, correspond évidemment la subordination de l'exécutif, et notamment celle du chef de l'Etat. Aussi, la pratique politique de la Troisième République est-elle confondue avec celle de la même que, sur le terrain politique, le régime parlementaire réalise l'harmonie des pouvoirs, de même, sur le terrain social, il a pour but de réaliser l'harmonie et la coordination des influences Tout régime qui subordonne exclusivement l'un des pouvoirs à l'autre, n'est plus politiquement le régime parlementaire. Tout régime qui, au point de vue social réduit toutes les influences historiques à une seule, qui soit oppressive de toutes les autres, ou qui réduise la nation à une foule inorganique, aboutissant à l'anarchie sociale, ne saurait être le régime parlementaire ».

226 L. DUGUIT, « Note sommaire sur le fonctionnement du régime parlementaire depuis 1875 », loc. cit., p.

325.

227 F. MOREAU, Pour le régime parlementaire, préface.

228 . R. JACQUELIN, « Les cent jours et le régime parlementaire », R.D.P. 1897, tome VII, pp. 193-220, p.220.

229 J. BARTHELEMY, Le rôle du pouvoir exécutif dans les Républiques modernes, Paris, Giard et Brière, 1906,.p. 681 ; A. Le BOURGEOIS, De la séparation des pouvoirs, Thèse, Paris, 1884, notamment p. 171.

230 Ch. BENOIST, « Parlements et parlementarisme », loc. cit., p. 303 ; « Ou bien le chef de l'État n'est pas assez fort : et c'est la dictature anonyme, multiple et multiforme, d'une assemblée ou de la fraction dominante d'une assemblée, la Convention avec un ou plusieurs comités de Salut public. Le ministère n'est pas assez fort et c'est ou le gouvernement direct par le chef de l'Eut — le despotisme — ou le gouvernement indirect par les Chambres — l'anarchie — Le parlement n'est pas assez fort : et c'est alors le caprice, le bon plaisir, l'arbitraire tyrannique. / Le chef de l'Etat trop fort, les ministres et le parlement pas assez : c'est la déformation prussienne du parlementarisme ; le chef de l'État et les ministres pas assez forts, le parlement

«avancés » confortent d'ailleurs cette analyse puisqu'ils réclament la suppression pure et simple de la présidence de la République en prétendant s'inspirer de 1793.

B — Discours et réalité

Pourtant, à bien des égards, cette omnipotence du parlement peut nous paraître aujourd'hui plus illusoire que réelle. Si l'on analyse en effet les critiques faites par les publicistes à ce régime « dénaturé », on s'aperçoit qu'elles sont essentiellement contradictoires et qu'elles établissent davantage l'impuissance du personnel parlementaire de l'époque qu'une toute puissance effective du parlement.

Si les auteurs accusent le parlement, et d'abord la chambre des députés, d'empiéter sur les prérogatives de l'exécutif231, de renverser les ministères sans rime ni raison232, de « s'immiscer dans toutes les parties de l'administration »233, ne lui reprochent-ils pas aussi son absence de programme politique, la médiocrité, l'ignorance et la corruption de son personnel234 ; ne l'accusent-ils pas encore de délaisser le travail législatif devenu stérile et lent235 et de lui préférer les luttes politiciennes, pour n'être finalement pas même capable de contrôler le ministère ? 236.

Les assemblées sont donc à la fois omnipotentes et inefficaces, voire impuissantes, constat qui ne se défend guère d'un point de vue logique et nous impose un examen plus serré de la question. Il semble qu'en réalité, le parlement ait été balloté entre des influences contradictoires, celles des divers groupes de pression dont les députés se sont faits les porte-parole. Témoins les innombrables groupes constitués à la chambre. Témoin aussi le système d'élaboration des lois : de nombreux projets furent en effet entièrement préparés en dehors des assemblées, dans un premier temps par ce qu'on appelait les « sociétés savantes », puis par les bureaux des ministères, pour être ensuite adoptés pratiquement sans modification par les chambres237. Les pressions contradictoires qui s'exerçaient sur les députés,

beaucoup trop : n'en était-ce point hier encore la déformation française ? Le chef de l'État de moins en moins fort, le parlement et les ministres trop, ou les ministres trop et le parlement lui-même plus assez n'en serait-ce pas pour un avenir prochain, une autre déformation à prévoir ? Ainsi s'accomplirait le cycle du despotisme à la tyrannie par l'anarchie : la Convention, le Directoire, et après ? »

231 F. MOREAU, Pour le régime parlementaire, p. 208 : «La faute vraie, c'est l'empiètement. et c'est la faute des Chambres » ; R. SALEILLES, loc. cit., p. 80.

232 A. ESMEIN, Éléments..., p. 728 ; R. SALEILI.ES, loc. cit., p. 80.

233 L. DUGUIT, « Note sommaire... », loc. cit., p. 317.

234 L. DUGUIT, ibidem, p. 318; Ch. BENOIST, « parlements et parlementarisme », loc. cit. p. 308 et p. 310 notamment.

235 F. MOREAU, « Régime parlementaire et principe représentatif », Congrès international de droit comparé, Paris LGDJ 1907, tome 2, pp. 223.274, p. 251 ; E. BOUVIER et G. JEZE, « La véritable notion de la loi et la loi annuelle de finances », RCLJ 1897, pp. 381-393, 427-451 et 528-540.

236 L DUGUIT, « Note sommaire ... », loc. cit., p. 318.

237 Cf. H. BOUCHET, La conception de la représentation dans la Constitution de 1875 et ses déviations postérieures, thèse pour le doctorat en sciences politique et économique, université de Dijon, Dijon 1908.

Voir notamment le chapitre III de cet ouvrage, chapitre dans lequel Bouchet montre quelle a été l'influence de la société générale des prisons sur l'oeuvre pénitentiaire de la Troisième République : « l'initiative de chacune des réformes, dans ce domaine, est toujours partie de la Société générale des prisons (...) C'est

l'hétérogénéité croissante de la composition des assemblées, le manque de continuité du travail parlementaire auquel s'est ajoutée plus tard l'instabilité ministérielle ont, sans doute, oeuvré dans le sens d'une déperdition des pouvoirs du parlement au profit de la haute administration plutôt que dans le sens inverse de sa toute puissance.

Cet aspect des choses et le caractère contradictoire des critiques faites aux assemblées laissent donc penser que les publicistes ont surtout voulu remettre en cause la mythologie de la prépondérance légitime du parlement dans l'Etat. Cette mythologie était celle de l'Etat légal et se fondait sur l'idée que les parlementaires sont dans l'Etat les premiers représentants de la nation, représentants indépendants de leurs électeurs. Ce qui vient étayer cette hypothèse, c'est que la doctrine est unanime à dénoncer l'incompétence et la corruption des parlementaires. Les adversaires du régime libéral n'admettent pas que l'Etat soit accaparé par une « caste » parlementaire; ses partisans ne peuvent s'accommoder des changements intervenus dans le personnel politique et dans « les moeurs » parlementaires.

§ 2. - LA CRITIQUE DU PERSONNEL PARLEMENTAIRE

Aux yeux des publicistes, les représentants n'offrent plus les garanties qu'ils étaient censés présenter pour le bon fonctionnement du système politique. Bien que (ou parce que) devenus pour la plupart des « politiciens professionnels » 238, ils n'ont même pas la compétence de leur fonction et paraissent uniquement préoccupés de leur réélection.

encore au sein de la même Société que se poursuivent l'étude et l'élaboration de ces réformes (...) C'est enfin toujours sous les auspices de la Société que s'effectue le dépôt des projets de lois ainsi élaborés (...) Quant au Parlement, nous sommes à même maintenant d'apercevoir son véritable rôle : il n'est jamais, en toutes ces matières, que l'écho du dehors ; il se borne à enregistrer des solutions élaborées en dehors de son enceinte et à leur donner la consécration législative ». (Bouchet p. 97). I1 faut noter que tous les projets de lois dont parle ici Bouchet ont été votés en 1885 ; en revanche, à partir de la fin des années 1890, il semble que l'influence des sociétés savantes sur la législation ait fait place à celle des conseils supérieurs institués auprès des ministères, l'initiative législative passant ainsi, des assemblées et des sociétés extérieures au parlement, au gouvernement par l'intermédiaire des bureaux des ministères ; voir l'élaboration de la législation sur les habitations à bon marché de 1894 à 1906 (Bouchet, op. cit., pp. 119 et s.) et celle de la loi du 15 février 1902 sur la santé publique, ou le rôle du Conseil supérieur du Travail dans la législation (Bouchet, op. cit., pp. 134 et s.).

238 Voir Th. FERNEUIL, «La crise de la souveraineté nationale et du suffrage universel », R.P.P. 1896, tome X, pp. 489-511, p. 498 : « les progrès de la division du travail appellent partout l'intervention des compétences spéciales (...). Or, la politique seule a le privilège d'échapper à cette loi générale, et on admet ordinairement que, pour trancher les questions les plus ardues et les plus complexes de législation, d'administration, de travaux publics, de finances ou d'instruction publique, il est inutile de posséder une préparation ou un entraînement appropriés (...) le premier plan de la scène politique est accaparé par les médiocres et les ambitieux qui, n'étant pas gênés par l'exercice d'une profession, peuvent se livrer entièrement à la politique dont ils font un véritable métier. D'où l'invasion de ces politiciens de carrière qui s'offrent d'eux-mêmes aux électeurs, non point pour répandre leurs idées et leur programme politique, fruit de leur culture et de leur expérience personnelle, mais pour se soumettre aux sommations et aux caprices de ceux qui les ont investis de leurs suffrages ».

A — Les arguments de la doctrine

Dans le registre de l'incompétence, le premier reproche fait aux parlementaires concerne la qualité de leur travail législatif. « L'expérience des dernières législatures a montré que l'usine parlementaire fonctionne d'une façon défectueuse, que les produits qui en sortent sans se briser contre l'opposition du Sénat (opposition que souhaitent souvent au fond de leur coeur ceux mêmes qui ont à la Chambre proposé ou voté les projets de lois), sont mal venus, que beaucoup de ceux qui ne sont pas tout-à-fait mauvais en principe, auraient besoin de corrections ou de tempéraments que personne ne peut y introduire, et que le chômage de l'atelier législatif est, dans de très nombreux cas, préférable à la mauvaise fabrication qu'il infligerait à la nation »239. Certes, la critique s'explique en partie par le fait que d'Eichtal est un saint-simonien convaincu. Mais on la retrouve chez les autres publicistes, toutes tendances confondues. Ainsi la stérilité des débats parlementaires,

« l'incurable lenteur » des assemblées240, l'abus du droit d'initiative241 sont devenus des lieux communs. Leroy constate à son tour en 1908 l'incapacité du législateur à formuler l'intérêt général242.

Toutes ces critiques visent davantage la chambre que le sénat dont les membres auraient une compétence « cent fois supérieure » à celle des députés243. Elles peuvent nous surprendre aujourd'hui où l'oeuvre législative accomplie durant les trente premières années du régime semble avoir été particulièrement féconde.

Mais il est évident aussi que le problème de la compétence se pose alors avec plus d'acuité pour les contemporains, dans la mesure où les députés légifèrent désormais dans des domaines plus nombreux et plus techniques. Comme nous le verrons244, les publicistes tendent à évacuer la question politique pour la remplacer par l'oeuvre

239 E. D'EICHTAL Souveraineté du peuple et gouvernement (op. cit.) pp. 243-244.

240 F. MOREAU, Le règlement administratif. Etude théorique et pratique de droit public français, Paris, Fontemoing, 1902, p. 173 ; voir P. MOREAU, « Chronique constitutionnelle parlementaire », R.D.P. 1896, tome IV, pp. 292-321, p. 308 ; F. Moreau, « L'initiative parlementaire », R.D.P. 1901, tome XV, pp. 251-279, p. 251 « un des phénomènes les plus frappants de notre vie parlementaire, c'est le contraste entre l'énorme

240 F. MOREAU, Le règlement administratif. Etude théorique et pratique de droit public français, Paris, Fontemoing, 1902, p. 173 ; voir P. MOREAU, « Chronique constitutionnelle parlementaire », R.D.P. 1896, tome IV, pp. 292-321, p. 308 ; F. Moreau, « L'initiative parlementaire », R.D.P. 1901, tome XV, pp. 251-279, p. 251 « un des phénomènes les plus frappants de notre vie parlementaire, c'est le contraste entre l'énorme

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