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LES DANGERS D'UNE EXTENSION DES GARANTIES POLITIQUES

Dans le document DE L ÉTAT LÉGAL À L ÉTAT DE DROIT (Page 180-196)

DES GARANTIES POLITIQUES AUX CONTRÔLES JURIDIQUES

Section 2 LES DANGERS D'UNE EXTENSION DES GARANTIES POLITIQUES

Les garanties traditionnelles de l'Etat légal ne paraissent pas très efficaces, mais elles ne sont pas pour autant rejetées par les publicistes qui continuent à les invoquer comme valeurs fondamentales du régime. Et pour lutter contre le despotisme du corps législatif, la doctrine pourrait songer à augmenter ces garanties, notamment par l'institution d'un contrôle de l'électeur sur le député. Or la grande majorité des auteurs rejette catégoriquement cette solution pourtant préconisée par certains partis politiques565, précisément parce qu'elle considère que l'avènement du suffrage universel est à l'origine de l'omnipotence parlementaire dont elle se plaint.

La doctrine montre ainsi son attachement au régime représentatif fondé sur les valeurs libérales. Ce qu'elle critique, c'est moins le principe de la suprématie législative que le despotisme d'un parlement qui se réclame du suffrage universel. La remise en cause de l'Etat légal est donc limitée en ce qu'elle porte essentiellement sur les transformations du système induites par la poussée démocratique (§ 1).

Confrontés au problème éminemment politique de la conciliation du libéralisme ct de la démocratie, les publicistes cherchent à échapper aux contradictions de leur époque et se tournent vers les solutions juridiques qui leur paraissent à la fois plus techniques et plus neutres, entretenant ainsi une opposition constante entre les deux champs politique et juridique (§ 2).

§ 1. - LES LIMITES DE LA REMISE EN CAUSE DE L'ÉTAT LÉGAL

Nous avons vu la doctrine dénoncer l'omnipotence et l'anarchie parlementaires et relativiser les garanties offertes par la suprématie législative. Mais s'agit-il pour autant d'abandonner complètement le système de l'Etat légal ? Si l'évolution des idées en matière de souveraineté montre effectivement une transformation des principaux concepts depuis la Révolution, celle-ci s'avère surtout une adaptation des théories traditionnelles à une situation nouvelle. Face à la poussée démocratique, les publicistes tentent en effet de sauvegarder les valeurs libérales qui fondent l'Etat légal, et l'analyse de l'attitude de la doctrine révèle son attachement à ces valeurs tant sur le plan institutionnel que sur le plan politique.

565 Les nationalistes à l'époque du boulangisme, les radicaux et les socialistes étaient partisans du mandat impératif.

A — Les institutions : le refus de la démocratie directe

Les critiques des publicistes visant le despotisme de la chambre des députés et la souveraineté du nombre via le suffrage universel inorganisé les conduisent à repenser la notion de représentation pour en écarter toute idée de mandat et a fortiori celle de mandat impératif566. Dans la mesure où l'omnipotence législative résulte de la prétention des députés à représenter le corps électoral, il faut dénoncer l'illégitimité de cette prétention en démontrant à la fois que la souveraineté appartient à la nation plutôt qu'au corps électoral, que le député ne représente pas vraiment ceux qui l'ont élu, que de toutes façons, il n'a pas à représenter leurs volontés mais que sa volonté doit rester libre pour voter les lois dans l'intérêt général. En défendant ces principes, la doctrine oppose l'excellence prétendue du gouvernement représentatif qui assure l'indépendance des gouvernants à l'égard des gouvernés, à l'anarchie du gouvernement direct, condamné sans appel, parce qu'il est impraticable, démagogique567, parce qu'il suppose une compétence dont ne dispose pas le peuple568, et qu'enfin il « présente des dangers très réels » 569.

Cc sont les mêmes arguments qui sont invoqués contre les procédés de démocratie semi-directe : mandat impératif, référendum, initiative populaire, qui figurent quelque temps au programme des radicaux puis des socialistes, et font l'objet de nombreuses propositions visant à réviser la constitution570. La grande majorité des publicistes est hostile à ces réformes. « De très bonnes lois ont échoué en Suisse devant le référendum », dit Esmein, « mais ce qui est plus grave encore, c'est que ce système a pour effet de diminuer fatalement la valeur et l'activité utile, le pouvoir éclairant des assemblées représentatives. N'étant point sûres de ne pas voir le résultat de leurs travaux, la loi qu'elles auront élaborée après de longs débats, échouer devant un préjugé populaire, elles tendront forcément à raccourcir les débats législatifs et à restreindre les travaux préparatoires (...) On peut craindre aussi que, recherchant la popularité, la majorité d'une assemblée n'adopte quelque mesure, qu'elle sent dangereuse pour l'avenir, mais qui jouit momentanément de la

566 En sens contraire, P. DANDURAND, Le mandat impératif, thèse Bordeaux, 1896. Comparer H.

BOUCHET, op. cit. ; H. CHARAU, op. cit.. première partie.

567 F. HELIE, op. cit., pp. 386-387 ; A. LE BOURGEOIS, op. cit.,. 144 ; J. VALEGEAS, op. cit., p.1.

568 A. ESMEIN, op. cit., p. 230 ; F. MOREAU, Pour le régime parlementaire, p. 272 : « les masses populaires ont appris que le Gouvernement est un art difficile, que les problèmes législatifs sont compliqués, que pour légiférer et gouverner la volonté toute pure ne sert de rien, que le talent et les connaissances spéciales sont nécessaires. Elles s'aperçoivent que ces difficultés surpassent et les possibilités matérielles et leurs moyens intellectuels » ; J. BRISSAUD, « Analyse du livre de J. Signorel, Etude de législation comparée sur le referendum législatif et les autres formes de participation directe des citoyens à l'exercice du pouvoir législatif », R.D.P, 1896. tome VI pp. 355-359.; L. DUGUIT, Manuel..., p. 291. Comparer M.

HAURIOU, Principes de droit public, p. 440.

569 A. ESMEIN, op. cit., p. 232 ; A. LE BOURGEOIS, op. cit., p. 144 ; F. MOREAU, op. cit. , p. 5 ; J.

BRISSAUD, loc. cit. ; H. NEZARD, op. cit., p. 91.

570 Voir la chronique constitutionnelle de la R.D.P., notamment R.D.P. 1899, tome XI, pp. 44 et s., R.D.P.

1902, tome XVIII, pp. 324 et s.

faveur populaire »571 . La complexité des affaires à gérer, la prudence, voire la liberté militent contre l'introduction de ces procédés.

Le souvenir des plébiscites du second Empire joue un rôle indéniable dans ce refus572, mais aussi les théories juridiques sur la souveraineté qui attribuent celle-ci à l'État ou à la nation plutôt qu'au corps électoral. Ceux qui, comme Esmein, fondent la légitimité du système sur l'adhésion tacite des gouvernés, estiment que l'électeur n'a de compétence que pour choisir ses représentants, non pour faire lui-même les lois573. Mais les publicistes proches de Duguit refusent eux aussi le mandat impératif et le référendum dans le mesure où la volonté de la majorité n'a par elle-même aucune légitimité : « les lois n'ont pas pour but de réaliser ce que veut actuellement la majorité du peuple: elles doivent formuler ce qui est le plus conforme au but de la société, au bien-être de tous les citoyens : une loi, même voulue par une majorité, ne saurait supprimer légitimement, par exemple, tous les droits individuels. Or, si une forme de votation des lois peut donner des lois meilleures, cette forme doit être préférée à celle du vote direct par le peuple. Cette forme, c'est celle du gouvernement représentatif »574.

C'est là une nouvelle version de l'intérêt national que le simple citoyen ne saurait découvrir. Ce qui importe, c'est l'excellence de la norme, non sa source démocratique. Les deux termes (perfection / démocratie) sont ici opposés pour justifier le recours à un intermédiaire (le législateur) que, par ailleurs, l'on n'a cessé de critiquer pour son incompétence. Comme nous le verrons plus loin, le souci des publicistes n'est pas tant celui de la démocratisation du système que celui de la cohérence d'un ordre juridique plus développé, de sa perfection ou de son achèvement sans besoin de recourir à une légitimité extérieure (politique, sociale ou métaphysique). La norme doit être légitime par elle-même, éventuellement par le but qu'elle est censée poursuivre, plutôt que par sa source.

Passer de l'Etat légal à l'Etat de droit, c'est ainsi déplacer la garantie de la légitimité de l'ordre juridique de l'origine de la règle à l'organisation de sa sanction.

Or, l'introduction de procédés de démocratie semi-directe peut aussi contribuer à ce que la loi soit acceptée et donc obéie, elle peut également constituer un moyen

571 A. ESME1N, op. cit., pp. 232-233 ; J. BRISSAUD, loc. cit. ; P. LAFFITE, « Le référendum », Revue Bleue, 1897, 4ème série, tome VIII.

572 H. NEZARD, « compte-rendu de deux livres : P. Binet, L'initiative populaire en Suisse, Paris 1905 et Th.

Curti, Le référendum, Paris 1905 », R D.P. 1906, pp. 583-594, p. 594 : « dans notre pensée, la consultation populaire s'allie aux plébiscites impériaux. Peut-être serait-il temps de nous arracher à cette obsession • ; J.

DELPECH, « A propos du mode d'élection du président de la Chambre des députés », R.D.P. 1906, pp. 5-26. 573 A. ESME1N, op. cit.. p.230 « la très grande majorité des citoyens, très capables de choisir des représentants d'après leurs opinions connues et d’orienter ainsi la législation et le gouvernement, est incapable d'apprécier lois ou projets de lois qui lui seraient soumis. Il lui manque pour cela, comme le disait Sieyès, deux choses nécessaires : l’instruction pour comprendre ces projets, et le loisir pour les étudier» ; de même J.SIGNOREL, Etudes de législation comparée sur le referendum législatif et les autres formes de participation directe des citoyens à l’exercice du pouvoir législatif, Paris Rousseau, 1896, p. 458.

574 H. NEZARD, op. cit., p.91.

efficace pour limiter la toute puissance du législateur. L'institution du référendum, dit Brissaud, « peut être envisagée comme un frein à l'omnipotence des Assemblées législatives ; celles-ci pensent et agissent quelquefois autrement que les électeurs qui les ont nommées ; le peuple peut les désavouer, les empêcher d'abuser de leur pouvoir (...) Il peut prévenir les troubles, il peut faire à un moment donné l'économie d'une émeute, sinon d'une révolution. L'avantage d'agir ainsi à la façon d'une soupape de sûreté est appréciable » 575. Mais Brissaud ne conclut pas pour autant en faveur du référendum, car les membres d'une assemblée ont « un savoir , une expérience qui manquent au peuple ». Les rares partisans du référendum ou de l'initiative populaire ne voient eux aussi dans ces procédés qu'un moyen d'obtenir plus facilement l'obéissance du citoyen à la règle de droit 576.

Quant à Duguit, s'il se prononce pour le référendum consultatif, c'est dans le but de renforcer la solidarité entre l'électeur et l'élu, solidarité nécessaire à la bonne marche du système. Il ne s'agit pas de consacrer le droit d'égale participation des citoyens à la puissance publique, puisque cc droit n'est selon lui qu'un pur sophisme577, mais plutôt de faire obstacle à la toute puissance d'une oligarchie parlementaire578. Et si Duguit accepte le référendum, il rejette le mandat impératif579.

Partisans et adversaires de ces procédés se préoccupent donc davantage d'assurer l'application de la loi que d'accroître la participation des gouvernés à sa confection580. Et ces procédés ne sont admis que dans la mesure où ils peuvent faciliter la paix sociale et limiter la puissance parlementaire.

B — Sur le plan politique : la défense des valeurs libérales

« La fonction du libéralisme dans le passé a été de mettre une limite au pouvoir des rois. La fonction du libéralisme dans l'avenir sera de limiter les pouvoirs des Parlements »581. Cette phrase de Spencer résume assez bien l'attitude des publicistes qu'ils soient conservateurs ou progressistes, ils refusent les extrémismes et souhaitent défendre les libertés individuelles qu'ils croient menacées par ce que Tocqueville appelait le risque de « despotisme démocratique ».

Dans ces conditions, l'extension de la démocratie leur paraît dangereuse pour la défense de ces libertés, tout autant sinon plus que l'autoritarisme. En outre,

575 J. BRISSAUD, loc. cit., p. 358.

576 M. HAURIOU, op. cit., p. 446 ;H. NEZARD, op. cit., p. 594 : « Peut-être serait-il temps (...) de prêter une oreille plus attentive aux mouvements populaires dont la violence tomberait par l’ouverture dune porte aux manifestations pacifiques de leur volonté, d'affermir l'autorité de la loi dont quelques-uns s'affranchissent trop volontiers, en reconnaissant compétence, pour la sanctionner, à tous ceux qui en droit sont censés ne pas l’ignorer ».

577 L. DUGUIT, Manuel... p. 491

578 L. DUGUIT, op. cit.. p. 301.

579 L. DUGUIT, op. cit., p. 314.

580 En sens contraire, voir H. BOUCHET, op. cit.

581 H. SPENCER, cité in A. Tardieu, L'heure de la décision, Paris, Flammarion, 1934, p. 230.

les juristes ont traditionnellement tendance à se définir comme des hommes du «juste milieu », nous les avons vus défendre le régime parlementaire comme régime d'équilibre et brandir les épouvantails de l'anarchie et du despotisme comme ennemis à combattre582. Leurs préoccupations, sinon leur statut, les conduisent assez logiquement dans cette voie : « comme les pouvoirs de l'Etat ont pour fonction la direction des intérêts nationaux dans l'ordre, la sécurité et la paix, la science politique ne peut admettre un système de réformation, qui périodiquement imprime aux intérêts nationaux des troubles prolongés (...) La science doit condamner de façon absolue le mode révolutionnaire pour la réforme des institutions politiques»583.

L'histoire de la Troisième République les y conforte : né peu après la répression do la Commune, le régime a dû ensuite affronter la contestation du boulangisme, de l'anarchisme et du socialisme, et la volonté républicaine de rétablir un consensus s'est trouvée à chaque instant contrecarrée par les conflits584. Cette agitation politique et sociale semble avoir été vivement ressentie par les publicistes et contribué à ce qu'ils se réfugient sur le terrain juridique où les conflits sont médiatisés par le droit. Le souvenir de la Commune qui avait pratiqué le mandat impératif n'est manifestement pas étranger à leur rejet des procédés de démocratie semi-directe, de même que le césarisme a pu jouer un rôle dans leur refus du référendum.

Face à la contestation anarchiste et socialiste, la défense des libertés individuelles tend à devenir une défense de l'ordre social. Confronté à la poussée démocratique, le libéralisme se fait nécessairement plus conservateur qu'il ne l'était un siècle auparavant. Aussi les limites posées aux libertés publiques sont-elles facilement acceptées au nom du maintien de l'ordre contre les perturbateurs585. Et quoique les publicistes n'aient pas été forcément anti-dreyfusards, au contraire, on peut noter de nombreuses convergences entre leur propos et celui de la Ligue de la Patrie Française, cette version édulcorée du nationalisme tapageur à la Déroulède : les chefs de la Patrie Française, dit Sternhell, « s'en prennent, tout d'abord, à l'irresponsabilité et à la corruption de « cet autre souverain à six-cents têtes », ils

582 Voir supra, titre II, chapitre I.

583 M. DESLANDRES, « La crise de la science politique », R.D.P. 1901, tome XVI, loc cit., p. 421.

584 Voir la chronique politique de la R.D.P. tenue par E. DEJEAN, F. MOREAU et ZEDYX voir également J.M. MAYEUR, La vie politique sous la Troisième République 1870-1940, op.cit.

585 Voir par exemple, sur la liberté de la presse J. BARTHELEMY, « Le droit public en temps de guerre », R.D.P. 1915, p. 320 ; G. BARBIER, « Les lois contre les anarchistes », R.D.P. 1894, tome II, pp. 444-467 ; H. BERTHELEMY, Traité élémentaire de droit administratif, 5e éd. 1908, p. 289, cf. L. DUGU1T, op. cit., p.582. Voir également J. BARTHELEMY, « Notes parlementaires », R.D.P. 1907, pp. 295-320, pp. 309-310 : l'auteur estime que le gouvernement peut suspendre l’application des lois et apprécier « dans chaque espèce si l’intérêt public n’exige pas que le délit soit ignoré, plutôt que de faire à l’auteur de ce délit une fructueuse réclame (...) Est ce que le gouvernement est juridiquement tenu de conférer l’auréole du martyre à tous les partisans de doctrines anti-sociales et anarchiques qui provoquent et qui recherchent précisément les poursuites en commettant des délits prévus et punis par la loi ? »

préconisent, ensuite, un renforcement de l'exécutif, mais, contrairement à la droite radicale, ils sont hostiles à l'autoritarisme586.

Mais tout en soutenant ces thèses, une partie de la doctrine se range du côté des progressistes : Duguit et l'Ecole de Dijon cherchent davantage une conciliation du libéralisme et de la démocratie qu'à simplement défendre les valeurs libérales.

Dans cette optique, la propriété devient fonction sociale plus que droit subjectif absolu et sacré. Mais cette tentative d'adapter le libéralisme aux mutations de la société trouve rapidement ses limites lorsqu'il s'agit du droit de grève. Or la seule lecture de la chronique politique de la Revue du Droit Public montre à quel point se développent les conflits sociaux au tournant du siècle587. La situation est devenue suffisamment préoccupante pour que le parlement vote une loi sur la responsabilité des communes en cas de trouble en avril 1914. Les grèves de fonctionnaires comptent parmi les plus importantes et les plus longues. Postiers et cheminots réclament l'alignement sur les travailleurs du secteur privé pour obtenir la reconnaissance du droit syndical et du droit de grève. Or, nous le verrons, les publicistes, dans leur très grande majorité, se prononcent pour le statut contre le contrat et dénient aux agents des services publics la possibilité de faire grève588.

Les auteurs se partagent sur la question du droit d'association et du droit syndical, mais la plupart refusent l'idée que les fonctionnaires puissent en bénéficier.

Jèze note qu'au début de l'année 1913 une discussion s'est engagée à ce propos à la société d'études législatives et que « tous les professeurs de droit qui y ont pris part se sont déclarés contre le caractère licite des associations de fonctionnaires, tandis que tous les membres du Conseil d'Etat se prononçaient pour le caractère licite de ces associations »589 . Pourtant, dans un arrêt du 4 mars 1913, Cardinal Luçon, la Cour de Cassation elle-même admet la licéité des associations de fonctionnaires et leur reconnaît le droit d'agir en justice, tout comme l'avait déjà fait le Conseil d'Etat le 21 décembre 1908. La doctrine s'avère donc plus conservatrice que la jurisprudence. Il n'y a guère que Duguit et Jèze pour adopter une attitude différente et

586 Z. STERNHELL op. cit., p. 135.

587 Voir également L. ROLLAND, « La responsabilité des communes en cas de troubles et d’émeutes », R.D.P. 1913, pp. 350-370, p. 351 : « Durant ces douze années de travail parlementaire, divers faits ont contribué à préciser, à affermir ou à compliquer les idées : la multiplication des grèves entraînant malheureusement parfois des troubles sérieux dans les centres industriels, les incidents du Midi en juin 1897, de l'Aube et de la Marne en février et mars 1911, l'augmentation du nombre des manifestations tumultueuses, voire violentes ».

588 J. BARTHELEMY, « Sur l'interprétation des lois par le Parlement », R.D.P. 1911, pp. 129-163, p. 131 :

« la rétroactivité des retraites, jointe d'ailleurs à l'arbitrage, est destinée à faire accepter aux cheminots la suppression de leur prétendu droit de grève » ; H. CHARDON, Le pouvoir administratif, Paris, Perrin, 1912, 2ème éd., p. 111 : « tout fait de grève dans un Service Public quelconque doit être puni avec une impitoyable rigueur ; car il est plus criminel pour la nation que la plupart des infractions prévues par les lois pénales » ; L.

DUGUIT, op. cit., p. 418: « nous leur refusons sans hésiter le droit de grève et le droit syndical ; A.

ESMEIN, op. cit., 5e éd., 1909, p. 635 ; M. HAURIOU, Principes de droit public, p. 488 : « le droit de grève ne saurait être reconnu aux fonctionnaires » ; G. JEZE, « Définition des fonctionnaires publics », R.D.P.

1914, pp. 153-183, p. 175 « le régime du Service Public repose sur la suprématie de l'intérêt général. La grève est donc, de la part des agents au Service Public, un fait illicite, une faute disciplinaire » ; A. LEFAS, L'Etat et les fonctionnaires, op. cit.. pp. 175 et 206.

589 G. JEZE, « Notes de jurisprudence judiciaire », R.D.P. 1913, pp. 537-543, p. 540, note 2.

admettre jusqu'au droit syndical des fonctionnaires. Duguit, rejoignant ainsi Proudhon, voit dans la formation syndicale «l'organisation permanente d'une résistance défensive à l'oppression »590 à laquelle nous avons vu qu'il était favorable.

Sans aller aussi loin, Jèze s'oppose aussi à ceux qui ne veulent voir dans le syndicat qu'un « concert en vue de la grève » et critique la fausse distinction faite par la jurisprudence entre syndicat et association591. Nézard enfin, a dans ses premiers écrits admis jusqu'au droit de grève des fonctionnaires de gestion, opposés aux fonctionnaires d'autorité, à partir d'une distinction chère à Barthélemy des actes qu'ils édictent592 mais il abandonnera cette thèse quelques années plus tard.

Cette opposition au sein de la doctrine reflète à la fois les différences de sensibilité politique et les hésitations entre conceptions individualiste et solidariste.

Si Duguit est favorable aux syndicats, c'est parce qu'il voit en eux des interlocuteurs

Si Duguit est favorable aux syndicats, c'est parce qu'il voit en eux des interlocuteurs

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