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LA CRISE DE LA REPRÉSENTATION

Dans le document DE L ÉTAT LÉGAL À L ÉTAT DE DROIT (Page 106-121)

LA CRISE DU RÉGIME REPRÉSENTATIF

Section 2 LA CRISE DE LA REPRÉSENTATION

Si le régime parlementaire est en crise, c'est que la conception classique de la représentation politique est elle-même subvertie par la démocratisation du suffrage258. C'est du moins la thèse explicitement soutenue par les publicistes qui ne se contentent pas de décrire les symptômes de la crise, mais en recherchent les causes pour éventuellement y remédier. Nous verrons que cette conception classique de la représentation repose sur une ambiguïté que l'extension du suffrage a seulement rendue plus manifeste (§ 1). L'avènement du suffrage universel fait en effet du régime représentatif un gouvernement de l'opinion et remet en cause le postulat essentiel du régime libéral : celui de l'indépendance du représentant vis-à-vis de l'électeur (§ 2). C'est aussi toute la question de la nature du suffrage qui se trouve posée : la pression des électeurs tend à transformer l'électorat d'une fonction en un droit, pour aboutir à ce que les publicistes appellent la tyrannie de la majorité et la souveraineté du nombre. Et pour eux, la force du nombre n'a en elle-même aucune légitimité (§ 3).

§ 1 . - LES AMBIGUÏTÉS DE LA CONCEPTION CLASSIQUE DE LA REPRÉSENTATION

Dans la théorie classique de la représentation, confier le pouvoir à des représentants de la nation constitue à la fois un gage de capacité des gouvernants et de légitimité du régime. L'étude du développement historique du régime représentatif et de sa théorie montre en effet qu'il a toujours mis en oeuvre la conjonction de deux idées qui se sont révélées à certaines époques contradictoires. Lorsque la constitution de 1791 instaure le régime représentatif, il s'agit de transformer radicalement le système de légitimité : la souveraineté de droit divin est abandonnée au profit de la nation, corps indivisible des citoyens ; à l'autorité monarchique, on oppose désormais le respect de la volonté générale. Pour exercer légitimement le pouvoir, les

incidents parlementaires et en mettant les ministres sur la sellette, bien plutôt qu'en discutant des projets de loi à la tribune ou en préparant des rapports dans la pénombre discrète et silencieuse des commissions. Sans doute, si la composition et les moeurs des Assemblées parlementaires étaient plus saines, il n'y aurait pas lieu de règlementer le droit d'interpellation ; mais, comme aucun pronostic n'autorise à compter sur un relèvement du niveau de ces Assemblées, ne faut-il pas en conclure que le frein du règlement doit intervenir là où les moeurs sont reconnues impuissantes à prévenir la dégénérescence du régime parlementaire ? »

258 Cf. Th. FERNEUIL, « La crise de la souveraineté nationale et du suffrage universel », R.P.P. 1896, tome X, pp. 489-511, p. 491 : « quand la souveraineté du peuple a semblé atteindre son point culminant par la conquête du suffrage universel, n'estimait-on pas que ce système électoral devait consacrer l'aboutissement suprême, et comme le couronnement du régime représentatif? (...) Malheureusement, les faits se sont assez vite chargés de démentir la théorie. Chez la plupart des nations qui pratiquent le suffrage universel, une antinomie de plus en plus profonde s'est produite entre ce suffrage et le régime représentatif, de telle sorte que le principe qui devait assurer le triomphe de ce régime menace aujourd'hui, presque partout, d'en consommer la décadence et la ruine » ; cf L DUGUIT, « Note sommaire sur le fonctionnement du régime parlementaire en France depuis 1875 », loc. cit. p. 318 : « pour beaucoup de bons esprits, la cause principale de cette déviation du régime parlementaire se trouve uniquement dans le suffrage universel. Le régime parlementaire est en soi, disent-ils, complètement incompatible avec la démocratie ».

gouvernants doivent donc représenter l'ensemble des citoyens formant la collectivité nationale. Mais pour gouverner, encore faut-il, dit-on, être capable de formuler l'intérêt national. Aussi, le régime représentatif se présente-t-il à la fois comme un gouvernement de la volonté générale et comme un gouvernement des capacités, l'idée de la capacité nécessaire venant légitimer celle de représentation. À son tour, la question du choix des gouvernants les plus aptes pose le problème de la capacité des électeurs, et cette appréciation de l'aptitude du corps électoral dépend évidemment des objectifs poursuivis par les constituants. La théorie libérale, qui voit dans la richesse (ou la propriété) la preuve de l'aptitude, implique logiquement le suffrage censitaire. Le régime représentatif se présente alors essentiellement comme un gouvernement des capacités, sans que soit pour autant abandonnée l'idée selon laquelle la source fondamentale de légitimité se trouve dans la nation. Le gouvernant est légitime à la fois parce qu'il est le plus capable et parce qu'il représente la nation259.

Avec la transformation du concept de nation, c'est l'aspect gouvernement des capacités qui l'emporte sur celui d'un gouvernement de la volonté générale. Plus exactement, la nation étant comprise comme un être abstrait, la volonté générale est aussi une volonté abstraite qui n'a plus rien de nécessairement commun avec la volonté des gouvernés. Pour autant, l'idée que les gouvernants tiennent leur légitimité de ce qu'ils représentent la nation n'a jamais été abandonnée ; l'origine historique du régime l'impose, et plus encore la nécessité d'obtenir l'obéissance des gouvernés aux décisions qui sont prises. C'est en partie pour avoir négligé cette exigence que la Monarchie de Juillet (« gouvernement des capacités » selon Guizot) s'est effondrée, et que le suffrage universel a été proclamé.

Après le vote des lois constitutionnelles de 1875, le régime représentatif s'avère donc autant, sinon davantage, un gouvernement de l'opinion qu'un gouvernement des capacités. Hormis Deslandres qui fait l'apologie de ce règne de l'opinion publique260, les publicistes critiquent, nous l'avons vu, l'incompétence des représentants et au premier chef celle des députés. Or, si le représentant n'est pas compétent, c'est, à leurs yeux, que l'électeur est lui-même inapte à choisir ses élus.

Le problème du choix ne se posait pas à l'époque du suffrage censitaire ; il se pose au contraire avec le suffrage universel : « Les membres des assemblées politiques, dit Berthélemy, sont choisis à l'élection non parmi ceux qui peuvent le mieux, mais

259 Voir E.J. SIEYES, Qu'est-ce que le Tiers-Etat ?, éd. Champion, 1889, été in J. GODECHOT, La pensée révolutionnaire 1780-1799, Paris, A. Colin, 1964, pp. 82-83 : « le corps des représentants, à qui est confié le pouvoir législatif ou l'exercice de la volonté commune, n'existe qu'avec la manière d'être que la nation a voulu lui donner. Il n'est rien sans ses formes constitutives ; il n'agit, il ne se dirige, il ne se commande que par elles. A cette nécessité d'organiser le corps du gouvernement, si on veut qu'il existe ou qu'il agisse, il faut ajouter l’intérêt qu'a la nation à ce que le pouvoir public délégué ne puisse jamais devenir nuisible à ses commettants. De là, une multitude de précautions politiques qu'on a mêlées à la constitution, et qui sont autant de règles essentielles au gouvernement. sans lesquelles l'exercice du pouvoir deviendrait illégal. On sent donc la double nécessité de soumettre le gouvernement à des formes certaines, soit intérieures, soit extérieures, qui garantissent son aptitude à la fin pour laquelle il ut établi et son impuissance à s'en écarter ».

260 M. DESLANDRES. « étude sur le fondement de la loi », R.D P. 1908. pp. 5-37.

parmi ceux qui plaisent le plus »261. Les complexités du régime parlementaire, dit également Saleilles, « sont choses qui échappent à la foule, laquelle est rétive aux nuances »262. La cause principale du mauvais fonctionnement du parlementarisme, selon Picot, est dans l'extension du suffrage à des masses sans éducation politique et ignorant les règles fondamentales de ce régime263. C'est encore cette opinion que défend Charles Benoist « Livré à lui-même et laissé à l'état inorganique, le suffrage universel ne se forme pas, il se déforme ; il ne s'éduque pas, il se corrompt à l'user (...) Et si l'on veut relever le personnel parlementaire, s'il le faut, c'est sur le corps électoral qu'il faut agir »264.

Duguit lui-même, estime que « le régime parlementaire est inconciliable avec le suffrage universel tel qu'il se pratique en France » ; il ajoute cependant qu'«il n'est pas prouvé par l'expérience qu'il soit inconciliable avec le suffrage universel organisé et éduqué »265. Enfin, les colonies offrent l'exemple caricatural de l'opinion que se font certains publicistes des capacités de l'électeur : « La mentalité des indigènes, dit Mestre, ne nous paraît pas susceptible d'élaborer des représentations d'un ordre suffisamment précis et relevé pour devenir la matière de lois »266.

En donnant la priorité à l'opinion sur la capacité dans la conduite des affaires de l'Etat, le suffrage universel aurait donc transformé le régime représentatif en un gouvernement de l'incompétence ; et selon les publicistes il aboutirait ainsi à fausser la représentation.

§ 2. - LA REPRÉSENTATION FAUSSÉE PAR LA DÉMOCRATISATION DU SUFFRAGE

Affirmer que l'extension du suffrage fausse la représentation nous paraît aujourd'hui paradoxal, sinon absurde. C'est pourtant une idée très répandue sous la

261 H. BERTHELEMY, Traité ..., 2° éd., p. 6

262 R. SALEILLES, « Rapport d'ensemble résumant les rapports divers présentés au Congrès sur la question du parlementarisme », in Procès-verbaux des séances et documents du congrès international de boit comparé tenu à Paris du 31 juillet au 4 août 1900, Paris LGDJ, tome I , 1905, pp. 69.87, p. 81 ; cf Th. FF.RNEU1L, « La crise de la souveraineté nationale et du suffrage universel », loc. cit., pp. 497-498: « le fonctionnement normal du régime représentatif (...) exige encore dans la représentation nationale, un certain degré d'initiative et de compétence qui fait de plus en plus défaut aux assemblées électives. Contraste bizarre ! à l'époque où l'organisation des sociétés modernes va se compliquant de plus en plus, où les attributions de l'état s'étendent et s'élargissent dans toutes les directions, où, par conséquent, la tâche du gouvernement devient de plus en plus lourde et requiert un bagage plus considérable de connaissances techniques, d'énergie intellectuelle et morale, on voit, grâce au suffrage universel, le niveau des assemblées s'abaisser chaque jour davantage ».

263 R. SALEILLES ,« Rapport d'ensemble ... », loc. cit.. p. 86; F. MOREAU, « L'initiative parlementaire », R.D.P. 1901, tome 15, pp. 251-296, p. 273; Faustin Adolphe HEL1E, Les constitutions de la France, Paris, Marescq, 1880, 1467 pages, p. 1417.

264 Ch. BENOIST, « Parlements et parlementarisme », loc. cit.. pp. 306 et 308-309.

265 L. DUGUIT, « Note sommaire sur le fonctionnement du régime parlementaire depuis 1875, loc. cit., p.

319 266 A. MESTRE, « Analyse et compte-rendu du livre de F. Moreau, Le règlement administratif, R.D.P., 1904, pp. 623-647, p. 636.

Troisième République dans le milieu des publicistes, nourris de la tradition libérale.

Aussi faut-il resituer le problème dans son contexte pour en comprendre les tenants et aboutissants.

L'opinion selon laquelle le régime représentatif est incompatible avec la démocratisation du suffrage repose sur deux arguments eux-mêmes fondés sur une certaine conception de la représentation. Le postulat essentiel de la théorie libérale de la représentation étant celui de l'indépendance de l’élu vis-à-vis de l'électeur, toue pratique politique tendant au mandat impératif est considérée comme une déviation.

Si, de plus, on met l'accent sur l'idée abstraite de capacité, le rôle de l'électeur se réduit au choix des gouvernants les plus aptes à gérer un intérêt national, abstrait lui aussi. En d'autres termes, l'électorat est une fonction exigeant la réunion d'un minimum de conditions, plutôt qu’un droit appartenant à chacun. Or, le suffrage universel remet en cause cette-conception de la représentation à ces deux points de vue (A), conduisant les publicistes à renouveler la théorie de l'électorat pour restaurer l'indépendance des gouvernants (B).

A — Les effets du suffrage universel

S'agissant d'abord du lien qui unit l'électeur à l'élu, la conception classique part du principe que ce lien doit être assez ténu de façon à préserver à la fois une certaine autonomie des gouvernants et l'unité de la communauté politique : le député représente l'ensemble de la nation et non pas seulement les électeurs qui ont voté pour lui.

Or la pratique de la Troisième République tend à remettre en cause cette conception. Tous les auteurs de l'époque notent, en effet, une tendance dans l'opinion publique, mais aussi chez les élus, à transformer le député en mandataire. Cette

«perversion » du système est due en partie au mouvement socialiste et syndical267, relayé par le parti révisionniste268, qui conteste la République bourgeoise tout en voulant s'y faire une place. Elle est due aussi à l'influence sur les élections des comités électoraux de toutes tendances, comités dont le rôle est d'autant plus important que les partis ne sont pas encore vraiment organisés269. Ainsi voit-on, à partir de 1894, s'instaurer la pratique de la démission en blanc signée par le député dès son élection, et remise au comité qui a patronné sa candidature. Esmein cite comme exemple de cette pratique un extrait du registre des délibérations du comité électoral du parti ouvrier (séance du 25 août 1894) : « Considérant que le parti ouvrier dijonnais ne saurait accepter plus longtemps une solidarité quelconque avec

267 Le système du mandat est aussi, pour les socialistes, un moyen de faire accepter à leur électorat la participation des militants à la « République bourgeoise ».

268 Voir le programme révisionniste, septembre 1889, « Partie impérative », article VII « Obligation pour les députés de rendre compte de leur mandat, dans chaque chef-lieu de canton de leur circonscription à chaque vacance législative», cité in R. GIRARDET, op. cit.. p.136.

269 Voir E. D'EICHTAL. op. cit., pp. 215-217 ; Ch. BENOIST, « Parlements et parlementarisme », loc. cit., p. 308 ; Th. FERNEUIL, « La crise de la souveraineté nationale et du suffrage universel », loc. cit., p. 496

les agissements du député qui s'est fait élire sous ses auspices ; que le corps électoral, en donnant la majorité au citoyen X..., a reconnu implicitement au Comité qui l'a soutenu le droit d'en apprécier la conduite ultérieure et de disposer, en temps utile, de sa démission librement signée par lui... »270.

Le refus d'une telle démission par la chambre des députés amène les partisans de ce système à l'abandonner mais il est repris quelques années plus tard sous une forme nouvelle : en 1904, le congrès socialiste de Saint-Etienne organise un contrôle sur ses parlementaires en même temps qu'il réclame l'institution d'un pouvoir de révocation des élus par la moitié plus un des électeurs inscrits271.

Plus les années passent, et plus sont nombreux les auteurs qui dénoncent cette pratique. En 1910, c'est Delpech qui note la dépendance croissante des élus face à leurs électeurs272. En 1911, G. Scelle établit le môme constat273. Tous deux estiment que cette évolution est liée à la montée du mouvement ouvrier. D'une part en effet, le syndicalisme révolutionnaire qui exerce une influence certaine au début du siècle repose en partie sur l'idée d'un contrôle étroit des délégués par la base.

D'autre part, le parti socialiste qui entend placer la lutte exclusivement sur le terrain légal et voit le nombre de ses députés augmenter régulièrement, inscrit le mandat impératif à son programme. Quant à l'Action Française, elle n'est pas loin de les rejoindre sur cette question. En fait, tous les courants politiques sont gagnés par cette tendance favorisée par le scrutin d'arrondissement et par l'absence de partis fortement structures.

De là, cette politique de surenchère électorale et d'intérêts particuliers, cette corruption des députés et leur asservissement : « Que le représentant se charge de porter au Parlement une opinion toute faite, au Louvre, ou chez. Potin une commande de chaussettes ou de chocolats, son rôle n'est-il pas le même ? (...) C'est à ce point que nos députés ont été réduits par la notion fausse qui domine parmi les Français au sujet des nécessités de la représentation »274. Mis à part Deslandres et Bouchet275, favorables à cette conception de la représentation parce que démocratique, tous les publicistes la combattent au nom de la théorie classique de l'indépendance de l'élu, et l'imputent au suffrage universel.

On pourrait se demander pourquoi la doctrine préfère condamner cette pratique plutôt que d'abandonner une théorie vieille de plus d'un siècle. Cette

270 A. ESMEIN, Eléments..., p..265.

271 Voir J. DELPECH, «Chronique constitutionnelle », R.D.P. 1904, pp. 333-361, p. 359 ; sur cette question, les socialistes ont d'ailleurs été précédés par les radicaux qui font campagne dès 1881 pour le mandat impératif. Voir J.M. MAYEUR, op. cit., pp. 89-90

272 J. DELPECH, « La notion de parti et le party government », R.D.P. 1910, pp. 534-570, p. 537.

273 G. SCELLE, « A propos de la crise actuelle de la représentation politique », R.D.P. 1911, pp. 525-557, p.

525 .

274 F. MOREAU, Pour le régime parlementaire, p. 271 ; E. D'EICHTAL, op. cit., pp. 218 -219 ; Th.

FERNEUIL, « La crise de la souveraineté nationale et du suffrage universel », loc. cit., p. 496.

275 M. DESLANDRES, « Étude sur le fondement de la loi », R.D.P. 1908, pp. 5-37 ; H. BOUCHET, La conception de la représentation dans la Constitution de 1875 et ses déviations postérieures, thèse pour le doctorat de sciences politiques et économiques, Dijon, 1908. Comparer G. BRIOT, Du mandat législatif en France, thèse, Parts Rousseau 1905.

condamnation du mandat impératif s'explique aisément et pour les mêmes raisons que celles par lesquelles les publicistes rejettent la théorie de Rousseau : si l'on admet la capacité des électeurs à dicter leurs choix aux gouvernants, que reste-t-il de la séparation des gouvernés et des gouvernants, c'est-à-dire de l'existence même de l'Etat dont les publicistes font la théorie ? Si l'on conçoit que le député représente ceux qui ont voté pour lui, et seulement ceux-là, comment maintenir l'idée de l'unité de l'État, comment obtenir la soumission de la minorité à la majorité ?

« La doctrine du mandat impératif est manifestement contraire au principe de la souveraineté nationale », dit Duguit, car « ni les individus ni les groupes pris séparément n'ont une parcelle quelconque de la souveraineté ». Surtout, « au point de vue politique et pratique, le système du mandat impératif est inadmissible.

D'abord avec le mandat impératif, on n'aurait ni les avantages du gouvernement direct, puisque le peuple ne serait pas directement consulté, ni ceux du gouvernement puisque les députés, liés par les instructions de leurs électeurs, ne pourraient pas apporter au pays le profit de leurs aptitudes spéciales, et on aurait les inconvénients de ces deux espèces de gouvernement. Enfin, il serait à peu près impossible d'assurer le fonctionnement du mandat impératif dans des conditions équitables. L'expérience prouve que, dans le fait, ce prétendu mandat est donné par les comités plus ou moins influents d'une circonscription, lesquels souvent ne représentent qu'un nombre infime d'électeurs et n'ont d'autre autorité que celle qu'ils s'attribuent »276.

C'est à Rousseau et à sa théorie de la souveraineté que l'on impute la responsabilité de cette « fausse conception » de la représentation : au mandat impératif correspondrait nécessairement l'idée d'une souveraineté fractionnée entre les individus, théorie de la souveraineté atomisée qui serait celle de Rousseau277. Sans compter les erreurs que comporte une telle explication, il est évident qu'elle n'explique finalement pas grand chose puisqu'elle se contente de tout ramener à de fausses conceptions qui auraient cours dans l'opinion publique.

Or le problème est précisément de savoir pourquoi ces idées font florès à l'époque. Nous avons vu que l'extension du suffrage donnait au régime représentatif le caractère d'un gouvernement d'opinion plutôt que des capacités. Dans cette

276 L. DUGUIT, Manuel de droit public français, tome 1: droit constitutionnel, Paris, Fontemoing, 1907, pp.

313-314.

277 A. ESMEIN, Eléments pp. 185 et s.; E. D'EICHTAL, op. cit., p. 171 : « l'idée du mandat, sorte de tempérament entre la doctrine absolue de Rousseau sur l'impossibilité de déléguer la souveraineté, et les nécessités pratiques de l'organisation du gouvernement de la démocratie dans les grands Etats, n'est jamais sortie du programme radical, et a été insuffisamment effacée du programme simplement libéral », et p. 174 :

« le mandat s'est substitué depuis longtemps au principe de la véritable représentation (...) concilié avec les doctrines de la souveraineté du peuple pour se répercuter sur celle de la représentation et la modifier

« le mandat s'est substitué depuis longtemps au principe de la véritable représentation (...) concilié avec les doctrines de la souveraineté du peuple pour se répercuter sur celle de la représentation et la modifier

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